Un glissement de langue très malheureux mais illustratif

Le conseiller national Jonas Fricker démissionne à cause d’un glissement de langue extrêmement malheureux. La décision qu’il a prise relève de sa liberté et l’honore et il ne m’appartient pas de la commenter comme telle. En revanche, on ne peut s’empêcher de rapprocher son glissement de langue de l’excitation dont les journaux se sont faits les chantres ces derniers jours à propos de l’antispécisme. J’ignore la philosophie de M. Fricker, mais il est vrai qu’une comparaison telle que celle qu’il a faite entre les transports cruels d’animaux – inadmissibles – et ceux de personnes pendant la 2e guerre mondiale – un milliard de fois plus inadmissibles – pourrait illustrer une conséquence d’une forme d’antispécisme.

A partir du moment où l’on nie toute différence entre l’animal – attention, certains animaux, car il semble bien que cela ne concerne que les vertébrés – et l’être humain, on risque très vite d’assimiler réciproquement l’un à l’autre avec toutes les conséquences désastreuses que cela peut avoir.

Il est inadmissible de maltraiter volontairement un animal, mais s’il fallait, pour sauver un être humain, sacrifier un animal, personnellement, je n’hésiterais pas. Je m’efforcerais simplement de le faire de la manière la moins douloureuse possible.

Sous prétexte de lutter contre des excès ou des abus, notre époque joue avec le feu dans sa recherche quasi religieuse de gommer les catégories naturelles établies depuis des siècles.

On prétend supprimer les genres parce qu’il y a eu des abus dans la manière de traiter les femmes ; on entend gommer la différence fondamentale entre les humains et les animaux parce que certains humains maltraitent les animaux.

Toute négation de différence entraînera toujours d’autres abus, peut-être pires encore, car la nature humaine est imparfaite.

Le danger particulier de l’antispécisme c’est que les « égaux des animaux » ont toute puissance quand il s’agit d’imaginer les sentiments qu’ils prêtent à leurs égaux puisque ceux-ci ne parlent pas. Leur prêteront-ils une fois la capacité de pardonner ? Il y a là une vraie question de civilisation.

Suzette Sandoz

Suzette Sandoz est née en 1942, elle est professeur honoraire de droit de la famille et des successions, ancienne députée au Grand Conseil vaudois, ancienne conseillère nationale.

2 réponses à “Un glissement de langue très malheureux mais illustratif

  1. Comment vous expliquer Madame, que le caractère particulier de la nature humaine est avant tout un dogme dont les traces les plus anciennes sont sans doute les temples monumentaux de Gobekli Tepe il y a 12000 ans. Avant cela, aucune trace d’un Dieu à l’image des hommes… tout juste quelques images de minuscules chasseurs s’attaquant à un gibier énorme. Ni la communication émotionnelle, ni la compassion, ni la souffrance, ni le deuil, ni même l’humour ne sont le monopole des hommes. Bien sûr, on ne peut placer tous les animaux sur le même plan.
    Il n’y a que dans le domaine religieux que les hommes (de nos jours on serait tenté de dire certains hommes) semblent avoir inventé quelque chose de particulier, mais cela est sans doute dû à la nécessité de transmettre les codes moraux et émotionnels, la foi en un destin “particulier”, à une société trop étendue pour être véritablement communautaire. Il est raisonnable de penser que sans la folie de la prédication, sans ce dogme, l’humanité ne se serait jamais imaginé un autre destin que celui de chasseur cueilleur, elle ne se serait considérée que comme des survivants de la nature et n’aurait jamais construit de monuments à sa propre gloire.
    Sans doute le plus dur à admettre est que, par le biais de l’évolution, nous avons pratiquement tout hérité des espèces qui nous ont précédées, y-compris dans nos facultés et comportements sociaux, source de notre émulation intellectuelle et base nécessaire à son développement.
    Un dogme si enraciné ne peut être que limitatif: se borner à se regarder le nombril n’est sans doute pas la meilleure approche de soi-même.

  2. Chère Madame,

    Merci pour votre intéressant article.

    Néanmoins le malaise et surtout les fortes réactions que les propos de M. Jonas Fricker a provoqué ne sont pas dus qu’à une comparaison maladroite.

    Avec sa comparaison entre les humains et le monde animale; M. Jonas Junker a réveillé inconsciemment notre rejet (voire note dégoût) que l’Homme puisse appartenir au monde animal. Cette pensée nous rabaisse et nous est insupportable, ce qui nous permet d’exprimer notre “mépris” envers les animaux.

    Notre vision sur le monde animal n’est pas prête de changer mais on peut toujours méditer sur une citation de la première femme à avoir siégé à l’Académie française Marguerite Yourcenar.
    “L’homme a peu de chances de cesser d’être un tortionnaire pour l’homme, tant qu’il continuera à apprendre sur l’animal son métier de bourreau.”

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