Marre de l’«effet femme»

Je ne suis pas Neuchâteloise, ni politicienne d’aucun parti, c’est dire que je n’ai observé que d’assez loin les élections de ce dimanche au Conseil d’Etat du Canton de Neuchâtel. De suffisamment près, tout de même, pour souhaiter que les électrices et électeurs qui ont voté pour Crystel Graf l’aient choisie parce qu’elle représente vraiment leurs convictions, et pas parce qu’elle possède deux chromosomes X.

Il fut un temps où la présence des femmes sur la scène politique était si récente et si fragile que toute nouvelle élue, de n’importe quel bord, pouvait passer pour incarner une avancée du féminisme. Mais ce temps est révolu et désormais il faudrait se mettre dans la tête que l’augmentation du nombre d’élues n’est pas un objectif féministe en soi. C’est prendre les électrices et les électeurs pour des imbéciles que de tenter de le leur faire croire, afin d’instrumentaliser au service d’intérêts partisans ce fameux «effet femme» qui pourrait avoir joué un rôle à Neuchâtel (encore une fois, j’espère le moins possible).

Les Neuchâtelois.e.s ont élu une femme qui, entre les deux tours, a déclaré publiquement ne pas être féministe. La droite a gagné l’élection et il est normal qu’elle s’en réjouisse. En revanche, les féministes (femmes et hommes) n’ont strictement rien à fêter. Le féminisme est un programme politique, et être biologiquement femme n’en est pas un.

A l’époque du combat suffragiste, des personnalités de tous bords se sont unies pour supprimer une discrimination basique intolérable frappant la totalité d’un groupe social. Aujourd’hui, une telle union sacrée n’est plus possible sur quasiment rien, parce que d’un bout à l’autre du spectre politique et selon la place que l’on occupe dans la société les opinions divergent : sur la nature et même sur l’existence des discriminations, sur les moyens et même sur la nécessité de les combattre. Tant mieux pour la reconnaissance de la diversité des femmes et tant pis pour celles et ceux qui en sont encore à vouloir faire du chiffre au détriment des idées.

Silvia Ricci Lempen

Silvia Ricci Lempen est écrivaine. Son champ d’investigation préféré est celui des rapports entre les femmes et les hommes: un domaine où se manifeste l’importance croissante de la dimension culturelle dans la compréhension des fonctionnements et dysfonctionnements de notre société.

5 réponses à “Marre de l’«effet femme»

  1. Ca alors, maintenant les féministes pures et dures ne se réjouissent même pas que les femmes aient désormais accès au pouvoir comme les hommes. Non, peu leur importe la parité. Il ne s’agit pas d’égalité, il s’agit d’idéologie. Seule une femme idéologiquement féministe pure et dure mérite d’accèder au pouvoir. Une femme non féministe n’apporte rien à ses soeurs. Pire encore, elle est même dangereuse car elle doit être suspectée d’être secrètement complice du pouvoir masculin.

    On tombe des nues.

    Désolé chère madame Ricci Lempen, je pense que votre propos est absurde et ne sera ni compris ni partagé par les femmes ordinaires. L’accession d’une femme, même non féministe, à de hautes responsabilités est, que vous le vouliez ou non, une victoire du combat que vous avez mené pendant toute votre vie. Car cela signifie que le principe de l’égalité homme-femme s’est imposé.

    A mon avis, vous ne serez pas suivie dans votre jusqu’auboutisme idéologique par l’écrasante majorité des femmes actuelles, lesquelles désirent être émancipées, certes, et les égales des hommes, mais sauf une infime minorité dont vous faites visiblement partie, ne se sentiront jamais viscéralement adeptes d’une idéologie féministe en tant que telle allant au delà de la revendication d’égalité.

    Si le féminisme est comme vous le dites un programme politique d’ensemble, qui ne se résume pas à la revendication de l’égalité homme femme, pourriez-vous s’il vous plaît m’expliquer un peu plus précisément en quoi consiste ce programme politique ? Sincèrement je serais curieux de le savoir.

  2. La méthode de ces féministe de gauche est bien connue :
    – demander à toutes les femmes citoyennes de voter pour elles au nom du féminisme ;
    – dire que les femmes de droite candidates pour une élection ne sont pas des féministes.

  3. A Neuchâtel la gauche s’est fait piégée par sa propre idéologie.
    Féminisme, bien sûr, mais aussi jeunisme.
    Les attaques des jeunesses de gauches fusent contre les “vieux”, dit les boomers. Les partis se sont mis aussi à la discrimination des “vieux”.

    Il n’est que justice qu’une gauche qui a fait de la discrimination son idéologie se soit fait piégée.

    Si le candidat avait été une femme de même âge ou un homme plus jeune, il aurait eu plus de voix.

    Il y a aussi un nouveau phénomène, l’arrogance des Verts qui devient insupportable, même et surtout à gauche.
    La gauche discriminante creuse sa tombe.

  4. Sans aucune intention malveillante envers l’autrice de ce blog (ces derniers temps j’ai apprécié certains de ses articles), je voudrais lui dire qu’à mon avis le thème féministe a un peu atteint ses limites.

    Le vrai objectif, qui est l’égalité de fait, ayant été largement atteint – contrairement aux pleunicheries excessives sur le “gender gap” etc. – les femmes ne se sentent plus tellement concernées par la cause féministe. Elles aimeraient jouir tranquillement de leur situation émancipée, et considèrent au fond cette Crystel Graf comme une féministe à sa manière, c’est à dire une femme qui fait progresser la situation des femmes dans son ensemble et qui ancre l’égalité dans le quotidien. Elles pensent de même d’une Céline Amaudruz et même d’une Marine Le Pen. Quand Marine Le Pen se présentera aux élections, elle bénéficiera massivement de “l’effet femme”, c’est certain, du moins parmi les femmes du peuple non intellectuelles. Bien sûr, si une femme est de gauche, elle sera opposée à ces femmes de droite, non pas en tant que féministe, mais en tant que femme de gauche.

    Il me semble que le noyau dur du féminisme essaie en ce moment de faire le forcing, car il craint la démobilisation par suite de la victoire, ou de ce qui est majoritairement perçu comme une victoire, des idées féministes. La grève des femmes en 2019 était un gros effort d’organisation, réussi, pour tenter de perpétuer une intimidation féministe dans la société, et créer l’illusion que ce mouvement a encore une vraie force motrice. J’ai l’impression que c’était plutôt un champ du cygne en réalité.

    Mais j’espère sincèrement que madame Ricci-Lempen acceptera ma suggestion et voudra bien nous exposer le programme politique du vrai féminisme, tel qu’elle le comprend. J’avoue mon ignorance en la matière et vraiment j’aimerais bien m’instruire. Je comprends bien que pour Mme Ricci-Lempen, il y a un programme et ce programme est très important à ses yeux. Mais je crains que ce programme n’intéresse en réalité que les “vraies” féministes pures et dures comme elle. Et ces dernières sont, je le crains, une minorité au sein de la population générale, mais aussi au sein des milieux qui se considèrent eux-mêmes comme féministes.

    1. Un peu en vitesse, et sans aucune illusion d’être entendue, quelques points d’un programme politique féministe tel que je l’entends.
      Egalité des conjoint.e.s face à la parentalité. Congé parental paritaire en plus du congé maternité. Obligation pour les entreprises de prendre des mesures favorisant la conciliation travail/ famille pour les deux sexes. Contrôle étatique avec sanctions sur le respect du principe à travail égal salaire égal. Refus de l’augmentation de l’âge de la retraite des femmes tant que les mesures garantissant la possibilité effective de partager le travail domestique et éducatif n’ont pas été prises.Et aussi tant que l’égalité des salaires n’est pas devenue effective. Repensement complet des conditions dans lesquelles est effectué le travail de care (soin), qui est aujourd’hui accompli gratuitement au bénéfice des la société principalement par les femmes. Je ne mentionne que les points du programme ayant une incidence économique, parce que ce sont ces points qui divisent les femmes de gauche et les femmes de droite. A part ça, de nombreuses femmes de droite adhèrent à des objectifs féministes d’ordre sociétal (par ex. la lutte contre la violence faite aux femmes), mais ce sont les enjeux économiques qui bloquent. Crystel Graf a l’honnêtété de dire qu’elle n’est pas féministe parce que sur ces enjeux là elle a des positions de droite. CQFD. Je ne vais pas poursuivre le débat plus loin parce que nos points de vue sont trop différents. Bonne soirée. Silvia Ricci Lempen

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