Le cyberespace ne fait pas oublier l’espace

Quelques réflexions suscitées par la destruction le 4 février 2023, d’un « ballon » par les USA.

Les avantages de l’usage d’aéronefs pour surveiller

Les satellites et les drones sont aussi des moyens dédiés à de la surveillance mais ils ne présentent pas les mêmes avantages qu’un ballon. Ce dernier, plus difficile à détecter et à abattre, se déplace plus lentement et peut rester plus longtemps sur un objectif. De plus, il est peu gourmand en énergie et nettement moins cher que les satellites et les drones de surveillance. Il est connu que les ballons sont des instruments de surveillance, selon les témoignages celui-détruit le 4 février 2023 était haut d’environ 60 mètres avec une nacelle pesant plus d’une tonne. Il s’agit d’un aéronef « high-tech » capable d’embarquer plusieurs engins comme des drones et même des armes.

Véritable plateforme de surveillance, un « ballon » il fait partie de la panoplie d’outils de domination car qui dispose des bons renseignements, possède avantage stratégique et pouvoir.

Un tel dispositif permet de cartographier les territoires survolés comme les sites sensibles et militaires et d’identifier des forces de frappe ou des points de fragilité des pays. Il peut également être considéré comme un moyen de dissuasion et de pression d’un pays envers un autre, qui montre qu’il est en mesure de le surveiller et qu’il aurait les moyens de lui infliger des dégâts. Comme scénario catastrophe, on peut imaginer que ce type de ballon utile à l’observation pourrait servir de système de livraison et transporter des virus bactériologiques bien conditionnés pouvant être lâchés à tout moment comme d’ailleurs des armes chimiques.

Une prise de conscience

Nous assistons à une montée en nombre des techniques et moyens de d’observation, de surveillance et d’interception des communications. Le marché de l’espace est en plein expansion et les initiatives d’occupation de l’espace se multiplient comme la constellation de milliers de satellites Starlink de la société SpaceX d’Elon Musk, pour ne citer qu’un exemple.

L’usage des ballons, quelle que soient leurs finalités est une continuité de ce développement de présence dans l’espace à des distances de la Terre et à des vitesses encore peu utilisées et différentes de celles des satellites. Occuper l’espace atmosphérique fait partie des stratégies de sécurité et de défense des territoires mais aussi des intérêts des pays qui ont les moyens de le faire. Depuis longtemps déjà, l’espace est un champs d’expression du pouvoir et un lieu de confrontation des puissances. De nos jours, occuper l‘espace s’inscrit dans un contexte de tensions géopolitiques internationales ou nous sommes désormais obligés de prendre en considération des menaces venant de l’Est comme celles d’ailleurs issues de la lutte pour les ressources naturelles et en lien également avec la guerre économique que se livrent les pays.

Quelles implications pour la Suisse neutre ?

Contrôler l’espace aérien d’un pays est toujours pertinent. Cela peut s’inscrire dans des logiques conflictuelles pouvant aussi relever du terrorisme. La neutralité de la Suisse est une protection lorsque les règles du jeu sont respectées de part et d’autres des acteurs concernés. Même si la Suisse n’est pas un état membre de l’Union européenne elle est physiquement, géographiquement, liée à l’Europe. C’est une réalité objective. Elle doit faire sa part en matière de sécurité-défense même si elle est neutre et même si son espace aérien est restreint.

Au cœur de l’Europe, la Suisse semble être un « confetti » de par sa taille mais elle est aussi un géant qui peut attirer l’attention de nombreux autres états. Par ailleurs ces aéronefs dont certains peuvent être dirigeables à distance, sont aussi portés par les vents et soumis aux lois de la nature. Ils peuvent donc survoler la Suisse. Nous savons désormais que les nuages radioactifs ne s’arrêtent pas aux frontières des pays même s’ils sont neutres.

La neutralité n’est pas synonyme d’impuissance, bien au contraire, c’est aussi un instrument au service de la construction de la paix et de la défense de ses intérêts. Les interdépendances sont telles qu’il faut penser la sécurité et la défense de la Suisse de manière globale. De plus, l’image de haute technologie associée à la Suisse est aussi un atout. Elle doit rester à la pointe et être en mesure de détecter et de prévenir des menaces diffuses également issues de l’espace.

Disposer de la technologie de surveillance est une chose, disposer des moyens de la contrôler et de la détecter en est une autre. Cela nécessite une certaine indépendance vis à vis des fournisseurs de solutions technologiques, à défaut cela revient à se mettre sous le bouclier d’une autre puissance.

En 2020, la France a rebaptisé son armée de l’air en « Armée de l’air et de l’Espace » pour tenir compte de ce changement de paradigme. La Suisse investi dans sa défense aérienne notamment avec le système Air 2030 et Patriot.

Un des moyens de protection certes indirect mais indispensable sur le long terme, serait que la Suisse se positionne comme pays champion de la législation internationale sur le partage et l’usage de l’espace aérien et extra- atmosphérique.

Concernant la situation actuelle, au-delà des récits et contre-récits et justifications annoncées par la Chine et les États-Unis, il est difficile d’en avoir une vision précise et complète, ce qui est un frein à l’analyse des mécanismes de causes à effets. Toutefois, les ballons ont la côte car ils évoluent à une distance de la terre pas exploitée par le trafic aérien et les satellites, tout en restant sous les radars de détection classiques.

C’est un peu comme s’il avait fallu les révélations d’Edouard Snowden  en 2013, pour « découvrir » les pratiques de renseignement que permettent Internet et le cyberespace.

Qui peut encore ignorer que les agences de renseignement font du renseignement par tous les moyens possibles ?

 

 

Solange Ghernaouti

Docteur en informatique, la professeure Solange Ghernaouti dirige le Swiss Cybersecurity Advisory & Research Group (UNIL) est pionnière de l’interdisciplinarité de la sécurité numérique, experte internationale en cybersécurité et cyberdéfense. Auteure de nombreux livres et publications, elle est membre de l’Académie suisse des sciences techniques, de la Commission suisse de l’Unesco, Chevalier de la Légion d'honneur. Médaille d'or du Progrès

2 réponses à “Le cyberespace ne fait pas oublier l’espace

  1. Toujours un plaisir de lire et compléter la perception du monde de la sécurité tout en se posant les bonnes questions!

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