La Suisse est en Europe

Le Temps n’ayant pas publié ma lettre de lecteur en réaction à l’article de M. Michel Barde portant l’intitulé ci-dessus, je la reproduis ici car j’essayais d’y mettre en évidence une erreur souvent commise par ceux qui évoquent les résultats d’un vote exigeant la double majorité du peuple et des cantons : ils ne citent que le résultat du vote du peuple et omettent de mentionner celui des cantons. C’est d‘autant plus regrettable que la portée du double vote est d’un intérêt politique et sociologique considérable, comme le montre magnifiquement M. Jean-Christian Lambelet, professeur honoraire  d’économie à l’Université de Lausanne, dans son livre qui vient de paraître chez Slatkine, «De la démocratie directe en suisse ». L’omission du résultat du vote des cantons, peu respectueuse de nos institutions, est toujours troublante, notamment de la part d’un citoyen suisse. C’est exactement ce qu’a fait M. Michel Barde, dans le Temps, dans son article où il déplorait le résultat du vote de l’EEE en 1992.

Réaction à l’article de M. Michel Barde

Dans son article du Temps du 1e février (p.8, Débats), M. Michel Barde rappelle le rejet, le 6 décembre 1992, par la Suisse, de l’adhésion à l’Espace économique européen. L’auteur précise, avec un point d’exclamation, que ce rejet était dû à 50, 3 % des votants. Pourquoi ne dit-il pas également que cela correspondait au vote de 14 cantons et 4 demi-cantons (forte majorité par rapport aux 20 cantons et 6 demi-cantons) ? La double majorité requise pour la votation d’alors rendait impossible l’acceptation par le peuple seulement. Il n’est pas correct de laisser croire que c’est juste une très, très faible majorité du peuple qui a voté NON alors que le système fédéraliste reflétait un refus politique d’une tout autre importance. On relèvera en outre que la participation était alors de 78,33 %, ce qui rend le résultat cantonal encore plus instructif. Les cantons plus encore que le peuple avaient conscience que l’Union européenne pose à la Suisse un vrai problème institutionnel.

 

 

 

Suzette Sandoz

Suzette Sandoz est née en 1942, elle est professeur honoraire de droit de la famille et des successions, ancienne députée au Grand Conseil vaudois, ancienne conseillère nationale.

9 réponses à “La Suisse est en Europe

  1. Oui, mais…
    La double majorité (du peuple et des Cantons) est nécessaire en Suisse pour accepter une initiative populaire. En cas de référendum, par contre, seule la majorité du peuple est prise en compte. Michel Barde a donc parfaitement raison dans son analyse: le vote du 6 décembre 1992 s’est bel et bien joué à moins de 24’000 voix près. Autrement dit, 12’000 citoyennes et citoyens ont bel et bien fait la décision, les Cantons ne jouant aucun rôle institutionnel dans ce cadre.

    1. Le vote sur l’EEE est un cas particulier de referendum obligatoire. La double majorité était requise et appliquée officiellement.

      1. Quelques liens pour étayer l’affirmation de Madame Sandoz: vous trouverez sur le site de la Confédération une explication du principe de la majorité du peuple et des cantons: https://www.ch.ch/fr/democratie/votations/majorite-du-peuple-et-des-cantons/

        Notamment: «Les modifications de la Constitution fédérale (ainsi que l’adhésion à certaines organisations internationales) requièrent en plus la majorité des cantons.»

        Le vote sur l’EEE tombait probablement dans la catégorie de «l’adhésion à certaines organisations internationales» et impliquait également, me semble-t-il, une modification de la Constitution. L’arrêté fédéral, reproduit en page 7 des «Explications du Conseil fédéral» diffusées à l’époque ( https://www.bk.admin.ch/dam/bk/fr/dokumente/Abstimmungsbuechlein/erlaeuterungen_desbundesrates06121992.pdf.download.pdf/explications_du_conseilfederal06121992.pdf ), mentionne en tout cas des «dispositions transitoires de la constitution fédérale», ainsi que: «Le présent arrêté est soumis au vote du peuple ET DES CANTONS».

  2. Ce qui me rappelle que vous étiez une des principales opposantes à l’EEE à l’époque. Etes-vous toujours du même avis ou avez-vous évolué sur ce sujet?

    1. Je n’ai pas changé d’avis et je suis très inquiète actuellement pour l’Europe à cause de l’Union européenne.

      1. Et pourtant tous les pays faisant partie de l’EEE s’en portent fort bien et aucun n’a jamais fait mine de vouloir en sortir. Si la Suisse avait adhéré en 1992, elle se serait évité la période difficile qui a suivi le refus et qui a pris fin avec la signature des bilatérales, qui lui ont permis d’obtenir à peu près ce qu’elle aurait eu “automatiquement” en faisant partie de l’EEE mais au prix de pénibles négociations et d’un statut plus précaire.

  3. La double majorité, qui a des raisons historiques, soulève néanmoins une question intéressante de principe démocratique. En “pure” démocratie, le principe de base est normalement “un citoyen, une voix”, avec décisions prises à la majorité des voix + 1. Est-il de ce point de vue démocratique qu’un citoyen uranais, par exemple, ait nettement plus de voix qu’un citoyen zurichois? La question mérite en tout cas d’être posée. De ce point de vue, l’UE d’ailleurs fait “pire” puisqu’avec le principe d’unanimité, un petit pays comme le Luxembourg, par exemple peut à lui seul bloquer des décisions, même si les 26 autres pays sont d’un avis contraire. C’est à mon avis un point qui devrait être réformé dans le fonctionnement de l’UE d’ailleurs. Saur erreur, les Etats-Unis, pourtant un état fédéral aussi, ne connaissent pas cette règle de blocage des décision au niveau fédéral. Il est piquant de relever par ailleurs que si l’ “Union Britannique” (Royaume-Uni) avait connu ce principe, le Brexit n’aurait pas passé, puisque la décision, prise à une très faible majorité populaire, avait par contre été nettement rejetée dans deux des nations sur quatre constituant ce Royaume!

    1. La voix d’un Uranais ne pèse pas plus que celle d’un Zurichois car le scrutin populaire applique le principe “un citoyen, une voix”. Il se trouve que notre pays est composée de deux éléments fondamentaux: les cantons, sans lesquels il n’y aurait pas de confédération helvétique, et les citoyens sans lesquels il n’y aurait pas les cantons. En vertu du principe démocratique que vous évoquez très justement, chaque canton a deux voix (et quand un canton est composé de deux demi-cantons, chacun d’eux a une voix”. La question s’est d’ailleurs posée de gommer l’histoire qui est à l’origine de la partition des trois cantons d’Appenzell, Bâle et Unterwald et d’élever chaque demi-canton au rang de canton. Dans ce cas, on aurait ajouté trois cantons germanophones, ce qui posait un problème; il va de soi que si les demi-cantons décidaient de fusionner, il n’y aurait plus que trois cantons au lieu de six demi-cantons, mais cela ne changerait pas l’équilibre linguistique, ni le total des voix des cantons). Si on supprimait les cantons, on constaterait que ce ne serait plus la Suisse et qu’il y aurait simplement un pays avec une population germanophone majoritaire et peut-être un problème semblable à celui que connaît la Belgique, ou l’Espagne, voire tout simplement l’UE.

      1. On peut tourner le problème comme on veut, et le regretter ou pas, un citoyen uranais a bel et bien plus de voix (ou, si vous préférez de “poids”) dans des décisions importante pour l’avenir du pays qu’un zurichois. Une minorité (nette) de citoyens des petits cantons a ainsi la possibilité de bloques des décisions au niveau fédéral même si une majorité populaire souhaiterait les adopter (je le répète, je ne crois pas que ce soit le cas aux Etats-Unis par exemple). Comme je l’ai fait remarquer dans mon commentaire précédent, si un tel système de double majorité avait existé au Royaume-Uni, le Brexit n’aurait pas passé faute d’une double majorité, populaire et des nations constituant le Royaume!

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