Elections indonésiennes : le Diable contré par Joko Widodo

L’Indonésie a mauvaise presse depuis quelques décennies. Un gouvernement militaire qui a perduré pendant près de trente ans sous « l’Ordre Nouveau » de Suharto (1966-1998), renversant le président Sukarno, symbole de l’Indépendance du pays après la colonisation néerlandaise ; des attentats commis par des terroristes fanatiques à plusieurs reprises dans des sites touristiques, dont dans l’île balinaise hindoue bouddhiste, depuis le 11 septembre 2001 ; une production intensive d’huile de palme corrélée à une destruction massive de forêts et de la biodiversité locale ; des pathologies sociales dans plusieurs îles, incluant une criminalité liée au trafic de drogue dont des incidents ont été relayés en boucle par certains médias.

Même le Président Joko Widodo nouvellement réélu le 17 avril 2019 est loin de faire l’unanimité en Occident. En double cause : son combat contesté contre la drogue ; et son ministère défendant partiellement les intérêts de la production d’huile de palme. Après avoir fait la couverture du Times en 2014 en tant qu’homme de l’année après sa première élection contre le gendre de Suharto, c’est tout juste aujourd’hui, notamment en France, s’il n’est pas accusé de commettre des écocides et des massacres d’Orang-outans.

Mais que connaît-on au juste de l’héritage politique et du programme de Jokowi, surnom du Président ? Plus généralement, que connaît-on de cette troisième plus grande démocratie du monde mis à part un étalage de « nouvelles » souvent peu flatteur ?

Sans doute, devons-nous faire un petit effort de compréhension, d’abord historique, ne serait-ce que pour comprendre d’où (re)part le peuple indonésien, ainsi que les enjeux et les défis économiques qui nous rapprochent aujourd’hui et nous lient, qu’on le veuille ou non, à commencer par la consommation de leur production d’huile de palme dont nous sommes si dépendants et qu’il serait un peu hypocrite -et injuste- de condamner hâtivement et bilatéralement.

Et ce d’autant plus que la Suisse a conclu en décembre 2018 un accord d’échange bilatéral à la défaveur des paysans indonésiens qui pratiquent pourtant encore l’échange de semences… Tout en applaudissant à la Déclaration de l’ONU sur la protection des droits paysans, paradoxe qui n’a pas échappé à un collectif d’ONG, dont Pain pour le Prochain.

Pas de parti écologique, ni de « droite » ou de « gauche »

Tout d’abord, il importe de préciser qu’il n’y a pas en soi de parti politique de droite ou de gauche, ni de parti écologique en Indonésie à proprement parler. Depuis le massacre des communistes durant le régime militaire de Suharto, le terme même de communiste est encore tabou et imprononçable en public ; celui de socialiste reste suspect et non revendiqué. Il faut donc lire entre les lignes, comprendre comment s’imbriquent le socialisme et l’écologie notamment au sein des partis eux-mêmes dont celui de Jokowi ; et voir aussi au-delà de notre interprétation des religions. Car Joko Widodo n’est pas simplement un « musulman modéré ». Son parti, le PDI-P (parti démocrate indonésien), est un parti progressiste, qui prend en soin les précaires, s’intéresse au volet social et à l’éducation qui ont été les points forts de son programme et ont largement contribué à sa réélection en 2019. Sous sa présidence la pauvreté a reculé et la protection sociale avancé.

De plus, ce Président, du point de vue de ceux qui le soutiennent et de la législation mise en œuvre protège aussi les petits producteurs du rachat systématique de leurs terres, défend leurs intérêts, et se déplace plus qu’aucun avant lui pour aller rencontrer les gens, dont les peuples aborigènes avec lesquels les relations se pacifient. Enfin, dans une tradition syncrétiste qu’il incarne aussi, il reste ferme avec l’intégrisme religieux, allié de son rival battu, et a réaffirmé pendant les débats l’annonce d’un programme de protection des forêts dont les dégradations ont chuté sous son mandat. Pour autant, la tâche est loin d’être aisée.

Un héritage énorme à gérer pour Jokowi

La relève politique démocratique qu’incarne le Président Joko Widodo doit composer avec le lourd héritage colonial, politique et économique du pays auquel s’ajoute la richesse de ses racines culturelles, spirituelles, ethniques : 77 langues parlées reconnues à travers les 18’000 îles du pays et plus de 400 dialectes identifiés entre les communautés et clans locaux.

Or, de cette diversité, le Président Sukarno qui a mené le pays à l’Indépendance après la seconde Guerre Mondiale et quatre cent ans de colonisation néerlandaise, en a fait une force. Il a créé, dans un discours fondateur du 17 août 1945, le Pancasila, doctrine qui s’articule autour de cinq principes clés et qui incarne la philosophie du nouvel Etat indonésien. Ces cinq principes combinent la croyance en un Dieu suprême ; l’affirmation d’une humanité à la fois civilisée et juste ;  l’unité de l’Indonésie ; l’idée d’une démocratie dirigée par la sagesse de la délibération parmi les représentants ; et la justice sociale.

Au-delà de l’existence de différentes ethnies, le nationalisme est revendiqué. Si le pays est connu pour être musulman à 90%, il est fondamental de préciser que toutes les grandes religions sont reconnues par l’Etat, faisant du Pancasila une doctrine officielle, au-dessus des religions elles-mêmes. Il s’agit de conserver à tout prix l’unité dans la diversité, ce qu’a su habilement construire le Président Sukarno et qui fait aujourd’hui encore figure de « père de la Nation ». Car depuis le VIIIème siècle, l’Indonésie a connu différents clans et religions qui se côtoient et se remplacent progressivement de manière très pacifiée. Le fanatisme religieux n’est pas une constituante du pays, bien au contraire !

Les quelques fanatiques intégristes disséminés sur le territoire sont apparus après le 11 septembre 2001 directement arrivés d’autres pays. Ceux-là sont interdits de politique et soumis à des contrôles réguliers. La plupart des musulmans indonésiens sont « traditionalistes » : ils gardent les croyances et pratiques des religions qui les ont précédées ; respectivement l’animisme, le bouddhisme, l’hindouisme.

Et la guerre civile qui a dévasté le pays après l’ère Sukarno est d’origine politico-militaire, avec de grands enjeux économiques à la clé, passés et présents. Qui implique l’occident.

La complaisance occidentale face à la dérive Suharto

A l’automne 1965 le général Suharto s’empare du pouvoir dans des circonstances non encore élucidées invoquant, dans un contexte mondial de guerre froide, une machination communiste qu’il incombait à l’armée et au peuple indonésien de combattre. Cette accusation est étonnante quand on sait que Sukarno, en 1964, était en excellent terme avec le parti communiste de son pays qui comptait des millions de membres. En revanche, il était en moins bons termes avec les américains, identifiés la même année comme de potentiels colonisateurs… « L’Année de tous les dangers » avait annoncé Sukarno, inspirant le titre du roman de Peter Weir qui donna lieu au film du même nom relatant l’horreur du massacre civil de la communauté chinoise notamment.

Durant trois décennies, le gouvernement militaire de Suharto a bel et bien fait des carnages dont la population porte encore les stigmates, avec plus de trois millions de morts. Pourtant, loin de s’en offusquer, cette propulsion foudroyante au pouvoir fut applaudie par les Occidentaux. Officiellement, il fallait bien se défendre contre la menace communiste. Officieusement, les Etats-Unis n’étaient sans doute pas contre obtenir quelques mines d’or à l’Est de la Papouasie. A la bonne heure, c’est justement ce que ne manqua pas de leur offrir Suharto, juste après l’officialisation de son arrivée au pouvoir en 1966, imposant son parti : le Golkar.

Parallèlement, des pans entiers de forêts ont été détruits, au bénéfice d’une poignée de personnes en Indonésie, des proches de Suharto, encore aujourd’hui dans les sillons du pouvoir : c’est bien son gendre, Prabowo Subianto, qui s’est présenté contre Joko Widodo et qui, dans le deuxième débat télévisé de la campagne, a promis qu’il restituerait au pays la majorité des jungles qu’il possède. Or, d’après les activistes locaux que j’ai rencontrés (un livre avec le témoignage de l’un d’entre eux sortira aux Puf en septembre prochain), cela n’est légalement pas possible. Et ce d’autant plus que des contrats en Occident ont été établis avec des multinationales depuis le « règne » de son beau-père. Ainsi, des entreprises américaines ont profité des années de largesses économiques au détriment des populations locales.

Précisément, à son arrivée au pouvoir, Joko Widodo s’est prioritairement occupé de nationaliser à moitié certaines de ces mêmes organisations pour que la moitié au moins de leurs bénéfices profite au peuple et non à un clan corrompu, comme d’usage sous Suharto.

Assurer une transition écologique et solidaire au mieux !

Le grand défi de Jokowi et de son gouvernement sera en partie de reprendre des contrats écrasants pour l’Indonésie, passés il y a des dizaines d’années, afin d’assurer au mieux une transition écologique et solidaire.

Mais tout ne peut pas être remplacé d’office. Il en va ainsi de l’Indonésie comme des autres pays. Joko Widodo doit encore honorer des contrats, faire face à des emplois dans le secteur, et assurer là encore une transition sur le long terme pour les producteurs et les métiers qui assurent malgré tout un emploi à des personnes que le Président cherche à préserver. En résumé, il doit lui aussi affronter la problématique de la fin du mois (du jour ici) avant celle du monde.

Quand on voit dans nos riches démocraties les industries que nous devons soutenir en termes d’emplois et de richesse produites et ce que nous importons de non durable en Indonésie, il semble a minima raisonnable de ne pas jeter la pierre en cette période de Pâques à un Président qui fait de son mieux et dont on peut se réjouir de la victoire compte-tenu du contexte en cours.

Du dire du Dr. Tri Agus Susanto Siswowiharjo, enseignant à l’Université de Yogiakarta, et qui a fait deux ans de prisons sous Suharto pour l’avoir critiqué dans un article, « Jokowi est soutenu par des gens biens et d’autres liés au Diable, mais son adversaire, Prabowo Subianto, est à lui seul le Diable ! ».

Restons donc vigilants sur le fait que la transition écologique et solidaire ne s’arrête pas à nos frontières, à nos pays, à nos villes, à notre vision nécessairement limitée de ce que devrait être ou pas la transition. Pour ouvrir son esprit c’est important aussi d’échanger et de tenter, dans ce combat mondial pour l’avenir de notre humanité, de se mettre parfois à la place de l’autre, et d’évaluer la distance commune que nous avons à parcourir pour construire ensemble un avenir plus durable.

 

 

 

La place de l’être humain dans la nature : qui domine ?

Interroger la place de l’être humain dans la nature, constater froidement les effets de son action, c’est être rapidement conduit à remettre en cause la place prépondérante qui lui est usuellement attribuée. Celle, appuyée par une certaine interprétation de la Genèse, qui consacre l’Homme comme l’espèce dominante. Nous seuls avons pu domestiquer la nature, y puiser les ressources nécessaires à notre survie et à notre double prodigieuse expansion démographique et économique. Nous nous estimons manière au sommet de la pyramide. Mais que dominons-nous au juste ?

Au sommet de la pyramide

Au lieu d’interroger notre place au sein de la nature, nous en sommes venus à questionner la place de la nature pour l’être humain. Et nous avons fini par imaginer, à compter du 19ème siècle, une nature surabondante, disponible sans bornes à nos activités économiques, celles-là mêmes qui ont amorcé l’anthropocène.

Nous régnons désormais en maître sur les autres animaux, avons éradiqué les mystères de l’orage, des tempêtes et du vent qui ne résonnent plus comme les Esprits invoqués des peuples « primitifs » mais comme des éléments « maîtrisés », au même titre que l’atome. Pourtant, cette interprétation est aujourd’hui remise en question.

En terme d’autorité morale d’abord, notons que l’Encyclique du Pape François, Laudato Si, évoque la « maison commune » : notre « sœur » la Terre qui « pleure » des maux que nous lui infligeons. Et les autres espèces animales, végétales sont nommées comme « nos frères et nos sœurs ». Est rendu un vibrant hommage aux peuples autochtones que les chrétiens parmi les premiers n’ont pourtant pas épargné les siècles passés, contribuant, quelque fois, à justifier un arrachement à leurs terres « sacrées ».

Mais ce serait bien réducteur de limiter l’Encyclique Laudato Si’ à un mea culpa public de l’Église romaine. Car ce que Laudato Si’ a touché, au-delà de l’émotion et de la ferveur pour un cercle d’initié.e.s, c’est la dimension essentielle qui fonde et permet notre humanité : la réalité physique et biologique de l’interdépendance et de la coopération

Telle est la deuxième interprétation, de nature scientifique cette fois, qui questionne une vision des êtres humains comme espèce dominante dans et de la nature, grâce, entre autres atouts compétitifs, à l’utilisation exclusive d’une rationalité dite supérieure. La Nature n’a-t-elle vraiment rien à nous apprendre que nous ne saurions déjà ?

La coopération aussi est naturelle

Dans leur dernier ouvrage au titre évocateur, (L’entraide, l’autre loi de la jungle), les biologistes Pablo Servigne et Gauthier Chapelle rappellent l’interdépendance qui existe entre les espèces. Les lionnes coopèrent pour chasser. Les manchots se regroupent pour se réchauffer. Les crocodiles ne dévorent pas les oiseaux qui, dans leur gueule, leur ôtent les parasites qui attaquent leur langue. Le monde végétal fourmille d’exemples de symbiose, comme celui entre champignons et arbres, entre corail marin et algue verte permettant la photosynthèse nécessaire à la respiration du corail. Les bactéries elles-mêmes ne sont pas exclusivement pathogènes et coopèrent avec leur milieu, en particulier les humains, et en ce qui concerne la digestion.

Car la compétition ininterrompue est source de stress et n’est pas toujours la meilleure stratégie de survie. Coopérer, c’est optimiser son action, son temps, son énergie. Coopérer entre vivants et pas seulement entre êtres humains au détriment du vivant. Coopérer avec la nature. Les êtres vivants constituent les maillons d’une Terre qui leur préexiste, même s’ils contribuent à la façonner, et sur laquelle ils ne sont que de passage : il s’agit bien de notre « maison commune ».

Précisément, c’est ce que revendiquent également les tenants de la transition écologique. La transition écologique se définit comme le passage d’une société non durable et destructrice de la nature à une société résiliente, durable et solidaire, respectueuse du vivant et des limites planétaires.

Dans cet imaginaire de la transition, l’être humain ne s’oppose pas à la nature mais en fait partie, en tant que maillon de la biosphère, au sens de l’ensemble des êtres vivants. C’est la loi des dominos : nous sommes reliés à un vaste système Terre d’échanges de flux et d’énergie. Nous ne sommes pas extérieurs à la nature mais lui appartenons et en dépendons, notamment par l’oxygène que nous fournit la photosynthèse des plantes, l’eau qu’épurent les écosystèmes, ce dont nous nous nourrissons et ce avec quoi nous transformons et fabriquons notre environnement immédiat, etc.

Or, justement, ce que la science nous (re) apprend, c’est que les forêts, les arbres, les plantes coopèrent aussi, parlent et communiquent à leur manière, par les racines ou par les feuilles. C’est ce que montrent les derniers travaux en cours de biologie végétale dont ceux du Pr. Farmer dans un entretien récent à paraître dans la revue de la pensée écologique : les plantes développent des mécanismes de défense contre leurs prédateurs, insectes ou grands herbivores, et sont capables de stratégie de camouflage sans se mouvoir, émettent des signaux électriques pour déclencher la production d’une hormone de défense, etc.

Heureusement qu’elles coopèrent avec nous, êtres humains, et ne nous prennent pas -encore- pour des prédateurs qu’il faudrait stériliser au même titre que des parasites ! C’est l’hypothèse de fiction intéressante du romancier Paul Cauwelaert, mais aussi, dans un autre registre, celui du dessin animé Nausicaä de la vallée du vent, ou encore de Zep dans sa récente BD aux élans de thriller écologique. Et si cette fiction n’en n’était pas totalement une ? Quels seraient la place et l’avenir d’Homo sapiens ?

Homo natura, l’avenir d’homo sapiens ?

 Recadré à l’échelle géologique, et comparé à l’existence même de la vie sur Terre, Homo sapiens est bien jeune : 300 000 ans. La vie a 3,7 milliards d’années, et s’expérimente sans cesse.

Et si l’Humanité au fond n’était qu’une expérimentation de la nature ? Loin de la dominer, il s’agirait d’un test pour savoir si la nature s’en débarrassera ou pas. Peut-être d’ailleurs que l’Homme y arrivera tout seul, après s’être inventé un avenir exclusif d’homme robot.

Pour éviter cet écueil, Valérie Cabanes propose de réapprendre à vivre avec la nature. Si Homo sapiens s’éteint après 300 000 ans d’existence sur terre, Homo natura lui survivra-t-il ? Cela suppose, selon la juriste internationale, d’utiliser notre intelligence pour maintenir la vie en s’appuyant sur le laboratoire naturel.

Ne plus penser individuellement face à une menace, en particulier celle du réchauffement climatique, mais se réapproprier le sentiment d’urgence collective. S’inspirer des sagesses traditionnelles, non pour un utopique et non désirable retour en arrière, mais pour réapprendre à interagir avec le vivant en le préservant et en le régénérant.

A ce titre les valeurs de solidarité et de coopération ne sont pas obsolètes, bien au contraire.

Elles sont au cœur des nouvelles formes d’économie, collaborative, de partage, symbiotique qui s’inspirent de la nature.

Aussi variées soient-elles, ces initiatives économiques ont en commun de redécouvrir la nature sous l’angle de la coopération, du partage et de l’entraide. Reste à savoir quels leviers politiques et économiques il importerait d’activer pour les encourager. Et, ce faisant, nous aider, modestes êtres humains, à reconquérir une place, non pas au-dessus, mais avec et parmi les autres vivants.

La face cachée de notre fascination pour Mars

Surnommée « la planète rouge » en raison de sa couleur due à l’abondance de l’oxyde de fer à sa surface, Mars, quatrième parmi les huit planètes du système solaire, par ordre de distance croissante au soleil interroge et fascine. Déjà associée dans l’Antiquité au dieu romain de la guerre, Mars alimente encore aujourd’hui des récits de science-fiction, et la science tout court. Permet-elle aussi de raconter une autre histoire, « notre » histoire en cours ?

Une tempête pour comprendre  

Environ dix fois moins massive que la terre avec laquelle elle présente des analogies (formations d’origine tectonique et climatique) ainsi qu’avec la lune (cratères), Mars a fait l’objet d’ambitieux programmes d’exploration.

Depuis le 30 mai dernier, Mars fait surtout parler d’elle par la mystérieuse tempête de poussières géantes qui l’entoure, bloquant l’un des appareil de la Nasa envoyé en 2004 : le rover Opportunity, fonctionnant à l’énergie solaire.

La tempête risquant de se prolonger jusqu’en septembre, les scientifiques craignent que l’appareil, privé d’accès à la lumière, ne parvienne pas à se recharger suffisamment pour se protéger du froid.

Toutefois, avec les autres sondes en orbites autour de Mars et le dernier rover au sol de la Nasa introduit en 2012, les scientifiques espèrent obtenir des informations plus précises sur l’origine des tempêtes locales, et surtout sur l’origine et l’évolution de Mars elle-même.

En effet, les scientifiques visent à percer un mystère demeurant entier, auquel on doit sans doute une large part de l’attraction que suscite la planète rouge : comprendre le mystère de son changement brutal il y a des milliards d’années, lorsque l’eau liquide existait encore à sa surface. Une équipe de chercheurs italiens vient de publier à ce sujet dans la revue Nature un article y démontrant la probable présence sous les calottes glaciaires d’un lac souterrain.

De là à glisser – ou à flotter cosmiquement- de Mars à la Terre, il n’y a dès lors qu’un petit pas, que l’imaginaire franchit aisément.

Si Mars et la Terre sont à ce point similaires, peut-être que nous pourrons un jour y habiter – voire y re-habiter- si des conditions d’existence passées étaient avérées. Et pourquoi pas y développer de nouvelles opportunités commerciales.

C’est en tous les cas l’une des dimensions affichées d’un récit qui va au-delà de la science et de la science-fiction : un discours directement connecté à la politique.

S’émanciper de la Terre et des ses limites

Depuis Obama et bien avant l’armée de l’espace plébiscitée par Trump pour gérer les dangers et conflits spatiaux malgré le traité international de 1967 sur la neutralité de l’espace, nous sommes bel et bien entrés dans une ère de surcroît de marchandisation.

Comment cela se manifeste-t-il ? Par une recherche croissante de progrès, de nouvelles technologies permettant l’accès à de nouveaux marchés dont celui de l’espace : ce dernier est important pour les besoins civils tels que les systèmes de communications ou le GPS.

A l’horizon, c’est la vie elle-même qui va être marchandisée, comme cela a commencé avec la réalité augmentée, et terminera peut-être un jour avec une amortalité. Tel est le discours dit transhumaniste, évoquant un au-delà de la condition mortelle humaine.

Si la Terre ne peut plus nous offrir un capital naturel suffisant pour poursuivre notre expansion économique, alors il nous suffira de conquérir d’autres espaces et trouver des astéroïdes adaptés.

Mars peut-elle nous enseigner autre chose, nous aider à développer un autre récit ?

Le bonheur dans un gros tas de cailloux ?

Car, en l’état, Mars n’est ni plus ni moins qu’un gros tas de cailloux, un véritable désert minéral ! Comme celui que la terre s’apprête à devenir d’ici le siècle prochain si le processus d’extraction massif des ressources et des minéraux qui la constituent se poursuit à ce rythme effréné, s’ajoutant aux dérèglements climatiques et à la chute du vivant sauvage.

Si Mars devait nous enseigner quelque chose, ne serait-ce pas d’abord celui du mouvement constant des choses et des conditions simples et basiques pour vivre sur terre ?

Respecter le vivant, les limites planétaires, le cycle de l’eau et de la gestion des forêts par exemple qui sont les poumons de notre planète bleue à nous.

Peut-être que la sonde qui tâte frénétiquement le sol de Mars apportera des preuves que la vie y a existé à l’ère du Noachien. Peut-être apprendrons-nous que cette vie a disparu à cause du désir des martiens de toujours extraire plus que le capital naturel de leur planète le supportait, au détriment de la qualité de vie immédiate.

Dans ce scénario, au fond, c’est la Terre qui est l’avenir : notre avenir et celui de Mars compris. Et Mars nous fascinerait alors comme le vestige d’une civilisation ravagée par la guerre des métaux et dans laquelle le fer aurait triomphé de la vie.

Et si nous arrêtions de fantasmer sur notre seule destruction, que se passerait-il ?

Commençons déjà concrètement par habiter notre Terre intelligemment en combinant subtilement nos technologies high et low tech. Et regardons d’un œil nouveau -et pas nécessairement et exclusivement bionique- les initiatives humaines qui s’y épanouissent.

La fascination pour Mars a du sens aussi et surtout si elle permet de repenser et de rendre leur place aux mondes végétal et animal sans lesquels le monde minéral lui-même perd son utilité.