Les causes profondes de la discrimination salariale

Le débat sur les moyens de venir à bout de l’inégalité des salaires entre femmes et hommes, actuellement relancé par un projet de loi,  a quelque chose de fascinant. La gauche et les syndicats réclament des mesures volontaristes, des contrôles, des sanctions. Les chefs et les cheffes d’entreprise se rebiffent contre l’intrusion de l’Etat dans leur politique salariale et contre l’obligation d’établir régulièrement des rapports chronophages, mais font aussi observer que la détermination d’une rémunération dépend d’une telle quantité de variables que la comparaison sur la seule base du sexe est impraticable : c’est ce que disait plus ou moins explicitement, le 6 juillet matin, sur les ondes de la RTS, Nicola Thibaudeau, la patronne de MPS Micro Precision Systems à Bienne – par ailleurs connue pour son attachement au principe de l’égalité des sexes dans son entreprise. Et c’est là que l’affaire devient fascinante : vouloir totalement supprimer ces 7,7 milliards de différence (chiffre avéré) entre ce que gagnent les hommes et ce que gagnent les femmes, c’est comme vouloir attraper des poissons vivants à mains nues : ça frétille, ça glisse et ça file dans le courant.

D’après les chiffres présentés par Simonetta Sommaruga à l’appui de son (très modeste) projet de loi visant à réaliser une égalité salariale inscrite dans la Constitution fédérale depuis 1981, l’écart entre les salaires masculins et les salaires féminins est de 18%. Un peu moins de la moitié de cet écart (7.4%) semble relever d’une pure discrimination, c’est-à-dire qu’il est inexplicable par des facteurs autres que le sexe : et c’est bien assez pour justifier que l’on demande aux entreprises de mettre de côté leurs états d’âme libéraux, de rendre compte de cette injustice et de la réparer. Quant au reste, il dépendrait de ces fameuses variables inhérentes à la situation et à la biographie personnelle des employé.e.s – formation spécifique, trajet professionnel, ancienneté, disponibilité, productivité etc. – qui comme par hasard pénalisent les femmes, sans qu’on puisse imputer aux seules entreprises la discrimination effective qui en découle.

Le problème de l’inégalité salariale n’est pas uniquement un problème interne au monde de l’économie ; il renvoie à l’attribution séculaire aux femmes de la responsabilité de la vie familiale, aux attentes différentes que la société continue encore aujourd’hui à adresser aux deux sexes, à l’intériorisation par les femmes elles-mêmes de leur moindre légitimité à faire valoir leurs droits (pas seulement salariaux) en matière de travail rémunéré. Il ne pourra pas être résolu sans une réflexion de fond sur les aspects «genrés» du lien intrinsèque entre vie professionnelle et vie privée. Autant dire que la pêche va rester maigre encore un certain temps.

Silvia Ricci Lempen

Silvia Ricci Lempen est écrivaine. Son champ d’investigation préféré est celui des rapports entre les femmes et les hommes: un domaine où se manifeste l’importance croissante de la dimension culturelle dans la compréhension des fonctionnements et dysfonctionnements de notre société.

9 réponses à “Les causes profondes de la discrimination salariale

  1. Bravo pour cette critique de qualité. Merci de faire partie de celles et ceux qui se battent contre cette discrimination et tout ce qui en découle (préjugés contre le travail des femmes qui serait la source de certains problèmes de délinquance juvénile, manque de solutions de garde pour les enfants toujours d’actualité, etc.)

  2. Bonjour Madame,

    Votre article est très interressant, merci. Peut-être pourriez-vous aussi évoquer les discriminations qui touchent toutes les minorités dont les femmes sont parties et qui ensemble subissent cette injustice. Personnes de couleurs, citoyens non Suisses, homosexuels, lesbiennes: tout ce qui n’est pas homme blanc marié, hétérosexuel, avec enfants, né de parents Suisses subit ces discriminations salariales.

    Or ces hommes++ (pour ne pas les nommer alpha) sont nos managers et vont favoriser leurs pairs lors des entretiens annuels. Les mentalités changeront certainement quand une réelle diversité atteindra les niveaux de prise de décision. Or celle-ci ne viendra pas seule, sans rupture.

    Pour changer les choses il faut faire converger les luttes des minorités ENSEMBLE. La défense des femmes est une part importante d’un combat qui serait plus puissant encore et même majoritaire s’il embrassait totalement la lutte contre TOUTE discrimination.

    Chaleureusement,
    Amedy L

    1. Les femmes faisant partie d’une minorité ? Si ce n’est pas là de l’intériorisation de l’infériorité féminine, je ne sais pas ce que c’est.

      1. Faites un effort pour comprendre! En entreprise elles le sont et le commentaire le déplore. Si les entreprises leur laissaient une plus grande place, elles n’auraient pas à subir un salaire moindre injustifié.

  3. Tant que les femmes auront le monopole de la maternité, rien ne sera possible. Attaquons nous d’abord à cette injustice historique.

  4. @Thibault
    Comment pensez-vous vous y prendre pour supprimer cette “injustice”, qui d’ailleurs n’est pas historique mais biologique? Utérus artificiel? Manipulation du genôme humain permettant à un homme de tomber “enceint”? On entre dans le domaine du cauchemar avec ce genre de révolte contre la nature.

  5. Si on entend supprimer le “gender gap” en matière salariale il est impossible de le faire sans contraindre toutes les entreprises à édicter un règlement interne tâtillon dans lequel soient définis de manière extrêmement précise la description et le cahier des charges de chaque poste de travail. Un peu comme, dans l’administration, il est possible, et encore, en pratique cela n’est pas vraiment toujours possible, de définir des classes de fonctions. Tout poste appartenant à la classe de fonction numéro 4, admettons, a droit selon le règlement, à un salaire de tant. On peut dès lors prévoir qu’à l’intérieur de chaque classe de fonction il y a lieu de considérer des primes d’ancienneté ou au mérite, selon des critères précis.

    Seule l’imposition de ce système peut permettre de se rapprocher de la revendication d'”égalité” parfaite. On voit bien que celà n’est pas faisable, sauf dans les administrations publiques et les grandes multinationales, et encore. Comment catégoriser le poste d’une personne, homme ou femme, qui est principalement un(e) réceptionniste, mais à qui il est demandé occasionnellement de fonctionner comme chauffeur? Alors que celà ne peut être qu’un cas particulier et individuel.

    D’ailleurs, l’expérience démontre qu’il y a beaucoup d’autres inégalités de traitement salariales, dans l’administration comme dans l’économie privée, qui proviennent de circonstances tout autres que liées au sexe. Par exemple deux employé(e)s travaillant dans le même service d’une grande banque, et faisant le même travail, auront des salaires très différents. L’un(e) âgé(e) de 26 ans, titulaire d’un Master d’une grande université sera peut-être payé(e) moins, parce que stagiaire, qu’un(e) autre dans le même bureau, ayant un niveau de formation moindre, mais âgé(e) de 40 ans, chef(fe) de famille avec plusieurs enfants et ami(e) du directeur, qui a voulu aider cette personne sachant qu’elle avait vraiment besoin de ce salaire pour faire vivre sa famille. Dans ces cas il peut s’agir de décisions au cas par cas prises par la direction, en fonction de critères personnels. C’est bien pourquoi dans la tradition suisse, et en général européenne, par opposition à la transparence américaine, les salaires sont tenus secrets par le service du personnel pour éviter les jalousies.

    En fait l’égalité salariale absolue, non pas seulement entre hommes et femmes, mais entre toutes sortes de situations, toutes particulières, est juste une vue de l’esprit. Certaines, comme Mme Ricci-Lempen, s’y cramponnent avec passion, animées qu’elles sont par un sentiment exacerbé d’être victimes d’une injustice généralisée en raison de leur sexe.

  6. Merci, Silvia, pour ton commentaire, comme toujours juste et impeccable! La dame Thibaudeau que tu cites pour avoir dit “que la détermination d’une rémunération dépend d’une telle quantité de variables que la comparaison sur la seule base du sexe est impraticable” ne me semble pas bien informée. Depuis quelques années déjà, le Bureau fédéral de l’égalité distribue un logiciel nommé Logib, élaboré sur la base d’analyses précisément multi- et non univariée (“la seule base du sexe…”) qui permet d’évaluer l’égalité ou inégalité de salaires concrets en tenant justement compte de tout un éventail de facteurs pertinents. A consulter sur https://www.ebg.admin.ch/ebg/fr/home.html?_organization=313 et à utiliser sans retenue!
    Amitiés, René Levy

  7. M’ont toujours étonné les femmes et les hommes souhaitant l’égalité salariale (ou même l’égalité au sens large du terme) dans un système capitaliste à l’extrême, autrement dit ultralibéral, dont l’origine est la dérive du capital entrepreneurial à la violence du capital financier. En clair, la prise de pouvoir de l’institut reconnu comme légitime par les Etats (sous l’effet de la corruption ?) d’émettre de la dette dans l’économie : la BANQUE ! Par conséquent, il ne peut y avoir d’égalité dans un système où l’Etat n’a pas le rôle du régulateur de la Banque, premier point. Deuxième point : l’essence même du capitalisme, c’est le rapport de force. Autrement dit, que le meilleur gagne ! Comment peut-on donc imaginer une possible égalité salariale puisqu’il existe des dominants et des dominés, des employeurs et des employés ? En clair, vous voulez une égalité entre employés dont l’employeur se porterait garant sous le contrôle d’un Etat qui n’a même pas le contrôle de ce qui finance le Capital ?
    L’égalité salarial entre les hommes et les femmes, ne serait-elle pas possible que par l’inversion du rapport de force tout simplement ? Ou Peut-être serait-il nécessaire que l’Etat occupe à nouveau une place centrale dans la régulation du Capital afin de 1) réduire la pauvreté (partage des richesses), 2) augmenter le niveau d’éducation de tous les citoyens (gratuité et adaptation), 3) auditer les entreprises sur leur politique salariales par la création de cabinets spécialisés, 4) créer une assurance financée (par déductions salariales) par tous les citoyens ayant un revenu afin de couvrir tous les frais professionnels liés au congé maternité (en rapport au poste occupé par la femme concernée)… En conclusion, il ne peut y avoir une égalité dans un système comme le nôtre que si le Capital est régulé de manière à réduire, voire éliminer, les égalités au sens large. Et qui en a la légitimité, le rôle ? L’Etat !

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