Je viens de me procurer une feuille de signatures pour le référendum contre l’interdiction de la mendicité dans le canton de Vaud, et j’espère pouvoir la renvoyer entièrement remplie au comité référendaire. Je sais que cela va être difficile, du fait que, pour la plupart des gens, il faut décourager la perpétuation des réseaux de mendicité organisée des Roms (puisque c’est d’eux qu’il s’agit). De plus, nous sommes presque toutes et tous exaspérés (moi la première) par ces femmes et ces hommes agenouillés ou pliés en deux sans nécessité, dans une posture aussi humiliante pour nous que pour eux, psalmodiant des implorations tout droit sorties du XIXe siècle. Mais justement.
L’exaspération que suscitent en nous ces pauvres dérangeants nous fait sortir de notre zone de confort moral. Colère, dégoût, pitié, honte de ne pas donner et sensation de se faire avoir les rares fois qu’on donne, bref impression de faire faux quoi qu’on fasse : ce n’est pas ainsi qu’il nous plaît d’aider nos semblables. Mais justement, toutes ces émotions troubles ne sont-elles pas, désormais, le seul canal par où peut passer, dans un pays préservé comme la Suisse, la conscience vive et non aseptisée que la pauvreté est un scandale et une insulte à l’humanité ? Ces gens, nous le savons, sont issus d’une communauté discriminée, mais leur stratégie collective manifestement bien rodée refroidit notre générosité et leurs attitudes personnelles nous révulsent. Supporter cette contradiction ingérable, continuer à nous exposer à ce malaise, n’est-ce pas désormais, à notre époque de charité bien ordonnée, le seul moyen de ne pas oublier que des conditions de vie comme celles des Roms ne devraient juste pas exister ?
C’est insupportable, oui c’est insupportable, comme une épine dans le pied alors que nous marchons dans les rues proprettes de nos villes. Nous aimons mieux les pauvres dont la proximité physique ne nous agresse pas comme une mauvaise odeur, et surtout les pauvres au-dessus de tout soupçon. Mais si nous nous ôtons cette épine du pied, c’est la pauvreté qui nous paraîtra définitivement supportable.