Chers concitoyens, on vous trompe: réagissez

On a souvent entendu les parlementaires se plaindre du nombre des initiatives constitutionnelles fédérales qui leur prennent beaucoup de temps à cause des campagnes de vote. S’ils avaient un soupçon de courage et de lucidité pour déclarer nulles toutes celles qui le sont à l’évidence, ils auraient beaucoup moins de travail et les institutions seraient mieux gardées !
L’initiative de l’UDC, dite « de mise en œuvre », objet de la votation du 28 février prochain, est un exemple de plus de l’impéritie des parlementaires (bon, il y a un nouveau Parlement depuis lors !). Il n’est pas nécessaire d’être exceptionnellement futé pour voir que cette initiative n’est pas constitutionnelle, mais législative. Or le droit fédéral ne connaît pas ce genre d’initiative, autrement dit, elle n’a pas à être soumise au vote. Elle devait être mise au panier sans hésitation par le Parlement. On ne peut tolérer une tricherie quand il s’agit de démocratie, car c’est la pire menace pour les droits politiques. A vrai dire, le Conseil fédéral n’avait pas pris les devants non plus et on ignore si sa Chancellerie avait suggéré la chose ou non.

Le mécanisme de base
Le 28 novembre 2010, peuple et cantons acceptent la première initiative UDC sur le renvoi des étrangers criminels. Cette initiative donne au législateur, soit le Parlement, un délai de cinq ans (donc jusqu’au 28 novembre 2015) pour mettre le texte en œuvre, notamment préciser les infractions pénales, voire les compléter, et édicter les dispositions correspondant à la violation de l’interdiction d’entrer sur le territoire suisse. Elle ne dit pas que les principes généraux du droit pénal et du droit administratif suisse ne sont pas applicables.
Lorsqu’un texte constitutionnel doit être mis en œuvre par le législateur, la loi que ce dernier élabore est, naturellement, sujette au référendum facultatif ; les initiants qui considéreraient que l’initiative n’est pas convenablement exécutée, peuvent donc essayer de récolter les 50’000 signatures nécessaires et soumettre la loi de mise en oeuvre au vote populaire si la récolte aboutit. Ce ping pong des compétences fait partie de l’équilibre des pouvoirs dans une démocratie semi-directe telle que la nôtre.

La double tricherie de l’UDC
A fin 2012 déjà, c’est-à-dire trois ans avant l’expiration du délai constitutionnel, l’UDC, considérant que les autorités ne mettront pas bien en œuvre sa 1ère initiative (présomption gratuite de mauvaise foi !), double le Parlement et dépose son propre projet de loi sous forme d’initiative constitutionnelle fédérale pour laquelle elle se met à récolter des signatures. Autrement dit, l’UDC, parti déjà gouvernemental (certes, en 2012, avec un seul conseiller fédéral, mais ce n’était plus leur « demi-conseiller », mais M. Maurer), viole sa propre première initiative qui laissait cinq ans au Parlement et essaie de se substituer à celui-ci. Pour un parti qui se dit démocratique, c’est un comble ! Et quel exemple pour la jeunesse !

La cécité des autorités fédérales
Le 26 juin 2013, le Conseil fédéral transmet au Parlement un projet de loi d’exécution de la 1ère initiative UDC, qui est discuté aux Chambres selon la procédure législative habituelle. La loi est votée par le Parlement le 20 mars 2015, publiée en vue du référendum le 31 mars 2015, le délai référendaire expire le 9 juillet 2015 sans que le référendum ait été demandé. La loi valablement votée n’est pas encore en vigueur, pourquoi ?
Parce que le même 20 mars 2015, quand elle votait la loi, l’Assemblée fédérale devait se prononcer sur la validité de la 2e initiative UDC, dite « de mise en œuvre », donc sur la validité d’un projet de loi illégal. Les parlementaires avaient tout en main pour refuser de soumettre cette initiative au vote, puisque de contenu législatif ; ils devaient alors rappeler que le referendum est le seul moyen légal de contester la mise en œuvre d’une initiative constitutionnelle par une loi élaborée par le Parlement. La tricherie de l’UDC était sans doute tellement évidente qu’elle a dû crever les yeux et c’est donc une assemblée de non voyants qui a décidé de soumettre l’initiative au vote.

Une manoeuvre qui menace gravement la démocratie
La tricherie de l’UDC est tellement énorme et la cécité de autorités fédérales tellement grave, que seul un gigantesque NON pourra protéger les institutions d’une dérive totalitaire.

Le 22 janvier 2016

Suzette Sandoz

Suzette Sandoz est née en 1942, elle est professeur honoraire de droit de la famille et des successions, ancienne députée au Grand Conseil vaudois, ancienne conseillère nationale.

Une réponse à “Chers concitoyens, on vous trompe: réagissez

  1. A la lecture de votre démonstration magistrale, l’illégalité de cette initiative me paraît également clairement démontrée.
    Il me semble que votre conclusion pourrait être différente si vous prenez en compte l’impéritie avérée des chambres fédérales et du Conseil fédéral.
    En effet, l’interprétation politique qu’ils ne manqueront pas de faire d’un NON massif se traduira alors pour le coup par une mise-en-oeuvre “créative” de la 1ère initiative.

    Quelque soit le résultat, celui-ci affaiblira l’exercice de notre démocratie. Un OUI ne donnera-t-il pas une chance supplémentaire à notre parlement de déclarer illégale cette initiative? Sera-t-il trop tard pour revenir à un respect stricte de nos institutions?

    Meilleures salutations.

    Michel Fontana

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