Everybody hurts : la santé mentale post-confinement

(image : @peopleiveloved)

La distanciation sociale étant une des pièces maîtresses de larsenal des mesures de protection déployées en Suisse pour limiter la propagation du COVID-19, les risques et dangers liés à lisolement – un trop plein de distance, une absence de connexion, qui contrairement à la solitude nest pas choisie mais subie – ont inquiété chercheur.euses, professionnel.le.s de la santé, politicien.ne.s et citoyen.ne.s. Après avoir dédié le mois de juin de notre campagne de prévention annuelle à cette thématique, sous le slogan #STOPISOLEMENT nous vous proposons de nous pencher une nouvelle fois sur cette thématique, et dimaginer quelques manières dont lisolement pourrait être brisé, le lien social renforcé et (r)établi. Cest en conclusion de son stage à STOP SUICIDE et afin de (tenter de) faire sens de ses propres questionnements que Joséphine Gut, étudiante en Études genre, sest penchée sur ce sujet.

 

Lonely Hearts : L’isolement, un facteur de risque considérable

La recherche a maintes fois confirmé ce que nous avons été nombreux.ses à ressentir pendant le confinement : les liens sociaux sont au centre de nos vies, et essentiels à notre bien-être (3, 4, 5). L’isolement  augmenterait le risque de mortalité, au moins aussi fortement que la consommation de tabac (3). Les chercheur.euse.s Ollie & Collet parlent même de douleur sociale, pour désigner lexpérience désagréable associée à une lésion potentielle ou réelle du lien social.Celle-ci renseignerait sur la menace de lintégrité des liens sociaux dun individu nécessaires à sa survie, tout comme la douleur physique renseigne sur la menace de lintégrité physique de lindividu. (4). Au contraire, le fait de pouvoir et d’oser solliciter le soutien de son entourage pendant le confinement a été identifié comme un facteur de protection majeur contre le stress, la dépression et l’anxiété… (4). Il apparaît ainsi très important, dans un effort de promotion de la santé mentale, de (re)valoriser le fait de prendre soin de ces liens sociaux, d’y investir – selon les possibilités de chacun.e.x – du temps et de l’énergie.

 

(image : @yafieg)

 

All by myself : Contre une approche purement individualiste de la santé mentale

Il y a quelques semaines, une nouvelle publication de Minds – Promotion de la santé mentale Genève, expliquait que plus de 60% de notre état de santé mentale ne dépend pas de caractéristiques individuelles, mais bien de facteurs extérieurs – sociaux et environnementaux (1). C’est-à-dire : l’état de santé n’est pas qu’une question de bonne volonté, de discipline ou de détermination personnelle – bien que cela soit une idée reçue qui aille la vie dure. Si votre santé mentale vous donne du fil à retordre ces derniers temps, cela ne fait pas de vous quelqu’un de faible, d’instable ou de fragile par nature. C’est la situation qui est anormale, non pas vos réactions.

Des facteurs extérieurs, et souvent hors du contrôle des personnes concernées, ont en effet un impact significatif sur la santé mentale et physique : l’isolement social, des conditions de travail et/ou de logement difficiles et incertaines, les inégalités dans l’accès aux soins, les discriminations de toute forme, les environnements familiaux, amicaux et/ou professionnels compétitifs intolérants ou agressifs… (2) Nous souhaitons ainsi proposer quelques pistes pour participer à la prévention du suicide et à la promotion de la santé mentale à l’échelle individuelle et interpersonnelle dans un contexte harassant et inédit, mais sans omettre ou minimiser pour autant le rôle prépondérant de facteurs structurels/extérieurs et la nécessité de changements sociaux, politiques et économiques significatifs afin de limiter les effets délétères de la crise sanitaire.

(image : @agathesorlet)

 

By your side : quelques pistes pour sortir de l’isolement

Nous nous focaliserons donc sur la question des liens sociaux : plus spécifiquement, sur les relations sociales durables, soutenantes et bienveillantes comme facteur de protection contre le risque suicidaire (3). En effet, si nous ne pouvons de loin pas tout contrôler dans nos vies, nous pouvons, à des échelles différentes et selon nos moyens, agir avec empathie, ouverture et solidarité, et participer de cette manière à la prévention du suicide. Nous continuons à défendre que l’augmentation des taux de suicide n’est pas une fatalité, qu’il faut continuer à parler ouvertement et explicitement du risque suicidaire et des ressources d’aide disponibles, ainsi qu’à encourager le développement de facteurs de protection individuels et collectifs. Nous avons compilé quelques propositions, loin d’être exhaustives – à chacun.e.x de trouver sa manière de prendre soin de soi, de ses proches et de son entourage !

  • Identifier les ressources personnelles que vous avez (re)découvertes pendant le confinement : Quelles anciennes habitudes et nouvelles pratiques avez-vous mobilisées pendant le confinement afin de prendre soin de votre santé mentale et physique ? Que pouvez-vous mettre en place pour préserver celles-ci, et pour dégager du temps et de l’énergie dans votre quotidien pour prendre soin de vous-même, et – dans la mesure du possible – d’autrui ? Quels comportements et croyances vous ont nuit pendant cette même période ? Quelles alternatives pourriez-vous trouver ? Auprès de qui avez-vous pu trouver du soutien, et qui avez-vous pu soutenir pendant cette période; que pourriez-vous faire afin de prendre soin de ces relations sociales précieuses et bénéfiques pour votre santé mentale ? Ce sont des questions difficiles, que nous vous encourageons à aborder avec des personnes de confiance et/ou un.e professionnel.le de la santé À Genève, l’association Trajectoires propose des entretiens pour vous orienter vers l’approche thérapeutique correspondant le plus à votre situation personnelle.

 

(image : @gemmacorrell)

  • Ecouter, échanger, se confier : contrairement à une idée reçue largement répandue, parler explicitement et sans jugement de problèmes de santé mentale, dont notamment les pensées suicidaires, n’incite par des personnes fragilisées à passer à l’acte, mais participe plutôt à créer un espace de confiance où les personnes concernées se sentent plus aptes à se confier et à demander de l’aide. Les derniers mois ayant été compliqués et chargés émotionnellement, il est important de (continuer à) prendre des nouvelles de ses proches. Cela peut également être une occasion à saisir pour lancer des conversations décomplexées et authentiques autour de la santé mentale dans votre entourage. Se sentir écouté.e.x attentivement, avec bienveillance et sans préjugés, peut en effet grandement soulager une personne en mal–être. De même, on ne rappellera jamais assez que demander de l’aide si l’on fait face à des difficultés ne constitue pas un signe de faiblesse, mais un premier pas nécessaire pour aller mieux. Nous vous conseillons de lire le guide de Minds : Comment écouter ? à ce sujet. De même, nous vous invitons à suivre notre campagne qui a consacré le mois de juillet aux effets des discriminations sur la santé mentale : de nombreuses ressources sont présentées pour réfléchir à et travailler sur nos propres biais, préjugés et comportements discriminants. En nous questionnant nous-même, nous devenons plus aptes à écouter et comprendre autrui, et à soutenir son/sa prochain.e, tout en enrichissant notre vision du monde avec des perspectives et des expériences différentes des nôtres. Il se révèle également plus facile pour une personne subissant des discriminations d’en parler et d’accéder à des ressources pouvant l’aider si celle-ci se sent évoluer dans un environnement ouvert, qui reconnait son vécu. L’impact négatif des discriminations sur la santé mentale peut être grandement contrecarré par un entourage soutenant.
  • Rester vigilant.e aux signaux d’alerte et solliciter les lignes d’aide si besoin : lorsqu’une personne s’isole, mange beaucoup plus ou moins que d’habitude, se désintéresse de ses passions… cela peut être un indicateur que la personne est en souffrance. Savoir reconnaître ces signes peut permettre de soutenir dès le début la personne concernée dans son chemin de reconstruction. Toutefois, si le soutien de l’entourage peut se révéler très bénéfique, il est normal que cela puisse ne pas suffire à sortir la personne concernée de son mal-être : c’est pour cela que des professionnel.le.s et des associations spécialisées existent, qui peuvent être contactées autant par les personnes en détresse que par leurs proches. Le 143 – La Main Tendue et le 147 – Pro Juventute sont deux lignes d’aide accessibles en tout temps, tous les jours de la semaine. Pour trouver les autres ressources d’aide disponible dans votre canton, nous vous invitons à consulter le site web de STOP SUICIDE (https://stopsuicide.ch/besoindaide/). Bien que nous sortions tout juste d’une crise sanitaire pendant laquelle les hôpitaux et associations ont été très sollicités, il ne faut pas hésiter à contacter les ressources d’aide par peur de “surcharger” les services ou par crainte que les difficultés que vous rencontrez ne sont pas “assez graves” en comparaison à d’autres personnes et/ou du COVID-19. Vous êtes toujours légitimes à demander de l’aide, pour vous-même et pour autrui, et plus vite vous interviendrez, plus vite la situation pourra s’améliorer.

 

(image : @worry__lines)

  • Contribuez aux collectes et/ou participez aux collectes alimentaires en tant que bénévole : les inégalités sociales ont été exposées au grand jour et accentuées par la crise sanitaire. Si vous disposez de temps et/ou des moyens financiers, nous vous invitons à faire des dons alimentaires, entre autres, et à vous inscrire comme bénévole auprès d’une des nombreuses associations s’engageant contre la précarité Parmi d’autres : Partage s’inscrivant dans la continuité avec les actions menées par la Caravane de la solidarité, est active à Genève. A Lausanne, l’association Solid-ère organise des récoltes et des distributions alimentaires. Mais ces projets solidaires, aussi efficaces et bien organisés qu’ils soient, ne peuvent constituer qu’une solution d’urgence. Comme le souligne Jocelyne Haller pour Solidarités, Laide alimentaire, si elle est actuellement indispensable, ne peut être quune solution à court terme. Ce qui doit être assuré à tous et toutes, ce sont les moyens de subvenir à leurs besoins, daccéder aux soins, dobtenir un statut légal, de bénéficier dune protection en tant que travailleurs·euses(7).

 

  • Pensez aux alternatives locales : les commerces et professionnel.le.s de nombreux domaines ont été sévèrement touché.e.s par les conséquences économiques du COVID-19. En consommant – dans la mesure des moyens et possibilités de chacun.e.x – chez elles et eux, plutôt que dans les grandes enseignes, vous avez l’occasion de les soutenir activement et de (re)nouer des liens de proximité, des routines agréables, voire de créer de nouvelles amitiés. L’impact écologique est également souvent drastiquement réduit par la consommation de marchandises produites localement. Quelques adresses et projets parmi d’autres : trouver une ferme proche de chez soi, l’Union maraîchère (Genève), les magasins Chez Mamie… Les restaurants et bars de quartier participent souvent directement à la création et au maintien de la connexion sociale et de la “vie” d’une ville ou d’un village. Les lieux culturels de toute forme, les “artisan.e.x.s du spectacle”, contribuent également à enrichir le quotidien de tou.te.x.s. Nous avons tou.te.x.s pu constater comment nos horizons ont été réduits en leur absence, le manque que cela a généré chez de nombreuses personnes : soutenons-les, maintenant que les mesures de sécurité nous permettent à nouveau de profiter de leurs créations culinaires, artistiques, culturelles… !

(image @recipesforselflove)

  • Engagez-vous pour une cause qui vous tient à cœur : Une recherche menée par Brown et al. sur l’empathie démontre que cette dernière peut être – en temps normal – un sentiment très bénéfique (notamment, en nous permettant de nous sentir plus connecté.e.x avec autrui), mais peut se transformer en fardeau, voire en détresse psychologique, s’il l’on ne se sent pas en mesure d’agir positivement sur la situation et/ou pour les personnes qui génèrent ce sentiment d’empathie (6). Or, notamment en raison des mesures de sécurité, de la distanciation sociale imposée et de l’incertitude générée par la situation, notre pouvoir d’action s’est souvent retrouvé considérablement réduit. Pour cette raison et d’autres, il est tout à fait normal de ressortir de ces derniers mois avec des sentiments d’impuissance, de perte de contrôle, de perte de sens – voire, de désespoir – accrus. Rejoindre un groupe, un collectif ou une association qui mène des actions concrètes correspondant à nos valeurs et idéaux peut être une manière de (re)découvrir des moyens d’action, concrets, et de se sentir à nouveau acteur.ice.x de sa vie. Cela peut également être une bonne occasion pour trouver des personnes, au-delà de son entourage immédiat, avec qui échanger au sujet de la charge que la crise du COVID-19 a pu représenter sur sa santé mentale, et de rechercher ensemble des stratégies pour gérer les émotions négatives.

 

Si vous avez trouvé d’autres manières de prendre soin, de vous sentir connecté.e.x positivement à autrui et à votre entourage, partagez-les avec nous en commentaire !

Si le but du présent article est d’encourager à prendre soin d’autrui, nous tenons aussi à souligner qu’il reste tout à fait central de savoir reconnaitre et respecter ses propres limites et ressources. Des ressources spécialisées sont là pour vous venir en aide, ou pour vous soutenir dans l’accompagnement d’un.e proche en souffrance. Il est important de s’écouter et de ne pas sentir coupable si l’on n’est pas en mesure, matériellement et/ou mentalement, de prendre soin d’autres personnes que soi-même.

 

 

Bibliographie

  1. Actualités Minds (2020), https://minds-ge.ch/2020/06/11/appel-a-temoignage-podcast/
  2. Aude Caria & John Libbey (2020), Promouvoir une vision globale de la santé mentale : un enjeu politique, social et culturel, Linformation psychiatrique 96/3, pp. 173-175.
  3. Charles Martin-Krumm, Cyril Tarquinio & Camille Tarquinio (2020), L’optimisme et COVID-19 : une ressource pour soutenir les personnes en situation de confinement ?, Ann Med Psychol
  4. Philippe Courtet & Emilie Olié (2020), La douleur sociale au centre des conduites suicidaires, L’encéphale 45/1, pp. 7-12.
  5. Jocelyne Haller, (2020) Soutenir les associations au front, Solidarités, https://solidarites.ch/geneve/journal/368-2/soutenir-les-associations-au-front/
  6. Empathy, place and identity interactions for sustainability, Global Environmental Change

STOP SUICIDE

En 2000, un jeune collégien genevois se suicide. Face à cette tragédie des étudiant.e.x.s organisent une marche silencieuse et décident à l’issue de celle-ci de fonder l’association STOP SUICIDE. En réaction au silence institutionnel et au manque d’action pour prévenir le suicide des jeunes, ils et elles se sont donné.e.x.s pour mission de parler et faire parler du suicide.