Faire marcher un paraplégique ? Mon handicap sans tabou

Récemment des scientifiques franco-suisses ont mis au point un système robotique qui permet à une personne paraplégique de remarcher en contournant la lésion de la moelle épinière au moyen d’électrodes qui envoient des impulsions électriques du cerveau à la moelle épinière. Cette nouvelle a été complimentée par de nombreux médias et accueillie comme étant LA solution tant espérée.

Lorsqu’on parle de tétra- et paraplégie, on pense tout de suite au fait de ne plus pouvoir marcher et bien souvent cela s’arrête là. Je n’en veux à personne car j’étais moi-même assez ignorante sur le sujet avant que je sois personnellement concernée par cette invalidité.

Cela va peut-être vous étonner mais les véritables problèmes pour nous ne se situent pas à ce niveau-là. Marcher ou pas, ce n’est pas le plus important. Nos soucis sont autres, ce sont les problèmes neurologiques concernant le système urologique, la gestion des intestins, les douleurs chroniques, la sexualité, la circulation sanguine, les escarres, etc.

Ce qui me touche particulièrement, c’est qu’un grand nombre de médecins ne connaissent que superficiellement la complexité d’une lésion médullaire et c’est une des raisons qui me pousse aujourd’hui à rédiger cet article.

Ayant fait le choix de vouloir transmettre du positivisme et de la motivation, je n’avais jusqu’à présent jamais approfondi ce sujet par crainte que cela soit perçu comme de la lamentation. Je vais parler en toute objectivité afin que ceux qui sont intéressés par le thème puissent comprendre un peu mieux et aborder le sujet avec un nouveau regard.

Je vais parler des observations et expériences faites sur moi-même mais qui sont très probablement similaires à d’autres victimes d’une lésion médullaire, que ce soit tétra- ou paraplégie, même si chaque cas a ses particularités propres.

Commençons par le début, le début de cette nouvelle étape de vie, le réveil après mon accident. Une chute du trapèze alors que j’étais artiste cirque a provoqué une rupture de la moelle épinière au niveau de la dixième et onzième vertèbre thoracique, ainsi qu’un traumatisme crânien. On m’annonce alors que j’ai une paraplégie complète Asia A.

Je ne sens plus et ne peux pas bouger volontairement mes jambes ni mon bassin. Lorsque en position couchée je ne les vois pas, j’ai la sensation de n’avoir qu’un buste avec deux bras et une tête.

La première fois où j’ai pu me mettre en position assise, trois mois après l’accident, j’ai redécouvert mes jambes comme des vieux amis que je n’avais plus vu depuis une éternité. Je les ai observées et soudainement un élan de joie et d’espoir a traversé mon esprit : mes jambes ont bougé ! Incroyable ! Je serais peut-être en train de récupérer, la paralysie n’aurait peut-être été que passagère ?

Faux espoir. Je viens alors d’apprendre un nouveau mot : la spasticité. C’est quand les parties de votre corps qui ne sont plus connectées au cerveau à cause d’une interruption de connexion nerveuse dans la moelle épinière commencent à bouger par elles-mêmes.

Il existe deux types de paraplégies, la paraplégique flasque et la paraplégie spastique. Dans mon cas la spasticité s’exprime par trois types de contractions musculaires qui se situent au niveau de mon bassin, mon ventre, mes jambes et mes pieds, c’est-à-dire toute la partie en dessous de la lésion médullaire. Ces contractions musculaires involontaires varient en intensité au cours de la journée et de la nuit et quand elles deviennent particulièrement importantes, elles représentent des signaux d’alarme pour d’autres dérèglements qui se passent dans mon corps mais que je ne ressens pas directement.

Depuis que je suis paraplégique, je n’aime plus rester les pieds nus. Le fait de ne pas les sentir les rend vulnérables et bien souvent je me suis blessée aux pieds parce que je ne sentais pas qu’ils étaient coincés quelque part ou qu’ils étaient en train de frotter sur une surface rugueuse. De plus, lorsque je touche la peau de mon pied légèrement ou simplement quand l’eau de la douche ruisselle sur mes pieds, cela provoque cette fameuse spasticité. Les jambes se contractent complètement comme une crampe et parfois les mollets commencent à trembler. C’est un autre type de spasticité. S’il m’arrive d’avoir des blessures sur la partie de mon corps que je ne sens pas, ce qui arrive tristement assez souvent, il y a la spasticité par contraction ou secousses. Les muscles se contractent violemment, à un rythme irrégulier. D’autres déclencheurs de forte spasticité sont par exemple le fait d’avoir la vessie ou les intestins qui ne sont pas complètement vides ou bien lorsque j’ai mes menstruations.

Les spasmes sont accompagnés de douleurs chroniques, les douleurs neurogènes, qui se traduisent chez moi en trois types de douleurs. Il y a une fois cette sensation de recevoir des décharges électriques, un peu comme lorsque vous touchez un enclos électrifié pour le bétail, et cela survient plusieurs fois par jour ou par heure, selon les moments, dans le ventre et le haut des cuisses (paralysées) Et il y a les douleurs que je ressens comme une blessure, comme si un couteau était planté dans mon corps à la jointure entre le buste et les jambes. Puis il y a ces douleurs sur la peau, comme si la couche superficielle de ma peau était arrachée, dans la zone de transition entre la sensibilité normale et la paralysie. Ces deux dernièrs types de douleurs sont présents en continu, avec une intensité variable.

Il m’est possible de faire diminuer les douleurs du type coupure dans la chaire en appuyant très fortement avec mes doigts sur le point le plus sensible, en massant avec une forte pression mes organes internes et en secouant mon bassin avec mes mains. C’est ce que je fais le soir lorsque j’essaie de m’endormir… avant d’être réveillée à nouveau par le prochain cycle de fortes douleurs et spasmes. Pour pouvoir trouver du soulagement et me rendormir, je dois alors recommencer avec le processus décrit ci-dessus.

Pour cette hypersensibilité de ma peau dans la zone de transition, j’arrive à l’atténuer partiellement en portant des bandages serrés et épais sur la peau pour éviter le déclenchement des douleurs par le frottement des vêtements. Ce qui m’aide aussi c’est d’enduire ces parties de mon corps avec de la pommade anesthésiante.

Lorsque les spasmes surviennent dans mon ventre, cela provoque une douleur qui est un peu le mélange entre l’impression d’avoir une blessure profonde et les décharges électriques. Ce qui est particulièrement humiliant pour une personne dans ma situation, est que cette forte spasticité se répercute aussi sur ma vessie et provoque ce que vous pouvez imaginer.

C’est un des symptômes de mon handicap qui est le plus pénible à vivre et qui m’a demandé un grand travail mental pour retrouver la confiance en moi malgré le problème.

Vous commencez peut-être à comprendre, une lésion médullaire ne touche pas seulement les jambes. Tout votre abdomen est touché aussi et selon la hauteur de la lésion, plus ou moins d’organes sont affectés.

Et puis, bien sûr, la grande question qu’on se pose souvent mais dont on n’ose pas parler… Qu’en est-il de la sexualité ?

Les organes génitaux fonctionnent normalement mais sans contrôle et connexion consciente avec notre cerveau. La plupart des personnes concernées ne ressentent plus leurs parties intimes. Mais souvent les nerfs en-dessous de la lésion dans notre moelle épinière sont malgré tout intactes. Il y a alors des réactions physiologiques ou des contractions spastiques qui se produisent lors d’une stimulation physique.

Je pense que pour une femme avec paralysie médullaire, il est moins pénible de s’adapter à ces profonds changements corporels que pour un homme qui est généralement censé tenir un rôle plus actif à ce niveau-là.

J’ai la chance de partager ma vie avec mon mari et l’amour que nous avons l’un pour l’autre nous a permis de compenser en partie ces déficiences et de trouver une nouvelle manière d’exprimer notre sensualité. Nous vivons une relation très jouissive, enrichissante et épanouie malgré l’absence de réactions corporelles normales.

Dans les organes affectés il y a aussi l’appareil digestif. Avec une partie de mes intestins paralysée, je dois consciencieusement gérer la quantité et qualité des fibres que je mange. Une trop grande quantité crée une obstruction, alors que trop peu de fibres empêchent également le bon fonctionnement du tractus intestinal. Des moyens mécaniques sont nécessaires au quotidien pour permettre une bonne évacuation. Je passe plus de 3 heures par jour à faire des lavements et ma vessie doit être sondée très régulièrement, étant donné que mes sphincters ne peuvent plus être contrôlés normalement, par ma volonté. Il m’a fallu contourner le problème et trouver des solutions alternatives.

Les sondages à répétition nous rendent très vulnérable aux cystites. C’est un problème récurrent chez les lésés médullaire. Pour éviter ces infections de la vessie, il faudrait beaucoup boire mais avec les soucis cités haut (vessie spastique) lors d’événements publics ou de déplacements, je limite la quantité de liquide ingérée afin de pouvoir me sentir à l’aise dans ma vie sociale.

Le contrôle alimentaire est nécessaire pour retrouver un peu plus de bien-être dans mon quotidien. Avec les dérèglements neurologiques dus à mon handicap, certains aliments provoquent des irritations ou des réactions au niveau nerveux sur la paroi de mes intestins. J’évite par conséquent tout ce qui contient des petites graines, la peau de la plupart des fruits et légumes, les épices trop fortes et les aliments qui contiennent trop de fibres indigestes pour moi. J’évite également le café et tout ce qui contient ce même type de stimulant comme le thé noir, thé vert ou le cacao. Ces aliments provoquent chez moi non seulement des palpitations cardiaques et tremblements mais aussi une plus forte spasticité.

Dans mon cas, à ce contrôle alimentaire dû à la paraplégie, se rajoutent encore des intolérances alimentaires et le fait que j’ai perdu le goût et l’odorat suite au traumatisme crânien subit au cours de l’accident en 2007. Vous pourrez comprendre certainement que je ne mange pas par plaisir mais par nécessité. La sensation de faim est toujours présente et elle se manifeste souvent après un entraînement sportif. Je suis très à l’écoute de mon corps pour lui donner les nutriments nécessaires au quotidien.

Au niveau des douleurs neurogènes chroniques, la thérapie la plus efficace est le sport, ainsi que suffisamment de sommeil. Le premier point est plus facile à mettre en œuvre pour moi car j’ai toujours aimé bouger. Maintenant cela est devenu une nécessité presque vitale pour supporter la douleur. En ce qui concerne le sommeil, c’est plus difficile car ce sont justement ces douleurs et les spasmes qui me réveillent plusieurs fois par nuit et m’empêchent de dormir profondément.

Ce qui m’aide à trouver le sommeil est le massage cité plus haut, le mouvement et le fait de changer régulièrement de position, en tâchant, dans la mesure du possible, de bloquer mes jambes pour leur éviter de trop gigoter et de continuer à me tenir éveillée.  Et puis il y a la relaxation, la méditation, en bref et comme pour tout le reste, une gestion et un contrôle de mon mental.

Le mental ne fait pas tout mais il est un grand appui quand même. Il y a certains symptômes de la paraplégie que je n’ai pas réussi à gérer de cette manière-là. Ce sont par exemple les gelures que j’ai chaque année aux pieds à cause d’une circulation sanguine moins efficace dans le bas du corps. Mes jambes sont constamment froides et quand il fait 10 degrés Celsius et moins, mes pieds qui n’arrivent pas à se réchauffer par eux-mêmes, subissent des engelures. Les orteils deviennent noirs, ensuite cela crée une cloque et une blessure à cause de la peau nécrosée en dessous. Après deux à trois mois, cela se résorbe pour recommencer à un autre endroit. Au début de la gelure, souvent le pied enfle et j’ai déjà été hospitalisée à cause d’une septicémie avec risque d’amputation à cause de ce problème.

Malgré les meilleures chaussettes et chaussures, mes pieds, en saison froide, n’arrivent pas à se réchauffer par eux-mêmes. La chaleur doit venir de l’extérieur mais quand on ne sent pas sa peau, il y a un grand risque de brûlure. De nouveau quelque chose de très compliqué à gérer. Une des solutions est de migrer dans des régions plus chaudes, mais comment faire pour concilier cela avec mes activités professionnelles ? La question n’est pas encore résolue.

La peau des jambes et des pieds est devenue bien plus délicate et le risque d’escarres, pour moi comme pour toutes les autres personnes en chaise roulante, est bien présent.

Parfois j’envie ces athlètes en fauteuil qui, en été, pratiquent leur sport favori, la peau à l’air, sans escarres ni cicatrices. Chez moi le handicap a laissé beaucoup de traces et jamais je ne peux me permettre de me promener les jambes découvertes car à peine j’enlève mes bas de compression, pieds, chevilles et mollets commencent à enfler. De plus, le vent sur la peau de mes cuisses provoque des douleurs de type décharges électriques, c’est pourquoi je les protège en permanence par un vêtement serré qui évite le mouvement du tissu sur la peau, lui aussi source de douleurs.

Je vois déjà venir les bons samaritains qui vont vouloir me proposer telle ou telle thérapie ou médicament. Ne vous inquiétez pas, j’ai presque tout essayé… sans résultat convaincant. Je n’ai pas besoin d’être secourue, j’accepte les choses telles qu’elles sont et je focalise mes pensées sur ce qui m’apporte de la joie.

Dans la liste énumérée, y aurait d’autres choses à citer encore mais ne voulant pas rallonger cet article davantage, je m’en suis tenue à ce qui me paraissait le plus essentiel. J’espère toutefois avoir pu éclairer sur le sujet, afin de ne pas donner de faux espoirs à cause de publications dans la presse qui ne parlent que des thèmes les plus accrocheurs mais qui ferment les yeux sur la réalité.

Les progrès de la médecine et de la science sont porteurs d’espoir mais trop souvent ils sont réalisés par rapport au regard d’une personne valide. On donne alors de l’importance à des choses qui pour les personnes concernées par l’invalidité ne sont pas prioritaires.

De nombreuses associations s’investissent pour permettre aux blessés médullaires de reprendre leur vie en main, certes avec quelques adaptations, mais en toute autonomie et c’est ce qui, à mon avis, est le plus important.

Malgré mon handicap lourd j’ai toujours refusé de subir ma vie et ma devise est de développer le meilleur de ce qui me reste. C’est ainsi que j’ai pu réaliser des titres prestigieux au niveau sportif, des premières mondiales et des performances inimaginable auparavant pour des personnes dans ma situation.

Vous voyez, d’un côté on m’admire pour mes performances hors du commun mais derrière cette façade il y a juste une femme qui a envie d’être heureuse et qui se bat au quotidien avec tous les symptômes de son handicap pour rester digne et maître de son destin.

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Photos: Tania Emery/ association Corps à Coeur

 

 

 

Le pont menant du handicap vers les sommets

M’étant soudainement retrouvée en situation de handicap il y a bientôt 15 ans, je n’ai pas voulu rester à me morfondre dans la vallée de la tristesse. Une nuit, j’ai rêvé d’un pont menant du handicap aux sommets… C’était une révélation et je suis partie à la découverte.

J’ai eu un accident en tombant d’un trapèze en 2007. Aujourd’hui, je suis assise dans un fauteuil roulant et la partie visible de mon handicap est une paraplégie complète Asia A, depuis la 10 et 11e vertèbre thoracique.

Toutefois, il existe de nombreux autres handicaps et en quelque sorte, chacun de nous porte le sien. Cela peut être une surdité, une jambe plus courte que l’autre ou quelque chose de psychique comme une phobie, une schizophrénie ou encore de l’autisme.

Ce pont, vous ne le trouverez pas physiquement devant vous. Le pont dont je parle, c’est ce que vous décidez de faire de votre vie, c’est votre choix de vous prendre en main et de devenir votre propre coach.

Par le passé, mon métier d’artiste de cirque m’avait appris à être flexible de corps en tant que contorsionniste.

L’accident m’a pris ce corps valide, mon outil d’expression, mais quelque chose en est resté. Il s’agit de la partie virtuelle, cette flexibilité d’esprit qui me permet de plier comme le tronc de l’arbre qui se courbe sous la tempête et qui ne se brise pas.

Ceci a été la première brique de mon pont.

Mes dix années de sport de compétition en paracyclisme m’ont permis de continuer la construction de ce pont à travers les vertus du sport qui sont la combativité et la persévérance.
Ne pas abandonner, crocher, dépasser sa zone de confort, tenir jusqu’au bout et garder son objectif devant les yeux.

Mes six ans de collaboration en tant que pilote de l’exosquelette TWIICE m’ont permis de continuer à construire ce pont qui mène du handicap vers les sommets, grâce à une vision, grâce à l’espoir pour les personnes à mobilité réduite.
Les débuts étaient difficiles, l’exosquelette ne ressemblait en rien à ce qu’il est aujourd’hui mais nous y avons cru, nous avions la vision.

Ce pont qui mène au sommet, c’est aussi le rayon de soleil qui vous montre le chemin vers la lumière.

Quand vous pensez que vous êtes dans le noir absolu, levez les yeux au ciel, vous allez voir des étoiles.
La nuit d’un noir absolu n’existe pas. Les étoiles, si elles brillent, c’est qu’elles sont éclairées par un soleil et cela signifie qu’il reste de la lumière.

Nous n’aimons pas nous retrouver dans le noir, là où règne l’angoisse et le désespoir, mais s’il n’y avait pas de nuit, nous ne verrions jamais les étoiles, si tout était toujours beau, facile et parfait, nous ne nous battrions pas pour chercher des solutions, pour nous en sortir, pour devenir de meilleures personnes.

Chaque matin est porteur d’espoir, l’espoir de recommencer, différemment, un jour meilleur qu’hier. Il faut juste en prendre conscience et saisir l’opportunité.

Je pense pouvoir me définir comme une éternelle optimiste parce que dans ma plus tendre enfance, (je ne vais pas vous la raconter) j’ai vécu une mort imminente. Je me suis vue flotter au-dessus de mon corps, j’ai vu un indescriptible et merveilleux halo de lumière, j’ai vu que c’était beau, que c’était apaisant.

Mon secret, si j’en suis arrivée là, c’est que partout, j’ai été chercher la lumière.
Je suis absolument convaincue que la lumière nous accompagne partout et même plus loin. La lumière, c’est la vie.

Alors lorsque après mon accident, on m’a dit que ceci et cela allait désormais être impossible, que plus jamais je ne pourrai le faire et même quand on ne m’a rien dit, tellement cela semblait impossible, je n’ai pas écouté, car je suis intimement convaincue que la lumière est partout. Aussi petite et faible soit-elle, c’est à vous de l’amplifier, de venir avec un miroir pour la multiplier et que d’une seule lumière, vous en fassiez deux. Et mieux qu’un miroir, équipez-vous d’une boule à facette pour qu’elle projette votre lumière partout, sur tous les murs autour de vous.

Quels sont ces miroirs, me demanderez-vous ?

Cela peut être la rencontre d’êtres chers, la contemplation d’une œuvre d’art, une balade dans la nature. Tout cela peut nous faire vibrer et nous apporter de la lumière.

Et ce miroir, c’est aussi lorsque la vie vous offre l’incroyable surprise, après 13 ans assis dans votre fauteuil, de vous donner de nouveaux accès et contact à votre corps entier, y compris à vos jambes paralysées, à travers le don de tenir en équilibre sur vos mains… alors que vous ne sentez pas votre bassin et vos jambes. Vous avez développé votre proprioception.

À côté de cet instant où j’ai retrouvé cette mémoire cellulaire qui m’a permis de tenir en équilibre sur mes mains, j’ai placé une boule à facette et cette petite lumière de souvenir musculaire qui en cette année 2020 est venue éclairer ma vie de paraplégique, je l’ai multipliée pour qu’aujourd’hui, elle se projette partout et pour que vous puissiez reconnaître la lumière qui est en VOUS.

Alors maintenant, lorsque nous lèverons les yeux de cet article et retrouverons notre vie quotidienne, plaçons cette boule à facettes au milieu de nous et multiplions cette lumière, cette joie, cette vie qui vibre ici tout autour de nous.

(Photos: Tania Emery /Olivier Maire)

Reconstruire sa vie et sa carrière après un grave accident ou une épreuve, c’est possible. Témoignage

Depuis quelques années, je suis régulièrement appelée à donner des conférences de motivation basées sur le témoignage de mon parcours de vie. Je n’ai pas tout de suite compris l’engouement des gens à vouloir m’écouter. J’ai alors tenté de m’observer depuis l’extérieur, comme si cette Silke Pan que je représente était une personne étrangère que je rencontrais pour la première fois. Cela m’a permis d’analyser ce fonctionnement mental que j’avais acquis d’une manière inconsciente à force d’affronter les adversités. J’ai compris alors que c’est notre sens de la responsabilité envers notre destinée qui nous permet de rebondir après être tombé. C’est aussi notre volonté et notre foi en un futur meilleur qui nous permet de persévérer sur la longue route qui mène à l’accomplissement de nos objectifs.

Lorsque je me présente, il y a tout de suite quelque chose qui me distingue de la majorité des gens et qui capte l’attention, c’est mon fauteuil roulant. Durant les premières années après avoir perdu l’usage de mes jambes, les regards curieux que je sentais se poser sur moi me mettaient mal à l’aise. Entre-temps je m’y suis habituée. La chaise roulante n’est pas mon amie. Mais sachant que nous devrions passer un temps indéfini ensemble, j’ai alors renversé la situation et décidant que ce fauteuil deviendrait l’outil qui me hisserait là où mes jambes ne pouvaient plus me porter. De mon handicap, j’en ai fait ma force.

Je me souviens de mes années d’enfance où la danse et la gymnastique étaient devenus mes moyens privilégiés d’expression et d’évasion.
J’avais acquis une grande agilité physique, entretenue et perfectionnée encore grâce à une formation professionnelle à l’école d’état du cirque de Berlin.
Artiste de cirque est un beau et dur métier. Je vivais mon rêve mais non sans risque. J’aimais offrir des moments d’évasion à mon public et m’envoler avec lui sur mon trapèze. Et un jour, fin 2007, j’ai volé un peu trop loin. Je suis tombée au sol et ce rêve s’est rapidement transformé en cauchemar.
En me réveillant, après deux semaines d’amnésie, je me suis retrouvée paraplégique. Je n’avais pas perdu uniquement l’usage de mes jambes, mais aussi le goût et l’odorat, le bon fonctionnement des organes de mon abdomen et surtout… mon identité. Je ne savais plus qui j’étais, quel était mon rôle dans ce monde et ce que j’allais désormais pouvoir faire de ma vie. Les sept mois passés à l’hôpital m’ont permis d’imaginer et de me projeter vers ce futur que j’appréhendais.

J’ai avancé en affrontant l’inconnu, mes doutes et mes peurs. Il fallait que j’attaque les soucis avant de me laisser ronger par ceux-ci. Alors je me suis lancée, j’ai expérimenté. J’ai cherché ce qui m’attirait et ce qui ne me correspondait pas du tout en me questionnant : et si par le passé, je m’étais trompée de chemin ? Je n’ai pas tout de suite trouvé ma voie et parfois je suis tombée bien bas. Mais j’ai appris, j’ai vu et j’ai découvert ce que je n’aimais vraiment pas. Cela m’a permis de me forger, progressivement, une nouvelle identité sociale.

Malgré le deuil de mon corps, de tout ce que j’avais construit et de mes projets futurs, j’entendais cette petite voix intérieure qui murmurait : « Et si le chemin le plus rocailleux te menait au plus bel endroit ? »
Je regardais alors par la fenêtre et ressentais les messages que me transmettait la nature. Comme un arbre qui naît et grandit, il est nécessaire de développer suffisamment de force pour laisser croître ses racines dans une terre qui peut être dure parfois ; de construire un tronc capable de résister aux intempéries, tout en gardant une flexibilité d’esprit pour ne pas se briser au premier coup de vent. Et enfin, l’arbre peut ouvrir largement ses branches pour recevoir la lumière nourrissante du soleil et servir d’abri à de nombre autres espèces.

Avez-vous déjà marché sur un chemin vraiment rocailleux et dû surmonter des obstacles difficiles ? Lorsque celui-ci prend la direction induite par nos propres choix, les efforts pour avancer sont plus facilement acceptables. Mais quelquefois il n’y a tout simplement pas d’autre alternative, l’unique voie qui nous permet de sortir d’un marécage dans lequel le destin nous a enfoncé est glissante et périlleuse.
Malgré tout nous avançons, un pas après l’autre, dans le noir. Nous ne savons pas où ce chemin nous mènera mais notre poitrine sent ce léger chatouillis d’un rayon de soleil lointain. Nous savons qu’il est là, il nous attire comme un aimant. Alors nous continuons, en avant, vers ce grand néant qui s’appelle espoir.

ascension Col du Saint-Gothard en handbike

Et un jour le voile se lève, la lumière nous éblouit de sa splendeur. Le jour est réapparu et l’univers se colore de 1001 teintes.
Quel magnifique panorama s’ouvre alors devant nous ! Quel grand sentiment d’accomplissement ! Et nous constatons combien nous sommes devenus forts grâce à ce chemin. Malgré nos doutes, malgré nos craintes et nos douleurs, nous avons tout maîtrisé. Il se peut que nous ayons vacillé parfois et atteint nos limites mais tout ceci s’efface progressivement devant la splendeur de l’objectif atteint. Nous nous sentons bien. Nous nous sommes dépassés et nous sommes alors récompensés pour avoir affronté ce défi de la vie.

Suivre son appel intérieur peut signifier devoir se détacher d’anciennes structures et prendre un chemin qui peut ne pas être compréhensible pour notre entourage. Un déménagement, un changement d’emploi et il faut tout recommencer. Connaissez-vous ces situations ? Mais regardez cela d’un autre point de vue. Ce qui est merveilleux, c’est que vous vous autorisez à parcourir ce nouveau chemin. Vous pouvez fixer votre propre rythme, vous pouvez sauter de pierre en pierre et vous êtes même autorisés à faire une courte pause et à profiter de la vue qui s’offre à vous.
Et plus vous irez loin, plus cela vous semblera facile. Les montagnes deviendront des collines. Les collines deviendront des rochers. Les rochers deviendront des pierres. Les pierres deviendront des grains de sable…Et ensuite plus rien ne pourra vous arrêter ! Alors… allez-y, de grandes choses vous attendent !

Changement de direction

Connaissez-vous ces situations où physiquement vous exécutez vos tâches, presque machinalement, votre corps est là où on lui demande d’être et votre tête et ailleurs ? Vous vous sentez tiraillé entre le travail entamé que vous avez décidé de terminer et la graine que vous avez plantée et qui commence déjà à germer. Vous voyez cette petite fleur qui sort de terre et vous avez envie d’en prendre soin afin qu’elle grandisse et devienne la belle plante que potentiellement elle est destinée à être.

Vous vous trouvez à la croisée de deux chemins, tout aussi beaux l’un que l’autre. Mais il y en a un en noir et blanc qui s’appelle passé et l’autre en couleur qui s’appelle futur.
Je suis arrivée au bout du cycle de préparation pour les Jeux paralympiques, celui que je prévoyais comme allant être le dernier de ma carrière sportive.

Au vu des résultats obtenus sur les courses de cette période de sélection (championne d’Europe, médaille d’argent en coupe du monde, médaille de bronze aux championnats du monde) j’étais assez optimiste sur ma qualification olympique.

Mais je me suis faite rattraper par des règlements administratifs.
Mon changement de nationalité ne m’avait pas autorisé à participer aux championnats du monde en 2019 et je n’ai pas pu faire autant de points que mes concurrentes. Visiblement ces points m’ont manqué. C’est du moins la raison qui m’a été invoquée par la fédération en ce qui concerne ma non-sélection aux Jeux de Tokyo.

Le calcul de ces points reste malgré tout énigmatique. Je termine cette saison en deuxième place au classement mondial après la tenant du titre, une athlète néerlandaise. Une place qui représente une belle récompense pour le travail investi et que j’ai su garder sur toute la période des qualifications, jusqu’à la veille des Jeux.

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Pour un athlète de haut niveau, le mental tient un rôle non négligeable. Nous devons savoir encaisser et nous remettre en question lorsqu'une compétition ou sélection ne se passe pas comme nous l'aurions espéré. Sans perdre confiance, nous avançons en direction d'un objectif que nous nous sommes fixé. Et si le chemin pour y parvenir n'est pas rectiligne, notre capacité d'adaptation, d'improvisation et notre flexibilité d'esprit nous permettra de tirer le meilleur de chaque situation, quelle qu'elle soit. C'est dans ce sens que pour moi le sport a toujours été une grande école de vie.

En tant qu'athlète on s'attendrait à ce que je sois déçue de ne pas faire partie de la sélection olympique cette année. Et pourtant, aussi surprenant que cela puisse paraitre pour un passionné de courses, je me sens incroyablement soulagée de ne pas avoir dû partir au Japon dans les conditions sanitaires compliquées actuelles et d’avoir ainsi pris et fait prendre des risques à davantage de personnes.

Je vais pouvoir tourner la page, l'esprit serein et satisfaite du travail accompli.
C'est peut-être parce qu’au fond de moi la flamme de ma passion n’a jamais cessé de brûler, même lorsque volontairement je ne l’alimentais plus, que j'ai pu recevoir, il y a une année, un cadeau exceptionnel. D’une manière complètement inattendue j’ai trouvé une technique pour pouvoir faire à nouveau des équilibres sur les mains en tant que paraplégique.

En me positionnant ainsi, la tête à l’envers, j’ai la sensation de reprendre vie, de redevenir moi-même et de me trouver à ma juste place. Mes bras prennent le rôle de mes jambes et la communication se rétablit dans toutes les cellules de mon corps. Je me sens connectée à ma vocation première, à cet appel qui vient du plus profond de mon être et qui me porte sur le chemin de l’acrobate de cirque.

Je garderai de merveilleux souvenirs de ma carrière en paracyclisme. Durant de nombreuses années je me suis entraînée durement, j’ai fait des centaines et même quelques milliers de kilomètres à la force de mes bras. J’ai pédalé au sommet de différents cols, des sorties de parfois plus de 100 km.
La pluie, le froid, les coups de soleil, la soif, le vent de face, les crevaisons, la chaîne qui déraille, les tendinites… c’était parfois dur…

4 ans après l’accident j’ai commencé la compétition, obtenu des victoires, des podiums. J’ai battu des championnes. J’ai gagné une médaille d’or en Coupe du monde, obtenu le meilleur temps mondial au marathon et le titre de vice-championne du monde. Le parcours de ces championnats nous faisait passer à 50 m des murs de l’hôpital où, 8 ans auparavant, un hélicoptère déposait mon corps fracassé. Ma vie ne tenait qu’à un fil. Quelques années plus tard, sur le même lieu, cette vie vibrait à nouveau dans toute sa splendeur pour m’apporter des extraordinaires accomplissements. Alors les gens ont commencé à m’appeler « championne » aussi.

Mais maintenant il est temps d’écrire un nouveau chapitre. J’ai décidé de clore complètement celui du sport de haut niveau. La vie est courte et je souhaite la vivre pleinement.

Je considère cet enchaînement de circonstances comme une invitation à retourner à ma source. Depuis ce fameux 25 avril 2020, j’attends impatiemment le moment de pouvoir me mettre aux entraînements acrobatiques qu’il avait fallu mettre en pause cette saison afin de pouvoir me focaliser sur le paracyclisme.

Le handbike m’a permis d’accepter le handicap, les équilibres sur mains me permettent de l’oublier !

Je vais désormais me tourner vers une carrière artistique et je n’ai aucun doute qu’elle sera riche et passionnante car je vais pouvoir pratiquer ce que j’aime le plus, dans une discipline physique et artistique où il n’existe pas d’autre limite au progrès celle que vous vous posez vous-même.

Et peut-être que le destin me fait un petit clin d’œil en organisant le premier spectacle de ma nouvelle carrière artistique le jour-même où mes anciennes collègues se battront sur le circuit de Tokyo.

Tellement de choses sont possibles dès que nous osons nous éloigner d’un passé rassurant pour entamer un nouveau chemin. Parfois nous vivons pour ce que les autres attendent de nous alors que notre cœur connaît les bonnes réponses.

Un grand merci à mes sponsors, à mon entraîneur, à mes amis et supporters de m’avoir soutenue et guidée. Votre présence a été un appui extraordinaire sur ce magnifique chemin sportif.

Au revoir et à bientôt pour de nouvelles aventures !

Le défi du quotidien

Nous avons atteint un niveau de connectivité qui, il y a vingt ans, ressemblait encore à de la science science-fiction. Du simple téléphone nous sommes passés au courriel, puis à la vidéo conférence. Nous pouvons nous connecter avec des gens à l’autre bout du monde et voir leur visage en appuyant sur un simple bouton. Mais inversement, les niveaux d’anxiété et de dépression sont en constante augmentation dans nos pays industrialisés.

Je m’interroge pourquoi dans notre société nous souffrons autant de tristesse et de mélancolie. Parfois cela commence avec une légère baisse d’humeur puis les symptômes augmentent sans que nous nous en rendions compte, pour dériver parfois sur une véritable dépression.

J’ai passé moi-aussi par ces états-d ’âme et aujourd’hui je suis reconnaissante envers toutes ces épreuves de la vie qui m’ont permis d’évoluer et de d’acquérir une sérénité intérieure toujours plus grande et constante.

Le travail sur soi passe autant par le physique que le mental. Prendre soin de notre corps grâce à une alimentation équilibrée et une juste dose de sport nous permet de nous accepter et de nous aimer tels que nous sommes. A cela se rajoutent d’autres disciplines personnelles comme la gestion de nos émotions et le détachement nécessaire qui nous permettent de ne pas nous laisser prendre par le stress.

Tous les matins, lorsque la lumière du soleil envahit ma pièce, un sentiment d’appartenance à quelque chose de plus grand me remplit. C’est beau, c’est magique.
La nature, avec toute sa capacité de renouveau et d’adaptation devient mon guide. La température de la journée qui monte gentiment réveille en moi l’envie de bouger. Le gazouillis bienveillant des oiseaux à l’extérieur est l’appel pour me mettre au travail et terminer au plus vite les tâches administratives afin de pouvoir sortir et débuter mon entrainement sportif.

Faisant partie de ces personnes qui vivent avec des douleurs chroniques, j’ai appris toute sorte de techniques mentales pour éviter que celles-ci ne prennent le dessus dans ma vie. Dès que la douleur remonte à son point culminant je fais quelques respirations profondes en visualisant l’endroit de la douleur comme de la glace que je fais fondre grâce au mouvement de mon souffle. Ensuite, avec mes mains, je sors virtuellement une boule de douleur de mon corps que je remets au ciel, à l’univers, où elle va être dissoute et transformée en une énergie saine et fluide.

Mettre un pansement virtuel sur ce qui nous fait mal, de quelque ordre que ce soit, pour mieux reconnaitre qu’autour de nous la Vie est plus forte que tout et continue à répandre ses vibrations restauratrices. Faire délibérément le choix de vouloir être heureux, c’est ce qui m’a permis d’accomplir des grands défis sportifs, de gagner des compétitions ou de faire tourner l’entreprise de décoration crée avec mon mari.

Chacune de ces étapes représente une victoire sur mon chemin. Néanmoins il y a aussi d’autres victoires, celles qui vu de l’extérieur ne ressemblent à rien. Ce sont tous ces instants où j’ai réussi à ne pas baisser la tête devant l’adversité. C’est un permanent duel mental que l’on pourrait résumer par « le défi du quotidien »

Une de ces mises à l’épreuve a été l’intervention chirurgicale à mon poignet. Il y a une année, je vis un des moments les plus émouvants de ma vie lorsque je découvre que je peux à nouveau à me balancer en équilibre sur mes mains. Je monte un numéro que je présente quelques fois sur scène avant que la crise sanitaire remette tout à l’arrêt. Puis, cinq mois après ce retour au monde du spectacle vivant, une opération du tunnel carpien me force à faire marche arrière.

La convalescence prend beaucoup plus de temps que ce qui m’a été annoncé et je dois une fois de plus faire le deuil de cet incroyable cadeau de la vie qui avait été de retrouver l’art de l’équilibre sur les mains. Durant quatre mois je me pose la question si la douleur post-opératoire va un jour disparaître et si je vais pouvoir retrouver la performance qui, depuis fin avril 2020, me donnait la sensation d’avoir récupéré un corps entier, libéré de la paraplégie.

Tant bien que mal, je garde confiance et je me dis que tout reviendra. Aujourd’hui j’ai tout récupéré parce qu’au moment décisif j’ai su regarder vers ce petit, ce tout petit rayon de soleil qui pointait à travers les nuages. Il me rappelait qu’au-dessus de cette couche grise il y avait beaucoup de lumière. Alors au loin, j’ai entendu les trompettes du cirque qui entonnaient une romantique sérénade comme pour me dire : nous t’attendons, prends ton temps. Donne-nous ta joie d’être là ici et maintenant et tout le reste ne sera que du superflu. J’ai souri et je suis repartie.

2020, mon année pleine de rebondissements – RETROSPECTIVE

Cette année qui touche à sa fin, aura été particulière sur le plan humain, sportif et sanitaire. J’estime que c’est un moment adéquat pour faire le point sur le passé et nous tourner vers l’avenir avec espoir et optimisme.

Nous sommes en période de Noël, une fête de lumière, de joie et de retrouvailles en famille. Tristement cette année, la célébration a été pénalisée par les restrictions de contact.
Bien que les circonstances ne soient pas telles que nous les avions imaginées, le meilleur moyen de garder notre santé est de ne pas nous déclarer vaincus. Les épreuves nous enseignent qu’au fond de nous, nous pouvons trouver des ressources et réponses pour affronter ces montagnes de soucis qui parfois semblent vouloir étouffer notre joie de vivre. Ce que nous pensons avoir perdu peut recommencer, différemment peut-être mais avec autant d’intensité, et c’est une raison d’espérer. Avoir l’avenir devant soi est un cadeau de la vie, c’est la chance de pouvoir créer de nouveaux chemins et de continuer à rêver en grand.

Mes projets de compétition 2020 n’ont pas pu avoir lieu et les Jeux paralympiques de Tokyo ont été reportés à l’année suivante.
Une seule course des championnats suisses a été organisée. Je termine à la 3ème place au contre-la-montre suite à un petit accident sur le parcours et un souci technique qui ne m’ont pas permis de développer tout mon potentiel.

En dépit de la circonstance générale tendue et plutôt chaotique, j’ai cherché à garder ma forme et ma motivation aussi élevées que possible. Il a fallu faire preuve d’un peu de créativité et sortir de ce qu’on appelle communément sa zone de confort. Cela m’a permis de trouver des objectifs différents mais autant ambitieux que je n’aurais pas abordés sans cette situation imposée par le coronavirus.

RETOUR AUX SOURCES

Si la Covid est une catastrophe sanitaire et sociale mondiale, cette période aura été pour moi une renaissance, un retour au monde du cirque et du spectacle.

Pendant le confinement du mois d’avril, au hasard d’une recherche de nouveaux exercices de musculation, le miracle de la vie se produit. Je découvre et perfectionne une technique très particulière qui me permet de stabiliser mon bassin et mes jambes paralysées. C’est ainsi que je retrouve les équilibres sur les mains tels que je savais les faire il y a 13 ans, avant l’accident. Après quelques semaines d’entraînement, je parviens à maîtriser à nouveau l’équilibre sur une main.

© Sedrik Nemeth/ L’Illustré

Mon numéro a été rapidement remarqué dans le monde du spectacle vivant et des arts visuels et si la Covid ne s’était pas mise en travers, vous auriez pu le découvrir dans le programme du Cirque de Noël de Moudon.

J’aurai par ailleurs le plaisir de faire partie de la troupe des artistes sélectionnés au Festival International des Trophées d’Or à Fay aux Loges (France) si au mois de mars prochain… Si, si et encore si… Tant d’incertitudes plombent actuellement le monde. On aimerait s’élancer mais le doute vient freiner nos ardeurs. Et si, une fois la préparation terminée, tout était de nouveau annulé ? Mes projets seront-ils encore viables si je les reporte d’une année, ou deux ?

Malgré tout il existe des choses qui ne dépendent pas du monde extérieur et qui me font vibrer, comme ces instants magiques lorsque, la tête à l’envers, une nouvelle dimension de l’artiste de cirque que j’étais, se met à reprendre vie.

Pour vous faire une idée des différentes étapes de mon retour à l’acrobatie, je vous invite à découvrir ma chaîne YouTube et particulièrement la playlist « Mes p’tits trucs – Hand Balancing as a Paraplegic»

Silke Pan – YouTube

INCIDENT DE PARCOURS

L’intensité des entraînements a mis à rude épreuve mes poignets. Une détérioration du nerf de mon tunnel carpien a nécessité une opération chirurgicale au mois de septembre.

Lorsque, en tant que personne paraplégique, vous n’avez plus que deux mains pour vous déplacer, vous habiller, faire vos soins et qu’une des deux est mise à l’arrêt, votre indépendance en prend un sacré coup. Il m’a fallu prendre mon mal en patience, supporter ces douleurs qui se rajoutaient à celles qui me tiraillent quotidiennement depuis treize ans, et garder confiance en mes capacités de récupération.

Après trois longs mois de physiothérapie intensive, la douleur au poignet commence gentiment à diminuer et je réussis enfin à me remettre en appui sur la main opérée. Mes entraînements de handbike ont pu reprendre et je n’ai maintenant plus qu’une envie, rattraper le temps perdu.

CYBATHLON 2020

© twiice.ch

Parallèlement au handbike et au cirque, je poursuis ma collaboration avec l’EPFL dans le développement de l’exosquelette TWIICE.
Au mois de novembre a eu lieu le Cybathlon, la compétition internationale, considérée comme étant les championnats du monde officieux des athlètes cyber-augmentés.

CYBATHLON 2020 Global Edition

Notre équipe s’est préparée avec passion et dévouement et a obtenu une heureuse 2e place, nous plaçant entre les Coréens qui ont remporté respectivement la 1ère et 3e place.

© Alain Herzog/epfl

Quelques vidéos de l’événement se trouvent sur ma chaîne YouTube, particulièrement les dernières vidéos ajoutées à la playlist « Get up and walk ! Exoskeleton »

ENTRAINEMENT D’HIVER

2021 sera une saison importante et nous sommes nombreux à espérer que les compétitions pourront se dérouler comme prévu. Pour atteindre mes objectifs, je dois accumuler beaucoup de kilomètres dans les bras avant la reprise des courses ce printemps.

Surtout pendant la saison hivernale, quand les jours sont courts et que le soleil ne brille pas aussi fort, il nous faut veiller, en tant qu’athlètes, à ne pas laisser tomber notre niveau d’énergie.

PERSPECTIVES SAISON 2021

La planification de la saison a déjà commencé et les premières dates de compétition sont fixées. Pour nous para-cyclistes, les courses UCI débuteront au mois d’avril en Italie. Au mois de mai deux coupes du monde nous permettront de mesurer notre forme au niveau international pour enchaîner ensuite, si nous sommes sélectionnés, avec les championnats du monde au Portugal.
Il s’agira alors d’atteindre les limites de qualifications pour les Jeux paralympiques. Tokyo serait le graal de ma carrière sportive. Je vais m’impliquer avec toute mon énergie physique et mentale et ensuite, il ne me reste qu’à dire « inchallah »

Pour terminer, je pense que la chose la plus importante pour chacun de nous est de garder la santé afin d’atteindre nos buts avec toute l’efficacité nécessaire.

Je voudrais profiter de cette occasion pour vous remercier très chaleureusement d’être là, à mes côtés, de près ou de loin.

Je vous souhaite à tous beaucoup d’énergie positive pour l’année 2021.

Silke Pan
Athlète, artiste et amoureuse de la vie


Arrosons les petits arbres plantés cette année pour qu’ils puissent grandir et que nous puissions en récolter les fruits dans le futur

Photos du titre: © Art Show Communication / © Mathieu Rod / © Alain Herzog/epfl

Tel un phénix qui renaît de ses cendres…

Tel un phénix qui renaît de ses cendres… (Définition en bas d’article)
Voilà comment je me sens, comment mon mari résume mon état…

Retour dans le temps, de quelques semaines et je fais une transgression quant à ma ligne d’écriture habituelle, me contentant d’être plus narrative que philosophique sur ce coup-ci.

Le COVID-19, le virus qui aura marqué cette année 2020 avec son impact planétaire, économique, social, sportif, tout a été dit, écrit et le sera encore…

Son confinement qui l’accompagne aura été pour tous un recentrage sur soi-même, son couple, sa famille, ses proches. Je ne déroge pas à la règle.

La mesure tombe au 13 mars environ, confinement général pour la population suisse, on reste à la maison. La Suisse ordonne un confinement souple : sorties toujours possibles mais dans le respect de règles données, ce qui, au vu des témoignages d’amis italiens, français ou belges, ressemble à une semi-liberté à peine surveillée.

Didier (mon mari) et moi engageons cette période avec sérénité, adaptons notre vie commune, mes entraînements sportifs, nos sorties alimentaires (Didier en solo, part au centre commercial et remplit un caddie qui doit au minimum nous faire une semaine de survie, parfois presque 10 jours)

En fonction de mon programme d’entraînement, une à deux sorties en handbike sont quotidiennement effectuées, sur un parcours toujours identique, le long des berges du Rhône. Pas de voiture mais un regain nouveau de cyclistes, joggers, patineurs se retrouvent sur mon itinéraire, parfois encombrant.

Ouvrons-là une parenthèse pour déplorer la pratique quasi systématique des écouteurs dans les oreilles, privant ainsi son utilisateur de toute connexion avec les bruits et la vie extérieure, le mettant en danger, lui et celui qui veut le dépasser… Jogger qui court au milieu de la piste sans entendre les oiseaux, le vent dans les arbres et mes appels avertisseurs de mon arrivée. Patineurs au style débutant sans casque et protections coudes-poignets, écouteurs bien sûr… Genoux collés et chevilles à 45°… Cyclistes amateurs sans casque, guidon lâché pour manipuler son téléphone à 2 mains pour sélectionner sa playlist… Ou simplement piétons dont on ne voit pas les avant-bras, signe que ceux-ci sont en train de les utiliser et majoritairement pour tenir le smartphone couplé aux écouteurs encore… Tant de comportements que l’on remarque et déplore par ces sportifs urbains sortis de leur salle de fitness et connectés soudainement au plein air. Pourtant la mélodie du vent, le ruissellement du Rhône, reconnaître le chant des oiseaux… Manquer cette connexion avec la nature, la Vie… Dommage… Parenthèse fermée.

Après 5 semaines de confinement, mon entraîneur me propose un nouveau programme : une sortie par jour et exercices de fitness et musculation (altères, pompes, etc.) en intérieur.

Cordes, poulies, tapis de mousse, barre et poids de musculation, tout est regroupé dans un coin de halle de stockage. Didier place à l’horizontale une échelle à 2 mètres de haut et je vais pouvoir y faire tractions et traversées.

Ainsi pendant 2 semaines, je pratique et développe de nouveaux exercices avec le matériel à disposition. Le fitness que je fréquente habituellement est bien sûr fermé.

Et un jour…

Un jour inoubliable, marqué depuis dans mon cœur, mon âme, mon corps, le 25 avril…

A la recherche de nouveaux exercices, je demande à Didier de me soulever par les pieds pour ressentir le poids sur mes mains et imaginer quelques pompes à la verticale. Dénégations de Didier : mes jambes ne seront que cordes molles et il lui sera impossible de me tenir en verticale et de la gérer convenablement.

Petite déception mais celui-ci me dit : attends, j’ai une idée, couche toi sur le ventre, je reviens.

Quelques instants plus tard il revient avec mon snowboard de mon temps de valide dont il avait toujours refusé de se séparer et quelques sangles.

Snowboard posé sur mon dos, il me sangle haut du dos, bassin, genoux, chevilles et me dit : comme ça, ça doit la faire.

Je comprends l’idée, 3-2-1, il me redresse et je me retrouve sur les mains et tout le poids de mon corps écrase mes paumes et mes doigts.

Machine à remonter le temps ! Je reviens 13 ans en arrière. Je ressens, je revis, je saisis mon corps, il me parle, je lui réponds, on se comprend, on interfère ensemble.

Pas de mots ici assez forts pour exprimer mes sentiments, mes sensations retrouvées, ma joie de corps et d’esprit.

En 4 essais, en moins de 10 minutes, je retrouve la gestion de l’équilibre sur mains. Didier me redresse en verticale et je tiens en solo sur les mains !!

25 avril !! Date historique dans mon parcours de vie. Ma naissance, mon accident, mon mariage et maintenant celle-ci, gravée à jamais dans mon cœur. Une 2ème date-clé rejoindra rapidement les autres mais on y vient plus tard. Pour le moment, je jouis de cet instant présent, nouveau, magique, irréel !

Didier et moi tombons dans les bras ensemble, nous laissons sortir des larmes de joie, d’incrédulité et sans tarder, recommençons l’exercice encore et encore !

Mon équilibre est là, je le gère. Il me manque encore un peu d’endurance mais ma condition physique due au handbike est là. Je dois encore l’adapter pour ces nouveaux mouvements.

4ème essai, je tiens en solo sur les mains. Didier le savait, le sentait, il avait mis en place le téléphone portable en mode vidéo et nous avons en images ce moment merveilleux. Archive précieuse.

L’histoire commence et ne s’arrête pas là. Les jours qui suivent, je retrouve mon snowboard collé au dos. Le 3ème jour, je peine à retrouver mon équilibre, un doute m’envahit… et si… si ça n’était qu’une illusion, une sucette dans la bouche que l’on me retire ? Mon dos, fatigué par ma reprise bien sûr fougueuse, réclame du repos, à corps et à cris et par déséquilibre. L’absence de tonicité dans mon bas du dos, bassin et jambes doit être compensé par un effort conséquent par ceux qui répondent présents. Jour 3, jour de craintes, de doutes…

Jour 4, la réponse à mon corps : message reçu, on modifie le plan d’attaque. Fini le snowboard qui amène mon centre de gravité bien haut par rapport à la partie de mon dos encore valide et de fait, le sollicite de façon exagérée.

La position petite boule va naître. Jambes repliées contre mon tronc, côté poitrine, genoux pliés, on sangle le tout fermement et me voici avec un tronc-jambes solidaire et compacte. Mon centre de gravité est ramené bien plus bas, je maîtrise mieux mes équilibres, moins de force à développer, je reste désormais quelques minutes sur les mains sans redescendre au sol. Il me manque peu pour me hisser sur les mains en solo mais la rotation du bassin est encore physiquement très conséquente. Didier m’aide encore à chaque fois, tant à la montée qu’à la descente. Je ne suis pas encore autonome dans mes mouvements. Se débarrasser de mes chaînes… Me hisser, m’élever, m’envoler par moi-même, sortir de ma cage, me libérer ! Je me fixe ce but dans ma tête.

Deux semaines durant, je travaille alors en petite boule. Je fais divers essais de positions d’avant, de ce temps passé mais pas effacé. Je tente divers chemins qui, souvent, me mènent dans une impasse. Peu importe, que ce chemin est beau !

Autonome, effectuer l’entier de ma montée sur mains incluant le départ au sol, le contrôle de la descente, revenir et réussir à nouveau mes équilibres sur un bras, gauche et droite. Je tiens à retrouver mon côté ambidextre d’équilibriste sur mains valide.

Je le veux, je le peux, je le sais, je le sens. Mon corps me répond, pas au doigt et à l’œil, mais nous retrouvons un langage commun et, plus que des bribes de phrases, nous établissons lui et moi une conversation nouvelle mais tellement enrichissante.

Pendant cette période, j’ai lâché quelques photos sur mes réseaux sociaux. Partager ma joie, mon bonheur. Une avalanche de réactions, des messages de positivité, d’encouragements. Plus de 600 réactions, 190 commentaires et 60 partages, rien que sur mon profil Facebook. Tout comme moi, mes amis et proches n’en reviennent pas.

21 mai, 2ème date clé que je grave dans mon cœur et livre personnel de vie

Didier est avec moi bien sûr tous les jours. Confinement oblige mais surtout élément indissociable de mon retour sur mains. Un matin, par WhatsApp, il m’envoie une photo d’un asiatique avec un balai attaché aux chevilles et qui passe par l’arrière de la tête, en appui sur la nuque.

Un exercice d’assouplissement, de yoga, de maintien corporel. Pour moi, un nouveau chemin à explorer.

Il y aura eu le snowboard, la position petite boule, allons découvrir celle que nous allons nommer “en V”

“Une femme qui demande à ce qu’on l’attache, ça se garde…” dixit Didier

Une barre aluminium attachée aux chevilles, qui passe derrière ma nuque, une petite protection pour la nuque et nous voilà aux portes de cette nouvelle étape.

Première sensation et réaction : ma souplesse est bonne et de toute manière, je ne sens pas mes jambes, ni bassin. Mais mon passé est avec moi, ma souplesse d’avant est toujours là, je l’ai entretenue durant ces 13 ans par des exercices d’assouplissement réguliers. La paraplégie aurait tendance à plutôt cristalliser les articulations et les rendre raides. Mon corps est mon outil. Des jambes bien droites sur mon handbike est un avantage. Mon temps investit se retrouve encore mieux maintenant.

Premier essai, depuis le sol, les fesses touchent le tapis, mes chevilles sont au-dessus de ma tête. Sans une hésitation, tout mon corps participe à mon effort. La partie qui ne peut pas est emmenée de force par la barre d’aluminium et surtout mon centre de gravité et point de rotation est placé dans la partie valide de mon corps. Je suis commandant en chef et j’ordonne : qui m’aime me suive !

Épaules, bassin, jambes, tous sont des alliés qui me poussent à mon sommet : je suis partie du sol et je finis en équilibre sur mains ! Je suis libre et indépendante !

Une victoire se rajoute à mon palmarès. Il me reste à placer l’estocade, le coup de grâce à ces 13 ans d’abstinence : l’équilibre sur un bras ¨

En position petite boule, j’ai déjà souvent tenté l’exercice mais mes jambes placées trop en arrière de mon corps place mon centre de gravité tel qu’il me faut une force énorme pour retenir mon bassin qui tombe et que je ne retiens pas. Je me suis épuisée bien des jours pour un résultat frisant le nul.

En position “V” tout change. Mes jambes sont plutôt placées au niveau de mes épaules, voir presque en avant. Ma force restante dans le dos me permet presque facilement de les contrôler.

21 mai, en position “V”, je pars du sol en solo, me monte en équilibre sur mes mains, bascule mon bassin sur le côté. Je place le poids de mon corps dans mon épaule, ma paume se fait écraser, mes doigts sont mon équilibre, mes yeux, mon centre de contrôle. Ma main opposée s’allège, mes doigts effleurent le sol, s’envolent, quittent le sol. Je suis en équilibre sur un bras.

Silke Pan is back ! Didier encore…

Vidéo sur ma page Facebook “Silke Pan- Page publique” https://www.facebook.com/silkepan.ch/videos/1174190996255708/

25 avril, 21 mai, moins de 4 semaines… J’ai retrouvé mes équilibres sur mains, le carburant pour mon corps et ma tête, mon ADN. Je retrouve ma vraie identité : Silke Pan, l’équilibriste sur mains !

Dans mon livre que j’ai écrit, au chapitre de l’exosquelette, je conclus par :

” Ne baissez jamais la tête, ne courbez jamais le dos ou alors une fois par jour : pour attacher vos chaussures. Désormais, je veux en user les semelles ! ”

Aujourd’hui, je veux toujours user ces semelles mais aussi retrouver les mains cagneuses de mon époque perdue et maintenant retrouvée.

Le bonheur n’est pas au bout du chemin. Le bonheur, c’est le chemin. Ce chemin, je peux désormais le parcourir à pieds ou sur les mains.

Si un jour vous me croisez chaussures usées et mains pleines d’ampoules et de callosités, ne me plaignez pas : je suis heureuse !

Silke Pan

* Le phénix est un oiseau légendaire doué d’une grande longévité et caractérisé par son pouvoir de renaître après s’être consumé dans les flammes. Il symbolise ainsi les cycles de mort et de résurrection.

« Là aussi naît le phénix, qui a la grandeur de l’aigle, la tête ornée de plumes formant un cône, des caroncules à la gorge, le cou rayonnant d’or, le reste du corps de couleur pourpre, si ce n’est la queue, qui est d’azur éclatant et semée de plumes incarnat. »

Le phénix se reproduit lui-même : quand il sentait sa fin venir, il construisait un nid de branches aromatiques et d’encens, y mettait le feu, il battait des ailes pour attiser les flammes et se consumait dans les flammes. Et une fois qu’il était réduit en cendres, un oisillon en renaissait.

 

Photos de cet article par @ Anthony Demierre

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  • Lisez à ce sujet l’article du magazine l’Illustré du mercredi 3 juin 2020 !
  • Et pour davantage d’illustrations, suivez-moi sur mes réseaux sociaux (Facebook et Instagram) et
    découvrez ma chaîne Youtube: https://www.youtube.com/user/Silkepan1/videos

 

Le monde en plein confinement, en ressortir grandi

Je rentrais de un mois d’entraînement intensif en Espagne en vue de ma qualification pour les prochains Jeux Paralympiques, je m’apprêtais à partir en Italie pour les premières courses et voilà que le monde du sport est paralysé par la pandémie du coronavirus. Tout s’arrête. Il nous faut rester à la maison, avec la grande incertitude par rapport à la suite de la saison.

Professionnellement tout est annulé également. Evénements, réunions, salaire… A tel point que je me demande si nous ne serions pas à l’aube d’une grande crise mondiale qui engendrera des milliers de morts, des soucis économiques énormes pour la majorité des pays de ce monde et de gros changements à différents niveaux.

A ce jour, étant encore devant trop d’inconnues, les gouvernements ne peuvent que réagir mais pas vraiment agir. Ils devront s’ajuster aux recommandations qui leur parviennent. La pression est terrible.

Mes compétitions ont été renvoyées. Les Jeux Olympiques avaient par le passé été annulés seulement à cause des deux guerres mondiales. Ce report des Jeux de 2020 est une première historique et pose la crise sanitaire actuelle au même niveau qu’une guerre mondiale. Que devons-nous en conclure ?

Dans notre pays, le nombre de cas affectés continue à augmenter. Des personnes de tout âge sont touchées et peu à peu nous avons dans notre entourage des malades parmi nos connaissances, nos amis ou même notre propre famille.

Embarqués dans cette tragédie il est primordial que nous trouvions la volonté et le courage de nous relever. Je crois qu’il est important de ne pas nous laisser embarquer dans un tourbillon émotionnel. Lorsque nous apprenons des mauvaises nouvelles, cela peut être bénéfique de prendre un peu de recul pour regarder ce qui nous arrive depuis différents angles de vue.

Nous, les athlètes qui nous entraînons à la maison et qui n’avons plus de compétitions, nous, les indépendants qui avons dû fermer notre commerce, vous, les salariés qui vous retrouvez au chômage, nous tous, nous vivons une situation inhabituelle dans laquelle ce qui était normal avant ne s’applique plus aujourd’hui. Au début cela a été un choc mais comme chaque fois qu’un événement douloureux est venu perturber le cours de mon destin, j’ai décidé de le voir comme une opportunité de prendre un virage et de changer pour quelque chose de meilleur.

Cette situation me permet de réfléchir à comment je peux mieux prendre soin de ma santé, comment vivre ma vie privée avec sérénité et comment considérer ma vie professionnelle d’une manière plus efficace.

L’être humain est un être social et l’isolement auquel nous devons nous tenir en cette période de COVID-19 peut nous faire passer par des moments de tristesse. Cela favorise une baisse de notre immunité et nous devenons vulnérables.
Pour y remédier mon agenda reste bien rempli par des tâches et entraînements qui me permettront sur le long terme d’atteindre mes différents objectifs. Bien que le soir je me sente fatiguée d’avoir tenté de tout gérer correctement avec des conditions nouvelles, je ressens une certaine satisfaction.

Avant cette crise sanitaire je m’imaginais parfois que la vie folle et agitée que j’avais, qui me permettait de rester chez moi à peine trois jours par semaine, me donnerait le bonheur et la liberté que je cherchais. Mais finalement ni la médaille gagnée sur une course, ni les applaudissements à la fin d’un événement, ni l’argent gagné grâce à mon travail ne peuvent me donner cette paix profonde que j’ai retrouvée durant ces semaines de confinement.

Je prends de nouveau le temps de regarder le ciel, de m’extasier devant les premières fleurs, d’écouter le chant des oiseaux et je me réjouis de ne plus entendre la sonnerie de mon téléphone qui est devenue muette avec l’arrêt des activités professionnelles.

Je vis avec mon mari et mon chien, sans Netflix, sans tv, avec des choses simples car j’ai appris que l’inutile n’est pas indispensable.

Chacun de nous peut choisir comment considérer et appréhender cette épreuve. Tout dans ce monde est éphémère et ce que nous vivons en ce moment ne va pas durer éternellement. En revanche, si nous choisissons d’en tirer des leçons constructives, nous en sortirons grandis, plus forts et plus épanouis pour le reste de notre vie.

Voyage au cœur de ma vie

Voyager, tout le monde y a rêvé, ne serait-ce qu’une fois, s’envoler au loin vers l’aventure, découvrir de nouveaux horizons et sortir d’un quotidien morose et parfois pesant.

Avant que le destin ne me cloue dans un fauteuil roulant, ma vie était étroitement liée au voyage. Artiste itinérante, je me déplaçais d’une salle de spectacle à l’autre, mon chez-moi étant devenu le monde entier. L’accident a marqué un grand changement, à tous les niveaux, et mes nouvelles conditions de vie m’ont contraint à me sédentariser… momentanément.

À l’époque de ce grand tournant, j’étais prête à renverser tous mes principes et à devenir une nouvelle personne. Malgré mes efforts, je n’ai pas pu faire de moi autre chose que ce que j’étais et mes activités professionnelles et privées actuelles m’ont rapidement porté à voyager aussi souvent que par le passé.

Et pourtant, il y en aurait des facteurs pour me décourager : des valises lourdes et fréquemment encombrantes qu’il faut embarquer avec soi tout en étant incapable de les porter soi-même, l’inaccessibilité de beaucoup de lieux publics et le fait de ne pas savoir si loin de chez nous nous allons trouver une salle de bain accessible. Le fauteuil roulant est notre bagage premier et nécessaire. À cela se rajoute du matériel de soin pour assurer au quotidien la santé et le bon fonctionnement de ce corps handicapé. Et dans le cas des athlètes « sur roulettes » un engin de sport vient compléter la liste.

Compétitions, stages d’entrainement, conférences ou décorations, que ce soit lié au sport ou à ma profession, l’athlète élite que je suis ne peut pas se permettre de laisser son corps chômer plus de deux jours. Mon handbike est alors toujours avec moi et j’apprécie les bras forts de mon mari pour assurer le transport.

Que de pays visités, de montagnes gravies, de bords de mer sentis sur ma peau et avec tous mes sens ! Les voyages sont autant enrichissants qu’ils peuvent être épuisants. Lorsque d’autres rêvent de partir, je rêve parfois de pouvoir me poser quelques instants…

En ce temps où nous parlons de plus en plus d’écologie, je me pose d’ailleurs beaucoup de questions à propos des nombreux déplacements demandés aux sportifs qui veulent se mesurer à un niveau international. Une compétition en Italie cette semaine, au Canada la semaine suivante, puis de nouveau en Europe la fois d’après. Pour atteindre un objectif de sélection pour des championnats du monde ou des Jeux Olympiques, un athlète ambitieux est pris dans cette spirale. Soit il veut gravir les échelons et se plie aux exigences soit il se retire du sport de haut niveau. Un dilemme auquel la plupart des athlètes ambitieux répondent en mettant en priorité leur objectif de carrière.

Des solutions pour minimiser notre empreinte carbone ? Il y en a des plus réalistes aux plus utopiques. Et si, pour n’en donner qu’une, chacun d’entre nous recevait un « crédit pollution » ? Nous serions portés à repenser tous nos déplacements et notre mode de faire.
Plutôt que de partir en Australie en avion, nous partirions à vélo et en bateau, et plutôt que de revenir après deux semaines, le voyage nous prendrait quatre ans…

Peut-être devrions-nous nous poser plus souvent la question si nos objectifs sont dans le respect de notre planète en souffrance ou s’ils ne sont qu’un pur plaisir égoïste.

Une sage progression revient parfois à faire un pas en arrière. Ralentir cette course effrénée vers plus de productivité et plus de fortune et apprendre à apprécier les voyages au sein de son propre pays. Se servir de l’évolution de la technologie pour voyager virtuellement… voyager, rêver, s’évader. La vie et notre feu intérieur nous pousse toujours à aller plus loin et plus haut et je ne le regrette pas.

Et pourtant, cette éternelle course à la performance est aussi ce qui risque de pousser l’humanité a sa perte, en détruisant sa terre nourricière.
L’éternel devoir d’aller plus vite, plus fort, plus haut, porte à une grande réflexion. Est-ce véritablement ce que nous voulons ou bien nous a-t- on inculqué cela dès notre plus jeune âge ? À l’école, nous sommes jugés selon des notes, le premier de classe est primé, alors que le troisième ou quatrième s’est peut-être investi dans une démarche d’apprentissage beaucoup plus valable. Nous glorifions le résultat, pas l’investissement.

Le jour où l’humanité aura pris conscience à quel point elle détruit l’écosystème et combien son impact influence le dérèglement climatique, il ne suffira pas de changer de cap, il faudra revoir tous nos raisonnements.

Le marché de la compétition prendra un autre essor et certainement qu’il faudra accepter de baisser le rythme pour retrouver la qualité plutôt que la quantité.

Aujourd’hui, j’ai la chance de pouvoir encore me déplacer, que ce soit avec les transports publics, mon vélo ou simplement mon esprit. Les personnes, cultures et situations rencontrées me stimulent et m’enrichissent. Ma vie est étroitement liée au voyage, mais j’ai choisi d’en prendre les commandes et de garder notre terre comme amie.

Gravir les cols alpins en handbike, traverser les lacs à la nage et observer le coucher du soleil… La paraplégie a l’avantage de me permettre de faire l’ascension des plus hauts sommets sans faire des milliers de kilomètres, car les plus grands accomplissements se trouvent au fond de moi-même.

 

 

Sport handicap : La paraplégie, qu’est-ce que c’est ? Classifications, injustices

Lorsqu’on n’a pas celui qu’on aime, il faut aimer celui qu’on a … je ne parle pas de mon mari mais de mon chemin de vie.
Nous ne sommes pas maître de tout ce qui nous arrive mais il nous reste ce libre choix qui nous permet de rajouter notre touche personnelle à notre destin. L’accident qui m’a rendue paraplégique a marqué un gros tournant pénible et difficile. Grâce au handisport j’ai retrouvé un sentiment d’appartenance sociale, de dignité et la joie de me battre par rapport à moi-même en essayant d’oublier le temps d’un instant mon handicap.

Ce que nous appelons communément handisport est un sport dont les règles ont été aménagées pour qu’il puisse être pratiqué par des personnes ayant un handicap physique, mental ou sensoriel.

Quelques mois après ma sortie d’hôpital, j’admirais ces jeunes athlètes en fauteuil roulant. Ils étaient pour moi des exemples de volonté, de dynamisme et de détermination.
Comme eux, j’ai alors décidé d’affronter, de regarder la vie en face. Je me suis défini des objectifs et j’ai obtenu de grandes satisfactions.

Quelques années ont passé et je suis toujours engagée dans le sport de haut niveau. Nous sommes actuellement à moins de deux ans des Jeux Paralympiques de Tokyo… et j’ai envie de crier mon ras-le-bol.


Ayant obtenu de belles victoires en handbike, je me passionne maintenant également pour le para-triathlon (natation, fauteuil de course, handbike) Et vu qu’il faut savoir voir grand et viser haut, j’ai la motivation de tenter une qualification aux Jeux Paralympiques de 2020, dans une de ces disciplines. Mais cette motivation est entachée. Une paraplégie complète en-dessous de la 10e vertèbre thoracique me place, dans les différentes disciplines sportives que je pratique, dans la classe des athlètes les moins lésés. Cela signifie que je me bats contre des personnes qui ont par exemple perdu la sensibilité dans une jambe encore fonctionnelle. Cette classe d’handicap inclus les lésés médullaires ainsi que les amputés.

Certes, la variété des différents types de handicap ne simplifie pas la tâche des classificateurs. Ils pensent faire juste mais ils le font avec leur esprit de valide qui, dans la majorité des cas, ne connaît pas les spécificités de chaque handicap.

Quels sont donc tous ces secrets de polichinelle qui entourent la paraplégie ? Il est appréciable de voir que certaines personnes se sont prêtées au jeu de se mettre volontairement une journée dans un fauteuil roulant pour pouvoir mieux comprendre le quotidien de ceux qui ont été touchés dans leur intégrité physique. Tristement, cela n’est qu’un leurre qui ne reflète pas la réalité.
Le fait d’avoir une absence de tonicité du buste, vous projette en avant au moindre petit caillou sur la route sans aucun moyen de vous rattraper. Et je ne parle pas des spasmes et autres fonctions physiques altérées.

De même, jamais un gynécologue masculin, malgré ses longues études, ne pourra comprendre entièrement ce que signifient les douleurs d’un accouchement.

L’autre jour, je me déplaçais en train pour me rendre à un rendez-vous. Derrière moi, assis sur d’autres sièges, des enfants accompagnés chahutaient un peu et sans le vouloir mobilisaient mes oreilles.

Rires, cris, la vie… l’insouciance heureuse… les jeux, les chicaneries occupaient le wagon.

Arrivent alors à mes oreilles, les paroles de devinettes que les gosses se posent entre eux :

– Qu’est-ce que tu préfères ? Manger tes crottes de nez avec du ketchup ou boire du pipi de chien avec de la cannelle ?
Vous connaissez ce jeu sûrement, quoi du pire te semble le moins pire ou le plus tolérable ?

Alors jouons ensemble aujourd’hui, une question, une seule, à laquelle vous devez répondre le plus sincèrement possible.
Que choisissez-vous si le pire venait à vous tomber dessus : être amputé d’une jambe ou être paraplégique ?

Ma main à couper (pas la jambe, le jeu l’a déjà fait…) que la plupart d’entre vous aurez choisi d’être amputé d’une jambe, le moins pire à vos yeux, aux yeux de tous ceux à qui j’ai posé la question.

Amputé d’une jambe, il vous reste l’autre avec laquelle vous savez encore prendre appui et qui plus est, avec ou sans béquilles, une prothèse et vous conservez la verticalité. Un problème mécanique somme toute. Le bios même de l’ordinateur du corps n’est pas atteint. Alors qu’une paraplégie… Là, on parle de moelle épinière, du système nerveux central, du tronc et pas d’une de ses branches jambes ou bras.

La moelle touchée, tout un phénomène complexe se dérègle et sur de nombreux paramètres.
La paraplégie… Les jambes bien sûr mais si seulement… les organes internes vessie, intestins, diaphragme, machine à bébés sont affectés. La circulation sanguine dans les membres inférieurs affectée, une ostéoporose précoce, des escarres dus à une peau devenue sensible au froid, aux chocs, les spasmes, ces contractions musculaires involontaires dans la partie lésée qui sont douloureuses et vous empêchent de dormir la nuit…

Une découverte très peu probablement pour vous. Depuis peu, le voile se lève et par le biais de nombreux reportages TV et radio, le handicap se révèle, se dévoile.

Sondage, cathéter, lavement, pilule bleue, finalement, pour le moins en Romandie, le public découvre, apprend… oui, la chaise roulante, la paraplégie, ça n’est pas “que” les jambes… il y a tout le reste…

Un récent sondage nous apprend que les paraplégiques mettent en 4ème position le rêve de pouvoir à nouveau marcher. 4 ème !

En 1 : vessie et intestins, retrouver un fonctionnement pas altéré
En 2 : fin des spasmes et douleurs neurogènes que cela apporte
En 3 : une vie sexuelle, devenir mère ou père, procréer, les plaisirs de la chaire
En 4 : marcher…. Même comme un amputé avec une prothèse ou équipé d’un exosquelette.

Vous le savez, vous m’avez vue, je suis debout et je remarche grâce à TWIICE, l’exosquelette développé par l’EPFL. Bien sûr, un rêve, remarcher, vous rendez-vous compte ? Marcher, être debout, retrouver sa verticalité, ne plus être une double-équerre. Pour le commun des mortels, l’essentiel est atteint : debout. Mais pour moi, pas que… et de loin pas. Cette verticalité me redonne une meilleure circulation sanguine dans mes membres inférieures, un transit intestinal moins incohérent, une minéralisation de mes os grâce aux chocs et pressions appliquées par la position debout. Voilà où sont aussi les grands progrès apportés par TWIICE.

Et je ne parle pas encore des douleurs neurogènes apaisées par l’effort à déployer pour maîtriser TWIICE. L’effort au sport, la production d’endorphine naturelle qui nous permet de passer par-dessus les douleurs liées à l’activité sportive soutenue. C’est un des secrets pour contrôler ces autres douleurs spécifiques liées à la paraplégie. J’ai toujours été sportive et l’accident n’y a rien changé.

Lorsque j’ai appris que j’allais rester en chaise roulante, quand certains docteurs m’ont fait comprendre que plus jamais je ne remarcherais, intérieurement je me suis dit j’allais continuer à être celle que je suis. La paraplégie touche mon corps mais ne touche pas l’essence, la flamme de ma vie, la personne que je suis. Le sport pour moi est aujourd’hui le même outil qu’auparavant, le moyen d’exulter mon corps… et même davantage, il est devenu un médicament.

Comme le disait si bien Pierre de Coubertin « L’important dans la vie, ce n’est point le triomphe, mais le combat. L’essentiel n’est pas d’avoir vaincu mais de s’être bien battu »

Je me suis battue en compétition, j’ai vaincu sur moi-même ainsi que bien souvent sur mes concurrentes. Je me suis prise au jeu, j’ai escaladé les marches jusqu’aux championnats du monde de paracyclisme et je travaille dur pour atteindre mon rêve d’une participation aux Jeux de Tokyo.

Mais, il y a un « mais »… En handisport il y a probablement moins de dopage, il y a pire, il y a des injustices qui sont faites par des fonctionnaires qui disent nous vouloir du bien. Les classificateurs sont convaincus de faire juste alors qu’ils sont devenus sourds et aveugles à la réalité du handicap, ils ne voient plus et n’écoutent pas. Les lésés médullaires doivent se battre contre des amputés parce qu’on nous prétend que ces types d’handicap sont identiques.
En compétition, je me retrouve sur le podium avec des athlètes qui savent marcher, se tenir debout, même sans béquilles

Jugez et appréciez vous-même sur cette vidéo : parmi ces trois personnes se trouve une personne qui , selon le règlement, court dans la même classe d’handicap que les paraplégiques

Pire encore en natation, les jambes du lésé médullaire coulent. Et lorsque nous avons la malchance, comme cela est mon cas, d’avoir une paraplégie spastique, ces jambes se contractent vers l’avant et remontent à la poitrine. Sans flotteurs sur le bas du corps pour contrecarrer ces mouvements parasites, mes efforts pour avancer sont décuplés alors que ma vitesse de progression est terriblement entravée.

Sommes-nous donc véritablement égaux à l’unijambiste qui peut utiliser sa jambe valide comme gouvernail, s’en servir comme moteur pour avancer et positionner son corps d’une manière idéale ?
Oser nous dire que nous sommes pareils entre les athlètes qui nagent avec trois membres et ceux qui nagent avec seulement deux bras + deux ancres (les jambes) qui sont à traîner derrière est une aberration.

En fauteuil de course-athlétisme je me retrouve à me battre contre des gens qui montent dans leur chaise avec deux jambes, qui ont tous les muscles du dos, qui peuvent se redresser pour pouvoir pousser encore plus fortement avec leur buste et leurs bras, et on vient me dire que c’est le même handicap !

Le règlement dit qu’en natation aucun moyen auxiliaire n’est permis. Mais n’a -t-on même pas le droit de tenter de se rapprocher quelque peu, par une aide mécanique, d’un corps valide de manière à se battre sur des bases plus équitables entre concurrents ?

Si nous suivons ce raisonnement, pourquoi seraient autorisées des roues sous les fauteuils, ne faudrait-il pas plutôt avancer par la seule force de ses bras en rampant au sol ? Pourquoi, en athlétisme, on autorise les lames ? Dans le même ordre d’idée, les amputés devraient alors sauter sur un pied ou avancer sur leurs mains. En natation on m’interdit des flotteurs en me forçant à subir encore davantage mon handicap et à accepter mes jambes comme des ancres. Pourquoi alors le coureur aveugle a t-il droit à un guide ? Pourquoi les footballeurs aveugles ont droit à un repère sonore ? Les règlements sont-ils vraiment faits pour nous dégouter du sport et nous couler davantage ?

Ce rêve des Jeux, je continue à le poursuivre mais plus que tout, je vais continuer sur la voie des aventures sportives personnelles. L’ultra-para-cyclisme, des Ironmans à ma manière, parce que devant la puissance de la nature je suis seule face à moi-même. Je sens lorsque j’ai été haut dans ma puissance et dans l’abnégation de la souffrance. Je ne me bats pas contre des gens dont on me dit que le handicap est égal au mien alors que je sais intimement que c’est faux.

Le handisport devrait permettre l’inclusion des non valides parmi les valides ou pour le moins leur permettre, l’affaire d’un temps, de se retrouver en situation d’égalité. Se battre pour atteindre de grands objectifs sportifs, poursuivre sérieusement une carrière d’athlète élite, ce sont des accomplissements qui devraient être remplis d’équité.