Tabac, alcool, drogue: la politique de la confusion

« Addiction Suisse épingle une politique passive », titre le Temps du 9 février. J’ai une furieuse envie d’écrire : « Addiction suisse, comme d’ailleurs l’Office fédéral de la santé publique et plusieurs organismes officiels qui se préoccupent de lutte contre les addictions sont responsables des échecs, dans la mesure où ils favorisent les confusions et tiennent un double langage ».
Selon eux, « il faut remettre au centre la santé et non la consommation ». En fait, ce qu’il faut d’abord remettre au centre, c’est la distinction entre les produits, parce qu’on ne peut pas lutter de la même manière contre l’addiction au tabac ou à l’alcool et celle à toute autre « drogue ». Ce n’est pas d’abord une question de santé pour celui qui y cède, pour la bonne raison que la plupart des gens se fichent pas mal de leur santé surtout quand ils sont jeunes. Sans cela, il n’y aurait pas de dopage, aucun hors piste, pas de chauffards, pas autant d’adolescents en surpoids etc…. Mais la remarque vaut aussi pour les personnes plus âgées. Non ! La santé n’est pas un argument sérieux. Et le coût de la santé publique encore moins; si ce n’était pas le cas, il y a longtemps déjà que l’on aurait trouvé le moyen d’éviter, par exemple, la surconsommation de médicaments dans les cliniques, les hôpitaux et les EMS et la répétition systématique et souvent inutile de certaines analyses ou autres vérifications impliquant des appareils coûteux.
La toute première confusion causée par certains milieux spécialisés qui prétendent lutter contre les addictions, c’est de parler de « drogues légales » pour l’alcool et le tabac. Quel message envoient-ils aux jeunes qui ne vont pas comprendre pourquoi il y a des « drogues légales », pernicieuses, mais autorisées, et des « drogues illégales »,  pernicieuses aussi, mais alors interdites. Ce combat de la terminologie, d’aucuns – dont je suis – le mènent depuis des années, mais le premier réfractaire absolu, c’était déjà, il y a plus de vingt ans, l’Office fédéral de la santé publique. Il voulait la confusion terminologique entre les trois catégories de substances objets de la dépendance sous prétexte que la cause première était identique : l’addiction.
Que l’addiction à la cigarette et à l’alcool doive être combattue, c’est juste, mais la voie qui y conduit n’est pas la même que celle qui mène à la consommation de cannabis et autres drogues  plus ou moins frelatées. C’est précisément la spécificité de chacune des voies conduisant à l’addiction à l’un ou l’autre des produits qui doit être étudiée pour y adapter les moyens de lutte. En outre, l’addiction peut être liée à une faiblesse de caractère ou à une souffrance dont il est important de connaître la cause pour la soigner ou la supprimer. Mais la faiblesse en question n’aura pas toujours la même cause. Et le moyen de soigner l’addiction qui en découle ne sera pas forcément le même.
A cela s’ajoute que, si l’on fait passer le message à tous les réseaux mafieux liés au cannabis et autres drogues mortifères que ce n’est pas la consommation (donc la production) qui doit être combattue, on créera un appel d’air dont ces assassins ne manqueront pas de tirer le plus grand profit aux dépens de la santé, de la sécurité et de la liberté de tous.

Suzette Sandoz

Suzette Sandoz est née en 1942, elle est professeur honoraire de droit de la famille et des successions, ancienne députée au Grand Conseil vaudois, ancienne conseillère nationale.