Aménagisme numérique et technologies militaires émergentes

L’aménagisme numérique est un néologisme construit à partir des concepts recouverts par les notions d’aménagement et de développement numérique. Il fait référence aux capacités de transformation du territoire, de la ville, de l’organisation et de l’individu par le numérique et au pourvoir de transformation de ce dernier de toutes les pratiques humaines. L’aménagisme numérique qualifie les actions de transformation de ce qui est (environnement, vivant, organisation) par les technologies de traitement de l’information et les télécommunications.

De nos, jours, la maitrise du numérique est devenu un enjeux majeur d’expression des pouvoirs politique et économique. Cela se reflète notamment dans les politique de sécurité des pays avancés, qui intègrent, dans leurs stratégies militaires et économiques, celles liées aux technologies émergentes.

Force est de constater que certains pays pensent leur défense en termes de technologies militaires émergentes. Ce faisant, ils soutiennent leur économie et imposent leur hégémonie technologique tout en contribuant à garder à distance leurs adversaires. La supériorité technologique fait partie depuis longtemps de leur stratégie de maîtrise des conflits, de sécurité et de sauvegarde de leurs intérêts nationaux et de leurs infrastructures vitales.

L’usage dual des technologiques à des fins militaires et civiles, notamment dans les domaines de l’économie, de la culture et de la santé, leurs permet d’investir dans des technologies innovantes pour atteindre en même temps, des objectifs de défense et des objectifs économiques. Depuis toujours, les avancées technologiques ont transformé l’art de faire la guerre. Les pays capables de les maîtriser sont des acteurs influents en mesure de gagner des guerres, de préserver leur souveraineté, de protéger leur économie et d’imposer leur hégémonie.

Désormais, l’omniprésence du numérique dans tous les champs d’action, dans toutes les disciplines, dans tous les secteurs d’activité, demande une certaine maîtrise globale du numérique. Cela passe en particulier par le contrôle des infrastructures informatiques et de télécommunication, la maîtrise de la cybersécurité et de la cyberdéfense mais aussi de la captation des données, de leur analyse, de leurs traitements et de leurs exploitations.

Le pouvoir de l’informatique contribue à rendre indissociables les supériorités militaire et économique. Les grandes puissances investissent depuis longtemps dans les infrastructures numériques, dans l’intelligence artificielle et dans les armes létales automatiques et autonomes.  De plus, leurs investissements portent également sur les technologies quantiques, les biotechnologies, les armes à énergie dirigée et les armes hypersoniques, elles-mêmes dépendantes des avancées de l’informatique, de l’électronique et de l’ingénierie logicielle.

Les vision et stratégie de ces pays sont généralement inscrites dans le long terme, aussi ils investissent de façon conséquente dans la diplomatie et le droit international. Ils sont des acteurs incontournables du dialogue international et de la (non-)régulation de l’usage des armes technologiques.

Certains pays investissent dans le développement technologique et dans celui des nouvelles compétences humaines nécessaires à leur maîtrise. Ils construisent le présent pour déterminer l’avenir et dominer le monde, alors que d’autres se préparent à vivre et à mourir dans le monde d’hier.

Quoi qu’il en soit, lorsqu’il s’agit de guerre, qu’elle soit économique ou militaire, les vers d’Aragon sont toujours actuels « L’homme change bien moins que ne changent ses armes / Un autre envahisseur vient par d’autres chemins / À des yeux différents brillent les mêmes larmes / Et le sang sur la terre a le même carmin » (L. Aragon – Caupolican Le romancero de Pablo Neruda).

Quoi qu’il en soit, sans remise en question de la technologisation de la société telle qu’elle s’est imposée, il sera difficile de faire vivre des alternatives crédibles à la course à l’armement technologique et à l’aménagisme numérique.

 

Solange Ghernaouti

Docteur en informatique, la professeure Solange Ghernaouti dirige le Swiss Cybersecurity Advisory & Research Group (UNIL) est pionnière de l’interdisciplinarité de la sécurité numérique, experte internationale en cybersécurité et cyberdéfense. Auteure de nombreux livres et publications, elle est membre de l’Académie suisse des sciences techniques, de la Commission suisse de l’Unesco, Chevalier de la Légion d'honneur. Médaille d'or du Progrès

8 réponses à “Aménagisme numérique et technologies militaires émergentes

  1. D’après la presse helvétique j’avais cru comprendre que notre département militaire était à la traîne en ce qui concerne la cyber défense et la cyber sécurité. L’achat prévu des nouveaux avions et du système de défense anti-aerienne me semblait indiqué que ce retard informatique semblait avoir été rattrapé, car nécessite j’imagine un système informatique à jour. Votre blog de ce jour semble pourtant indiqué que d’autres semblent beaucoup plus en avance. Inquiétant ou non, car vous l’aurez compris je cherche à m’informer en prevision de cette prochaine votation.

    1. Dans le monde numérique, il y a tout intérêt à développer une vision globale, c-à-d. holistique et systémique, des besoins de sécurité et de défense du monde civil et militaire. Il est nécessaire d’y répondre de manière coordonnée, en tenant compte des avancées technologiques actuelles et à venir. Les impératifs de sécurité, qu’il s’agisse de défense aérienne ou de cyberdéfense, ne s’opposent pas. Ils sont évolutifs et ne se limitent pas non plus, à ces deux dimensions. Anticiper les menaces est un exercice difficile, être prêt à les appréhender l’est tout autant. Faire la balance des intérêts entre le certain et l’incertain des menaces, ne peut faire l’impasse sur l’état de préparation des autres pays à la maitrise des nouvelles armes technologiques, ni sur une réflexion approfondie des conséquences du tout numérique dans le monde civil et militaire ou d’un défaut en matière de cybersécurité et la cyberrésilience des infrastructures civile et militaire.
      SGH

    2. Une chose est sûre: malgré les progrès faits en traitement automatique de la langue, l’informatique ne vous a pas aidé à améliorer votre orthographe (“…me semblait indiqué…”, “…semble pourtant indiqué…”), ni votre syntaxe (“…car nécessite…”, “Inquiétant ou non…”).

      En Chine, autrefois, la première épreuve imposée à tout haut gradé de l’armée était celle de la rédaction. Elle est encore en usage pour tout aspirant de police aujourd’hui.

      De tout temps, de Jules César au général de Gaulle, l'”art” de la guerre n’a-t-il pas flirté avec celui d’écrire?

  2. Vos deux photos juxtaposees sont magnifiques, j’imagine des goutelettes, d’eau face une rouille engrenagee?
    Mais la, vous bottez en touche.

    Qui peut croire que 40 coucous viendraient en appoint d’une strategie en blackout, cyber?

    Qu’on en achete dix (le plus beau le F 35, peint en rouge avec une croix blanche) pour tous nos yodleurs, fans de meeting de CO2 et qu’on arrete de nous faire porter des masques anti CO2 (alias Covid) en pensant que le monde va sauver la Suisse neutre avec ses 40 coucous!

  3. A première lecture, votre article fait plutôt froid dans le dos. Une fois de plus, vous y décrivez avec l’expertise et le talent qu’on vous connaît un impitoyable monde orwellien duquel l’individu est évacué, écrasé par le rouleau compresseur des forces économiques et des progrès technologiques, dont on ne sait plus comment arrêter la marche.

    Mais comme vous le montrez fort bien avec la citation d’Aragon, il est au moins un domaine qui échappera toujours au contrôle des ordinateurs, c’est celui du langage humain, trop complexe pour être réduit à du code binaire. Ce sont les informaticiens eux-mêmes qui le disent.

    Déjà, dans “Guerre et Paix”, Tolstoi” décrit Pierre Bezoukhov, admirateur inconditionnel de Napoléon et enthousiasmé par cette autre force aveugle du progrès en marche qu’est la révolution française (il a étudié en France et passe pour un jacobin inoffensif, voire même pour un précurseur des Décembristes de 1825). Mais à l’invasion de son pays par les troupes napoléoniennes pendant la campagne de Russie, ses certitudes vacillent. Déjà instable et faible de caractère, ce prototype du gentilhomme russe intelligent mais inadapté, du “misfit” du début du XIXe siècle, désemparé au spectacle de la folie qui se déroule sous ses yeux, incarnée par la bataille de Borodino, cherche en vain à donner un sens aux forces qui l’ont engendrées et qui le dépassent. Il décide alors d’assassiner Napoléon au milieu de Moscou dévastée par les flammes.

    Bien sûr, personne n’aurait aujourd’hui l’idée d’assassiner Jeff Bezos ou Mark Zuckerberg, ces autres bâtisseurs d’empires. Pourtant, des appels au meurtre de Billl Gates n’ont-ils pas été proférés sur les réseaux sociaux il y a peu? Ne pourrait-on pas faire un parallèle entre le paria tolstoïen, ce hors-caste d’un autre temps, et le nombre croissant de laissés pour compte de l’évolution technologique et son emprise sur l’économie et la politique? Combien de Pierre Bezoukhov ne croise-t-on pas chaque jour dans les rues?

    1. Il semble qu’il a été fait peu cas de la très sérieuse analyse effectuée par le Professeur Vaudenay de l’EPFL. De manière générale, il existe peu d’écho à ce qui est critique vis-à-vis de SwissCovid et à ce qui soulève des questions légitimes vis à vis d’un tel dispositif.

      En Israël, l’application de traçage des contacts n’a pas empêché un re-confinement.
      Par ailleurs, certains, aux Etats Unis, militent pour que l’on interrompe des applications comme SwissCovid parce qu’il est possible d’injecter de fausses notifications pour interférer dans les élections présidentielles.

      Actuellement, il s’agit d’évaluer la réelle utilité de SwissCovid, de savoir si SwissCovid fonctionne (si des personnes à moins de 1.5m sont correctement détectées), s’il sert à quelque chose (s’il existe des personnes qui se sont isolées suite à une notification de SwissCovid et qui se sont révélées positives au test alors qu’elles n’auraient pas le savoir sans SwissCovid) et combien de personnes sont alertées pour rien.

      SGH

  4. Cet article est un intéressant plaidoyer contre la technophobie ou le techno-attentisme. Mais gardons-nous de tirer les mauvaises conclusions.

    Oui, il faut investir dans les nouvelles technologies pour ne pas devenir les Indiens d’Amérique du monde de demain. Car la sécurité et la survie ne sont jamais garanties: elles se gagnent par un effort constant d’adaptation qui paraît superflu quand les temps sont faciles. En revanche, S’il est vrai que les technologies de rupture nécessitent des investissements de longue durée (Ex: les exosquelettes actifs intégraux), il faut bien garder à l’esprit que ce sont les procédés mis en oeuvre par les acteurs étatiques et économique qui produisent la rupture.

    La Chine est montée en puissance grâce à des procédés low tech et sa politique technologique de long terme vise à créer les instruments des stratégies de demain. Il n’est aucunement question de faire du tout technologique en espérant qu’une profusion de technologies engendre du progrès ou de la puissance. On se souviendra des entreprises thaïlandaises qui ont obtenu d’excellentes performances en 2018 grâce à leur main d’oeuvre humaine mais qui ont subit des pertes importantes en raison d’investissement massif dans des chaînes automatisées peu rentables. Les acquisitions de robots ne s’inscrivaient pas dans une stratégie mais répondaient à un impératif médiatique: Ne pas passer pour des dinosaures.

    Eviter des achats ostentatoires (ou dictés par les relations géopolitiques) n’est pas tout. Une technologie n’est pertinente que si l’on peut la produire (matière première), l’alimenter en énergie (émission de carbone, raréfaction des hydrocarbures, traitement des déchets nucléaire) et l’associer avec les technologies complémentaires. Va donc se poser des problèmes stratégiques:
    a. Quelle source d’énergie faut-il généraliser dans les équipements? L’hydrogène ou les batteries électriques?
    b. Quel emploi pour les matières premières et l’énergie disponible en quantité limité?
    c. Comment favoriser la coévolution des technologies émergentes, notamment dans le domaine des NBIC?

    La modernisation technologique et l’adaptation de la société à la Quatrième Révolution industrielle est plus un problème économique et politique que scientifique.

Les commentaires sont clos.