Les banques centrales aggravent la situation

Les récentes décisions des principales banques centrales dans l’économie globale, censées lutter contre le fort renchérissement des prix à la consommation, sont en réalité susceptibles d’aggraver la situation macroéconomique et ce pour quatre motifs principaux.

Primo, la remontée des taux d’intérêt poussera à la hausse les coûts de production des entreprises ayant besoin de faire appel à des crédits bancaires pour financer leurs activités économiques, induisant alors une plus forte augmentation des prix de vente des produits de ces entreprises et par conséquent exacerbant d’autant plus le renchérissement qui d’ores et déjà pèse sur le budget des ménages. L’activité économique en sera réduite de manière considérable à moyen terme.

Secundo, l’augmentation des taux d’intérêt va décourager bien des entreprises à investir, étant donné qu’une partie de leurs projets d’investissement ne sera plus rentable en raison de ladite augmentation et des conséquences négatives qu’elle engendrera dans l’ensemble du système économique. On assistera dès lors à une diminution du niveau d’emploi (entendez une augmentation du taux de chômage) qui induira une pression à la baisse sur les salaires d’une part importante des travailleuses et des travailleurs au sein de l’économie nationale.

Tertio, la hausse des taux d’intérêt se traduira par une appréciation des taux de change des monnaies nationales concernées, selon les différentiels des taux d’intérêt entre les principales zones monétaires. En résultera une diminution du volume des produits exportés, qui pourrait se répercuter aussi négativement sur le niveau d’activité dans l’ensemble du système économique, augmentant alors davantage le taux de chômage.

Quarto, l’augmentation des taux d’intérêt va également impacter les finances publiques, d’abord en raison des multiples problèmes mentionnés ci-avant, mais aussi parce qu’une partie accrue des dépenses publiques devra en fait être consacrée au paiement des intérêts sur la dette publique dont le renouvellement comportera alors une majoration des taux d’intérêt. Cela aura pour conséquences une modération des dépenses publiques censées satisfaire les besoins de la population, en particulier des personnes les plus démunies et dont les intérêts ne sont pas aussi bien défendus au niveau politique que ceux des personnes (physiques ou morales) plus en vue sur le plan économique et financier.

La crise financière globale éclatée en 2008 avait conduit beaucoup d’acteurs économiques à se représenter les banques centrales comme des institutions omnipotentes. Les difficultés économiques actuelles devraient toutefois amener les parties prenantes à se rendre compte que les banques centrales, en l’état, sont plutôt une partie du problème au lieu de contribuer à mettre en œuvre les solutions appropriées permettant de dépasser ces difficultés, dans l’intérêt général et pour le bien commun.

Credit Suisse et le casino de la finance globale

La restructuration de Credit Suisse pourrait coûter très cher, ne serait-ce qu’à ses collaboratrices et collaborateurs à travers le globe, mais peut-être également à une partie non-négligeable de sa clientèle privée, voire, en fin de compte, à l’ensemble des contribuables en Suisse.

Tout d’abord, une part significative du personnel travaillant pour Credit Suisse va devoir passer à la trappe, bien que la majorité de cette force de travail ne soit aucunement responsable des graves problèmes financiers que son licenciement est censé aider à résoudre, mais qui découlent en réalité des choix des hauts dirigeants de cette banque d’origine suisse – qui n’a aujourd’hui de suisse que le nom.

Cette situation peut en outre engendrer une augmentation des coûts pour les entreprises, en particulier les petites et moyennes entreprises, qui voudront ou devront chercher une autre banque auprès de laquelle obtenir les lignes de crédit nécessaires pour le financement de leur propre production. Ce changement d’établissement bancaire comporte en général une augmentation du taux d’intérêt débiteur, étant donné que la nouvelle banque ne connaît pas l’historique de l’entreprise débitrice. De là un facteur supplémentaire tirant les prix à la consommation vers le haut, dans la mesure où les entreprises qui seront amenées à payer des taux d’intérêt plus élevés vont de ce fait renchérir les prix de vente de leurs biens ou services. C’est par conséquent l’ensemble des consommateurs en Suisse qui en sera négativement affecté, à une époque où les facteurs du renchérissement du coût de la vie sont déjà nombreux et difficiles à résoudre pour le bien commun.

Qui plus est, on ne peut pas exclure que la Confédération – avec le support de la Banque nationale suisse (BNS) – doive intervenir pour « sauver les meubles » de Credit Suisse, notamment en ce qui concerne la gestion patrimoniale, quitte à abandonner une grande partie des activités de sa banque d’investissement, activités qui sont à l’origine de ses problèmes financiers. À cet égard, le plan de sauvetage d’UBS (en octobre 2008) pourrait inspirer les autorités fédérales, avec l’espoir (qui n’a cette fois que peu de chance de se concrétiser) de réaliser somme toute des bénéfices. C’est ce qui semble avoir été le cas lors de la liquidation des actifs toxiques que UBS avait pu mettre dans une « bad bank » appelée SNB StabFund, où SNB est l’acronyme anglais de la BNS – le même acronyme de la Saudi National Bank, à savoir la plus grande banque commerciale d’Arabie saoudite devenue récemment le premier actionnaire de Credit Suisse, avec presque 10% du stock de son capital-actions.

Comme l’a expliqué le professeur Marc Chesney dans Le Temps du 14 octobre 2022, les difficultés financières de Credit Suisse illustrent la débâcle de Casino Suisse. Il serait judicieux que les responsables de Credit Suisse le reconnaissent et changent leur fusil d’épaule avant qu’il ne soit trop tard pour l’avenir de cette banque ainsi que pour une grande partie de sa force de travail. Or, le plan de restructuration annoncé à la fin du mois passé ne laisse présager rien de bon pour l’ensemble des parties prenantes. Le risque que les contribuables suisses soient à nouveau contraints de passer à la caisse afin d’éviter la mise en faillite d’une institution financière aussi importante sur le plan systémique ne peut désormais plus être écarté.

La Trussonomics est mort-née

La Première ministre du Royaume-Uni, Liz Truss, restera dans l’histoire comme étant la plus éphémère de ses pairs, au vu de sa démission 45 jours après avoir été élue par les 200’000 adhérents du Parti conservateur. Les marchés financiers avaient réagi violemment à ses propos, contraignant la Banque d’Angleterre à intervenir rapidement afin de rassurer les principaux acteurs sur ces marchés. La situation sur ceux-ci était toutefois tellement inquiétante que Madame Truss n’eut d’autre choix que de faire marche arrière, annonçant que ses mesures de politique fiscale n’allaient pas être mises en œuvre. Le bouc émissaire de cette cacophonie d’annonces sur le plan politique fut alors le Ministre des finances, Kwasi Kwarteng, contraint de donner sa démission 37 jours seulement après sa nomination comme Chancelier de l’Échiquier.

Or, Liz Truss n’aurait pas dû ignorer que la théorie du ruissellement («trickle down») n’est qu’une vue de l’esprit (néolibéral); jamais, ni dans aucun pays au monde, une réduction de la charge fiscale des contribuables les plus aisés (qu’il s’agisse de personnes physiques ou de personnes morales) n’a donné lieu à une augmentation des dépenses de consommation et d’investissement. A contrario, cela a induit une aggravation des déficits budgétaires, avec souvent comme conséquence la décision de réduire les dépenses publiques, affectant en particulier les personnes dont les intérêts ne sont que peu représentés au niveau politique.

Certes, le mantra de la Première ministre qui vient de remettre son mandat est celui de celle dont elle revendique la filiation idéologique, Margaret Thatcher: il faut «moins d’État et plus de marché» car «il n’y a pas d’alternative» (TINA: «there is no alternative»). En réalité, l’alternative existe bel et bien – comme l’a d’ailleurs montré l’intervention de l’État pour pallier aux conséquences délétères de la crise du Covid-19 au niveau macroéconomique, ou plus récemment celles de la guerre en Ukraine. Le peuple britannique va donc devoir trouver une alternative à la Trussonomics prochainement, n’en déplaise au nouveau Premier ministre, Rishi Sunak…

La santé n’est pas une marchandise

L’augmentation vertigineuse des primes de l’assurance maladie en Suisse pour l’année prochaine a fait couler beaucoup d’encre ces dernières semaines, et pour cause. Elle est inquiétante pour bien des personnes appartenant aux classes moyenne et inférieure, compte étant tenu du renchérissement déjà considérable des prix à la consommation causé par une série de différents facteurs, comme la pandémie du Covid-19, la guerre en Ukraine et la crise énergétique qui en résulte, sans ignorer la spéculation sur les marchés financiers.

Si cette tendance à la hausse des primes de l’assurance maladie devait se poursuivre, l’économie nationale en souffrirait sensiblement en raison de la diminution continuelle de la capacité d’achat des ménages. La solution à ce problème réside dans l’implication de l’ensemble des parties prenantes, chacune d’entre elles ayant son propre rôle à jouer pour satisfaire l’intérêt général.

La première catégorie d’acteurs est celle des assurances maladie, qui doivent se garder de rétribuer avec des montants excessifs leurs propres dirigeants, étant donné que ces montants sont financés, en dernière analyse, par les primes versées par les personnes assurées auprès d’elles. Si les salaires et les bonus de ces dirigeants venaient à être réduits, et ce afin de respecter les critères de la méritocratie, bon nombre d’assurés de ces caisses maladie obtiendraient une diminution remarquable de leurs primes mensuelles. Le commerce de détail ainsi que les petites ou moyennes entreprises qui vendent leurs produits dans l’économie nationale en bénéficieraient également, grâce à l’augmentation du pouvoir d’achat de ces consommateurs.

La deuxième catégorie d’acteurs devant contribuer à la réduction des primes des assurances maladie coiffe les hôpitaux et les cliniques privées, qui doivent éviter les traitements et les examens médicaux inutiles pour les patients, mettant la santé de ceux-ci avant la nécessité d’amortir leurs équipements et leurs infrastructures par une surmédicalisation. La santé des patients ne peut pas continuer à être considérée comme une marchandise permettant de maximiser les profits de ces institutions, dont l’objectif ne saurait être celui de verser des dividendes à leurs actionnaires mais bien de soigner au mieux les personnes malades.

La troisième catégorie d’acteurs concernés est celle des entreprises pharmaceutiques, dont il est attendu qu’elles n’exploitent pas le système de santé pour réaliser des profits extravagants grâce à la fixation de prix de vente des médicaments à l’évidence exagérés par rapport aux dépenses effectuées pour la recherche et le développement de ceux-ci, à fortiori lorsqu’elles bénéficient de subventions publiques financées par les contribuables (comme dans le cas des vaccins contre le Covid-19).

Il est également nécessaire que l’État change son fusil d’épaule, ne serait-ce que par une politique fiscale encourageant l’ensemble des parties prenantes à se comporter de manière vertueuse pour satisfaire l’intérêt général. Il serait ainsi envisageable de mettre en place des incitations positives, entendez une baisse de la fiscalité, pour les sujets économiques qui évitent une surmédicalisation ou qui réduisent les salaires extravagants des dirigeants des hôpitaux et autres cliniques privées. Il pourrait alors être légitime d’augmenter la fiscalité pour les acteurs économiques dans le système de santé dont le comportement va visiblement dans l’autre sens, à savoir, qui exagèrent avec les traitements médicaux ou lors de la rémunération des dirigeants concernés.

Au-delà du comportement de l’ensemble des sujets ci-avant évoqués et auxquels on se doit d’ajouter les assurés eux-mêmes, qui sont tenus de pas aller inutilement chez le médecin, un certain nombre de réformes structurelles est nécessaire. Par exemple, il conviendrait que les primes payées pour l’assurance maladie ne dépassent pas un certain pourcentage (disons, 10%) du revenu disponible de l’assuré. De surcroît, le financement des assurances maladie devrait être basé sur un système similaire à celui de l’AVS, en tant que la prime versée soit proportionnelle au revenu disponible de la personne assurée, au lieu d’être la même pour n’importe quelle catégorie de personnes, soient-elles de la classe supérieure, moyenne ou inférieure. Cela permettrait aux individus de cette dernière de ne plus être contraints à faire appel aux subsides versés par les Cantons, financés par les contribuables et qui ne sont en somme qu’un pansement sur une blessure qui continue de saigner…

Le durcissement de la politique monétaire va aggraver la situation

Les banques centrales des pays occidentaux, y compris la Suisse, continuent à imposer une trajectoire à la hausse pour les taux d’intérêt directeurs, qui dès lors poussent les banques à augmenter leurs propres taux d’intérêt sur les crédits octroyés aux agents économiques, à savoir les ménages, les entreprises et le secteur public.

La doxa monétariste veut (faire croire) que cette hausse permettra de juguler la forte augmentation des prix à la consommation, devenue problématique au vu du renchérissement engendré par différents facteurs parmi lesquels la guerre en Ukraine et les goulots d’étranglement dans les chaînes de production suite à la pandémie du Covid-19.

Si les banques centrales persistent à durcir la politique monétaire dans les économies soi-disant «avancées», elles risquent en réalité d’aggraver le renchérissement qu’elles prétendent combattre; les firmes qui doivent payer des charges d’intérêts plus élevées sur les emprunts bancaires dont elles ont besoin pour financer leurs coûts de production répercuteront cela sur les prix de vente de leurs produits, qui par conséquent augmenteront davantage. De l’autre côté, les collectivités publiques seront aussi contraintes à payer davantage d’intérêts pour (re)financer leurs propres dettes, qui d’ailleurs devraient augmenter de manière considérable afin de soutenir l’ensemble du système économique en cette période fort troublée à l’échelle globale.

Les gagnants (à court terme) de ces politiques monétaires restrictives seront donc les banques, qui pourront augmenter leurs profits grâce à des recettes d’intérêts plus élevées. Or, le secteur bancaire dans son ensemble risque de se retrouver en graves difficultés financières à plus long terme, si le nombre de faillites d’entreprises explose conséquemment aux problèmes grandissants au niveau macroéconomique.

Il n’y a qu’une solution à cet état de fait: augmenter les dépenses publiques pour mettre de l’argent dans la poche des personnes n’arrivant pas à mener une vie digne avec leur propre revenu, soit-il celui gagné sur le marché du travail ou reçu par les assurances sociales (l’assurance-chômage et les systèmes de retraite). La solution n’est donc pas technique (aux mains des banques centrales) mais politique (aux mains des autorités législatives et exécutives). C’est la raison pour laquelle la crise continue de s’aggraver et ne sera vraisemblablement pas résolue dans l’intérêt général et pour le bien commun.

Il en a d’ailleurs été de même avec la pandémie du Covid-19: l’État a mis l’accent sur la responsabilité individuelle et les personnes faibles et vulnérables en ont par conséquent souffert davantage que les autres, en Suisse comme dans le reste du monde. Il n’en sera pas autrement avec la crise énergétique et la perte de bien-être de la classe moyenne suite au renchérissement et aux problèmes conséquents sur le marché du travail, qui ne tarderont à s’avérer. Plutôt que d’agir par une politique de l’offre – comme les crédits «Covid-19» que les banques en Suisse pouvaient offrir aux entreprises avec le cautionnement de la Confédération –, il faudrait agir par une politique de la demande visant à soutenir et relancer les dépenses de consommation des ménages, considérant les problèmes climatiques pour inciter l’ensemble des agents économiques à entamer un virage radical en faveur d’une transition écologique devenue d’autant plus urgente après l’éclatement de la guerre en Ukraine.

L’euro: l’histoire d’un échec

Le taux de change de l’euro par rapport au franc suisse ne cesse de suivre une tendance à la baisse. Il y a plusieurs facteurs à cela, dont le principal tient à la structure monétaire institutionnelle de la zone euro.

L’Union monétaire européenne (UME) ne dispose pas des structures institutionnelles appropriées ni d’une politique économique adéquate pour répondre aux chocs susceptibles d’affecter les systèmes économiques de ses propres pays membres. Ces lacunes sont devenues évidentes au cours des 15 dernières années, caractérisées par une série de situations critiques très différentes – de la crise de la zone euro qui a éclaté vers la fin de 2009 à la pandémie de COVID-19 et au conflit russo-ukrainien – qui ont exacerbé les asymétries qui existent entre les pays membres du centre et ceux périphériques de l’UME.

Il est assez bien connu, à ce jour, que la zone euro n’est pas une «zone monétaire optimale» comme l’avait décrite Robert Mundell dans un article scientifique publié en 1961. En effet, l’UME manque d’une mobilité internationale des travailleurs, qui – selon Mundell (1961) – devraient se déplacer des pays membres où le taux de chômage est plus élevé vers les autres pays membres où ce taux est beaucoup plus faible. La zone euro ne dispose pas non plus d’une politique budgétaire et sociale appropriée, qui en l’état est décidée par le gouvernement du pays concerné sans aucune coordination au sein de la zone euro – ni avec les décisions de politique monétaire de la BCE. Par ailleurs, l’UME n’est pas une zone monétaire optimale aussi parce qu’il n’y a pas de transferts fiscaux entre ses propres pays membres – comme ils existent aux États-Unis entre leurs différents États, en Allemagne entre ses différentes régions et en Suisse entre ses 26 cantons – afin de réduire les disparités économiques entre eux (notamment en termes de chômage), comme l’avait par ailleurs souligné en 2014 Mario Draghi dans un discours à l’Université de Helsinki.

Au-delà de tous ces facteurs, qui dépendent directement ou indirectement (du manque) d’une volonté politique au niveau communautaire, il existe un problème d’ordre monétaire–structurel dans ce qui est connu sous l’acronyme «TARGET2», entendez le mécanisme par lequel les paiements transfrontaliers dans la zone euro sont enregistrés au niveau des banques centrales nationales impliquées par ceux-ci. À bien regarder, la Banque centrale européenne (BCE) n’agit pas en tant qu’institution de règlement entre les banques centrales nationales, comme chacune de celles-ci le fait en ce qui concerne les transactions entre les banques commerciales au sein du système bancaire national. Ce dernier a une structure à deux étages au sommet de laquelle se trouve la banque centrale nationale qui agit en tant qu’institut émettant le moyen de paiement final entre la banque qui paie et la banque qui est payée. Or, TARGET2 n’a pas une telle structure car la BCE se situe au même niveau où se trouvent les banques centrales nationales, au lieu d’être située au-dessus de celles-ci comme il se doit d’une quelconque institution de règlement. Ce défaut de fonctionnement est devenu évident après 2009, entendez après l’éclatement de la crise de la zone euro, lorsque les soldes dans TARGET2 ont commencé à exploser, étant donné que les banques allemandes n’étaient plus disposées à acheter des titres de la dette publique des pays méditerranéens (les fameux PIGS, à savoir, le Portugal, l’Italie, la Grèce et l’Espagne) pour recycler ainsi les surplus commerciaux de l’Allemagne et gagner des intérêts sur ces prêts.

La crise de la zone euro est donc une crise monétaire–structurelle et il ne sert à rien d’inculper les PIGS ou les prêts subprime. La faute est dans l’architecture du système TARGET2 et il est temps de mener à bien une réforme institutionnelle d’ordre structurel de ce système. L’Allemagne a tout intérêt à appuyer cette réforme, ne serait-ce que pour éviter de devoir sauver ses banques d’une faillite systémique qui ne va pas tarder à se manifester si l’on continue à ignorer ce dysfonctionnement monétaire institutionnel.

La pandémie laisse la place au pandémonium

Cet été a été très chaud, tant sur le plan météorologique qu’au niveau géopolitique à l’échelle mondiale. Celles et ceux qui pensaient que la fin (apparente) de la pandémie du Covid-19 allait permettre une vie «normale», notamment pour les personnes n’ayant pas de problèmes financiers ou de santé, ont dû vite changer leur perspective suite aux conséquences économiques et financières de la guerre en Ukraine et des sanctions occidentales envers la Russie.

Cet automne et cet hiver vont donc être problématiques pour beaucoup de personnes aussi en Suisse, au vu du fort renchérissement du coût de la vie y compris les primes de l’assurance maladie, qui ne font pas partie du panier des biens et services utilisé pour calculer le taux d’inflation à l’échelle nationale – mais qui vont peser lourdement sur la capacité d’achat et donc sur le niveau de vie des ménages dans ce pays.

Les principales banques centrales ont déjà commencé à augmenter les taux d’intérêt directeurs, afin de réduire le renchérissement sur le marché des produits, imaginant que la demande pourra ainsi diminuer et, de là, avoir un effet favorable pour assurer la stabilité des prix à la consommation. Or il s’agit en fait d’une vue de l’esprit (néolibéral), étant donné que le renchérissement dont il est question n’est pas dû à une demande excédentaire sur le marché des produits, mais à l’augmentation des coûts de production – pour de très nombreuses entreprises – découlant de différents phénomènes, comme la sécheresse et la guerre en Ukraine, mais aussi la pandémie qui continue d’engendrer des retards dans la production de plusieurs biens (dont les voitures, par exemple).

En fait, l’augmentation à plusieurs reprises des taux d’intérêt déterminés par les banques centrales ne va pas résoudre le problème et risque aussi de l’aggraver, étant donné que les entreprises qui vont devoir payer des taux d’intérêt plus élevés sur les crédits bancaires répercuteront cela sur les prix de vente de leurs biens et services, augmentant davantage le renchérissement dont souffrent à présent les ménages.

Si les pouvoirs publics veulent éviter le pandémonium cet hiver, il doivent agir rapidement sur les deux côtés des finances publiques: d’une part, ils doivent augmenter les dépenses publiques afin de soutenir les ménages les plus démunis et ceux en difficulté à cause des facteurs mentionnés plus haut; de l’autre côté, l’État doit financer cette politique budgétaire expansionniste en prélevant un impôt spécial sur les profits extravagants des sociétés pharmaceutiques et de celles liées au commerce d’hydrocarbures dont les prix ont flambé depuis l’invasion russe de l’Ukraine – autant pour des motifs géopolitiques que pour des transactions hautement spéculatives sur les marchés financiers.

L’avenir s’annonce très sombre, mais comme le dit le fameux dicton allemand «Wo ein Wille ist, (da) ist auch ein Weg» – c’est-à-dire que quand on veut, on peut agir (pour le bien commun, il va sans dire).

Le conflit social entre le capital et le travail s’intensifie

La crise financière globale éclatée en 2008, la crise sanitaire liée à la pandémie qui s’est avérée en 2020 et la crise géopolitique déclenchée par l’invasion russe de l’Ukraine en février dernier ont toutes contribué à exacerber le conflit social entre le capital et le travail dans les économies occidentales.

En Suisse (et plus encore dans l’Union européenne), un certain nombre de problèmes deviennent de plus en plus évidents. Ces problèmes touchent en premier lieu le marché du travail, mais tôt ou tard, d’une manière ou d’une autre, ils ont des répercussions négatives sur le marché des produits et, de là, affectent également les finances publiques.

Les crises mondiales qui se sont succédé et, d’une certaine manière, se sont chevauchées depuis 2008 ont poussé de plus en plus d’entreprises à adopter des stratégies de réduction des coûts du travail afin d’être «compétitives» dans l’économie globale ainsi que dans leur propre pays. Étant donné que seule une petite partie des entreprises est capable d’innover – que ce soit au niveau des produits ou des processus de production – la majorité des chefs d’entreprise font baisser le niveau des salaires d’une grande partie de leur personnel, essayant ainsi de réduire les prix de vente de leurs propres produits sans affecter la marge bénéficiaire de l’entreprise.

Cette dynamique du système économique est allée de pair avec la financiarisation de l’économie, à savoir, l’importance croissante des acteurs, des institutions et des marchés financiers qui ont profité de la libéralisation des activités financières pour accroître leur impact sur les décisions des entreprises en Occident. Les choix de politique économique des gouvernements et des autorités monétaires n’ont certainement pas entravé cette trajectoire, mais ils l’ont souvent soutenue pour des raisons idéologiques ou électorales. Il ne faut donc pas s’étonner de l’augmentation du nombre de travailleurs pauvres qui, malgré un contrat de travail à temps plein, doivent recourir à l’aide sociale pour joindre les deux bouts dans leur propre pays. Il ne faut pas non plus s’étonner de l’augmentation du nombre de personnes travaillant dans des conditions précaires, parce qu’elles n’ont pas de contrat de travail à durée indéterminée mais travaillent sur appel ou comme «pseudo» indépendants.

Cette trajectoire entraîne l’ensemble de l’économie vers le bas depuis plusieurs décennies, même si une petite minorité d’acteurs économiques parvient encore à surfer sur la vague de la globalisation et de la financiarisation parce qu’ils possèdent un énorme capital financier – grâce auquel ils peuvent percevoir des revenus qui leur permettent de mener une vie confortable, même si celle-ci n’a souvent aucun lien avec la méritocratie.

Si l’ensemble des parties prenantes dans le système économique ne change pas de cap, le conflit social entre le capital et le travail ne prendra pas fin, même lorsque la pandémie et la guerre en Ukraine ne seront plus qu’un mauvais souvenir dans les livres d’histoire.

Les crises sanitaires, géopolitiques et alimentaires appellent une forte intervention publique

Au cours des 15 dernières années, la population mondiale a été frappée par une série de crises que même les oracles les plus pessimistes n’auraient pu prédire.

L’éclatement de la crise financière globale en 2008, en fait, était prévisible, compte tenu du volume impressionnant et de la croissance fulgurante des crédits octroyés par les banques depuis le début des années 1990 à l’échelle mondiale. La plupart de ces crédits bancaires, en effet, n’ont rien à voir avec la production, donc aussi avec la formation du revenu national. Cela signifie que l’augmentation de l’endettement – principalement des institutions financières (les banques, les compagnies d’assurance et les fonds d’investissement) – ne donne pas lieu à une augmentation des revenus nécessaires pour rembourser ces dettes, qui ont été contractées essentiellement pour spéculer sur les marchés financiers. Le problème ne réside donc pas dans le montant de la dette, mais dans l’objectif pour lequel cette dette est contractée. En réalité, lorsqu’une entreprise obtient une ligne de crédit bancaire, grâce à laquelle elle paie les salaires de ses employés, suffisamment de revenus sont générés dans l’ensemble de l’économie pour rembourser la dette de cette entreprise. Cependant, lorsque l’entreprise s’endette pour spéculer sur les marchés financiers, cette opération est risquée non seulement pour l’entreprise en question, mais aussi pour le système économique dans son ensemble, puisque les revenus nécessaires pour rembourser cette dette ne sont pas produits dans ce système.

Nous pouvons alors comprendre qu’il existe une «bonne» dette et une «mauvaise» dette, entendez une dette qui est nuisible et qui, dès lors, doit être évitée dans l’intérêt de l’ensemble de l’économie. Une «bonne» dette, qu’elle soit privée ou publique, est celle qui produit des revenus et donc engendre des places de travail au sein du système économique, lui permettant de se développer et contribuer ainsi au bien commun. De ce point de vue, il est facile de voir comment l’augmentation des dépenses publiques suite à la pandémie de Covid-19 a pu soutenir les activités économiques des entreprises, même si cela a engendré une dette publique supplémentaire.

Quelque chose de similaire devra se produire à la suite de l’invasion russe en Ukraine: non seulement en termes de dépenses militaires, mais surtout en termes sociaux et environnementaux, tous les États impliqués par cette guerre devront allouer des milliers de milliards de fonds publics pour relancer les systèmes économiques durement frappés par cette crise géopolitique.

Toutefois, cette relance économique devra également soutenir les pays sous-développés qui, en raison de la guerre en Ukraine, doivent payer beaucoup plus cher les matières premières agricoles (notamment le blé) nécessaires à la production de denrées alimentaires de base comme le pain.

Toutes ces crises actuelles montrent clairement la nécessité d’une intervention publique, tant en faveur de la population nationale que des peuples étrangers. Nous verrons si les autorités gouvernementales tirent des leçons de ces crises – puisqu’en l’état elles n’ont pas beaucoup appris de la crise financière mondiale.

Le printemps russe sera long et très froid

Ce printemps a plutôt bien commencé sur le plan météorologique en Suisse, à en juger par le nombre de jours ensoleillés et les températures mesurées dans tout le pays. En attendant les vacances d’été, bien des familles puisent dans leur propre épargne pour prendre quelques jours de congé et se détendre après les souffrances psychologiques endurées depuis plusieurs mois en raison de la pandémie de Covid-19.

Toutefois, ce printemps pourrait également être très froid et durer plus longtemps que d’habitude en raison de la situation créée par l’invasion russe en Ukraine. Outre les souffrances et les problèmes humanitaires de la population ukrainienne, l’Europe dans son ensemble pourrait souffrir en termes économiques en raison de la flambée des prix des matières premières et, par conséquent, de la forte augmentation du niveau des prix à la consommation.

La Suisse sera également touchée par cette hausse importante des prix, bien que dans une moindre mesure en raison de la force du franc suisse sur les marchés des changes et, d’autre part, en raison d’une meilleure situation des finances publiques que dans les autres pays européens. Beaucoup dépendra toutefois de la volonté de l’État d’intervenir pour soutenir, d’une part, les petites et moyennes entreprises et, d’autre part, les consommateurs (qu’ils soient travailleurs ou retraités) dont le revenu ne leur permet pas de mener une vie digne dans leur propre pays.

L’empreinte néolibérale de la Suisse aura du mal à faire augmenter les dépenses publiques comme facteur de soutien et de relance économique. Tant la Confédération que de nombreux Cantons ont déjà exprimé la volonté de rééquilibrer leurs finances publiques au cours des prochaines années, après avoir dû enregistrer d’importants déficits en raison des interventions étatiques nécessaires pour contrer les conséquences de la pandémie.

Pourtant, la pandémie de Covid-19 aurait dû montrer l’importance de l’État et des dépenses publiques pour faire face correctement à une telle pandémie, tant sur le plan sanitaire que sur le plan économique et social. Malheureusement, comme ce fut le cas lors de la crise financière globale éclatée en 2008, la plupart des forces politiques sont incapables de tirer les leçons de l’évidence empirique.

En fait, l’évidence empirique montre clairement qu’une augmentation bien calibrée des dépenses publiques, lorsque l’économie privée se porte mal, peut stimuler et soutenir l’économie dans son ensemble, d’autant plus lorsque l’État met en œuvre des mesures axées sur la demande sur le marché des produits. Comme l’expliquait déjà l’économiste polonais Michał Kalecki en 1971, les entreprises peuvent augmenter leurs profits lorsque le secteur public accroît son déficit, c’est-à-dire lorsque l’État s’endette – soit pour relancer l’économie privée, soit pour contribuer au bien commun dans l’intérêt général.

Si ce printemps est froid en termes socio-économiques, la faute n’en revient donc pas à la météo mais aux gouvernements qui ne veulent pas augmenter les dépenses publiques pour des raisons électorales ou idéologiques.