On a le Noël qu’on peut

Il y a quelques semaines, j’avais mis de côté un encart publicitaire sur le thème de Noël, quatre grandes pages émanant d’une grande entreprise de décoration. C’était rose, argenté, sirupeux, ouaté, dégoulinant. Comme en plus, par malheur, je n’aime pas les macarons, je m’étais dit que j’allais en faire mon point de départ pour une chronique bien sentie sur la guimauve de Noël. Eh bien, c’est raté. J’ai fini par le jeter, en sortant du concert d’un chœur d’enfants où j’ai chanté, moi aussi, de tout mon cœur et à pleins poumons, Les anges dans nos campagnes.

C’est ennuyeux que dans notre culture les bons sentiments soient associés aux confiseries, ainsi qu’à des légendes tout aussi sucrées de petit roi de l’amour (garçon) né dans la paille, fruit des entrailles d’une maman mère de Dieu – mais les bons sentiments, après tout, valent mieux que les mauvais. Sur un autre registre, pas incompatible (car l’âme humaine est une auberge espagnole), c’est ennuyeux que la coutume des cadeaux, censée prouver à ses proches qu’on leur veut du bien, soit devenue la honteuse foire consumériste que l’on sait – mais qui peut se permettre d’affirmer que sous le rite social ne persiste pas, dévoyée et maladroite, une certaine forme d’expression de l’amour ?

On a le Noël qu’on peut, avec ses remugles mélangés de bâtons de cannelle et de fric gaspillé, sa sainte famille périmée et toutes les autres, que les saintes de service essaient de recomposer. La boîte aux lettres déborde de demandes de dons assorties de cartes que plus personne n’envoie. Nostalgiques, pressés, des étoiles plein les yeux et des quadratures du cercle plein le dos, au mois de décembre les humains occidentaux privilégiés se débattent dans un fritto misto d’émotions contradictoires.

J’en connais qui militent pour la suppression de Noël, cette mythologie saisonnière de l’amour du prochain, or, myrrhe, encens et champagne en action. Personnellement, je ne suis pas d’accord. Cette vieille histoire fait partie de moi, avec ses fables enfantines, le Messie de Händel, le panettone, la symbolique du solstice – et aussi avec ses distorsions contemporaines, qui ne font d’ailleurs que prolonger les précédentes. On a le Noël qu’on peut, avec sa magie frelatée, mais je préfère ce Noël-là à rien du tout.

 

 

 

 

 

 

 

Silvia Ricci Lempen

Silvia Ricci Lempen est écrivaine. Son champ d’investigation préféré est celui des rapports entre les femmes et les hommes: un domaine où se manifeste l’importance croissante de la dimension culturelle dans la compréhension des fonctionnements et dysfonctionnements de notre société.

8 réponses à “On a le Noël qu’on peut

  1. De moins en moins de personnes sont baptisées en Suisse année après année, mais l’attachement à cette magnifique fête ne faiblit pas. Je pense que nous sommes attachées à ces quelques heures d’innocence le 24, en famille ou devant la télé, et peut-être encore un peu le 25.

  2. « On a le Noël qu’on peut, avec sa magie frelatée, et c’est mieux que rien du tout »

    Vous avez chanté de tout votre cœur ce qui vous rappelle certainement votre enfance, les « vrais Noëls… » Et aujourd’hui vous déplorez que Noël n’existe plus ou presque. Mais dans un généreux doute, vous concédez que les cadeaux de la honteuse foire de consommation témoignent peut-être d’une certaine forme d’amour, une déjà vieille histoire qui survit. Pensez-vous que ce genre d’histoires vieillissent ailleurs que derrière les rides de notre front ? Le bonheur, les rêves, les désirs s’évaporent avec la sécheresse de l’âge. Et ce ne sont pas les Noëls stupides des trop jeunes qui vont nous dérider, même si nous étions invités à venir chanter la joie de Charles Trenet pour rire. Hé oui cette magie n’existe plus. Mais finalement rien n’est peut-être perdu, pendant que les Noëls se décomposent les familles se recomposent, un peu comme une vraie crèche où on ne sait pas comment l’enfant est arrivé dans son berceau, avec un vrai père et une vraie mère quand même, plus que deux images !

  3. “Le bonheur, les rêves, les désirs s’évaporent avec la sécheresse de l’âge.” Dure constatation. Est-elle correcte? Je ne le sais pas et je pense qu’il ne faut pas généraliser. Les seniors et senioresses ne sont pas tous desséchés. Mais admettons qu’il s’agisse d’une piste dans la traque à la signification de Noël. Et si cet anniversaire rappelait ceux de notre enfance. Ceux qui furent magnifiques et ceux qui furent épouvantables. J’en ai personnellement vécu des deux sortes. Si bien que mon appréciation de Noël est plutôt ambigüe et ambivalente. Avec le fait que je suis profondément athée et anticonsumériste, la balance penche plutôt du côté suppression de cette “fausse” fête. Je l’imagine et regrette tout de suite sa disparition. Ambivalente, vous dis-je.

    1. @ Mme Carole

      Vous n’avez apparemment pas saisi que mon commentaire répond à l’ambiance offerte par l’article du blog, un désabusement que je ne partage pas. Je déplore seulement que certains veulent garder leur notion du “vrai Noël” en dévalorisant les “nouveau Noëls”, et la conséquence c’est que chacun vit cette fête de son côté. Et croyez bien que je ne pars pas à la traque de la signification de Noël qui me rappelle mon enfance. J’aide chaque année un prêtre et sa femme qui organisent le 24 un bon repas, pour une vingtaine de gens âgés qui ne sont pas tous sans famille mais ne sont pas invités… Et pourquoi pensez-vous ? Qui n’a pas envie de partager ? Le Noël simple qui serait le seul authentique m’excède, et cette culpabilisation de l’envie de consommer pour se faire plaisir, qui tombe chaque fois à point nommé ! Quand j’étais enfant on m’offrait un beau train électrique tout en me disant que les enfants du passé étaient déjà heureux avec une orange. Je n’aurais pas voulu échanger mais j’aimais les oranges aussi, en plus du train. Je suis content, si j’ose dire, que vous regretteriez quand même la disparition d’une fête de la consommation qui vous déçoit. Parce que Noël c’est aussi celui des autres qui le vivent pas si mal, cela ne doit pas nous gêner de voir des gens s’amuser bêtement, autour d’un sapin en plastique qui épargne ceux de la forêt, sans vraies bougies qui peut-être dégagent des particules fines. Alors le désert évoqué durant ces fêtes, je le vois ailleurs et vous en donne une illustration. L’année passé, après avoir aidé une vieille dame à gagner l’entrée de la salle de notre fête annuelle des isolés, celle-ci m’a demandé : “Êtes-vous croyant ?..” Moi : “Non…” Elle : “Alors pourquoi est-ce que vous êtes ici ?..” Moi : “Parce que le Bondieu m’a laissé entrer dans l’annexe de l’église ce jour de Noël, et j’ai même le droit d’aller me promener dans le jardin, et plus loin sur la route !” Vous voyez ? Quand la fête n’est pas pour tout le monde, la vraie finit par disparaître et il ne reste plus qu’à rester chez soi pour continuer à croire tout seul, c’est cela qui est triste… Restons ambivalents sinon nous allons très vite dessécher !

  4. Du même désert, à la même nuit, toujours mes yeux las se réveillent à l’étoile d’argent, toujours, sans que s’émeuvent les Rois de la vie, les trois mages, le coeur l’âme, l’esprit. Quand irons-nous, par delà les grèves et les monts, saluer la naissance du travail nouveau, la sagesse nouvelle, la fuite des tyrans et des démons, la fin de la superstition, adorer – les premiers ! – Noël sur la terre !
    Arthur Rimbaud, fin de la saison en enfer

    1. Brave Rimbaud. Et dire que nous sommes en haute saison en enfer. Je crains fort que la fête natalicienne n’y mette pas fin.

      1. Arthur Rimbaud n’est pas “brave” : c’est un magnifique, splendide poète qui nous apprend que Noël, c’est une invitation à aimer. Beau Noël à tous.

  5. En tentant de démêler mes approches de Noël, je me suis rendue compte que ce qui subsiste chez moi de cette fête, c’est son rôle de « marqueur ». Gamine, je l’attendais avec la joie du futur plaisir. Non pas le plaisir des cadeaux mais le goût des cacahuètes de retour à cette occasion, le parfum des oranges retrouvées, les premiers flocons, les biscômes…Pâques, pareil : le fumet des oignons à colorer les œufs, les premières primevères et violettes, les premières « toussées » parce qu’on avait confondu le fil d’avril avec les suées de l’été. Les saisons étaient différentes les unes des autres et le plus grand bonheur, c’était l’attente de leurs « marqueurs », les fêtes. J’en ai gardé l’amour des différences (refus de la maladie identitaire) et le plaisir de l’attente. C’est le Noël que je peux mais il est difficile à défendre, il est ardu de s’en souvenir dans l’ultra-commercial qui a effacé les différences entre ces événements.

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