Épisode 3
Comment lutter contre une violence invisible ?
De quoi parle-t-on?
La reconnaissance faciale informatisée est une technique de surveillance des comportements et d’identification des personnes. La technique n’est pas neutre. Installée dans les lieux publics, les personnes sont considérées comme étant une source de données à exploiter (justification commerciale) et comme étant toutes coupables (justification sécuritaire).
Ce que la surveillance informatique fait à l’humain
Lorsque des personnes passent dans le champ de collecte de toutes sortes de capteurs (caméras, mouchards, portails de détection, vigiles électroniques, …), la surveillance informatique dont elles sont l’objet, est virtualisée. La relative invisibilité des instruments de collecte de données et des traces laissées par les individus font qu’ils évoluent dans des lieux symboliquement clôturés par des capteurs électroniques et des systèmes d’information. Ces instruments sont sous le contrôle des fournisseurs de services et d’équipements et de ceux qui le mettent en œuvre.
La discrétion des dispositifs, la dématérialisation de l’information, l’invisibilité du traitement des données contribuent à ce que les procédés de surveillance présents dans le quotidien des personnes et sur lesquels elles n’ont aucun contrôle, leurs échappent. De plus, les mécanismes qui les régissent ne sont pas transparents.
Pour autant la personne sait qu’elle est sous surveillance. Sujet de la surveillance, elle intériorise la contrainte de la surveillance et se sait observée en permanence. Cela lui fait inconsciemment intégrer les limites de son enfermement symbolique et l’accepter. Elle adopte alors ses comportements aux attentes du système de surveillance en fonction des lieux fréquentés. Cela constitue des formes de restriction de la liberté.
La reconnaissance faciale automatisée est un moyen de dissuasion psychologique et de normalisation des comportements qui met fin à la liberté d’aller et venir librement.
Ce sont la virtualisation de la clôture et la conscientisation de la contrainte qui reste invisible pour tous les autres, qui sont à la base de l’usage du bracelet électronique de détention des prisonniers (concepts de PSE (Placement sous surveillance électronique) et de PSEM (placement sous surveillance électronique mobile)).
Les limites imposées par la surveillance à distance sont invisibles aux observés comme le sont les critères qui permettent de déclencher une action répressive à leurs égards. Ces contraintes intangibles et obscures engendrent un sentiment de culpabilité par avance, sans savoir forcément de quoi. L’anticipation instaure un climat de peur, ce qui renforce la violence vécue.
Métaphore de la surveillance informatique
Si par le passé, le barbelé symbolisait l’enfermement et l’oppression, comme l’analyse si bien Olivier Razac dans son ouvrage « Histoire politique du barbelé »[1], désormais ce sont les caméras de vidéosurveillance et le smartphone qui représente le mieux la métaphore de la surveillance électronique et informatisée.
Ces technologies et instruments de la surveillance intensifient la virtualisation de la surveillance tout en la personnalisant et en la rendant intangible. Cela se fait en douce, au sens de « à l’insu des personnes » et en douceur, sans violence physique directe. Pourtant, la violence existe bien mais elle est masquée par une illusion de liberté du fait que l’usager peut se déplacer sans contrainte apparente et peut par exemple, accéder à des lieux, des biens et des services, communiquer ou encore bénéficier d’offres commerciales géolocalisées et personnalisées. Cela se fait de manière instantanée, interactive, adaptative et efficace.
La dualité du smartphone, ses capacités de divertissement, les réseaux sociaux auxquels il donne accès tout le temps, les systèmes de notation, permettent de banaliser la surveillance, y compris celle de tous par tous. Cela contribue également à la rendre désirable et incontestable.
Transparence des observés, obscurité des observants
La transparence totale des êtres est à opposer à l’obscurité des entités qui fournissent et exploitent l’écosystème numérique de la surveillance de masse et de la surveillance personnalisés et ciblée. Leur pouvoir et la symbolique de leur pouvoir sont ainsi dématérialisés et rendus invisibles. Ce qui contribue à accroitre également la puissance de leur pouvoir.
Quelle compatibilité avec la Déclaration universelle des droits de l’homme?
Quelles que soient les justifications avancées et la finalité des investissements consentis pour mettre en place de tels systèmes de surveillance, ces derniers portent atteinte à la vie privée et à la dignité des observés. Ils sont des obstacles au respect des Articles 1, 11, 12, 13, 20, 30 de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
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Note & remerciement
[1] Olivier Razac « Histoire politique du barbelé » Editions Flammarion, collection Champs Essais, 2009.
Dans la conférence publique que j’avais organisée à l’Université de Lausanne “Dans une société sous surveillance informatique, quel avenir pour notre liberté?” le 4 décembre 2007, Olivier Razac était intervenu sur le thème « Du barbelé au bracelet électronique : Virtualisation de la clôture et universalisation de la surveillance ».
Je remercie Olivier Razac dont les propos et écrits ont contribué à enrichir mes réflexions.