Allier la conscience environnementale à la conscience numérique

Épisode 2

La fin du monde, un avenir durable ?

La domestication de la nature par l’homme est en cours depuis plusieurs siècles. Elle s’effectue le plus souvent selon une logique de domination qui conduit à l’épuisement des ressources. Chaque année le jour du dépassement de la Terre marque la date à laquelle, nous, les humains, avons consommés toutes les ressources écologiques disponibles. Ce jour révèle notre empreinte écologique en comparant la demande en ressources des gouvernements, des organisations et des personnes, à la capacité de régénération biologique de la Terre. C’est le 28 juillet 2022, dans un contexte de canicules, de feux de forêts, et de sécheresse, que ce jour de dépassement fut atteint. Ce qui revient à dire que pour continuer le « business as usual » nous devrions vivre sur 1,75 Terre.

Outre l’augmentation de la population, la pollution, le changement climatique nous sommes également témoin de l’effondrement de la biodiversité, de la destruction à grande échelle des écosystèmes et de la surexploitation des ressources, ce qui contribue fortement à accélérer le processus de dépassement des ressources.

Force est de constater que les modèles de développement sur lesquels nous nous appuyons pour produire toujours plus, consommer toujours plus, dans une vision de performance, de rationalité et de profitabilité économiques, ne peuvent être efficaces sans les sciences et les techniques dont les effets délétères sont des catalyseurs de nuisances écologiques. Ce que dénonçait déjà Eugène Huzar, dans son essai « La fin du monde par la science » publié en 1855 lors de l’exposition universelle de Paris.

Huzar, n’est pas contre le progrès, il s’interroge sur le type de progrès souhaitable et s’oppose à une science ignorante. Il considère que la société technoscientifique en train d’émerger, ne tient pas compte du décalage existant entre les capacités techniques et celles de prévision de leurs impacts négatifs sur le nature. Ainsi comme le rappelle l’analyse de Jean-Baptiste Fressoz, Huzar propose la première théorie du catastrophisme technologique dont l’apocalypse serait l’issue du fait que la science n’ anticipe pas assez les conséquences lointaines de ses productions techniques.

En démontrant qu’il ne peut y avoir de croissance infinie dans un monde fini, le rapport Meadows de 1972 « The Limits to Growth » (Les limites de la croissance) est le reflet de la catastrophe technologique évoquée plus d’une centaine d’année plus tôt, pris dans une dimension mondiale, une problématique globale et une urgence planétaire internationale.

20 ans plus tard, Le Sommet de Rio de 1992 ou « Sommet de la Terre » de la Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement durable indique le début d’une action internationale relatives aux questions environnementales.

Urgences environnementale, énergétique, numérique

Aujourd’hui les questions environnementales ne peuvent pas faire l’économie d’un questionnement sur les rôles et impacts du numérique considéré dans une perspective écologique et d’équilibres planétaires.

En effet, le numérique est un vecteur de dommages environnementaux et un consommateur de ressources naturelles. Pour qu’il puisse faire partie des solutions pour l’environnement, il est nécessaire de faire la balance des intérêts entre ses avantages et les risques globaux de sécurité qu’il engendre.

Ainsi, dans la continuité des débats initiés en 2019 sur « Transition numérique – Transition climatique », nous organisons à l’Université de Lausanne, le 16 mars 2023, une conférence publique Cybersécurité & Environnement (en partenariat avec l’Académie suisse des sciences techniques (SATW) et la Fondation SGH – Institut de recherche Cybermonde pour questionner les conséquences de nos pratiques numériques et pour réfléchir aux solutions porteuses d’avenir dans une perspective de développement durable.

De la désirabilité à la durabilité

Avant de pouvoir appréhender le concept de durabilité, il est absolument nécessaire de s’intéresser au préalable à celui de la désirabilité.

Les modèles économiques du numérique sont basés sur une connectivité et des usages permanents, sur des contenus surabondants, un trafic de données gigantesque. Cela est renforcé par une conception des produits faite pour les rendre addictifs, sur des normes comportementales pour les rendre obligatoire, sur un marketing du numérique pour maximiser la consommation numérique et sur l’obsolescence programmée.

Dans ces conditions, Est-ce que le numérique peut être compatible avec la protection de l’environnement, peut-il être renouvelable, doit – il être durable?

Penser le numérique en terme écologique nécessite de ne plus être sous l’emprise et la fascination d’un numérique basé sur le paradigme de la croissance et de la consommation infinies, ainsi que sur celle engendrée par une exploitation sans limite des données et des personnes.

Est-ce que l’informatisation de la société telle que nous la réalisons est désirable ?

Si l’on considère notre état de dépendance numérique, à des solutions et à des fournisseurs, la fragilisation de la société par le numérique, le nombre croissant des vulnérabilités des systèmes et celui des cybernuisances et cyberattaques ainsi que de leurs conséquences, souhaite-t-on réellement que cela soit durable ?

Est-ce que le « business as usual » doit perdurer ?

Réfléchissons d’abord à ce qui est réellement souhaitable et désirable avant de penser en terme de durabilité car ce terme est souvent détourné pour masquer un processus qui consiste à faire perdurer une certaine vision de la rationalité et de la performance économiques.

Les mots durable et durabilité sont devenus des mots valises, souvent fourre-tout, pouvant aussi servir des stratégies de green washing.

Les promoteurs d’une gouvernance algorithmique des affaires privées et publiques, qui s’appuient sur des décisions privilégiant la réduction de certains coûts à court terme au détriment de la sécurité générale et globale peuvent verdir leur discours, mais la réalité de leurs actes est souvent peu compatible avec la protection du vivant dans une perspective de développement réellement durable sur le long terme.

Comme le dénonce Evgeny Morozov dans son livre « Pour tout résoudre cliquez ici – L’aberration du solutionnisme technologique »[1], appréhender des questions complexes ne consiste pas à activer une application pour tenter « tout résoudre », ni à augmenter le nombre de centres de données (data centers), mais à considérer qu’une approche « Low-tech » puisse faire partie des solutions. En effet, non seulement nous ne pouvons plus faire comme si nous ne savions pas, comme s’il suffisait de croire au miracle technologique pour appréhender le changement climatique qui annonce des bouleversements d’une ampleur sans précédent.

Mon article “L’urgence numérique, une urgence environnementale” complémentaire à celui-ci, est accessible sur le site de l’Académie suisse des sciences techniques (SATW) depuis le 1 mars 2023.

Note

[1] Cet ouvrage de 2013 (dont la version française a été publiée en 2014 par les éditions Fyp) fait suite à son précédent ouvrage de 2011 « The Net Delusion : The Dark Side of Internet Freedom » -La désillusion du Net, la face obscure de la liberté sur Internet.

 

 

Cyber Obscurité, lorsque tout s’éteint

En 2009, je publiais le livre « La cybercriminalité, le visible et l’invisible » [1], aujourd’hui c’est avec Philippe Monnin, ancien directeur des rédactions du Monde informatique et sous la forme romanesque[2] que nous rendons visible l’invisible de la fragilisation de la société par la dépendance à l’informatique et l’interdépendance des infrastructures[3].

Vivre sans énergie informationnelle

Intitulé Off, parce que lorsqu’il n’y a plus d’électricité, il n’y a plus d’informatique et plus d’énergie informationnelle, ce roman journalistique par son style et les éléments véridiques puisés dans l’actualité est une fiction technique, politique et philosophique. Il aborde de manière accessible à tous, les liens entre risques technologiques, en l’occurrence les cyberrisques et les risques environnementaux et leurs causes humaines pouvant conduire aux pires catastrophes. Il témoigne du quotidien des personnes qui vivent la mise à genoux de la plus puissante économie du monde ainsi que de la gestion politique de cette crise sans précédent, qui laisse les autorités d’un pays au bord de l’effondrement, désemparées et la population dans l’effroi lié à l’arrêt des services et systèmes informatiques.

Quelques citations

« Une attaque informatique sans précédent, probablement la plus importante de notre histoire, vient de frapper notre pays. Les départements et agences du Trésor, du Commerce, de la Sécurité intérieure, de la Santé, de l’Énergie (chargées de gérer le stock d’armes nucléaires), de l’Aviation civile, du Pentagone, de la Cybersécurité et le Conseil de sécurité national sont infiltrés par un logiciel espion depuis des mois. Dix-huit-mille organisations ou entreprises seraient également touchées dont de grands groupes informatiques parmi les plus aguerris en matière de sécurité. »

« Nous faisons face à une attaque immatérielle dont nous ne connaissons ni le mécanisme, ni l’origine, ni la complexité, ni la motivation et encore moins la finalité …derrière cette cyberattaque pourrait s’en cacher une autre, bactériologique celle-là. »

« Pour « accueillir » les Américains, les Mexicains ont rédigé, à la hâte des panneaux sur lesquels ils ont repris ironiquement les mots du Président Trump lors de sa venue à Calexico : «Notre pays est complet ! On ne peut pas vous accepter !», « Rebroussez chemin ! ».

« … face au désespoir absolu exprimé par Margaret, Georges sent une vague le parcourir, venue du plus profond de ses entrailles. Ni peur, ni désespoir, bien au contraire. C’est une sensation de force qui l’envahit, de volonté, de domination, de violence, de méchanceté. Comme si une autre voix sortait de sa bouche, il dit : — Non, Margaret, nous n’allons pas mourir. Ce sont les autres qui vont mourir. Pas toi. Surtout pas toi. Ni moi. »

Notes

[1] S. Ghernaouti. « La cybercriminalité, le visible et l’invisible ». Collection de Le savoir suisse. EPFL Press, 2009.

[2] P. Monnin, S. Ghernaouti « OFF », Editions Slatkine 2023.

https://www.slatkine.com/fr/editions-slatkine/75765-book-07211168-9782832111680.html

[3] https://www.rts.ch/info/sciences-tech/13708969-solange-ghernaouti-plus-nous-serons-connectes-plus-nous-serons-vulnerables.html