Le chancre de la gratuité

La manifestation féministe prévue pour le 14 juin prochain – ce n’est pas une grève, puisqu’il ne s’agit pas d’un conflit de travail, et ce n’est pas celle « des femmes », car on ne nous a pas demandé notre opinion et, en outre, il paraît que les hommes sont invités à y participer ! –  cette manifestation donc tombera, nous dit la presse, en période d’examens pour les gymnasiens et les étudiants. Voilà qui pose un petit problème : comment choisir entre un examen auquel on échoue car on ne s’y présente pas afin de participer à une manifestation à laquelle on tient et un examen à cause duquel on manque une manifestation à laquelle on tient, étant bien entendu que l’on tient aussi à obtenir un résultat suffisant pour sa maturité, son bachelor ou son master qui sont une clé d’avenir.

La presse toujours nous informe que les autorités compétentes, dans certains cantons, ont invité les directeurs de gymnase et les recteurs des hautes écoles à éviter dans toute la mesure du possible de mettre des examens le 14 juin ! On se simplifiera ainsi la vie car il n’y aura pas de remous ni de risques de recours contre des résultats contestés ce jour-là, comme dans la Broye lors de la manifestation de janvier pour le climat.

 

Surtout que la manifestation du 14 juin ne cause pas de problèmes

On comprend parfaitement les préoccupations des autorités et on regrette que le 14 juin ne tombe pas sur un dimanche. On ne peut toutefois s’empêcher de penser qu’en mettant tout en œuvre pour que les participants à la manifestation n’aient si possible pas à choisir quel risque ils préfèrent prendre, on réduira leur acte à des défilés joyeux de vacanciers. Je m’en réjouis pour eux, mais on aura ôté à la manifestation une grande partie de la portée que ses instigatrices espèrent lui donner. La gratuité supprime la valeur et la maturité du choix.

 

 

Suzette Sandoz

Suzette Sandoz est née en 1942, elle est professeur honoraire de droit de la famille et des successions, ancienne députée au Grand Conseil vaudois, ancienne conseillère nationale.

3 réponses à “Le chancre de la gratuité

  1. Faisons confiance à toutes ces jeunes femmes gymnasiennes ou étudiantes, elles seront conscientes que leur examen réussi leur apportera plus de force et de confiance en soi pour manifester l’an prochain, à moins qu’elles souhaitent devenir camionneur… Si j’avais une fille qui devait hésiter entre la manifestation et son examen, je lui dirais : « Écoute-moi bien mon ange, que préférerais-tu être quand tu seras grande ? Une importante femme d’affaires qui donne des ordres à son chauffeur ? Ou la bonne qui réussit à faire obéir le jardinier ?.. »

  2. De toute manière il y aurait autant de raison pour que les hommes fassent eux aussi la grève. Il y a tout autant d’inégalité! Je trouve honteux que (certaines) femmes pensent encore à faire “grève”.

    1. Créer une inégalité ou la conserver, c’est établir une différence là où elle n’existe pas pour en tirer profit. Les différences reconnues réelles ne constituent pas à elles seules des inégalités, mais peuvent être exploitées aussi à mauvais dessein. L’inégalité de salaire entre une femme et un homme assurant la même fonction, pour un même résultat, est un exemple du premier cas. Un homme faisant usage de sa force physique pour contraindre une femme est un exemple du second. Ce ne sont là que deux illustrations assez évidentes, auxquelles s’ajoutent une quantité d’autres qui à mon avis justifient que les femmes protestent. Maintenant, parmi toutes les revendications criées, chacun et même chacune se fera son opinion sur leur pertinence. La manifestation qui réunira bon nombre de jeunes femmes mécontentes ne peut être ignorée, et le premier message à prendre au sérieux est bien celui-ci : « Nous sommes mécontentes ! » Cela ne signifie pas pour autant que les plus engagées détiennent le remède, mais elles ont le mérite d’ouvrir la voie à un débat qui, même s’il existe déjà, prendra positivement de l’ampleur. Vouloir freiner ce phénomène reviendrait à nier qu’une évolution a bel et bien lieu. Certains diront qu’elle est mauvaise… Même si elle devait l’être, qui pourrait prétendre savoir quelle meilleure orientation lui donner ? C’est un chemin qui se construit devant soi, tant bien que mal, et les plus jeunes pourront dire dans quelques dizaines d’années : « Voilà ce que nous avions fait de bon, de moins bon, de faux… » Qu’importe finalement que beaucoup de jeunes femmes ignorent dans quel contexte les femmes ont obtenu le droit de vote dans les années cinquante, aujourd’hui elles l’ont… Il n’est pas à mon avis illusoire de penser que dans l’avenir les femmes seront en paix, avec elles-mêmes et les hommes. En attendant ce grand jour, elles mériteraient d’ores et déjà d’incontestables circonstances atténuantes pour le tumulte qu’elles causent.
      (Personnellement le féminisme extrémiste m’excède, mais je m’efforce de l’accepter comme étant un ingrédient indissociable de la formule complète permettant une évolution.)

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