La place de l’être humain dans la nature : qui domine ?

Interroger la place de l’être humain dans la nature, constater froidement les effets de son action, c’est être rapidement conduit à remettre en cause la place prépondérante qui lui est usuellement attribuée. Celle, appuyée par une certaine interprétation de la Genèse, qui consacre l’Homme comme l’espèce dominante. Nous seuls avons pu domestiquer la nature, y puiser les ressources nécessaires à notre survie et à notre double prodigieuse expansion démographique et économique. Nous nous estimons manière au sommet de la pyramide. Mais que dominons-nous au juste ?

Au sommet de la pyramide

Au lieu d’interroger notre place au sein de la nature, nous en sommes venus à questionner la place de la nature pour l’être humain. Et nous avons fini par imaginer, à compter du 19ème siècle, une nature surabondante, disponible sans bornes à nos activités économiques, celles-là mêmes qui ont amorcé l’anthropocène.

Nous régnons désormais en maître sur les autres animaux, avons éradiqué les mystères de l’orage, des tempêtes et du vent qui ne résonnent plus comme les Esprits invoqués des peuples « primitifs » mais comme des éléments « maîtrisés », au même titre que l’atome. Pourtant, cette interprétation est aujourd’hui remise en question.

En terme d’autorité morale d’abord, notons que l’Encyclique du Pape François, Laudato Si, évoque la « maison commune » : notre « sœur » la Terre qui « pleure » des maux que nous lui infligeons. Et les autres espèces animales, végétales sont nommées comme « nos frères et nos sœurs ». Est rendu un vibrant hommage aux peuples autochtones que les chrétiens parmi les premiers n’ont pourtant pas épargné les siècles passés, contribuant, quelque fois, à justifier un arrachement à leurs terres « sacrées ».

Mais ce serait bien réducteur de limiter l’Encyclique Laudato Si’ à un mea culpa public de l’Église romaine. Car ce que Laudato Si’ a touché, au-delà de l’émotion et de la ferveur pour un cercle d’initié.e.s, c’est la dimension essentielle qui fonde et permet notre humanité : la réalité physique et biologique de l’interdépendance et de la coopération

Telle est la deuxième interprétation, de nature scientifique cette fois, qui questionne une vision des êtres humains comme espèce dominante dans et de la nature, grâce, entre autres atouts compétitifs, à l’utilisation exclusive d’une rationalité dite supérieure. La Nature n’a-t-elle vraiment rien à nous apprendre que nous ne saurions déjà ?

La coopération aussi est naturelle

Dans leur dernier ouvrage au titre évocateur, (L’entraide, l’autre loi de la jungle), les biologistes Pablo Servigne et Gauthier Chapelle rappellent l’interdépendance qui existe entre les espèces. Les lionnes coopèrent pour chasser. Les manchots se regroupent pour se réchauffer. Les crocodiles ne dévorent pas les oiseaux qui, dans leur gueule, leur ôtent les parasites qui attaquent leur langue. Le monde végétal fourmille d’exemples de symbiose, comme celui entre champignons et arbres, entre corail marin et algue verte permettant la photosynthèse nécessaire à la respiration du corail. Les bactéries elles-mêmes ne sont pas exclusivement pathogènes et coopèrent avec leur milieu, en particulier les humains, et en ce qui concerne la digestion.

Car la compétition ininterrompue est source de stress et n’est pas toujours la meilleure stratégie de survie. Coopérer, c’est optimiser son action, son temps, son énergie. Coopérer entre vivants et pas seulement entre êtres humains au détriment du vivant. Coopérer avec la nature. Les êtres vivants constituent les maillons d’une Terre qui leur préexiste, même s’ils contribuent à la façonner, et sur laquelle ils ne sont que de passage : il s’agit bien de notre « maison commune ».

Précisément, c’est ce que revendiquent également les tenants de la transition écologique. La transition écologique se définit comme le passage d’une société non durable et destructrice de la nature à une société résiliente, durable et solidaire, respectueuse du vivant et des limites planétaires.

Dans cet imaginaire de la transition, l’être humain ne s’oppose pas à la nature mais en fait partie, en tant que maillon de la biosphère, au sens de l’ensemble des êtres vivants. C’est la loi des dominos : nous sommes reliés à un vaste système Terre d’échanges de flux et d’énergie. Nous ne sommes pas extérieurs à la nature mais lui appartenons et en dépendons, notamment par l’oxygène que nous fournit la photosynthèse des plantes, l’eau qu’épurent les écosystèmes, ce dont nous nous nourrissons et ce avec quoi nous transformons et fabriquons notre environnement immédiat, etc.

Or, justement, ce que la science nous (re) apprend, c’est que les forêts, les arbres, les plantes coopèrent aussi, parlent et communiquent à leur manière, par les racines ou par les feuilles. C’est ce que montrent les derniers travaux en cours de biologie végétale dont ceux du Pr. Farmer dans un entretien récent à paraître dans la revue de la pensée écologique : les plantes développent des mécanismes de défense contre leurs prédateurs, insectes ou grands herbivores, et sont capables de stratégie de camouflage sans se mouvoir, émettent des signaux électriques pour déclencher la production d’une hormone de défense, etc.

Heureusement qu’elles coopèrent avec nous, êtres humains, et ne nous prennent pas -encore- pour des prédateurs qu’il faudrait stériliser au même titre que des parasites ! C’est l’hypothèse de fiction intéressante du romancier Paul Cauwelaert, mais aussi, dans un autre registre, celui du dessin animé Nausicaä de la vallée du vent, ou encore de Zep dans sa récente BD aux élans de thriller écologique. Et si cette fiction n’en n’était pas totalement une ? Quels seraient la place et l’avenir d’Homo sapiens ?

Homo natura, l’avenir d’homo sapiens ?

 Recadré à l’échelle géologique, et comparé à l’existence même de la vie sur Terre, Homo sapiens est bien jeune : 300 000 ans. La vie a 3,7 milliards d’années, et s’expérimente sans cesse.

Et si l’Humanité au fond n’était qu’une expérimentation de la nature ? Loin de la dominer, il s’agirait d’un test pour savoir si la nature s’en débarrassera ou pas. Peut-être d’ailleurs que l’Homme y arrivera tout seul, après s’être inventé un avenir exclusif d’homme robot.

Pour éviter cet écueil, Valérie Cabanes propose de réapprendre à vivre avec la nature. Si Homo sapiens s’éteint après 300 000 ans d’existence sur terre, Homo natura lui survivra-t-il ? Cela suppose, selon la juriste internationale, d’utiliser notre intelligence pour maintenir la vie en s’appuyant sur le laboratoire naturel.

Ne plus penser individuellement face à une menace, en particulier celle du réchauffement climatique, mais se réapproprier le sentiment d’urgence collective. S’inspirer des sagesses traditionnelles, non pour un utopique et non désirable retour en arrière, mais pour réapprendre à interagir avec le vivant en le préservant et en le régénérant.

A ce titre les valeurs de solidarité et de coopération ne sont pas obsolètes, bien au contraire.

Elles sont au cœur des nouvelles formes d’économie, collaborative, de partage, symbiotique qui s’inspirent de la nature.

Aussi variées soient-elles, ces initiatives économiques ont en commun de redécouvrir la nature sous l’angle de la coopération, du partage et de l’entraide. Reste à savoir quels leviers politiques et économiques il importerait d’activer pour les encourager. Et, ce faisant, nous aider, modestes êtres humains, à reconquérir une place, non pas au-dessus, mais avec et parmi les autres vivants.

Sophie Swaton

Philosophe et économiste, Sophie Swaton est enseignante-chercheure à l'Institut de géographie et durabilité de l'Université de Lausanne où elle coordonne le master en fondements et pratiques de la durabilité. Elle préside également la fondation d'utilité publique ZOEIN, signifiant vivre en grec, qu'elle a créée en 2017 pour promouvoir en Suisse et à l'étranger des initiatives solidaires de transition écologique et solidaire (https://www.zoein.org). Sophie Swaton co-dirige également la collection "Nouvelles Terres" aux Presses Universitaires Françaises, partenaire éditorial avec la Revue de la pensée écologique de la fondation Zoein.

5 réponses à “La place de l’être humain dans la nature : qui domine ?

  1. Magistrale démonstration de Sophie Swation sur le caractère organique de la coopération et de la collaboration face au caractère non organique de la concurrence et la domination sous toutes ses formes!

    Je comprends de plus en plus pourquoi je n’aime pas le terme “environnement”. Car en faisant exclusivement référence à ce qui nous environne, nous oublions que nous sommes l’environnement. Les mondes minéral, végétal et animal sont en nous. Et d’autres mondes encore ignorés nous habitent sans que nous en ayons vraiment (encore) conscience…

    L’Homme à naître est celle ou celui qui prend vraiment conscience de cette réalité et qui, par exemple, souffre dans sa chair quand elle ou il voit un océan pollué avec sa flore et sa faune également en grande souffrance. Cet éveil de la conscience ouvre la voie à une nouvelle énergie réparatrice: l’Amour universel, désintéressé, une énergie dont nous n’imaginons pas encore la toute puissance. Et qui, en agissant sur l’intérieur des êtres, transforme ce qui n’est que son reflet: l’extérieur.

    L’Homme à naître et dont maints peuples premiers nous offrent une belle image est appelé à relier le visible à l’invisible, le plus dense au plus subtil. Voilà, la nouvelle Alliance!

  2. Voila qui pose deux questions essentielles :
    Peut-on fonder une société sur l’altruisme et la coopération à la place de l’égoïsme et la compétition ?
    Si oui, comment faire pour qu’une telle société puisse se défendre et ne soit pas exterminée ?

    1. Vous foncez droit dans le mur.
      La compétition est quelque chose de vitale et nécessaire pour le fonctionnement de la société (c’est le fait d’être forcé de bien faire son travail à travers le système monétaire qui nous permet de rendre service à tout le monde).
      Même si certaines personnes peuvent sembler dur quand on est en échec ou en crise, ce sont en général ces personnes qui deviennent extrêmement gentilles quand on devient gagnant.

  3. La « cuve infernale » de la Vie

    Les équilibres apparents de la biodiversité s’inversent, se contrarient, se bousculent en permanence, c’est normal c’est l’essence même de la Vie et de son évolution. La stabilité perpétuelle et parfaite n’existe pas dans la nature, elle équivaudrait à la « non-vie ». Pas à la mort, car il ne peut y avoir de mort sans vie.

    Nous entrons semble-t-il dans une période d’accélération de mutation des équilibres dont nous sommes peut-être en partie responsables. Si nous le sommes, et nous le sommes au moins pour un peu, c’est dans un processus enclenché il y a un peu plus de 10’000 ans qui s’autoalimente depuis en permanence et dont l’ampleur gonfle en lui conférant une inertie colossale. Il est bien évident que ce n’est pas un homme qui va pouvoir maitriser ce processus !

    L’intensité des forces contradictoires qui régissent les équilibres de la Vie n’est pas constante. Il est possible qu’il y ait des périodes de grandes activités suivies de périodes moins intenses, un peu comme les activités du soleil. J’imagine aussi que l’approche des périodes de hautes activités ne s’effectue pas de manière linéaire, mais plutôt de façon logarithmique. Cette courbe renforce l’idée d’emballement et réduit d’autant la capacité d’une quelconque maitrise par l’homme. Quand c’est parti, c’est parti.

    Évidemment, cette période de grand changement fera probablement place à une période plus calme. Mais les choses auront changé, de nouveaux équilibres auront été établis. On connaît bien ces changements inéluctables, et il ne faut pas remonter aux dinosaures, mais simplement il y a quelques 10’000 ans, ce qui est hier. Epoque de la disparation de nombreuses espèces de grands mammifères américains par exemple. Et notre période interglaciaire actuelle ne date que d’à peine plus.

    Donc la biosphère change de manière plus ou moins brutale et en permanence et la Vie doit s’adapter, elle s’adapte, elle est même la résultante de cette dynamique. Et il est plus qu’illusoire de la part de l’homme de vouloir maintenir une stabilité dans cette « cuve infernale » qu’est notre planète vivante. La Vie est par essence le contraire de la stabilité, de la conservation, de la mise en « coffre-fort », au contraire c’est une débauche d’adaptations, d’inventivités, d’échecs, de réussites. Tout va bien pour la Vie.

    La question c’est y trouverons toujours notre place ? Bien sûr que non. Rien ne garantit que les mammifères soient encore dans les plans futurs de la Vie, quant à l’homme… Le Vie établi son Harmonie en mariant la multitude des forces en un nombre infini de combinaisons, cela nous semble être du « hasard » ! C’est avec humilité, qu’il faut admettre que l’homme ne peut se soustraire à ce « jeu d’atomes » auquel assistent les étoiles…

  4. Sur cette problématique de l’anthropocène, petit participation à votre article, avec une série de dessins que je suis en train de réaliser pour le Muséum d’histoire naturelle de Grenoble : https://1011-art.blogspot.com/p/planche-encyclopedie.html
    Mais aussi par la série “Panta rhei” sur ce même sujet https://1011-art.blogspot.com/p/ordre-du-monde.html
    Ou encore “Vous êtes ici” sur la disparition de la biodiversité : https://1011-art.blogspot.com/p/vous-etes-ici.html (série présentée au Muséum de Genève à partir d’octobre 2021)

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