Il cervello della pancia, le cerveau des tripes. On commence à le savoir, que le populisme existe sous des formes moins policées et plus explicites que celles qui ont cours en Suisse (du moins publiquement) ; mais ça fait quand même de l’effet d’entendre, à l’heure du deuxième café, dans l’excellente émission «Tout un monde» de La Première, un extrait d’une vocifération de Beppe Grillo, le leader du mouvement Cinq Etoiles, incitant les Italiens à voter avec «le cerveau des tripes» lors du referendum du 4 décembre prochain (c’était le mercredi 30 novembre, vers les 8h.20).
Selon une analyse assez répandue depuis désormais plusieurs années, la défaite de la rationalité par «l’émotionnel» serait la plaie des démocraties contemporaines. En réalité, nous le savons bien, la rationalité censée présider aux processus décisionnels en politique est un mythe de la modernité, qu’il est rassurant d’invoquer mais qui n’a jamais exercé un effet déterminant sur la relation entre le peuple et celles et ceux qui le gouvernent. Depuis que les démocraties existent, on gouverne et on vote avec les émotions, et il serait plus salutaire de le reconnaître plutôt que de déplorer la perte d’un âge d’or de la rationalité qui n’a jamais existé. Seulement, les émotions, ce ne sont pas les tripes, et pour contrer le populisme abject à la Beppe Grillo on aurait intérêt à arrêter de les confondre.
«Les émotions, c’est tout ce que nous avons», disait un personnage du film Youth de Paolo Sorrentino. Les émotions, c’est ce qui nous relie au monde, c’est ce qui nous fait jouir et souffrir, désirer et aimer, mais aussi ce qui nous pousse à apprendre et à penser. Bien sûr, elles nous font dérailler dix fois par jour, et elles peuvent nous induire en erreur sur nos véritables besoins ; mais ce sont elles aussi qui nous donnent l’élan pour ne pas vivre comme des robots, pour chercher du sens à nos existences.
Ne pas nier les émotions, ni les siennes ni celles du peuple, tenter de les recadrer, de les inclure dans une relation dialectique avec la raison, bref de leur donner leur pleine humanité, c’est ce qu’on peut attendre d’un politicien ou d’une politicienne responsable. Par contre, enfermer les émotions dans les tripes, les figer dans la dimension la moins évolutive et la moins maîtrisable de notre être, comme le font Beppe Grillo et bien d’autres qui ne le disent pas, ce n’est ni plus ni moins que les déshumaniser.