Une femme exceptionnelle

La vie réserve des surprises enrichissantes. Je lui dois d’avoir, il y a quelque temps, rencontré une femme exceptionnelle qui pétille de vie et distille le courage.

Brève présentation (approuvée par la personne concernée)

Ayant vécu des abus durant sa petite enfance, elle ne trouve le courage et la détermination de régler son histoire qu’une fois jeune adulte. En 1998, elle obtient la condamnation de son abuseur. Elle ne veut cependant pas tomber dans la victimisation et s’investit corps et âme dans sa reconstruction. Pour vaincre son « monde intérieur dominé alors par des sentiments de haine, de colère et d’envie de tuer » (sic), elle « part à la quête de la paix et de la joie » (sic).

Je la cite ci-dessous (avec son accord) :

« Un abus dans l’enfance bousille le monde intérieur et détruit les belles valeurs pour laisser la place à la honte, au dégoût, à ce terrible sentiment de culpabilité. La réparation peut prendre du temps. Il ne faut jamais lâcher. Au fond, on découvre ce qui n’a pas été touché, ce qui est intact et pur. Le meilleur allié dans ce combat restera toujours l’amour pour soi et pour la vie. Notre <<carte de visite>> devrait correspondre à l’être humain en devenir que nous sommes, celui auquel nous aspirons et qui vit déjà en nous. C’est certainement lui, et lui seul, qui peut nous ramener à la paix. Nous ne sommes pas l’épisode tragique que nous avons vécu mais c’est la manière dont nous regardons cet épisode qui nous révèle. Un épisode tragique n’est pas une vie, mais chaque pas et chaque traversée que nous réalisons donnent et font émerger le sens de notre Vie. Sur ma carte de visite, je ne suis pas <<l’enfant abusé>>, je suis <<une femme qui défend le droit et le devoir de vivre sa grandeur>>.

« Être aimée en tant que victime me rendait malheureuse et incomplète. Prendre conscience que derrière cette étiquette vivait un être humain imparfait m’a ramenée à ma liberté et à ma responsabilité, à mon essence et à ma nature profonde, celle qui a toujours existé en moi et qui ne demandait qu’à s’exprimer.

Lorsque j’ai pu prendre conscience et accepter le fait que je puisse être autant bourreau que victime – dans ma vie au quotidien – l’horizon et de nouvelles perspectives sont apparus. A partir de ce moment-là, il était clair qu’il était juste et possible de ne plus être uniquement l’une ou l’autre de ces facettes mais que grâce à une combinaison des deux, je pouvais décider, pour chacune de mes actions et chacun de mes choix, de faire le plus de bien et le moins de mal possible. A ce moment-là, s’est dessiné un nouveau départ dans ma Vie que j’ai appelé Loup Chocolat en hommage à cette prise de conscience. Ainsi est née cette identité avec sa première collection de sacs et de poèmes en guise de symbole pour ce début de voyage vers autre chose. » (Fin de citation).

Passer du duel au duo

Créer sa petite entreprise et la baptiser « Loup Chocolat », c’est une gageure.

Comme le dit sa créatrice que je cite à nouveau :

« <<Loup Chocolat>> est avant tout un oxymore <<métaphorique>> représentant la grandeur possible de l’être humain et des êtres humains ensemble. Deux forces antagonistes lointaines et proches à la fois, voire dépendantes l’une de l’autre. Ensemble, elles devraient choisir le chemin de l’équilibre, de l’équité, d’un environnement sain et de la paix. C’est l’appréciation des qualités de l’être humain qui va contribuer à empêcher autant que possible un dérapage. C’est essentiel de laisser la place à cette (re) construction, à cette expression, à cette évolution. Notre guerre intérieure nous appartient. Nous ne pouvons pas tuer une partie de nous-mêmes, nous ne pouvons trouver la paix qu’en incluant l’ensemble de nos facettes dans une unité qui nous révèle nos possibles. Le bien et le mal existent avant tout dans l’être humain et c’est cette prise de conscience – qui devrait être encouragée dès le plus jeune âge – qui pourra nous aider à choisir d’exprimer le bien »

« Passer du duel au duo…c’est reconnaître l’existence de l’autre, reconnaître ses besoins, ses qualités. Ça passe par la création de ce lien vital, un pont que Loup Chocolat propose et qui va soutenir une meilleure répartition des richesses, des opportunités et un meilleur équilibre. Autrement dit, rendre l’environnement plus sain afin de diminuer le risque de tout possible et nouveau dérapage. Passer du duel au duo signifie également reconnaître un dénominateur commun qui nous rassemble, à savoir <<être humain>>, ainsi qu’un but commun qui doit nous motiver, à savoir <<rendre l’humanité meilleure>>. On parviendra ainsi à respecter et apprécier ce en quoi l’autre est différent, ce en quoi l’autre est enrichissant. La paix dans le monde se construit avec des êtres humains en paix. Et cette voie est devant nous et ne peut pas être barrée. Nous sommes libres et responsables de la suivre » (fin de citation).

 

Une admirable capacité de résilience et une responsabilité de la société

(Je cède à nouveau la parole à cette femme merveilleuse) :

« Je ne partage évidemment pas mon temps avec la personne qui s’est mal comportée à mon égard. Toutefois, cette personne a le droit – si sa santé et son autonomie le lui permettent – de repartir et de faire vivre ce qu’elle a de mieux en elle et trouver une (nouvelle) harmonie à composer avec chacun de ses pas. Tant mieux si elle est aimée et félicitée. Plein de gens pourraient profiter de ses qualités humaines, sociales et professionnelles. Plus on pointe du doigt le bourreau, plus s’alourdit l’étiquette « victime ». Une telle situation ne peut amener qu’à passer à côté de ce que chacun pourrait être de mieux. Évidemment que si un individu est considéré ou a été diagnostiqué comme dangereux, alors il y a lieu de prendre des mesures adaptées ».

« La société se doit d’aller comprendre en profondeur ce qui déclenche ce dérapage, ce poison, pour pouvoir l’éradiquer, l’éliminer sans perdre de temps. Quel est l’ennemi ou l’antidote de ce poison ?

Écouter est essentiel, c’est cette faculté qui nous amène à la compréhension, la compréhension vers l’évolution de l’humanité et la construction d’un monde qui ne reste pas enfermé dans la haine et la peur. ». (fin de citation)

 

Une conclusion pleine d’espoir

Et mon interlocutrice de poursuivre :

« En tant que femme, artiste, mère et entrepreneuse, je défends donc un monde humaniste où chaque être humain a le droit tout comme le devoir de se diriger vers sa grandeur et ce, peu importe le point de départ. Cet accès doit rester libre, car c’est lui et lui seul qui peut favoriser l’évolution positive de l’être humain, ce dont cette terre a précisément besoin. » (Fin de citation).

 

Il y a vraiment des rencontres qui font du bien. Merci !

 

 

 

Suzette Sandoz

Suzette Sandoz est née en 1942, elle est professeur honoraire de droit de la famille et des successions, ancienne députée au Grand Conseil vaudois, ancienne conseillère nationale.

8 réponses à “Une femme exceptionnelle

  1. Vous citez cette personne forte et sans rancune comme bon exemple qui gagne effectivement à être connu. Elle fait part de son état d’esprit, fournit quelques clés pour celles qui ont été aussi abusées, et surtout vise à être positive en apportant du bien. Mais représente-t-elle un exemple de réussite, ou plus, un modèle ?

    Je pense que nombre de personnes maltraitées à tous les degrés, dans leur enfance, ne trouveront pas l’entière solution (qui partielle n’en est pas une) en s’inspirant de ce que transmet la personne qui a réussi à s’en sortir, parce que celle-ci a trouvé son chemin dans un certain cas de figure, avec ce qu’elle était au départ en forces et en faiblesses. S’aimer et aimer les autres pour ce qu’ils sont, désirer faire le bien et en retirer une satisfaction, s’acquiert par des expériences de partages parsemées de réussites et d’échecs. L’enseignement est bien sûr là pour guider, apprendre à réfléchir ; ce peut être la famille, les professeurs, le curé, ou même une personne comme tout le monde à qui parler de temps en temps. La femme de l’article, qui a souffert tôt dans sa vie, a pu continuer à croire qu’il y a des personnes bonnes et fiables, tout en apprenant à identifier les mauvaises et s’en protéger. Pas facile si c’est un enfant laissé seul, d’autant moins s’il a été agressé ou maltraité dans le cadre de la famille. Mon propos pourrait être mal accueilli si je disais que la personne citée en exemple « a eu de la chance ». Alors je dirai que d’autres personnes en ont eu aucune ou trop peu à saisir en dehors du monde malheureux. Ce n’est pas l’enseignement de « faire le bien » qui peut aider celles-ci, elles ne savent rien de ce qu’elles n’ont pas reçu. La générosité les yeux fermés ne leur vaudra aucun cadeau en retour, mais peut-être le sentiment d’être reconnues, soutenues, aimées… déjà dans l’au-delà où elles seront un jour enfin heureuses.

    Suis-je pessimiste ? Non, le désespoir a mené au bonheur éternel des personnes qui n’avaient pas la possibilité d’être exceptionnelles. Elles ont pourtant tout essayé, dans tous leurs états successifs : révolte, vengeance, haine, décisions de pardonner, être bon pour guérir chez l’autre ce qui fait mal en soi, puis épuisées rêver de pureté à en mourir.

    En annexe :

    « Je ne partage évidemment pas mon temps avec la personne qui s’est mal comportée à mon égard »

    Le temps des rencontres régulières avec la personne qui les a fait souffrir, pour les enfants d’un père en prison, est vital pour leur bon développement. Cela n’a pas été évident et même vivement rejeté, lorsqu’il y a vingt ans le psychiatre Gerard Salem tentait de vaincre les préjugés (et y est parvenu).

    « Cette personne (l’abuseur après exécution de sa peine) a le droit de repartir et faire vivre ce qu’elle a de mieux en elle. Tant mieux si elle est félicitée, plein de gens pourraient profiter de ses qualités humaines, sociales, ou professionnelles »

    Qualités professionnelles, pourquoi pas, on a déjà honoré souvent des personnes pour leur apport à l’humanité sans qu’elles en aient, de l’humanité. Telles Le Corbusier qui a créé des « maisons où bien vivre », fervent du nazisme pour prolonger le bien vivre plus loin que les jardins.

    Et les qualités humaines ? C’est vrai qu’elles peuvent exister, en pleine contradiction avec une sale ombre qui reste verticale au lieu de s’étendre de toute sa largeur dans la cour. Curés, profs, éducateurs ou autres personnes respectées ont été félicitées avant qu’une mauvaise nouvelle tombe. Soyons alors logiques, tant mieux si on continue à les féliciter pendant qu’elles sont en prison pour ce qu’elles ont apporté de bien. Et elles peuvent être aimées parce qu’elles savent aimer… Sans être cette fois-ci ironique, je pense que la préoccupation de vouloir reconnaître ce qu’il peut y avoir de bon, chez une personne qui a été mauvaise, sort parfois du souci de voir la réalité. Un phénomène inverse à celui bien courant du gars qui fait ses commentaires après avoir lu le jugement d’un sadique condamné : « Il faudrait lui faire ceci, cela !.. » : Il se punit lui-même, en fantasme pour en annuler un autre. Dans le comportement opposé, être bon avec la personne mauvaise est une guérison aussi pour la maladie qu’on n’a pas. (Je n’inclus a priori pas le curé, le médecin, qui pense et agit de par sa vocation).

      1. Désolé de vous avoir causé un malaise si vous vous sentez concerné par l’une ou l’autre des personnalités malheureuses que je mentionne dans ce commentaire. Excusez-moi de ne pas m’intéresser à tous les sujets pour pouvoir vous répondre plus amplement.

    1. Bonjour Dominic et merci pour votre commentaire.

      Je suis Grace, la personne dont parle Suzette Sandoz dans son billet. Votre commentaire est très important car il permet de ne pas arrêter la discussion et le débat et c’est de ça que nous avons besoin pour avancer. Il s’agit là de mon intention. Il me semble capter quelques interrogations entre vos lignes, je voudrais apporter quelques réponses ou compléter certains de mes points de vue. Ensuite, je vous invite à suivre – si vous le souhaitez – les articles que je poste sur mon site Loup Chocolat.

      Le but n’est pas d’exposer dans un commentaire de blog les détails ces événements de ma vie, ça serait inadéquat et ce n’est pas ce que je souhaite. Toutefois je suis disponible et accessible pour toute discussion ou tout débat en lien avec le sujet.

      Juste pour situer, j’ai 45 ans aujourd’hui (des rides et des cheveux blancs…eh oui) et suis maman d’une petite fille de 8 ans. Tout ça montre que depuis la « petite enfance », il y a un chemin parcouru, le plus souvent hors sentiers battus. Pour passer de l’état de guerre à l’état de paix, il faut parfois s’éloigner de la confusion de la société et toutes ces influences qu’elle essaye de nous inculquer. Je défends l’idée que chaque angle de vue est légitime et que chacun depuis sa position peut contribuer à rendre ce monde meilleur. Un but que nous devrions partager.

      Quand vous dites « forte et sans rancune », bon alors « sans rancune, je ne sais pas, c’est en effet mieux sans qu’avec, mais aussi, j’ai surtout voulu laisser cette place à la compréhension, tout simplement, c’est elle qui fait avancer. Et par rapport à « forte », certainement que je le suis sauf quand je ne le suis pas ou l’inverse, je ne le suis pas sauf quand je le suis… Se débrouiller avec ou sans, quand elle vient, quand elle part, telle est la règle du jeu de la vie.

      Plutôt, Je me définis clairement DETERMINEE ET SEREINE pour ne plus craindre un quelconque jugement de la part de la société. Ne plus craindre un jugement est indispensable comme donnée quoi que l’on fasse. Si on connaît notre intention, si on ne perd pas de vue qui on est au fond de soi, alors il n’y aura plus jamais de crainte d’être jugé. Si des jugements parviennent à nous toucher c’est certainement une invitation à aller plus loin dans la connaissance de soi. Il faut s’en servir pour faire de la route…

      « CHANCE… »
      Je ne parlerais pas de chance, je n’aime pas les échelles de valeurs pour classer des souffrances ou des actes qui de toute façon n’auraient pas dû être commis… on est d’accord.
      Dans le cadre de mes activités, par exemple, lorsque j’accompagne une personne, nous faisons quelques pas ensemble en vue de dépasser certains obstacles. Ma grande motivation est de croire à ce qu’il y a derrière cette souffrance et chez cet être humain. C’est ce que j’appelle « sortir de la case », oui, quand notre tour arrive, lancer le dé et sortir de la case est ne pas manquer. C’est cette contribution-là que je vois aujourd’hui comme une chance dans ma vie, le fait de pouvoir exploiter mon parcours dans un but vers un monde avec plus de justice et d’équité. Cette chance-là, je l’ai saisi et ne compte pas la lâcher. Je m’y accroche et j’y vois tout son sens.

      HUMANISTE MAIS PAS LAXISTE…
      Ce que je pouvais faire de mieux pour moi était de trouver la paix et je pense – sincèrement – que la plus belle chose que l’on puisse offrir à un esprit soit la PAIX. C’est à partir de cet état que l’on trouve les solutions pour nos défis. Selon moi, il n’y a pas de raison de ne pas étendre cette logique à tout être humain ou citoyen libre dans la société. Certains ont dérapé et payé, d’autres ont dérapé mais n’ont pas payé et ne payeront pas, d’autres encore, dérapent, n’ont pas l’intention d’arrêter et ne payeront peut-être, jamais… Je pars du principe que le plus il y a de gens en paix, le plus le monde est en paix, le plus nous avançons dans la lutte contre les abus en général. D’où mon idée de défendre que cette voie doive rester libre et accessible. Chacun de nous avons le dernier mot sur notre vie, et chaque vie est précieuse. Le risque zéro n’existe pas… soit nous laissons la place à l’évolution de l’être humain et le risque est effectivement que nous évoluions, soit nous fermons ce chemin en empêchant les gens d’y arriver et la régression de la société devient une garantie… Que voulons-nous ?

      La vie est une addition de pas, à chacun d’avancer en trouvant, au fur et à mesure, cette nouvelle dimension permettant d’inclure tous ses propres pas, et de donner vie à cet être, toujours en devenir.

      NI UN MODÈLE, NI UN EXEMPLE…
      En effet, je ne suis ni un modèle, ni un exemple, vous avez raison, éventuellement un cas de figure… quoi que… peut-être quand même un exemple à l’égard de ma fille. Qu’elle puisse raconter un jour : « ma mère a su rebondir en incluant son chapitre tragique dans une histoire qui a révélé ses passions, ses valeurs. C’est histoire, c’est ma mère. »

      Je suis la première à encourager qui que ce soit en train de mener un combat, similaire ou autre, et peu importe où l’on se situe dans une « tragédie », le rôle qu’on y a joué. L’être humain blesse et est blessé, c’est ainsi. J’encouragerais qui que ce soit à écouter son ressenti, ce chemin qui est dicté de l’intérieur, c’est sûrement lui, le bon.

      L’enfance du monde a toujours été le moteur de Loup Chocolat. Ma fille est plus qu’un moteur, elle ne me laisse pas autre choix que celui d’être debout…

      MON ENGAGEMENT
      Transmettre mon message, mon cri : il y a plus fort que l’abus, il y a plus fort qu’un dérapage, il y a l’être humain imparfait qui veut devenir meilleur.

  2. @ Grace

    Merci Grace de votre venue dans le blog, elle compense ma déception de n’avoir vu aucune femme, jeune ou âgée, s’exprimer sur un sujet qui mériterait de susciter la « solidarité » à la mesure de ce qu’on peut apporter, ou simplement d’avoir une pensée pour des personnes qui ont eu leur vie gâchée, parfois sans personne pour leur tendre la main. Si vous suivez les blogs de Madame Sandoz, vous aurez pu constater que le féminisme, le mariage pour tous, le climat vécu en famille ou mesuré au Pôle-Nord sont des sujets ayant suscité une forte participation. Et ici presque le désert, où vous êtes présente à côté d’un homme qui a vu souffrir puis mourir la femme qu’il aimait, a partagé ses moments de bonheurs, ses chagrins enfouis, ses tentatives d’obtenir un peu de justice parmi les menteurs, les indifférents, les moralistes, la famille honorable et le pasteur évoquant de mystérieux esprits du mal… Où sont donc toutes ces femmes qui reviennent de la guerre où elles ont pleuré de joie sous les bannières, absentes dans ce blog ou ceux des psys, où elles pourraient peut-être comprendre que ce n’est pas un tablier de cuisine jeté au feu qui va guérir les vraies malheureuses dont elles ne savent rien. Mais ne débordons pas en lançant des vagues de regrets dans ce désert où nous ne sommes quand même pas seuls.

    Essayons donc de nous éloigner de la confusion et des influences de la société, dites-vous, mais cela ne suffira pas à passer, dans son intérieur, de l’état de guerre à celui de paix, puis être armé pour rendre le monde meilleur. L’origine du malheur dans les cas d’abus destructeurs n’est pas à attribuer à une forme de société dénuée de notions de respect par son machisme toléré ou autres comportements habituels du passé. Les cris du féminisme actuel me font rire ou pas du tout, c’est l’armée africaine qui mange bien et se soûle en laissant derrière elle les affamés qu’elle prétend protéger. Cette guerre ne concerne pas les vraies victimes, elles restent seules et n’ont que les psys détestés en cette nouvelle ère de libération des imbéciles, masculins autant que féminins, ou ni l’un ni l’autre : « La psychanalyse porte une lourde responsabilité en matière de déni des abus sexuels » (article récent du Temps). Une nouvelle psychanalyse saine s’échafaude maintenant dans la rue et dans les livres de Vanessa Springora. Je ne suis pas très gentil ? Non, j’ai le dégoût de l’égocentrisme qui se déclare généreux, de la guerre qui respire la fête, et suis triste des espoirs que cela générera chez les plus jeunes emmenés par ces femmes qui se découvrent enfin « adultes ».

    Je vous considère bien comme un bon exemple, mais tout exemple ne peut servir de modèle. Pour que ce soit possible, il faut posséder des qualités permettant de rejoindre l’exemple, la volonté joue un rôle mais ne fait de loin pas tout. Quand vous dites avoir parcouru votre chemin hors sentiers battus, vous aviez des forces, certainement celles de votre volonté, mais les forces de base étaient présentes. C’est là que je parle de « chance », et nullement d’une « chance » d’avoir échappé à ce que d’autres ont subi en plus difficile ! Votre résistance sur le chemin hors sentiers battus, vos capacités de vous en sortir peu à peu, n’était pas sans rapport avec votre état de développement. L’être humain ne grandit pas comme un haricot. Le parcours de nombreuses personnes, à tous les degrés de bonheur ou de malheur, dans leur milieu éducatif, a montré que des contacts même épisodiques mais qualitatifs à l’extérieur ont été essentiels : la chance d’avoir rencontré ne serait-ce qu’une ou deux personnes accessibles, comme de bons dés tombés à temps. Votre fille aura les forces que vous aurez su lui donner, parce que dans son cas vous aurez été le modèle accessible après l’exemple… qu’elle pourra désigner fièrement.

    Je vois en vous une personne qui a grande confiance en l’humanité, qui apporte sa part positive pour mieux la construire, et croit à la paix quand chacun a la volonté de bien faire. Vous situez les auteurs d’abus parmi les êtres humains imparfaits, qui au fond d’eux-mêmes veulent être meilleurs. Et ils méritent qu’on leur tende une perche après qu’ils « ont payé… » Je ne dis pas non d’offrir une chance, mais sans rapport avec une quelconque dette qu’ils auraient payée pour se sentir ensuite libres comme le vent de profiter de leur nouvelle vie. Qu’ont-ils payé ? Et à qui ? À la société, et pour la victime qu’une illusoire consolation. Ils ont payé pour avoir ensuite la paix, et le plus souvent cela leur suffit. La plupart des victimes le savent bien, et ce n’est pas ce qui va atténuer leur rancune. Mais il y en a qui parviennent à croire que la première condition pour gagner la paix intérieure est de savoir l’offrir. Je considère la paix comme l’aboutissement d’un processus où deux parties formulent des souhaits sincères. Ce n’est pas un cadeau lancé dans le vide ou devant la porte de la prison qui pourra guérir ce qui fait mal.

    Malgré tout je laisse la porte ouverte à mes rêves, et ne désire pas penser exclusivement rationnellement. Il y a d’autres regards que le mien, d’autres paroles, d’autres écoutes… Je me souviens d’enfants à qui l’on avait montré une peinture, pour leur demander ensuite : « Qui est Paul Klee ? Qu’est-ce que vous en pensez ? Vous pouvez le dire ?.. » La réponse : « C’est quelqu’un de très gentil qui voudrait le bonheur de tout le monde, cela se voit ! »

    L’article de Madame Sandoz, vos articles, votre travail… C’est aussi une peinture de Paul Klee, je le vois !

  3. Erreur de sens au début du troisième paragraphe de mon commentaire ci-dessus : Remplacer « un bon exemple » par « un bon exemple de réussite ». Et puis pour Paul Klee, l’article de Madame Sandoz et le travail de Grace ne m’apparaissent pas seulement comme étant un rêve. J’avais besoin de m’évader et rire avant de fermer l’ordinateur.

    1. Merci encore Dominic pour donner vie à cet échange et ceci, bien sûr grâce à Madame Sandoz. J’en suis très sincèrement ravie.

      Les abus sexuels sont un sujet « tabou » qui génère beaucoup de « gêne, de malaises et d’inconfort » au sein de la société et il est vrai que cela a comme conséquence de procurer le sentiment de vivre une absence d’actions nécessaires ou constructives alors qu’il faudrait voir cette problématique comme un combat prioritaire, important et urgent. Ce type d’abus appartiennent – selon moi – à la grande catégorie des abus de pouvoir en général, grande cause des déséquilibres de ce monde. Restons sur le chemin de la lutte et battons-nous (sans violence).

      Je comprends très bien que tous les cas avérés n’ont pas tous une issue idéale ou comme espérée. Plusieurs chemins sont possibles pour pouvoir atteindre cette « paix », cet état de victoire. Mais il est vrai que certains ou beaucoup s’arrêtent en cours de route en raison d’un enchaînement de « déceptions » ou de « découragements » provenant de l’environnement, de l’entourage etc… Comme vous l’avez exprimé par rapport à la femme que vous avez accompagnée et aimée et j’en suis, croyez-moi, désolée.

      Mon engagement est de mettre à contribution mon parcours afin d’encourager tout être humain à trouver cette grandeur dont il dispose, une véritable et indispensable alliée pour une reconstruction, un nouveau départ, quel que soit le défi. D’autre part, je pense qu’il faille urgemment réfléchir et agir sur comment empêcher – autant que possible – les nouveaux cas. La prévention, l’information. Identifier et faire grandir chez chacun les ennemis les plus puissants de l’abus. Je pense que nous avons une carte à jouer au niveau de l’éducation : encourager et faire une place à une prise de conscience de ce qu’est ou peut être l’être humain. Tout le bien et tout le mal qui s’expriment à l’extérieur de nous existent d’abord à l’intérieur de nous.

      Quelques précisions :
      « Classer les auteurs d’abus parmi les êtres humains imparfaits qui, au fond d’eux-mêmes veulent être meilleurs » n’est pas tout à fait ce que je veux dire (tant mieux si cette intention existe chez certains). Je préfère dire que parmi les êtres humains imparfaits que nous sommes, il y a ceux qui vont mal agir à l’égard d’enfants, il y a ceux qui vont commettre une grosse bêtise, un énorme dérapage…

      Bien que je penche clairement vers l’humanisme, j’aimerais quand même dire (redire) que je ne suis pas laxiste ou permissive et qu’en aucun cas, je ne minimise ces actes odieux et dégoûtants. Ça bousille réellement des années de vie. Pour moi, L’HUMANISME VA DE PAIR AVEC FERMETÉ. C’est la responsabilité de chacun de montrer ou d’être guidé par de bonnes intentions et cela peut avoir lieu à n’importe quel moment dans une vie. Voilà. Qui suis-je pour empêcher qui que ce soit d’aller dans ce sens ? Je pense que lorsqu’un être humain consume sa face « pire », il s’impose à lui-même les plus grandes restrictions pour la suite de sa vie. Mais un être humain ne se résume à pas à un acte. L’être humain imparfait que nous sommes est capable de faire, à sa hauteur, des choses extraordinaires et bénéfiques, et ce, également à tout moment de sa vie. JE PENSE QUE NOUS NE POUVONS PAS FERMER LA ROUTE A CA. Je répète encore une fois que si un être humain est considéré « dangereux ou malade » pour la société, des mesures adéquates et appropriées doivent être appliquées. Des experts sont là pour ça.

      Un enchaînement de mauvais actes ne tiendra pas la route et le résultat sera une destruction ou une autodestruction. Chacun a le dernier mot sur sa vie. Si ce dernier mot ne devait pas être porté ou supporté par une bonne intention, ça se retournerait forcément contre la personne-même. Bien sûr avec des dégâts collatéraux…

      Le fait d’empêcher qui que ce soit de se reconstruire ou repartir revient à renforcer le meilleur ami de l’abus ou du dérapage. Je préfère miser sur l’autre direction… et croire que cette société est capable de trouver en elle cette dimension qui peut inclure la diversité humaine et évoluer grâce à une volonté d’accéder à la compréhension, celle qui nous fait avancer vers plus de justice, d’équité, d’équilibre et pourquoi pas, de bien-être.

      Cette “paix” peut ne plus être un rêve.

      1. Merci de votre investissement sincère pour combattre le malheur, non sans armes mais avec cœur. Une fleur emportée par le vent atterrit parfois dans la cour d’une prison pour ne pas se faner au milieu d’un champ, d’autres sont cueillies pour transmettre aussi un message à temps. Et pendant que le vent souffle sur le paysage et dans les magasins de fleurs, le directeur de la prison qui accroche une peinture de Paul Klee dans le couloir n’aura pas perdu la raison. C’est ma conclusion pour croire moi aussi que le monde pourra devenir meilleur. Merci Grace, merci Madame Sandoz, et même aussi aux lectrices prudentes qui ne se sont pas aventurées dans le jardin où parfois tombe la foudre. Elles ont entendu nos murmures.

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