Entreprendre en conscience, défis et réflexions

La transition agricole: un enjeu systémique

A happy young, American family and their pet German Shepherd dog are sitting outside under the flowering apple trees in an orchard, enjoying a picnic lunch and cookies on Father's day.

Je remercie Joëlle Loretan, journaliste indépendante, qui a su transmettre à travers cet article l’essentiel de mes propos.

 

Pas de réponses binaires à des questions complexes

 

Le 13 juin prochain, nous serons appelés à voter «pour une eau potable propre et une alimentation saine» et «pour une Suisse libre de pesticides de synthèse». Ces deux initiatives populaires posent incontestablement des questions importantes et urgentes. Elles soulèvent des problématiques liées à la pollution de l’eau, des sols et par conséquent de notre propre corps. De quoi nous sentir fortement impactés et concernés.

 

Et pourtant…

 

La plupart d’entre nous voteront avec une méconnaissance de ce qu’est l’agriculture, de ses impacts sur l’environnement et des conséquences pour ceux qui devront entamer leur transition. Les réponses que nous glisserons dans l’urne risquent alors d’être plus motivées par la peur et l’inquiétude, que par la réalité. Ainsi, le lien avec l’agriculture n’y est plus.

 

Notre démocratie commence à nous dépasser. Les actions politiques tardent et elles manquent d’anticipation sur les grands enjeux écologiques. Les initiatives citoyennes prennent le relai. Elles mettent l’accent sur des problématiques que nous ressentons tous et démontrent à leur tour le manque d’agilité et d’anticipation au niveau politique.

 

Mais comment voter sur un modèle économique systémique, pour lequel nous sommes bien ignorants ? On pointe du doigt le monde agricole, on pose des attentes à leurs pratiques. Mais sommes-nous suffisamment éclairés sur les enjeux pour le faire ?

 

Oui ou Non… et l’espace de transition où est-il ? 

Je reste consciente de la nécessité d’agir mais n’adhère pas (plus) à cette dualité, ce choix du « oui ou non », qui n’intègre pas les sensibilités et le quotidien de nos paysans et de toute la chaîne de valeurS (le S en majuscule n’est pas une faute de frappe car il s’agit bien d’allier à la valeur financière, la valeur humaine et environnementale). Les questions posées sont trop complexes pour adopter une posture binaire. Nous passons alors un temps précieux, au vu de l’urgence climatique, à défendre le “oui” ou le “non” alors que nous devrions investir ce temps pour développer de réelles propositions systémiques, tout comme des notions d’intelligence collective, où chacun d’entre nous à son rôle à jouer.

 

Que ce soit le “oui” ou le “non” qui l’emporte, que va-t-on mettre en place pour accompagner nos producteurs ? Combien de temps prendra l’évolution du cadre légal, des processus administratifs ou encore des conditions d’obtention des subventions pour une transition agricole? Vraisemblablement plusieurs années, où il sera nécessaire de contenir les frustrations de citoyens qui penseront que le monde agricole pollue (et continue à le faire). Les attentes et la pression sur les agriculteurs sont fortes, eux qui subissent aujourd’hui déjà des contraintes liées au calibrage, au prix ou encore au changement climatique (les abricots valaisans peuvent en témoigner), pour ne citer qu’elles.

 

Gardons-nous de pointer du doigt le monde agricole, alors que nous faisons tous partie du problème… mais aussi de la solution. Car notre pouvoir est réel en matière de transition écologique. A condition d’être correctement informés et de se poser les bonnes questions. Sommes-nous prêts à payer le prix juste pour une agriculture de proximité, à demander une totale transparence sur la répartition de la marge ? Lorsque nous achetons une pomme bio au double du prix, où va notre argent ?

 

Faites-nous confiance !

Au fil du temps et par le biais de rencontres au travers de mes projets, j’ai réalisé que le grand enjeu de l’agriculture n’était pas vraiment l’obtention (ou non) d’une certification bio. Les paysans avec qui nous travaillons ne souhaitent d’ailleurs pas tous payer pour une certification, voir leurs produits vendus plus chers, sans pour autant bénéficier de la plus-value payée par le consommateur. En revanche, ils demandent la confiance de la population dans leur manière de travailler et surtout d’adresser la transition qu’il leur est demandée.

 

Des doutes sont évoqués par les producteurs bio eux-mêmes. Ainsi, « Bio Suisse » recommande de voter non à l’initiative sur l’eau potable. La fédération faîtière des organisations bio reconnaît « des problèmes incontestables et incontestés », mais critique des mesures qui « ne peuvent pas les résoudre en les mettant seulement sur les épaules des paysans ». Certains craignent également une augmentation des coûts, alors que d’autres évoquent une diminution des exportations. Et une autre question se fait entendre : comment se positionner et se différencier – en termes de qualité – si tous les producteurs passent au bio ?

 

Il faut le voir pour savoir

Les femmes et les hommes qui travaillent la terre devront assumer les conséquences d’un « oui » ou d’un “non”. Pour autant, qui leur demande leur avis ? Combien de citoyens prennent le temps de rencontrer – physiquement – les agriculteurs, de se rendre sur leurs exploitations ? Il est pourtant essentiel d’échanger avec ceux qui font, qui changent, qui transitent, tout en leur proposant un accompagnement où ils conservent le rôle principal. Être à leur écoute n’est pas uniquement souhaitable, c’est essentiel. Les métiers de la terre sont indissociables d’une transition écologique réussie.

 

Entamer un débat sur le bio ou le non bio, en pointant du doigt le monde agricole, c’est amener une couche supplémentaire de division, alors que nous devrions au contraire chercher à nous rassembler. Le modèle économique de demain doit être inclusif et faire partie d’un écosystème vivant, où le paysan joue un rôle essentiel.

 

Prendre le temps de la rencontre, c’est également garder une certaine humilité en découvrant l’abondance des savoir-faire et la diversité de la résilience qui touche le monde agricole. Des richesses si vastes, qu’elles ne méritent certainement pas d’être catégorisées de manière binaire, en « bio » ou « non bio ».

 

Intelligence collective et écoute active

Nous avons un réel besoin d’intelligence collective et de nouveaux modèles. Où sont les notions de bienveillance et d’écoute dans nos méthodes de fonctionnement ? Nous avons fait le choix de la performance et lorsque les buts visés sont à atteindre de manière individuelle, alors nous sommes et nous restons dans un esprit de dominance. Les propos de l’autre ne nous servent qu’à atteindre nos propres objectifs. Nous vivons en silos. Or, la nature nous montre que l’interdépendance, d’humain à humain et d’humain au vivant, est essentiel à l’équilibre de nos sociétés. L’écoute active des besoins des uns et des autres est une des clés selon moi.

 

Et puis, la notion de droit doit absolument être complétée par un engagement citoyen. Nous avons notre part de responsabilité et pouvons faire la différence. Mais si nous voulons une agriculture propre, alors demandons-nous ce que NOUS sommes prêts à faire ?

 

Restons dans un mouvement positif et ne glissons pas vers une écologie punitive. Dirigeons-nous vers des liens humains authentiques et choisissons en pleine conscience, en nous tournant vers la production locale et en communiquant avec celles et ceux qui produisent notre nourriture.

 

Le bio déjà dépassé ?

Sans doute que les questions qui nous seront posées le 13 juin sont déjà dépassées… Se focaliser aujourd’hui exclusivement sur le biologique, c’est avoir 20 ans de retard sur la régénération des sols et de la biodiversité, et de nos liens avec le monde agricole. Supprimer tous produits de synthèse permettra effectivement de moins polluer, autant notre corps que la nature, mais pas de régénérer les écosystèmes. Et c’est bien de régénération dont nous avons besoin.

 

Le bio est présenté comme la solution miracle, celle qui conforte tout le monde. Mais si la volonté est d’impliquer le monde agricole dans la transition économique vers des modèles de régénération, alors autant le faire de manière visionnaire et de le faire maintenant: initier un mouvement collectif et solidaire, de la terre au consommateur, s’accorder des espaces de dialogue et de projets qui nous unissent et qui nous permettent à tous de contribuer à la régénération des sols, de la biodiversité et bien entendu de nos liens à la terre et à celles et ceux qui la cultivent au quotidien. Car c’est bien ensemble que nous pourrons y parvenir.

 

Les paysans sont les gardiens de nos terres et de nos écosystèmes. Ils sont les partenaires principaux de la régénération. Ils sont à la source de ce que nous mangeons et buvons. Il me semble qu’il est temps non de les « étiqueter » comme on mettrait un label sur une commodité mais d’intégrer leurs connaissances, voir leurs engagements, au cœur de nos transitions.

 

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