Président de la France, substantif masculin invariable

Poser la question du sexe avant l’élection aurait été une indécence. La candidate était inéligible pour tout électeur et toute électrice attaché.e aux valeurs morales qui fondent, tant bien que mal, notre être ensemble européen et planétaire. La candidature de Marine Le Pen a signé l’arrêt de mort du vieux slogan féministe : votez femme. Pitié, qu’on ne nous le resserve plus jamais s’agissant de l’égalité des sexes en politique, en France, en Suisse ou ailleurs. Cela étant dit, et fermement dit, le problème reste. Il faut le prendre par un autre bout.

J’ai regardé, fascinée, comme tout le monde, Emmanuel Macron s’avancer seul dans la nuit, dans la cour du Louvre, sur les notes de L’Hymne à la joie. J’ai essayé d’imaginer cette même scène avec, pour protagoniste, une femme – pas Marine Le Pen, évidemment, mais une autre, n’importe laquelle des quelques politiciennes intelligentes et compétentes, de droite ou de gauche, invitées ce soir-là sur les plateaux de télévision parmi une nette majorité de caciques masculins. Impossible.

Tout, dans l’ordonnance de ce cérémonial, dans le lieu où il se déroulait et surtout dans l’attitude du président élu respirait la légitimité conférée au héros par des millénaires de pouvoir politique masculin, par des siècles de grandeur française incarnée par le sexe dominant. Je me souviens de la difficulté qu’avait éprouvée Ségolène Royal à se donner une image de présidentiable sans avoir la possibilité, ni du reste la volonté, de se poser en héritière d’une longue lignée de pères de la nation française. Les comparaisons qui ont fleuri entre Emmanuel Macron et de Gaulle (ou même, par l’âge, Napoléon!) valent ce qu’elles valent sur plan politique, mais elles ont en tout cas une pertinence écrasante sur le plan du genre.

Ni la droite, ni la gauche, ni l’extrême gauche française n’ont été fichues de proposer, pour cette présidentielle 2017, une figure de présidente potentielle crédible. La classe politique française est une des plus patriarcales du monde et le système politique français, avec ses relents monarchiques hérité de l’Ancien Régime, est intrinsèquement incompatible avec l’égalité des sexes. Une Angela Merkel est culturellement impossible en France. Voter des lois sur la parité ne sert à rien dans un contexte où la masculinité du pouvoir est de nature identitaire. Tout le monde dénonce, à juste titre, le ressassement des soi-disant valeurs françaises dans le discours de Front National, mais qui dénoncera cette autre forme de repli identitaire qui consiste à ne pouvoir imaginer, à la tête de l’Etat, qu’une personne du même sexe que Louis XIV ?

Silvia Ricci Lempen

Silvia Ricci Lempen est écrivaine. Son champ d’investigation préféré est celui des rapports entre les femmes et les hommes: un domaine où se manifeste l’importance croissante de la dimension culturelle dans la compréhension des fonctionnements et dysfonctionnements de notre société.

4 réponses à “Président de la France, substantif masculin invariable

  1. Vous dites ” Une Angela Merkel est culturellement impossible en France.” C’est vrai, mais pas parce que c’est une femme, mais plutôt parce qu’elle est le résultat d’une jeunesse communiste bien encadrée. En France c’est le style Pompadour qui serait gagnant, il me semble.
    De nos jours on a tendance à comparer l’incomparable, la Suisse (8 millions d’habitants) avec les Etats Uni (un continent), la France (Pays latin) avec des Pays anglo-saxons, l’esclavage de l’Empire Romain avec nos valeurs et ainsi de suite.

  2. Chère Madame,
    Auriez-vous quelques noms à nous proposer pour illustrer votre propos de façon un peu plus personnalisée?
    Mmes. Lagarde, Pécresse, Royal, NKM, Rossignol, Taubira, Vallaud-Belkacem, Dati, …?

    1. Cher Monsieur,
      Dans la liste que vous dressez, il y a à mon sens au moins deux personnalités d’envergure présidentielle, Mmes Lagarde et Taubira. Peut-être d’autres. Mais la question n’est pas là. La question que j’ai tenté de soulever, c’est celle de la légitimation par le système, qui se produit en amont de la candidature, qui la forge, qui la porte. J’estime qu’en France les conditions ne sont pas réunies pour qu’une femme bénéficie de cette légitimation fondatrice. Contrairement à ce qui se passe en Suisse, où des politiciennes de haut vol telles que Mmes Calmy-Rey ou Leuthard peuvent être adoubées par le système.

  3. On est tout de même obligé de relever le paradoxe.

    Vous vitupérez les mentalités congénitalement patriarcales de la France, mais vous excluez absolument l’idée même de donner sa chance à la seule et unique femme en position d’accéder, éventuellement, aux plus hautes fonctions: Marine Le Pen. (En effet, ne vous en déplaise, ni Christiane Taubira, ni Christine Lagarde n’avait la moindre chance de figurer au second tour.)

    Bien sûr chacun comprend que Marine Le Pen est à l’opposé de vos idées politiques. Bon, très bien. Mais c’est donc que dans l’échelle de vos préoccupations, le féminisme passe après tout le reste. Vous voulez bien voter pour une femme, mais uniquement si c’est une femme de gauche, ou du moins, comme Mme Lagarde, une soubrette du mondialisme.

    C’est tout de même extrêmement révélateur, car celà indique que le féminisme – du moins dans la conçeption que vous défendez – ne concerne pas essentiellement l’égalité des droits entre femmes et hommes, mais il ne s’agit en fait que d’un aspect, subordonné, mineur, accessoire, même s’il est prétendument important, d’un engagement fondamental de gauche, progressiste ou au moins antinational. (Comme dans le cas de Mme Lagarde qui n’est pas de gauche mais post moderne, post nationale et servilement dévouée aux intérêts de l’utopie de la gouvernance mondiale.)

    Autrement dit, ce qui importe uniquement pour vous c’est le mot d’ordre ‘du passé faisons table rase’ et ce que vous appelez un “vivre ensemble européen et planétaire”, un concept vraiment flou et même répulsif pour l’électeur.trice de base qui pense avant tout sécurité, emploi, avenir de ses enfants, réticence au remplacement de population, au terrorisme islamiste, etc. En plus vous avez le toupet d’affubler cela du qualificatif de “valeurs morales”.

    Finalement la promotion de la femme, pour les féministes patentées, ce n’est pas un but en soi. Ce n’est qu’une cerise sur le gâteau de l’idéologie de gauche sans frontièriste.

    Merci pour cet aveu. Il nous permet de toucher du doigt une vérité que les médias de propagande nous cachent habituellement.

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