Erreur journalistique, double erreur politique

Dans le Temps du 21 mars, Eric Berlinger, à La Havane, rapporte une interview d’un Cubain, Esteban,« retraité de l’industrie chimique cubaine ». En évidence, dans le texte de l’article, cette citation, en gros caractères rouges, entre guillemets, du retraité cubain, dont je reproduis la seconde phrase : « Pour nous, l’éducation et la santé sont des droits ». Je lis soigneusement l’article et y trouve la citation suivante, également entre guillemets, dont voici la seconde phrase : « Pour nous, l’éducation et la santé gratuites sont des droits ». Chercher l’erreur dans le texte mis en évidence.

Le journaliste n’avait-il pas compris la portée exacte de l’affirmation de M. Esteban ? La place accordée au texte mis en évidence est-elle seule responsable de la suppression du mot « gratuites » ? La question vaut d’être posée car les deux messages ne sont pas du tout identiques, même s’ils sont tous deux erronés, et l’on mesure ainsi les ravages que peut éventuellement faire une prétendue information médiatique. Le lecteur pressé n’aura lu que le titre en évidence.

Ce qui importe au retraité cubain, c’est la gratuité, et c’est elle qui illustre le droit à la santé ou à l’éducation.

Ce qui ressort du titre du Temps, c’est le droit à la santé et à l’éducation comme tel. Autre programme. Qu’on en juge un peu.

 

L’éducation et la santé gratuites sont des droits 

Sans doute le retraité cubain a-t-il voulu parler de la scolarisation et de la formation professionnelle et non pas de l’éducation. Cette dernière est un devoir des parents, des enseignants, de tout adulte responsable. Elle ne peut être que gratuite car elle est une transmission de valeurs. Cette transmission correspond à une volonté de grandir et de faire grandir. Elle exige une capacité de croire en l’avenir et de respecter l’autre.

En revanche, on peut concevoir que tout citoyen ait  droit à une scolarisation et à une formation professionnelle et que, selon le régime politique, celles-ci soient totalement ou partiellement gratuites. La scolarisation est une condition indispensable de la démocratie ; l’analphabétisme en est un ennemi mortel. Quant à la formation professionnelle, elle représente une clé de l’autonomie et de l’indépendance de la personne, voire la richesse d’une société. La gratuité peut être une des manières choisies par un Etat d’assurer à sa population l’accès à la démocratie, à l’autonomie et à l’aisance économique.

En ce qui concerne la santé, elle n’est que gratuite, car la santé comme telle ne coûte rien. C’est la maladie ou l’invalidité qui coûtent et dont la suppression ou l’atténuation impliquent des soins, lesquels ont un prix. Qui doit le payer ? On touche ici au délicat problème des assurances maladie, invalidité, accident. Un régime politique peut en prévoir la gratuité. Ce qui importe c’est qu’il en assure l’efficacité. Le principe de la gratuité n’en est pas forcément la garantie.

En résumé, le retraité cubain aurait dû dire : dans notre régime politique, on considère que l’on a droit à une scolarisation, à une formation professionnelle ainsi qu’à des soins médicaux et hospitaliers gratuits.

L’éducation et la santé sont des droits : archi-faux

On vient de le voir, l’éducation n’est pas un droit mais un devoir de transmission. Bon, le journaliste a repris l’erreur de la formule cubaine, mais l’a nettement aggravée car l’absence de la notion de gratuité empêche de rectifier le terme d’éducation et d’y lire scolarisation et formation professionnelle. Si l’éducation était un droit peut-être y aurait-il moins de personnes mal éduquées !

Quant à la santé, affirmer purement et simplement que c’est un droit, voilà qui frise la sottise absolue. La santé est un véritable cadeau dont celui qui en jouit doit être reconnaissant et responsable, envers la société autant qu’envers lui-même, de l’entretenir dans la mesure du possible. En revanche, celui qui est atteint dans sa santé a le droit d’être soigné, c’est une marque de solidarité sociale fondamentale. Mais cette affirmation ne résout pas pour autant le problème du coût.

Faut-il conclure ? Les impératifs médiatiques ne sont pas forcément la meilleure garantie d’une information crédible. Et il est toujours faux de parler d’un droit à l’éducation autant que d’un droit à la santé.

 

Le 22 mars 2016

 

Suzette Sandoz

Suzette Sandoz est née en 1942, elle est professeur honoraire de droit de la famille et des successions, ancienne députée au Grand Conseil vaudois, ancienne conseillère nationale.