La culture du viol

On discute ferme sur la répression légale et judiciaire du viol, et c’est très bien, mais j’aimerais soulever une question qui se situe en amont de ce débat : au fait, pourquoi des hommes violent-ils des femmes ? Pourquoi les femmes, en tant que catégorie, se trouvent-elles en position d’être violées par des hommes, quelle que soit leur naïveté ou la longueur de leur jupe ? Pourquoi sont-elles cette moitié de la population qui doit être protégée des potentiels assauts sexuels de l’autre moitié ?

Non, non et non, ce n’est pas seulement parce que, anatomiquement parlant (configuration des organes, différence de force musculaire), c’est évidemment plus facile pour un homme de violer une femme que le contraire. Ce qui est facile à faire n’est pas nécessairement désirable. Il faut remonter plus haut dans l’échelle des causes, jusqu’aux représentations archaïques, inscrites au plus profond de l’inconscient collectif, selon lesquelles l’homme (le mâle) est «par nature» un prédateur, et la femme est «par nature» une proie. Tout notre imaginaire, à commencer par la mythologie et les textes sacrés, est imbibé de l’idée que les femmes sont quelque chose que les hommes doivent posséder.

Je ne veux pas salir mon clavier en évoquant les déclarations et les comportements de qui vous savez (D.T.). Elevons le propos et parlons de philosophie. Dans son remarquable essai L’Etude et le Rouet (Seuil, 1989), pas assez médité dans les auditoires, la philosophe française Michèle Le Doeuff propose un petit florilège de citations révélatrices de Jean-Paul Sartre. Celle-ci par exemple: «Le savant est le chasseur qui surprend une nudité blanche et qui la viole de son regard.» Une autre pour la route ? «La vue est jouissance, voir c’est déflorer.»

Je ne vais pas allonger, entre Sartre et les autres ma courte vie humaine n’y suffirait pas.

Mais c’était juste pour dire que la «culture du viol», encore et toujours omniprésente dans notre société, ne concerne pas seulement les relations concrètes hommes/femmes, mais des pans entiers de notre appareil symbolique.

Silvia Ricci Lempen

Silvia Ricci Lempen est écrivaine. Son champ d’investigation préféré est celui des rapports entre les femmes et les hommes: un domaine où se manifeste l’importance croissante de la dimension culturelle dans la compréhension des fonctionnements et dysfonctionnements de notre société.