L’espérance de vie

L’espérance est un sentiment, un état d’esprit, psychologique, existentiel, philosophique ou religieux. Le Petit Robert m’assure que les espérances, au pluriel, s’agissant de l’attente d’un héritage, est une expression qui se réfère à un sens vieilli du mot – tant mieux, c’était horripilant. Par contre, il est beaucoup question ces temps de la notion statistique d’espérance de vie, qui désigne la durée moyenne de la vie humaine dans une société donnée.

Je ne suis pas sûre que, dans ce cas, le mot soit bien choisi. Il laisse supposer que vivre le plus longtemps possible est quelque chose qu’il va de soi d’espérer. Or, même si la plupart d’entre nous, heureusement, aiment la vie, nombreux sont celles et ceux qui subordonnent cet amour de la vie à la possibilité d’en jouir – pas nécessairement en faisant du surf en Californie, mais de l’une ou l’autre des dix mille manières où l’on peut rester en contact physique et psychique avec le monde. Pour les personnes, en augmentation régulière, qui s’inscrivent à des organismes comme Exit, ou qui envisagent de le faire, la vie est un bien relatif, pas un bien absolu. On espère qu’elle sera longue, mais à certaines conditions.

En réalité, la question est même beaucoup plus compliquée. La durée de l’espérance de vie est considérée comme un indice du développement économique et social d’une société. En ce sens, il est évident qu’il faut espérer la prolongation de cette espérance partout où elle est plus basse qu’ailleurs. Une société où les gens vivent en moyenne plus longtemps qu’avant est une société où les gens vivent en moyenne mieux qu’avant, sont mieux soignés, mieux nourris, mieux éduqués etc., et c’est cela qui importe. Mais, en soi, les variations de l’espérance de vie ne sont que d’infimes aménagements de notre condition humaine, où l’espérance de l’éternité (sur terre, en tout cas), n’est pas prévue.

L’ordonnance du spécialiste (y a pas que le Covid)

C’est l’histoire d’une dame qui consulte un spécialiste pour un problème de santé (somatique) à ne pas négliger mais somme toute assez banal. Elle a déjà fait tous les examens nécessaires, d’après lesquels il n’y a pas péril en la demeure, et la visite de l’organe dont le spécialiste est spécialiste confirme que la dame, à vues humaines, ne risque pas de voler prochainement au personnel soignant du temps et de l’énergie dont d’autres ont besoin, surtout en ce moment, si vous voyez ce que je veux dire. Pourtant, le monde est mal fait, le spécialiste n’est pas content.

Le spécialiste n’est pas content parce qu’il a vu dans le dossier que la consœur et le confrère qui ont déjà visité la dame lui ont bien prescrit deux médicaments, mais pas le curcuma*. En tant que spécialiste de l’organe dont il est spécialiste, le spécialiste ne jure que par le curcuma. A moins que…non, on ne va pas le soupçonner d’un tel cynisme…à moins qu’il ne soit dépité que le bon état de la patiente ne lui laisse, pour marquer quand même son territoire, que la ressource de lui prescrire une dose (minimale) de curcuma ? Tellement minimale (juste en prévention, précise-t-il) qu’on se demande si, à la place, il n’aurait pas pu aussi bien lui prescrire, mettons, de l’ail des ours.

Il griffonne son ordonnance et la tend à la patiente, en déclarant impérieusement : «Je vous mets sous curcuma !» La patiente, ça la ferait rire, tellement c’est une caricature, sauf qu’elle a repéré l’entrechat sémantique produit par l’inconscient de ce somaticien. Ce n’est pas mets sous qu’il a pensé, mais bien soumets. Je vous soumets à mon pouvoir de petit chef médical, au moyen d’une ordonnance de curcuma. Et ça, la patiente, elle n’a pas trouvé drôle du tout – si bien que l’ordonnance a fini au vieux papier.

Comme toutes les histoires, celle-ci a une moralité. Si les médecins du corps veulent être suivis par leurs malades, certains et certaines d’entre eux devraient être plus attentifs au genre de choses dont s’occupent les médecins de l’esprit.

 

* nom du médicament connu de la narratrice

Le féminisme, boîte à outils pour penser l’avenir

«Ah, le féminisme, c’est important !» me dit un monsieur qui, comme ça, à première vue, n’a pas l’air d’avoir fait grève le 14 juin 2019. Désormais presque tout le monde se déclare féministe, de peur de passer pour un vieux schnock ou une putzfrau attardée. Tant mieux. Mais je ne suis pas sûre (c’est un euphémisme) que le gros de la population, femmes et hommes confondus, employés de la voirie et universitaires, se rende compte que le féminisme ne se résume pas à ressasser le mantra, illusoirement consensuel, de l’égalité.

Le féminisme n’est pas une idéologie gravée dans le marbre, c’est le poisson-pilote qui anticipe les mutations, les contradictions et les difficultés toujours nouvelles de notre vivre ensemble. Ainsi, dire benoîtement qu’on est pour l’égalité des sexes, ça ne suffit plus dans un monde où la subdivision de l’humanité en deux sexes ne va plus de soi comme autrefois. De plus en plus en plus d’individus revendiquent le droit de n’être ni homme ni femme, et la possibilité de cocher «autre» apparaît désormais ici et là dans de nombreux formulaires, même officiels dans certains pays. La notion de gender fluid, qui a le vent en poupe, implique une véritable révolution anthropologique.

L’idée même de l’égalité a d’ailleurs toujours été conflictuelle, désignant soit la valorisation du «féminin» injustement infériorisé (l’humanité doit marcher sur ses deux pieds), soit au contraire la déconstruction radicale du «féminin» et du «masculin». Elle est encore plus ébranlée aujourd’hui par la remise en question de l’hégémonie du féminisme occidental blanc et hétérosexuel. Le féminisme postcolonial, le féminisme noir ou le féminisme lesbien mettent en lumière l’intersection des discriminations. L’égalité devient un idéal de plus en plus compliqué.

Le féminisme, en constante évolution et bouillonnant de débats, est une boîte à outils pour faire face aux changements du monde. Le développement et la diversification des techniques de reproduction, qui pourraient à terme modifier la définition même de la parentalité. Le réchauffement climatique, qui fait voler en éclats l’opposition séculaire entre le «progrès», censé être l’affaire des hommes, et l’entretien de la nature, censé être l’affaire des femmes. Etc.

Dans cette dernière chronique d’une année où le monde nous est apparu comme jamais incompréhensible et ingérable, il me semble important de le dire avec force : le féminisme ne renvoie pas seulement à une problématique enquiquinante qu’il faudrait se dépêcher de régler pour pouvoir s’occuper «du reste», c’est un immense gisement de réflexions complexes dans lequel il faut puiser pour tenter de penser l’avenir.

 

La Suisse, forte avec les faibles et faible avec les forts

Je n’ai pas signé la pétition contre la fermeture des restaurants à 19h., qu’on m’a envoyée par Whatsapp, bien que les soirées-restau en agréable compagnie soient l’un des plaisirs de la vie que j’apprécie le plus. La décision du Conseil Fédéral, dont on verra demain si elle est maintenue, est absurde, mais je trouve difficile de me donner à moi-même l’impression de me ficher comme de l’an quarante de la situation dramatique du personnel soignant. Et surtout, je n’ai pas envie de me tromper de colère.

Le Conseil Fédéral s’est aplati devant les cantons alémaniques et l’économie. C’est il y a plusieurs semaines qu’il aurait dû serrer la vis sur tout le territoire. Le scandale, ce n’est pas qu’on mette tout le monde dans le même sac aujourd’hui, pénalisant au passage les cantons romands. Le scandale, c’est qu’on n’ait pas mis tout le monde dans le même sac quand il était encore temps, qu’on se soit incliné lâchement devant l’égoïsme, le faux libéralisme et les puissances de l’argent.

L’injustice, ce n’est pas de punir maintenant les «bons élèves» – il faut peut-être en passer par là pour sauver toute la classe. L’injustice, c’est que ce pays assis sur son tas d’or n’ait désormais plus d’autre issue que de se montrer fort avec les faibles, pour s’être jusqu’ici montré faible avec les forts.

Le Kidsphone qui fait froid dans le dos

On a longtemps utilisé, pour soumettre les enfants aux normes établies par l’autorité parentale, des méthodes psychologiquement rudimentaires : péroraisons, engueulades, menaces (de privation d’argent de poche ou de sorties), portes claquées ou fermées à clé, peut-être pas du sang mais en tout cas de la sueur et des larmes. Je ne parle pas de l’horreur des «châtiments corporels», je parle de cette espèce de tribut biologique que beaucoup de parents étaient prêts à payer pour se faire obéir par leur progéniture, taper matériellement le poing sur la table à manger, aboyer des ordres à s’enrouer la voix, aller se coucher avec les boyaux tordus de rage.

Aujourd’hui, ces mœurs primitives n’ont pas complètement disparu, mais les parents qui le souhaitent, pour mater leur progéniture, peuvent recourir à une technologie sans contact, comme ils le font à la caisse du supermarché. Sunrise met sur le marché un smartphone pour enfants dont les parents peuvent prendre le contrôle intégral (Le Temps du 23 novembre). Une application permet non seulement de tout savoir sur qui appelle l’enfant et qui il/elle appelle, à quels jeux il/elle joue, quels sites elle/il consulte, mais d’intervenir en bloquant le smartphone d’un simple clic, au lieu de s’engager dans des négociations qui mettent le système nerveux à dure épreuve.

Plus fort encore, les ordres du parent s’affichent sur l’écran et mettent l’appareil hors d’usage s’ils ne sont pas exécutés : «va te brosser les dents», «va prendre ta douche», «va faire tes devoirs». Aucun besoin, pour le parent, de mouiller sa chemise en affrontant la proximité physique de l’enfant, aucun besoin de se mettre en danger en laissant transparaître ses propres faiblesses. L’injonction la plus paradoxale étant : «pause câlin».

L’éducation des enfants à l’autodétermination responsable a toujours été la plus difficile des tâches éducatives. Elle demande du temps, de l’intelligence, de l’endurance physique et psychique, la capacité de reconnaître ses erreurs sans renoncer à transmettre des valeurs. Les enfants des générations passées ont été souvent endommagés, et parfois massacrés, par l’ignorance psychologique et la sauvagerie pédagogique de celles et ceux qui les ont élevés. Mais la virtualisation absolutiste de l’éducation représentée par le Kidsphone de Sunrise fait froid dans le dos.

Votations: une idée si petite

Je viens de remplir mon bulletin de vote par correspondance. J’ai fait ça à toute vitesse, mes décisions étant prises depuis bien avant de recevoir l’enveloppe, et les lectrices et lecteurs fidèles de ce blog vont deviner sans peine où j’ai mis mes petites croix : deux fois OUI. Mais j’ai quand même lu consciencieusement la brochure d’information, et j’ai été frappée par une curiosité stylistique : la répétition de la même expression dans les recommandations négatives du Conseil Fédéral et du Parlement pour l’une et l’autre des deux initiatives (voir rubrique «en bref», p. 5 et p. 7).

Aux yeux de nos autorités, l’initiative sur les entreprises responsables va trop loin, quant à l’initiative sur l’interdiction du financement des producteurs de matériel de guerre, elle va clairement trop loin. Dans le deuxième cas, l’adjonction de l’adverbe clairement laisse transparaître, classiquement, l’inquiétude que le message ne soit pas si clair que ça. D’autant plus que la deuxième moitié de la phrase (L’initiative va clairement trop loin et ne permettra pas d’éviter les guerres) fait penser à la fameuse plaidoirie de défense d’un avocat peu porté sur la logique : mon client n’a pas tué la victime et d’ailleurs c’était de la légitime défense. Quoi qu’il en soit, l’idée est identique d’un texte à l’autre, et elle est si petite que c’est une non-idée.

La Suisse est un petit pays où ne pas aller trop loin est une seconde nature : une fraction de seconde de déconcentration quand on est aux manettes d’un FA-18, et on se retrouve à l’étranger sans s’en apercevoir. Il faut croire que cette contrainte territoriale a déteint sur la pensée politique. De crainte d’aller trop loin, les gens qui nous gouvernent s’autorisent rarement à tout simplement voir loin. Voir un monde futur dont la prospérité globale serait bâtie sur d’autres ressources que celles actuellement disponibles à court terme dans les pays économiquement dominants, utilisées depuis toujours et qui ont soi-disant fait leurs preuves : entre autres l’exploitation des populations pauvres, la destruction de l’environnement, la production d’engins faits pour tuer.

Le ventre des femmes

On apprend l’existence en Italie, dans des cimetières, d’une bonne cinquantaine de zones réservées aux fœtus de plus de vingt semaines issus d’une interruption volontaire de grossesse (par exemple, en cas de maladie grave), que la loi italienne oblige à enterrer. Ces fœtus font généralement l’objet, d’office, d’une cérémonie funèbre catholique et le nom de la femme qui a avorté est inscrit (à son insu !) sur la croix.

En Pologne, une modification restrictive de la loi rend désormais les avortements presque impossibles. La colère des femmes s’exprime dans la rue, mais avec quelles chances d’obtenir un retour à la loi précédente, un peu plus libérale, dans un pays où la tradition catholique pèse de tout son poids sur la société civile ?

Aux Etats-Unis, la nouvelle juge à la Cour Suprême nommée par Donald Trump, Amy Coney Barrett, catholique de droite, refuse de se prononcer explicitement en faveur du maintien du droit à l’avortement. Apparemment, il n’est plus question, pour le Dieu en lequel elle croit, de visser les femmes devant leurs fourneaux (elle-même a sept enfants et cela ne l’a pas empêchée de mener sa carrière de juriste), mais leur reconnaître la liberté de disposer de leur propre corps – ça, non !

L’actualité de ces dernières semaines nous rappelle avec insistance, si nous voulons bien y prêter attention malgré tous les autres graves problèmes de l’heure, la mainmise universelle des sociétés patriarcales (et presque toutes l’ont été et le sont) sur le ventre des femmes – mainmise historiquement intériorisée par les femmes elles-mêmes, ce qui a contribué à sa pérennité. Il se trouve que ces exemples récents mettent en lumière l’acharnement de l’Eglise catholique en la matière, mais le déni de l’autodétermination reproductive vient de beaucoup plus loin.

Le mode de reproduction sexué mis en place par l’évolution, avec des fonctions biologiques différentes pour les femelles et les mâles mammifères, a été arbitrairement interprété, déjà bien avant l’émergence des religions monothéistes, comme un projet social de «la nature», légitimant l’organisation d’un système où une moitié de l’humanité opprime l’autre moitié. Autorité absolue des hommes sur leur progéniture, assignation des femmes aux tâches d’«élevage», création de superstructures symboliques impliquant la sacralisation de la vie dès la conception ou, au contraire, le droit de vie et de mort des détenteurs masculins du pouvoir sur les petits de l’espèce… Tant que ces détournements sociaux et culturels originels de la différence biologique ne seront pas radicalement démantelés, se battre pour l’égalité des sexes reviendra à pisser dans un violon.

 

Heidi a de l’avenir

Je n’ai jamais lu le roman de Johanna Spyri. Ayant grandi en Italie, j’ai eu droit à une resucée italienne de l’histoire, transposée dans le Val d’Aoste, mais j’étais alors une petite citadine qui savait à peine distinguer une vache d’un mouton et tout ce lyrisme rustique m’a laissée assez froide. Plus tard, j’ai croisé sur mon chemin, à différentes occasions, le dessin animé japonais et la chansonnette yodelisante, qui ne m’ont pas donné davantage envie d’approfondir le sujet. C’est dire que je ne m’attendais pas à boire du petit-lait (de chèvre) en emmenant, il y a quelques jours, une de mes petites-filles à Maienfeld, dans les Grisons, visiter «le village de Heidi».

Agréable surprise, l’accent est mis sur une reconstitution soignée et pas trop idéalisée de la vie en milieu alpestre vers la fin du XIXe siècle, avec juste ce qu’il faut de présence des personnages humains et animaux du livre pour accrocher l’imagination des enfants. Juste ce qu’il faut de technique, aussi, pour créer une atmosphère, par exemple la simulation d’un orage dans la montagne. Bonne destination pour une virée en famille, en ces temps de repli forcé à l’intérieur de nos frontières.

Le soir à l’hôtel nous avons regardé sur l’ordinateur le film (helvético-allemand) d’Alain Gsponer, sorti à fin 2015. C’est, sauf erreur de ma part, le dernier en date inspiré de l’oeuvre de Johanna Spyri, et il est remarquable, pas seulement du fait de l’excellente prestation des deux acteurs principaux, Anuk Steffen (Heidi) et Bruno Ganz (le grand-père).

Le scénario de Petra Volpe (future réalisatrice de L’Ordre divin), délesté de toute rhétorique patriotique et religieuse, fait ressortir avec finesse l’originalité d’une histoire pour enfants dont la protagoniste est une fillette douée, ce qui était rare à l’époque de la sortie du livre (1880) et l’est resté bien longtemps après. Il met aussi en évidence le personnage de la grand-mère de Klara (l’amie allemande de Heidi), une femme sensible et intelligente, la seule qui comprend le heimweh de Heidi exilée à Francfort et l’encourage à suivre sa voie sans se plier aux conventions. Quant à l’amour de Heidi pour la montagne, il est présenté comme une passion forte et pas comme un cliché helvétique trop sucré.

J’ignore dans quelle mesure le traitement fait dans le film de ces deux thèmes – la valorisation des filles et des femmes et la puissance salvatrice d’un environnement sain – s’écarte des intentions de l’autrice du livre, mais peu importe. Il faut croire que le texte écrit par Johanna Spyri il y a 140 ans contenait le potentiel de réinterprétation qui caractérise les grandes œuvres. Aujourd’hui, on défile dans la rue pour revendiquer l’égalité des sexes et pour redonner à la nature, par-delà la vision romantique du passé, son statut de milieu vital. Heidi a de l’avenir.

T-shirt XXL: le vrai problème

Je suis d’accord, l’obligation faite aux écolières (puisque ce sont bien les filles les principales concernées) de cacher d’éventuels vêtements jugés inadéquats sous un T-shirt couvrant est une forme de stigmatisation sexiste. Je ne comprends pas comment une idée pareille a pu germer dans une société qui par ailleurs s’indigne volontiers de l’imposition du voile aux femmes musulmanes, justifié par le trouble que le corps féminin est censé susciter chez les hommes !

Cela étant dit, ne soyons pas naïves. Le port du short au ras des fesses ou du pull qui découvre le nombril est certes, dans l’esprit des filles qui l’adoptent, une affirmation de leur droit à l’autodétermination face à la société des adultes. Ce besoin de construction de soi, si important à l’adolescence, doit être reconnu et traité en tant que tel, pas stupidement brimé par des mesures punitives. Mais de tels choix vestimentaires sont aussi motivés par le désir de se conformer aux diktats d’une mode hypersexualisée qui fait le beurre de l’industrie de l’habillement et des influenceuses des réseaux sociaux. Ce qui devrait nous inciter à un peu plus de retenue dans l’usage de la notion de liberté comme argument pour s’opposer à ce malheureux T-shirt XXL.

Il faut le dire clairement, ce qui importe, dans cette histoire, ce n’est pas l’interprétation que les garçons peuvent faire d’un décolleté plongeant. S’ils croient y voir une invite sexuelle, tant pis pour eux, il faut les rééduquer, y compris, à mon avis, dans le milieu scolaire. Ce qui importe, c’est le rôle joué par un système commercial qui exploite, lui, sans états d’âme, les stéréotypes sexués, comme il exploite, par exemple, le stéréotype trash des jeans troués.

Il est impératif que les filles restent libres d’adhérer à ces stéréotypes, c’est le seul moyen d’apprendre plus tard à «jouer avec», selon leur personnalité. Mais il faudrait quand même ne pas idéaliser cette liberté, conditionnée qu’elle est par des intérêts économiques qui n’en ont rien à faire de l’autodétermination des un.e.s et des autres.

Chappatte est bon aussi en orthographe

Le dessin de Chappatte paru en une du Temps le mercredi 16 septembre est hilarant. C’est Blocher qui brandit une des affiches de la campagne en faveur de l’initiative dite de limitation, celle qui dit qu’en Suisse «on est trop serrés», sur la grande terrasse déserte de sa villa donnant sur le lac de Zurich désert, au bord de sa piscine déserte.

Je l’attendais, ce dessin, depuis il y a une quinzaine de jours, quand j’avais vu cette même affiche collée à un tronc d’arbre au bord d’une route de campagne déserte dans l’arrière-pays vaudois, entre deux villages dont la population semblait atteindre péniblement les quatre personnes. Sauf que Chappatte s’est trop fié à son sens de l’orthographe et n’a pas reproduit l’affiche à l’identique.

Sur l’affiche originale, il est écrit «On est trop serré», sans s, et, croyez-le ou pas, bien avant la parution du dessin de Chappatte j’avais été suffisamment intriguée par ce qui me paraissait une anomalie orthographique pour me lancer dans une recherche sur les règles de l’accord du pronom on. D’après l’Académie française, si le on désigne des personnes indéterminées, on n’accorde pas (exemple :« On n’est pas sûr d’y arriver»). Par contre, si les personnes en question sont identifiables, il faut accorder (exemple : «On est arrivés très tôt», où le on est l’équivalent de nous).

Remarquez que je suis loin de prendre pour paroles d’Evangile les règles de l’Académie française, qui continue à confondre le masculin et le neutre et qui, probablement, imagine sans s’émouvoir que les personnes arrivées très tôt, dans son exemple, pourraient être 99 femmes et un chien. Mais tout de même, il y a là-dedans du grain à moudre. Si le on de l’UDC désigne, allez, les Suisses et les Suissesses, l’absence du s est quand même une faute d’orthographe, que Chappatte a rectifiée probablement sans s’en rendre compte.

Curieuse coïncidence, je tombe ces jours sur la même problématique orthographique dans une publication émanant du bord opposé du spectre politique, le texte du mouvement Grève du climat paru dans le livre collectif «Tumulte postcorona. Les crises, en sortir et bifurquer» (éd. d’en bas). Le titre de ce texte reprend un des slogans- phares du mouvement,sous une forme politiquement correcte:«On est plus chaud, plus chauds, plus chaudes que le climat». Grammaticalement, on coupe la poire en deux, et comme titre percutant, on a vu mieux.

Morale de l’histoire : en politique, il vaudrait mieux éviter le on  en cas d’incertitude sur qui est le nous que le on prétend remplacer.