Un conte de Pâques

Cette histoire ne m’appartient pas, elle m’a été offerte en cadeau par une lectrice assidue de ce blog. Elle s’appelle Carole et, si l’histoire vous plaît et vous intrigue, vous pouvez, comme moi, la remercier.

Il faut d’abord que je vous dise en quel lieu l’histoire s’est déroulée, dans un temps lointain où l’humanité n’avait pas encore été sommée de choisir entre l’imaginaire et le réel. Les deux peuvent coexister sans se nuire l’un à l’autre, surtout sur l’île allemande de Sylt, entourée par la Mer du Nord, où, écrit Carole, la lumière tardive, au début d’une nuit de juillet, s’étire en douces bandes d’argent à travers le ciel, habillant les arbres comme autant de fantômes naissants. C’est une histoire merveilleuse, c’est-à-dire, à la fois tenant du prodige et belle parce qu’elle est vraie.

C’est une histoire de lapins, adéquate pour un conte de Pâques, genre injustement négligé au profit des contes de Noël ; mais elle commence par un duo de rossignols, dans la clairière enchantée d’une sapinière entourée d’arbres couverts d’une gaze d’argent. Et déjà là, vous voyez bien qu’il serait totalement oiseux de chercher à savoir si la protagoniste, assise sur un tronc à écouter le récital, était dans un songe ou dans la réalité. Elle était dans les deux, en tout cas je suis sûre qu’elle a vu ce qu’elle a vu et ne l’a pas rêvé ; mais n’est-il pas prouvé qu’on voit la face cachée du monde quand on écoute de la musique après le crépuscule, à l’heure où le fond sonore des humains se voile, surtout s’il s’agit du chant des rossignols ?

 

En face de moi, un mouvement inattendu me ramène sur le sol de Sylt, dans mon bosquet. Un lapin de garenne – Sylt en grouille – s’assoit dos contre un sapin, de l’autre côté de la clairière. La lumière nordique, si mystérieusement claire dans la nuit qui commence, me permet d’en voir chaque détail. Je l’observe en pensant que, comme moi, il s’enivre du concert en cours.

Mais arrive alors un deuxième lapin, beaucoup plus jeune que le premier, à en juger par sa taille et son comportement plus vif. Il s’assoit à côté du grand lapin. Arrivent ensuite, un à un, une dizaine de jeunes lapins qui s’installent de même façon jusqu’à former un demi-cercle devant l’aîné.

Tout le monde est apparemment là. Le lapin adulte frappe le sol d’une patte arrière. Les jeunes l’imitent. On passe ensuite à l’autre patte arrière, les lapins ados continuant à refaire les mouvements de celui qui pourrait bien être leur papa ou leur grand-papa. C’est ensuite le tour des pattes avant, frappées l’une contre l’autre, puis d’un bond sur place, puis d’exercices d’oreilles et ainsi de suite, jusqu’à revue complète des gestes possibles en position assise.

La scène dure peut-être dix minutes, bien que, stupéfaite, je perde la notion précise du temps écoulé. A la fin, les acteurs s’en retournent l’un après l’autre dans l’épaisseur du bosquet, l’adulte fermant la marche. Et je crois comprendre soudain que je viens d’assister aux travaux pratiques d’une classe d’école, avec maître et élèves.

Les rossignols se sont tus. Les lapins ont disparu. Tout est silencieux. Je quitte le bois. La nuit est complètement tombée.

 

Avec la permission de Carole, je dédie cette histoire à mes petits-enfants, qui en ce moment ont la nostalgie des salles de classe, et à toutes celles et tous ceux qui ont le don, même adultes, de ne pas prendre les lanternes pour des vessies.

Silvia Ricci Lempen

Silvia Ricci Lempen est écrivaine. Son champ d’investigation préféré est celui des rapports entre les femmes et les hommes: un domaine où se manifeste l’importance croissante de la dimension culturelle dans la compréhension des fonctionnements et dysfonctionnements de notre société.

2 réponses à “Un conte de Pâques

  1. Merci Silvia pour la publication et merci Carole pour l’histoire, à laquelle je crois tout à fait, car jadis, marcheur en forêt, des Pyrénées notamment, j’ai vécu une aventure avec un âne! C’était un matin d’hiver et je l’ai croisé au détour d’un chemin; j’ai du lui paraître sympathique, car il décida de jouer avec moi! Il disparaissait, puis comme s’il prévoyait par où je passerais – ce qui était surprenant, car j’allais à travers bois et bosquet, sans suivre chemin ou sentier, droit devant moi sans intention de revenir sur mes pas (comme d’habitude à lors, y compris pour revenir au gîte), sauf cas de force majeur, tels falaise ou prairie complètement gelée)! Et “mon” âne apparaissait, me saluait, et repartait – à chaque fois, je pensais ne plus le revoir, mais comblé par cette rencontre imprévue, car au moins pour lui, comme pour d’autres animaux (cygnes, canards en bord de Seine, sanglier dans l’Est) je n’étais une bête féroce que l’on fuit, comme les humains, hommes ou femmes, me donnaient l’impression d’être! Ce jeu dura toute la matinée; à la fin, il finit par m’inquiéter: que diraient mes hôtes si je revenais avec un tel compagnon ? et avant cela, si je traversais le village suivi d’un âne ? À la lisière de la forêt, une grande route assez fréquentées (autos et camions); et toujours l’âne derrière moi, à quelques pas; Alors je me suis arrêté peu avant la nationale, et je lui ai parlé, lui expliquant combien c’était dangereux de continuer à me suivre, qu’il ne recevrait bon accueil de mes hôtes (gens de la ville qui avaient loué – un peu de campagne, d’accord, mais pas trop, pas ça! et que t’es-tu encore passé par la tête ? le plus âne des deux n’est pas celui qu’on pense… et autres vexations servies sur un plat réchauffé, pour ternir mon excellentissime matinée). T’emmener ou te monter pour rentrer à Paris était impossible, car on ne peut garder ou circuler avec un âne dans la capitale, et l’époque où ce fut possible était depuis longtemps révolue; et quand à vivre désormais avec toi ou seulement passer la journée, voire la nuit prochaine, c’était exclu car je devais impérativement respecter normes et horaires fixés par mes hôtes! Je lui fit part de tout mon ennui d’être avec les humains, surtout quand de prime abord sympathiques, ils deviennent exécrables ou jaloux envers celle ou celui qu’ils ne comprennent pas; eux étaient venus faire du ski, pas se balader (“en si dangereuse période”; tu nous occasionnes des soucis au lieu de sagement nous suivre et apprendre à faire au moins une fois comme tout le monde, etc – moi j’étais venu pour communier seul avec la nature, le plus souvent possible, et l’on m’avait promis toute liberté….) Sans doute connais-tu aussi l’ennui d’être avec tes semblables, dis-je aussi à l’âne, mais choisir les humains, c’est rarement le bon choix; je te remercie beaucoup de m’apprécier, je ne t’oublierai jamais (et c’est vrai, ce que je raconte là date d’au moins trente ans, et quand j’y repense, je suis toujours ému, avec l’impression d’y être encore!), mais à présent, je t’en supplie, ne me suis pas, car tu risques trop! Et l’âne, comme s’il m’avait compris, piétina un instant sur lui-même comme pour regretter la séparation impérieuse et finit par rebrousser chemin, sans se retourner ni jamais réapparaître (je m’en suis assuré par divers détours); ce jour là, je rentrai très en retard et fut accablé de reproches dont j’étais bien indifférents: j’avais la conscience tranquille, et l’âme remplit de bonheur du souvenir de “mon” âne! – C’est ma plus belle histoire vécue avec les animaux, parmi d’autres insolites! Merci encore pour l’histoire des lapins qui fit me souvenir d’un des plus réjouissant et fortifiants moments de ma vie!

    1. Bonjour Mich,

      Avec Silvia, vous êtes bien les premiers à croire à mon histoire, ce dont je vous remercie tous deux. Quant à votre âne, j’y crois bien plus que vous pourriez le penser car je sais qu’on peut communiquer avec les animaux – que je ne nomme en principe pas “animaux” mais “peuple de la nuit” ou “peuple du jour”. Ces peuples sont parties constitutives de la nature et la nature interprète une musique incroyablement belle. Encore faut-il pouvoir l’entendre. Je pense que, tous deux, nous avons l’oreille nature.
      Bonne continuation

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