Impossible à l’Etat de reconnaître une religion comme telle!

Passionnant débat de haute tenue, ce 11 octobre à Infrarouge, à propos de l’islam et des Imams en Suisse. Un malentendu toutefois n’a pas été relevé : l’un des participants a dit qu’il serait souhaitable de « reconnaître l’Islam » comme religion en Suisse afin d’en faciliter l’assimilation. Personne n’a réagi en faisant remarquer qu’aucun canton, ni la Confédération non plus, ne reconnaît une religion comme telle.

24 des 26 cantons reconnaissent des Eglises et éventuellement des communautés religieuses non pas des religions et les deux cantons qui se proclament expressément laïcs consacrent la séparation de l’Eglise et de l’Etat et non pas la séparation de la « religion » et de l’Etat. La religion est une affaire strictement personnelle, les Eglises ou les communautés religieuses, elles, sont des groupements organisés de personnes unies par une même religion. L’Etat peut constater l’utilité de ces groupements dans la société dont il est responsable. Il va alors éventuellement leur reconnaître un caractère officiel. Il peut le faire en exigeant que leur organisation et leurs règles associatives, autant que leur financement obéissent aux règles du droit laïc et démocratique, voté par les parlements ; il peut contrôler la conformité aux règles laïques de l’activité de ces communautés dans la société. L’Etat ne soutient pas les dogmes religieux – qui sont d’ailleurs souvent loin d’être uniformes – que croient les membres ou les fidèles, il soutient l’utilité éventuelle pour la communauté dont il est responsable de l’action des groupement religieux ou des Eglises des fidèles qui les constituent.

L’Etat ne se permet jamais d’imposer des dogmes religieux aux fidèles des communautés qu’il reconnaît. Il veut simplement s’assurer que le cadre et le but dans lesquels leur religion s’exerce ne sont pas en contradiction avec ses propres valeurs laïques.

Or, lors de la discussion d’Infrarouge, un des représentants musulmans présents a fort bien expliqué que l’islam n’est pas une religion d’Eglises, à la différence du christianisme, parce que chaque musulman n’est qu’en relation directe avec Dieu, ce qui expliquerait d’ailleurs, disait-il, la très forte politisation de l’islam.

On devait donc en conclure aussitôt l’impossibilité absolue d’une reconnaissance de l’islam comme tel par l’Etat (cantons ou Confédération). Seules pourraient être éventuellement reconnues une ou des communautés musulmanes, ce qui pose le problème interne à l’islam de la représentativité des musulmans par de telles communautés.

La question est fondamentale. Dommage que les participants à Infrarouge n’aient pas réagi !

Suzette Sandoz

Suzette Sandoz est née en 1942, elle est professeur honoraire de droit de la famille et des successions, ancienne députée au Grand Conseil vaudois, ancienne conseillère nationale.

8 réponses à “Impossible à l’Etat de reconnaître une religion comme telle!

  1. Séparer église et religion, ça doit être la sémantique, “ni oui ni non, bien au contraire”?

    1. ” Séparer église et religion, ça doit être la sémantique, “ni oui ni non, bien au contraire”? “, non, Monsieur, parce que dans le cas d’une Eglise l’Etat a, au moins, un interlocuteur officiel, ce qui n’est pas le cas pour une religion sans ” chef “.

  2. Il est précieux d’avoir des commentateurs lucides comme Mme Sandoz, qui sait toujours replacer les débats à leur juste niveau.
    Dans le cas de la différence entre Eglises et religions, c’était flagrant, mais elle est la seule à l’avoir vu…

  3. On sait depuis longtemps que l’islam n’a pas encore passé le cap des autres religions. Il reste profondément ancré dans l’idée qu’il pas de comptes à rendre aux institutions laïques.
    Dès lors, sans dialogue possible, il reste en marge de notre société. Il ne tient qu’à lui pour faire le premier pas en acceptant de se soumettre à la constitution et en premier lieu de reconnaître à chacun le droit à choisir sa propre voie spirituelle. Ensuite, toute discussion deviendra plus aisée .
    Infrarouge ne constitue pas une référence en la matière !

  4. Merci, Mme Sandoz, d’avoir remis, c’est le cas de le dire, l’Eglise au milieu du village.

    Votre explication est très claire. Nous avons un système qui n’est pas la séparation de l’Eglise et de l’Etat (sauf deux cantons comme vous l’avez indiqué, dont Genève, qui connaît le système laïcard à la française, et je ne sais quel autre) mais il n’y a pas non plus d’Etats confessionnel.

    Pourtant, et vous me direz si c’est juste, il me semble qu’on a connu tout de même en Suisse, avant Vatican II, des cantons dont l’Etat se proclamait explicitement catholique. Dans ces cantons le catholicisme était donc la religion d’Etat. C’étaient bien des “États catholiques” tels que l’Eglise les préconisait traditionnellement.

    Sauf erreur tel était le cas en Valais notamment, et probablement à Fribourg, Lucerne, etc. Bref dans les Cantons où aujourd’hui encore il y a des crucifix dans les écoles, les tribunaux, les parlements, les hôpitaux, etc. Je ne sais pas s’il existait aussi des cantons confessionnels protestants, ou la religion réformée était la religion d’Etat. Mais celà, chère Mme Sandoz, vous pourrez sans doute nous l’apprendre. Je pense qu’il en existait probablement aussi.

    Si je ne me trompe pas c’est le nonce apostolique lui-même dans les années 60, et pas du tout les populations locales qui, elles, restaient noires catholiques, qui avait demandé aux cantons comme le Valais de renoncer à leur caractère d’Etats catholiques, ceci pour se conformer à la nouvelle théorie Vatican II de la liberté religieuse.

    Il est important de rappeler ces choses car les gens manquent trop de culture et s’imaginent à tort que nous avons en Suisse la laïcité à la française, alors que ce n’est pas du tout le cas, sauf à Genève, et dans un seul autre canton, je ne sais pas lequel.

  5. L’autre canton laïcard est peut-être Bâle Ville. Genève, Bâle Ville: deux cantons villes atypiques en Suisse. C’est donc bien que la séparation de l’Eglise et de l’Etat n’est pas spécialement dans l’ADN helvétique.

    Ceci dit il n’est pas tout à fait exact que l’Etat ne pourrait pas reconnaître une religion en Suisse. Il l’a tout de même fait il n’y a pas si longtemps, dans les cantons confessionnels. C’est vrai qu’aujourd’hui, selon toute vraisemblance, il ne pourrait plus le faire, du moins plus pour une religion chrétienne, puisque les Églises chrétiennes elles-mêmes ont abjuré leur prétention à ce qu’on leur rende un culte officiel. Mais l’Islam n’a jamais renoncé à cela.

    Le participant au débat qui a souhaité qu’on reconnaisse l’Islam comme religion s’est probablement exprimé ainsi par méconnaissance. Mais il n’en reste pas moins que l’Islam en Suisse pourrait très bien revendiquer un culte public et officiel. C’est à dire, pour être précis, réclamer que l’Etat professe officiellement les cinq piliers de l’Islam.

    Il suffirait que dans un seul canton, peu importe lequel, les musulmans deviennent majoritaires, et on peut être certain que dans ce canton là ce serait le cas.

    Constitutionnellement, si la population de Saint Gall devenait majoritairement musulmane, rien dans le droit constitutionnel suisse ne s’opposerait à ce que le peuple de Saint Gall proclame par référendum que Saint Gall est désormais une “République Islamique” et reconnaît officiellement les cinq piliers de l’Islam. Tout comme le Canton de Fribourg sous Georges Python, s’était proclamé “République Chrétienne”, en toute conformité avec la Constitution fédérale

    L’application officielle de la charia, en revanche, poserait un problème de conformité avec l’ordre constitutionnel suisse. C’est autre chose.

    1. “L’application officielle de la charia, en revanche, poserait un problème de conformité avec l’ordre constitutionnel suisse. C’est autre chose.”

      Pas uniquement avec notre ordre constitutionnel, mais également avec l’article 9 point 2 de la Convention européenne des droits de l’homme. Cet article reste néanmoins un peu mal foutu à mes yeux car il indique clairement que chacun pourrait manifester ses convictions religieuses sur la voie publique. Dans ce cas, est-ce les lois locales qui font foi ou la convention européenne des droits de l’homme?

      http://www.echr.coe.int/Documents/Convention_FRA.pdf

      Il faut également se souvenir que la charia a été déclarée incompatible avec la démocratie et les droits de l’homme par la CEDH (Cour européenne des droits de l’homme).

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