La laitière et le pot au lait, ou la culture pour tous

La laitière, c’est celle de Vermeer, pièce maîtresse de l’exposition «Vermeer et les maîtres de la peinture de genre», qui suscite actuellement, à Paris, au Musée du Louvre, un  engouement panurgique inédit. Le pot au lait, c’est celui (symbolique) que j’ai fini par laisser tomber par terre, jeudi, dans le  hall cosmopolite du dit musée –  d’où j’avais espéré, dans ma grande naïveté, ressortir avec dans ma poche un billet (pas pour le jour même, bien sûr, je ne suis pas folle):  eh bien tant pis, puisque c’est comme ça je renonce.  Je rentrerai à Lausanne, dans trois semaines, avec sur le front le signe de mon ignominie: j’aurai passé un mois à Paris et je n’aurai pas vu Vermeer.

Remarquez, en m’accrochant, j’aurais pu y arriver. Pas le jour que je voulais, pas à l’heure que je voulais, et en prenant le risque de rater le créneau horaire qui m’aurait été attribué d’autorité, si par hasard les informations de l’employée X étaient plus fiables que celles de sa collègue Y: comme quoi une visiteuse présentant son billet sur smartphone, faute d’avoir pu procéder à son impression (ce qui pouvait  se trouver être mon cas, pour des raisons qui sont ici sans importance), aurait quand même un sérieux handicap dans la ruée vers l’or du grand siècle hollandais.

J’aurais pu y arriver mais l’envie m’a passé.  J’ai eu la vision de ce que serait cette visite, ce mauvais jour, à cette mauvaise heure, dans des salles surpeuplées où n’est pas prévu l’usage des échasses, et je me suis dit: Vermeer vaut mieux que ça. Pas seulement Vermeer,  l’art vaut mieux que ça.  Je n’ai rien contre la culture pour tous, j’en suis moi-même la bénéficiaire; mais il n’y a pas qu’en politique qu’il  faut l’admettre,  la démocratie est vraiment le pire des systèmes –  bien entendu  à l’exclusion de tous les autres.

Silvia Ricci Lempen

Silvia Ricci Lempen est écrivaine. Son champ d’investigation préféré est celui des rapports entre les femmes et les hommes: un domaine où se manifeste l’importance croissante de la dimension culturelle dans la compréhension des fonctionnements et dysfonctionnements de notre société.