Y penser

Alors comme ça, ça vous est égal que Khaled, un homme gay égyptien, ait dû fuir son pays dans des conditions traumatisantes pour sauver sa peau ? Et Shazima, l’enfant afghane qui a perdu ses deux mains en manipulant une grenade abandonnée par terre ? Et les activistes turcs des droits humains condamnés pour soi-disant terrorisme à l’issue d’un procès monté de toutes pièces ? Et les fillettes violées au Mexique, qu’une loi inique prive du droit d’avorter ? Vous vous en fichez, vous les abandonnez à leur sort ?

Non, vous êtes comme moi, vous frissonnez en voyant atterrir de nombreuses fois par jour parmi vos courriels des messages déchirants qui en appellent à votre générosité financière, ou au moins à la forme minimale d’engagement que constitue une signature, en faveur de toutes les victimes d’injustices et d’atrocités de la planète. Vous soupirez d’accablement en soulevant la pile des quatre ou cinq courriers humanitaires que la factrice glisse quotidiennement dans votre boîte à lettres, entre lesquels se noient les occasionnelles cartes postales de Bretagne, et même, c’est dire, les factures.

Alors vous lisez et de temps en temps vous donnez suite – mais la majorité de ces sollicitations, fatalement, prennent le chemin de la corbeille virtuelle, ou de celle dédiée au papier à jeter. Vous retirez de l’enveloppe les éventuelles babioles (sparadraps, autocollants, mini-crayons…) et vous les jetez séparément dans le sac poubelle payant, car ça vous ferait mal au ventre de les utiliser gratis. C’est un petit soulagement, au moins vous êtes honnête. Mais le sentiment d’impuissance et le malaise persistent.

Non, vous ne vous en fichez pas de Khaled et des autres, seulement, des fois, vous en avez ras-le-bol d’être envahi-e par la misère du monde, et ça en rajoute à la mauvaise conscience de ne pas en faire assez, ou même de ne pas assez y penser. Il faudrait dire, en fait : surtout de ne pas assez y penser. Parce que signer par internet une lettre à un chef d’Etat, ou remplir un bulletin de versement (avec un montant compatible avec votre budget), aussi paradoxal que cela puisse paraître, ça aide à se débarrasser du souci pour l’humanité. En ce sens, il faut endurer le sentiment d’impuissance et le malaise, qui au moins nous obligent à y penser.

Silvia Ricci Lempen

Silvia Ricci Lempen est écrivaine. Son champ d’investigation préféré est celui des rapports entre les femmes et les hommes: un domaine où se manifeste l’importance croissante de la dimension culturelle dans la compréhension des fonctionnements et dysfonctionnements de notre société.

6 réponses à “Y penser

  1. Il ne me souvient pas d’avoir jamais éprouvé un sentiment de soulagement lorsque je verse mon obole, en fric ou en activité, dédiée à l’éradication ou du moins à l’affaiblissement des maux du monde. En fait, je vis ce qui pourrait s’apparenter à un paradoxe : plus je tente de collaborer à cette éradication, plus je m’abîme littéralement dans le désespoir issu de l’état de la planète et de sa substance vivante.
    Aussi bien, le 3 novembre prochain ou pendant la période qui s’ensuivra, l’enfer, le vrai, celui qu’on a toujours souhaité ne pas subir, nous tombera dessus et aura d’inimaginables conséquences sur notre moral…au cas où un certain personnage à crinière plaquée blonde conserve les manettes du pouvoir. Les maux seront accrus par un multiple de tera et il ne restera que notre désespoir pour nous animer. Et personne ne pourra inscrire RIP sur nos tombes.

  2. On peut se dire que oui, le cas est bien malheureux, triste, désespéré et désespérant. Mais non. C’est poubelle ou junk mail immédiatement. Je refuse de me laisser manipuler par des organismes dont le malheur des uns et des autres est la source majeure de revenus. Je connais trop bien les banques d’images spécialistes en “cas désespérés” qui feront pleurer dans les chaumières ou les “entrepries humanitaires” vont se fournir.

    Il y a suffisamment des gens autour de moi et que je connais “in vivo” qui auraient besoin d’aide, d’un petit (ou d’un gros) coup de pouce, financier ou pas. Et même dans ces cas, mes moyens ne me permettent pas d’intervenir suffisamment ou à tous les coups: il reste la présence, l’assistance morale, and so on. Ca m’interpelle bien davantage. Largement.

    Donc non, jamais (ou presque) et sans remords ni regrets.

    Quant aux Américains cités par Carole, autant Trump est un être détestable, autant la partie adverse ne me satisfait pas non plus. La molesse trainarde de Bidden d’une part, et la vindicative Kamela ne me branchent pas le moins du monde. On en est au stade de se dire “Ce sera peut-être moins pire” au mieux. Mais bon, c’est le problème des Ricains: ils vont élire ce qui leur ressemble le plus. Et dans tous les cas de figure, c’est inquiétant.

    PDO

  3. Une loi inique prive les fillettes violées au Mexique du droit d’avorter. Cette loi fait partie du droit mexicain, de ce fait elle fait partie d’un droit humain, les Mexicains qui l’ont décidée sont des êtres humains.
    Tout le monde peut vouloir changer une langue. Vous décidez de changer le français. Vous pouvez, mais ne vous plaignez pas si vous êtes mal comprise. En français, un droit humain est le fait d’êtres humains, un droit humain n’est pas forcément un droit de l’homme.
    Essayez avec le mot enfant: un droit de l’enfant n’est pas enfantin.
    Ecrivez donc s’il vous plaît “les activistes turcs des droits de l’homme” pour être comprise. Vous pouvez écrire Homme, avec une majuscule.

    1. Est-ce nécessaire de faire la leçon à ce propos? Vous-même savez très bien pourquoi la convention en matière de nomenclature est passée de “droits de l’homme” à “droits humains”. Je ne vous ferai donc pas l’injure d’une leçon à ce sujet, surtout pas avec un ton si doctoral.

      1. Oui, bien sûr que c’est nécessaire.
        En outre, le mot “humain” comprend la racine “homme”, ce qui a pour conséquence que le passage de “de l’homme” à “humain” ne change rien. Pour répondre à votre préoccupation, je vous propose “de l’anthrope”.

  4. C’est moi, ou ça n’a rien à voir avec le sujet en cours qui semble être”comment réagissez vous aux solicitations “humanitaires”? je suis peut-être un peu lent, mais je ne vois pas le rapport.
    Quant aux conventions qui précisents “droit de l’homme” ou “droit humain”, on s’en tape un peu, de ces chicaneries langagières. Et par principe, l’utilisation du terme “convention” implique qu’on puisse ne pas y adhérer et en faire partie et continuer à dire “droits de l’homme” si on le souhaite. Personne n’ira en prison pour ça.
    Bon, on risque de se faire incendier par les tenant/es d'”osez le féminisme” et tutti quanti, mais ça, c’est plutôt réjouissant et flatteur.

    PDO.

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