Les hommes, les femmes et la littérature

Jeudi soir dernier, à la cérémonie d’inauguration des Journées Littéraires de Soleure, il n’y avait que des femmes sur scène. La directrice de la manifestation ; la présidente du Conseil National; et cinq autrices des différentes régions linguistiques. J’étais dans la salle, et j’ai ressenti une sensation de légèreté intérieure, de libération – j’ai presque envie de dire, de bonheur.

Le lendemain, toujours à Soleure, j’ai eu l’honneur de participer à un débat sur les structures de pouvoir dans le système littéraire suisse, en particulier s’agissant des relations entre les sexes. En plus de l’animatrice, nous étions deux écrivaines, une alémanique et une «latine», qui ne nous connaissions pas jusqu’au jour précédent. Sans nous être concertées, nous tirions à la même corde, et le troisième intervenant, un acteur important de l’industrie littéraire, a élégamment renoncé à nous rentrer dedans.

Le Stadttheater de Soleure était plein. Comme dans l’ensemble de la manifestation soleuroise (injustement boudée, soit dit en passant, par les médias romands), le public (principalement alémanique, donc) était composé de plus de femmes que d’hommes (c’est bien connu que les lecteurs de littérature sont en majorité des lectrices) ; mais les hommes aussi étaient là, intrigués par un sujet encore largement tabou, celui de la domination masculine en littérature. Comment est-il possible d’évaluer l’inégalité de genre dans un domaine, celui de la reconnaissance en matière de création littéraire, où rien n’est mesurable, notamment le talent, et où le succès tient à une alchimie dont personne ne détient la formule ?

Il y a toutes sortes de mécanismes complexes à démonter, l’entre-soi masculin, le préjugé séculaire selon lequel la grande littérature est l’apanage des hommes, les attentes différentes adressées aux écrivaines et aux écrivains…. bien d’autres choses encore – et vraiment, rien n’est simple. La proximité de la grève féministe a incité les Journées littéraires de Soleure à planter le bâton dans la fourmilière, mais le débat ne fait que commencer.

Silvia Ricci Lempen

Silvia Ricci Lempen est écrivaine. Son champ d’investigation préféré est celui des rapports entre les femmes et les hommes: un domaine où se manifeste l’importance croissante de la dimension culturelle dans la compréhension des fonctionnements et dysfonctionnements de notre société.