En octobre 2019, la Fondation Martin Bodmer[1] inaugurait une exposition intitulée « Guerre et Paix » organisée en partenariat avec le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et l’Organisation des Nations unies (ONU), pour apporter des éléments de réponse à la question « Comment penser et limiter la guerre, comment construire la paix? »[2]. Un magnifique catalogue l’accompagnait, publié dans la collection « Beaux livres » de Gallimard[3].
La quatrième de couverture présente l’ouvrage en ces termes :
« Cet ouvrage, vise à retracer le dialogue immémorial entre la nature guerrière de l’homme et son profond désir de paix. Depuis l’Antiquité, l’homme n’a jamais cessé de penser, de justifier, de conduire et de glorifier la guerre, mais il s’est aussi toujours attaché à vouloir limiter ses pires abus, à la condamner pour ses ravages, et à imaginer et travailler à la construction d’un monde plus juste et plus pacifique. Cette dialectique se prête aux éclairages pluriels de la littérature et des beaux-arts, de l’anthropologie, de la philosophie et de la psychanalyse, du droit et des sciences politiques. Œuvres littéraires, affiches de propagande, enluminures et gravures dialoguent avec des documents d’archives, à travers trois sections assorties d’essais des meilleurs spécialistes : la genèse de la guerre, le temps de la destruction, le pari de la paix. »[4] .
Après m’être demandé ces deux dernières années comment être en santé dans un monde de malades ? je me pose la question de savoir comment être en paix dans un monde en guerre ? mais est-ce réellement une bonne question ?
Un enfant me demanderait sans doute « Pourquoi la guerre ? » comme il aurait pu me demander « Où va la musique quand elle s’arrête ? »
Que répondre ? sinon par une autre question « Pourquoi n’avons-nous pas appris de l’Histoire ? »
Aujourd’hui le titre du roman de Tolstoï m’interpelle toujours. J’ai contribué à l’ouvrage collectif « Guerre et Paix » de la Fondation Martin Bodmer – Gallimard, par un chapitre intitulé « De l’énergie informationnelle à la cyberguerre » (p.141 – 147) afin de trouver dans l’histoire des deux derniers conflits mondiaux et à travers du prisme de la maitrise de l’énergie, des clés pour comprendre le monde dans lequel nous vivons. Comprendre les enjeux et défis de l’énergie numérique et ceux géopolitiques, sociaux, culturels et économiques associés est indispensable, me semble-t-il pour penser la cyberpaix.
En voici un extrait :
…En grec energeia signifie “force en action”. Dans son acception courante l’énergie fait référence à la force, au pouvoir, à la vigueur, à l’efficacité. Depuis, la maitrise du feu, le monde s’est façonné autour du contrôle de l’énergie, des sciences et techniques et des moyens de communication. Au 19ème siècle, le transfert d’énergie et sa compréhension physique sont à la base de la révolution industrielle et de l’industrie de l’armement. Cela marque le début de la transformation de l’art de faire la guerre et celle du champ de bataille.
Lors de la première guerre mondiale, l’énergie chimique fait son apparition sur le champ de bataille via les gaz de combat. De nouveaux moyens de transport (voitures, camions, tanks, sous-marins et aéronefs) permettent de se déplacer, de soutenir la logistique, de projeter de la force, d’observer et de renseigner.
Les travaux du mathématicien anglais Alan Turing durant la Seconde Guerre mondiale ont permis l’essor du codage et du décodage de l’information, de la programmation et des ordinateurs. La maîtrise de l’atome, avec l’explosion en 1945 des premières bombes atomiques au Japon, marque une rupture dans l’expression du pouvoir de destruction. L’énergie physique devient un instrument de destruction totale effaçant de facto les frontières traditionnelles du champ de bataille et celles entre les populations civiles et militaires. La destruction potentielle de toute vie humaine a contribué à l’émergence d’une guerre improbable, mais pas impossible, et a conduit à la guerre froide (1947 – 1991).
Durant la guerre froide et de manière concomitante à la conquête de l’espace[5], le réseau Internet naît d’une initiative du département de la défense des USA (DoD)[6] et marque le début du développement des autoroutes de l’information et de l’énergie informationnelle. Désormais, l’information et le code informatique sont des armes pour faire la guerre par d’autres moyens et projeter du pouvoir hors de ses frontières. …
La suite de ce chapitre sur la conquête de l’espace extra-atmosphérique et du cyberespace, sur l’infoguerre et la cyberguerre et sur l’invention de l’internaute -soldat, de la guerre banalisée et globale est à lire dans la version de 2019 de Guerre et Paix.
L’histoire se répète.
Déstabiliser, dominer, soumettre, détruire, contrôler, la guerre même au 21ème siècle et à l’heure de la cyberguerre, reste une guerre, une violence imposée par certains à d’autres semblables.
N’avons donc rien appris des conflits précédents ?
Serons capables d’arrêter la spirale de la violence partout où elle s’exprime de quelle que manière que cela soit ?
Serons-nous capables de faire vivre un esprit de fraternité qui l’emporterait sur l’esprit de défense collective au cœur du traité fondateur de à l’OTAN[7] et qui rendrait ce dernier inutile?
Si nous considérons que nous sommes l’avenir de l’humanité, est-il si difficile à comprendre que sans fraternité au sens large (ce qui inclus le respect de notre environnement et de tous les autres) nous n’avons pas d’avenir ?
Pouvons-nous grandir en sagesse, nous individuellement et collectivement ?
Dans l’impossibilité de répondre à la question « Pourquoi la guerre ? », peut-être faut-il saisir l’opportunité de questionner notre hyperconnectivité sous l’angle de l’interdépendance pour comprendre que ma cybersécurité dépend de celle de mon voisin, que l’effet papillon concerne aussi la guerre et la paix et que finalement le slogan de la contreculture américaine des années soixante « faites l’amour, pas la guerre f» est toujours d’actualité.
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Notes:
[1] https://fondationbodmer.ch
[2] https://www.bilan.ch/opinions/etienne-dumont/la-fondation-martin-bodmer-se-penche-sur-la-guerre-et-la-paix
[3] Édition publiée sous la direction de J. Berchtold, N. Ducimetière, P. Hazan et C. Imperiali. Albums Beaux Livres Gallimard, 2019. 332 pages. https://fondationbodmer.ch/product/guerre-et-paix/
[4] https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Albums-Beaux-Livres/Guerre-et-Paix#
[5] Mission du programme spatial américain Apollo 11, le 20 juillet 1969 l’astronaute américain Neil Armstrong marche sur la lune.
[6] Dans les années 60s dans le cadre de l’Agence pour les projets de recherche avancée de défense (DARPA).
Le système de positionnement géographique par satellites (GPS) a été aussi conçu par le DoD à des fins militaires dès 1973, complètement opérationnel en 1995 et ouvert aux applications civiles en 2000.
[7] Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN / NATO) “une attaque contre un membre de l’Alliance est considérée comme une attaque dirigée contre tous les Alliés”
https://www.nato.int/cps/en/natohq/topics_110496.htm?selectedLocale=fr
Bonjour professeure,
Comment penser et limiter la guerre, comment construire la paix.
Deux groupes se faisaient face, se disputaient, se battaient… et moi je suis pour, et paf, et moi je suis contre, et paf… se faisaient la guerre.
Un intervenant (Suisse pour l’occasion) se mit au travers d’eux, les résonnât, leur parla :
Mais pourquoi vous battez vous ?
Le premier : “Mais parce que je suis pour”.
Le second : “Et moi je suis contre”. Et paf ça repart.
L’intervenant les interpelle de nouveau. Bon vous, vous vous battez pour quoi ? Pour la paix ! Répond le premier. Et vous, vous vous battez contre quoi ? Contre la guerre ! Répond le second.
Pour la paix ou contre la guerre ? Qui choisir ?