Le conflit social entre le capital et le travail s’intensifie

La crise financière globale éclatée en 2008, la crise sanitaire liée à la pandémie qui s’est avérée en 2020 et la crise géopolitique déclenchée par l’invasion russe de l’Ukraine en février dernier ont toutes contribué à exacerber le conflit social entre le capital et le travail dans les économies occidentales.

En Suisse (et plus encore dans l’Union européenne), un certain nombre de problèmes deviennent de plus en plus évidents. Ces problèmes touchent en premier lieu le marché du travail, mais tôt ou tard, d’une manière ou d’une autre, ils ont des répercussions négatives sur le marché des produits et, de là, affectent également les finances publiques.

Les crises mondiales qui se sont succédé et, d’une certaine manière, se sont chevauchées depuis 2008 ont poussé de plus en plus d’entreprises à adopter des stratégies de réduction des coûts du travail afin d’être «compétitives» dans l’économie globale ainsi que dans leur propre pays. Étant donné que seule une petite partie des entreprises est capable d’innover – que ce soit au niveau des produits ou des processus de production – la majorité des chefs d’entreprise font baisser le niveau des salaires d’une grande partie de leur personnel, essayant ainsi de réduire les prix de vente de leurs propres produits sans affecter la marge bénéficiaire de l’entreprise.

Cette dynamique du système économique est allée de pair avec la financiarisation de l’économie, à savoir, l’importance croissante des acteurs, des institutions et des marchés financiers qui ont profité de la libéralisation des activités financières pour accroître leur impact sur les décisions des entreprises en Occident. Les choix de politique économique des gouvernements et des autorités monétaires n’ont certainement pas entravé cette trajectoire, mais ils l’ont souvent soutenue pour des raisons idéologiques ou électorales. Il ne faut donc pas s’étonner de l’augmentation du nombre de travailleurs pauvres qui, malgré un contrat de travail à temps plein, doivent recourir à l’aide sociale pour joindre les deux bouts dans leur propre pays. Il ne faut pas non plus s’étonner de l’augmentation du nombre de personnes travaillant dans des conditions précaires, parce qu’elles n’ont pas de contrat de travail à durée indéterminée mais travaillent sur appel ou comme «pseudo» indépendants.

Cette trajectoire entraîne l’ensemble de l’économie vers le bas depuis plusieurs décennies, même si une petite minorité d’acteurs économiques parvient encore à surfer sur la vague de la globalisation et de la financiarisation parce qu’ils possèdent un énorme capital financier – grâce auquel ils peuvent percevoir des revenus qui leur permettent de mener une vie confortable, même si celle-ci n’a souvent aucun lien avec la méritocratie.

Si l’ensemble des parties prenantes dans le système économique ne change pas de cap, le conflit social entre le capital et le travail ne prendra pas fin, même lorsque la pandémie et la guerre en Ukraine ne seront plus qu’un mauvais souvenir dans les livres d’histoire.

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.

27 réponses à “Le conflit social entre le capital et le travail s’intensifie

  1. “Leçons sur la philosophie de l’histoire”

    Ouvrage de Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770 -1831)

    “L’histoire et l’expérience enseignent que les peuples n’ont absolument rien appris de l’histoire” (1822 -1823)

  2. Merci Professeur pour ce rappel fondamental sous forme de constat.
    Ce mouvement de fond a notamment déjà aujourd’hui pour effet de remettre en question la répartition des champs d’actions et/ou des responsabilités entre gauche et droite, syndicats et patronat, économie et finance.
    La paix du travail va être attaquée de front et les partenaires sociaux devraient y réfléchir dans une réflexion proactive commune.
    Les comportements où chacun ne pense qu’à défendre son pré carré sont en passe de devenir toxiques.
    Les lobbyistes devraient y voir une opportunité allant cette fois dans le sens du bien commun.

  3. Je rêve du jour où les politiciens ne s’accrocheront plus au pouvoir, arrêteront de se croire la solution et travailleront à la relève.

    Le peuple de gauche veut des jeunes issues de la diversité.

    Mais les hommes socialistes blancs de 50+ ans s’accrochent ! Ils passent du CN, au CE, puis au Conseil d’Etat… Ils s’imposent à nous; et nous laissent le choix entre eux ou la droite ! Je veux un choix; un vrai choix !!

    Je ne voterai ni Nordmann ni Maillard. Vive Porchet et les autres !

    https://www.blick.ch/fr/news/suisse/lutte-fratricide-au-ps-vaud-nordmann-contre-maillard-le-duel-des-camarades-id17553770.html

    1. Je vous cite “Le peuple de gauche veut des jeunes issues de la diversité.”

      Moi je préfère des gens compétents et je me moque si ce sont des homme, femmes, jeunes, vieux, noirs, blancs, LGBT ou autres…

      Les critères de parité et diversité qui priment sur les compétences sont une absurdité.

  4. “Voyage dans le temps et l’espace”
    Saison: Capital vs Travail
    —-
    RAYMOND
    6 mars 2018 à 14 h 30 min

    Pour les néolibéraux, le marché du travail devrait fonctionner exactement comme les autres marchés : ajustement de l’offre et de la demande par les prix. Or le travail est encadré par la lourdeur des législations (salaire minimum, obtention d’un permis de travail, filet social obligatoire, indemnités de licenciement, restrictions sur les mises à pied et délais d’avis, limitations des heures d’ouvertures des commerces, assurance-chômage et autres indemnités) qui augmentent considérablement le coût de la main d’œuvre et qui fausse le marché, toujours selon doctrine néolibérale.

    Les marxistes, quant à eux, nous apportent un élément de réponse avec la théorie de la destruction du travail par le capital : la tendance du capitalisme est de remplacer la main-d’œuvre par le capital pour augmenter le profit. Ceci se fait forcément au détriment de l’emploi. Par conséquent, l’existence du chômage est une bonne chose pour les « patrons » car elle engendre la baisse du coût du travail. D’ailleurs, Karl Marx ne parlait-il pas déjà de « l’armée de réserve de travailleurs », développé dans le chapitre 25 de son ouvrage Das Kapital?

    Arrêtons-nous à présent sur Jean Charles Léonard Simonde de Sismondi. Cet économiste suisse, d’abord influencé par Adam Smith, embrassa la cause libérale et fréquenta les salons de Madame de Staël au sein du Groupe de Coppet (avant que ses théories n’entachent la constellation de Coppet). Son adhésion au libéralisme économique de Ricardo et Smith prendra fin en 1819 avec la publication des Nouveaux principes d’économie politique. Pour la première fois, un économiste évoque une nécessaire redistribution des richesses. Selon lui, loin d’assurer le bien-être de tous, le libéralisme économique accroît la misère des travailleurs parce que la concurrence exerce une pression à la baisse sur les coûts de production, et donc sur les salaires également, puis, le rythme élevé du progrès technique fait que les anciens résistent en bradant les prix et donc les salaires. Ajouter de la valeur c’est ajouter du capital fixe, des machines, des entrepôts, des forces aveugles de la nature qui ont été redirigées par l’intelligence et l’habileté qui sont autant de richesse future. Ce capital ne produit que s’il est fécondé par le travail, qui le met en mouvement. Sismondi ajoutera que le surplus et le profit sont accaparés par les riches, qui sont propriétaires du capital et de ce fait peuvent décider seul du partage de la valeur ajoutée, et de la richesse. En ce sens où de nos jours la vélocité du capital n’a plus rien de comparable au facteur travail pour fructifier, le travail (comme facteur de production) tend à disparaître .

    Le macroéconomiste de Cambridge, John Maynard Keynes, n’avait-il pas prédit, dès 1938, en estimant qu’avec l’augmentation de la productivité due aux machines, il suffirait en l’an 2000 que chacun s’astreigne à trois heures de travail productif par jour pour que chacun subvienne à ses besoins ? Pourtant on travaille toujours au moins 35 heures par semaine dans nos sociétés modernes, et la valeur-travail se porterait plutôt bien selon certains avis bien tranchés – alors qu’on devrait dire que la valeur-travail s’accroche autant que faire ce peut. Pourquoi donc s’inquiéter ? Si l’Histoire a pour l’instant démenti le pronostic de John M. Keynes, c’est que tout n’était pas aussi simple. Tout d’abord, si l’évolution technique détruit des emplois, elle en fabrique en contrepartie selon le précepte schumpétérien de la « destruction créatrice ». Or, bien que l’économie digitale va temporairement pulvériser des pans entiers de l’économie marchande, en parallèle du progrès technologique et de l’innovation disruptive, que la nouvelle génération silencieuse (Z) et la génération (X) vivent déjà – à leur manière – une mise à la marge du monde du travail ; ce dernier n’arrêtant pas de se complexifier et le travail de se diviser, alimentant ainsi la « machine capitaliste » d’emplois de plus en plus précaires, pour ne pas dire des « Jobs à la c.n » en paraphrasant l’anthropologue américain David Graeber, alors oui…il y a en effet de quoi véritablement s’inquiéter sur les défis de demain laissés aux mains de la « science politique ».
    —-
    RAYMOND
    7 juin 2020 à 20 h 48 min

    Un demi siècle de monétarisme et de pensée dominante valent cinquante ans d’injustice économique:

    https://i0.wp.com/michelsanti.fr/wp-content/uploads/2018/10/%C3%A9cart-productivit%C3%A9-salaires.png?resize=538%2C305&ssl=1
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    http://iris-recherche.s3.amazonaws.com/uploads/attachment/file/Untitled12.png

    Pour mieux cerner l’échelle des graph’s, rappelons que les années 70/80 marquèrent la fin de l’idéal keynésien et furent le synonyme du “point Zéro”; c-à-d un nouveau paradigme vu sous l’angle d’une financiarisation sans foi ni loi!

  5. Matière à penser:

    « Tout le monde se sent trahi, on comprend bien que ce modèle n’est plus possible. »
    Bruno Latour
    https://basta.media/Bruno-Latour-nouvelle-lutte-des-classes-ecologie-climat-anticapitalisme-alternatives

    Qui semble également fort réflexif :

    LA LUTTE DES CLASSES: UNE QUESTION D’ACTUALITÉ?
    http://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/entendez-vous-l-eco/la-lutte-des-classes-une-question-d-actualite-1812615

    JOHN STUART MILL, LIBÉRAL UTOPIQUE
    http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Bibliotheque-des-Idees/John-Stuart-Mill-liberal-utopique

    L’HOMME POLITIQUE, MOI J’EN FAIS DU COMPOST
    http://www.editions-stock.fr/livres/essais-documents/lhomme-politique-moi-jen-fais-du-compost-9782234093782

    POUR UNE RÉVOLUTION POLITIQUE, POÉTIQUE ET PHILOSOPHIQUE
    http://www.zulma.fr/livre/il-faut-une-revolution-politique-poetique-et-philosophique/

    CLIMAT ET CIVILISATION : UN DÉFI INCONTOURNABLE
    http://www.editions-eres.com/ouvrage/4849/climat-et-civilisation-un-defi-incontournable

  6. “(…) La politique* ne serait-elle plus qu’une excroissance de la finance**? Quoiqu’il en soit, ce rapprochement entre ces deux univers joue un rôle central dans le déclenchement des excès, et donc des crises à l’impact mondial. Officiellement atteinte du syndrome de Stockholm, la politique s’est éprise de la finance qui l’a petit à petit privée de l’essentiel de ses pouvoirs. S’il est vrai que collusion entre pouvoir public et oligarchie est une constante débouchant systématiquement sur une confiscation des profits et sur une mise en commun des pertes, nos nations occidentales démocratisées semblent avoir emprunté le chemin des républiques bananières qui s’accommodent fort bien de la défense et de la préservation systématiques de certains intérêts privés par les pouvoirs publics (…)” Dixit M.S, ancien conseiller de banques centrales de pays émergents.

    (*) Au sens large du terme

    (**) Financiarisation exacerbée de nos sociétés “modernes”

    1. “Voyage dans le temps et l’espace”
      Saison 2 : Capital vs Travail
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      RAYMOND
      6 décembre 2021 à 11 h 31 min

      (…) Effectivement, la seule façon de pérenniser l’économie est de rendre du pouvoir d’achat à celles et ceux qui dépensent vraiment dans le cadre de l’économie réelle, car seules les classes pauvres et moyennes sont concernées et profitent à l’activité économique. Elles seules sont responsables de la croissance économique, puisque les classes aisées – par leur jeu de pouvoir – thésaurisent ou investissent dans toutes sortes de produits financiers dont certains (exotiques) sont particulièrement générateurs d’instabilité financière et, par analogie, économique. Ce ne sont donc pas tant nos usines, nos industries et nos entreprises qui ne sont pas productives – comme cherchent à nous le faire croire nos gouvernements respectifs vendus à la sphère néolibérale – étant entendu que cette productivité a été monopolisée au bénéfice d’une élite qui a assisté depuis des décennies – dans l’indifférence la plus totale de nos pouvoirs démocratiques – au creusement du fossé entre les salaires réels et la productivité (référence aux graph’s ci-dessus).

      Une confiscation en bonne et due forme de l’appareil économique entreprise depuis la fin des années 1970 par une infime minorité qui a redistribué le produit du travail des autres largement en sa faveur. Ainsi, il est donc vital de remonter les salaires aujourd’hui, et pas seulement pour corriger cette inégalité scandaleuse, mais également pour rétablir la corrélation traditionnelle entre productivité, salaires réels et consommation. Dès lors, depuis la grande conflagration post 2008, l’acharnement des néo-libéraux à réclamer une amélioration de la compétitivité de nos entreprises n’est de loin plus motivée par une recherche destinée à la progression qui bénéficierait à (l’Intérêt général de) l’ensemble des acteurs de l’économie, c’est-à-dire aussi au consommateur de base, mais plutôt aux bénéfices supplémentaires en faveur de cette caste des investisseurs et des actionnaires (mécanisme de captation par un transfert des richesses).

      Dans cette schizophrénie ambiante – alors même que durant cette année 2021 les grandes entreprises mondiales ont fait preuve d’une générosité inédite à l’égard de leurs actionnaires en versant au troisième trimestre des dividendes record pour plus de 400 milliards de dollars – quand comprendrons-nous qu’il est économiquement injustifié de laisser tant de ressources aux mains de ceux qui dépensent moins ou mal? N’est-il pas consternant de constater que le grand patronat demeure plus préoccupé de l’ingénierie, des montages financiers et autres cours en bourse affectant son entreprise que de la modernisation de son appareil de production, de la formation de ses salariés et de la diminution du chômage (et dont les statistiques, plus édulcorées les unes des autres, ne reflètent la réalité)? Voilà pourquoi les revenus du citoyen moyen n’ont pas progressé autant que la productivité du travail. Voilà pourquoi il nous est constamment demandé d’améliorer la productivité de nos entreprises. Une amélioration notable de leurs revenus permettrait ainsi de revitaliser les classes moyennes et pauvres, tout en ayant un impact relativement bénin sur les profits des entreprises, dont la plupart jouissent de résultats en totale déconnexion avec les sombres réalités économiques (…)

      PS: Un grand Merci à mon très cher et estimé Ami – le professeur et dr. Sergio Rossi – pour son humanisme débordant au service de l’Intérêt général et du Bien commun!

  7. “Voyage dans le temps et l’espace”
    Saison 3: Capital vs Travail
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    RAYMOND
    8 mars 2018 à 16 h 37 min

    La financiarisation de nos économies modernes et le Court-Termisme mis au pilori par un ex-formateur des prix ! « Chacun devrait se convertir au long-termisme et mettre sa vie quotidienne en conformité avec ce nouveau mot d’ordre. Jacques Attali suggère que nous nous imaginions à chaque instant devant un parterre de représentants des générations futures en train de juger nos actions. Excellent conseil !

    Nous ne sommes pas assez nombreux à vouloir le faire, mais imaginons qu’une masse critique puisse être atteinte, une perspective à long terme émergerait-elle pour autant de la somme de nos comportements devenus vertueux ? Il est hélas permis d’en douter. Essentiellement parce que le Court-Termisme est désormais boulonné dans la logique-même de nos économies. Qui l’y a mis ? Les règles comptables et les nouvelles pratiques financières que nous nous sommes donnés. « Nous » est bien entendu une façon de parler : la rédaction des règles comptables en particulier a été abandonnée par les États à des organismes privés (le FASB pour les États-Unis, l’IASB pour le reste du monde). La comptabilité moderne a évolué en trois étapes : 1) au début du XIXe siècle, des bénéfices n’étaient comptabilisés que lorsqu’ils étaient véritablement apparus ; 2) au milieu du XIXe siècle, on faisait apparaître prématurément des bénéfices en « enkystant » le passif, et ceci, n’est-ce pas, pour ne pas décourager les petits investisseurs ; 3) dans les années 1980, on se mit à distribuer des bénéfices anticipés (« marking-to-market »)!

    Résultat : on partage désormais entre soi la moindre ombre de bénéfice et s’il manque de l’argent pour des choses accessoires comme refinancer l’entreprise ou la recherche et le développement, eh bien, on l’emprunte! Dans les années 1975, le cabinet d’études McKinsey s’attaqua à un problème d’envergure : les intérêts des investisseurs et des dirigeants des grosses entreprises n’étaient pas alignés : d’une certaine manière ce que les uns obtenaient dans le partage des bénéfices, les autres en étaient privés. Cet antagonisme larvé bénéficiait aux salariés. Il y avait donc là un problème urgent à résoudre et McKinsey & Co le résolut. Les dirigeants des entreprises se verraient attribuer des options sur l’achat d’actions de leur compagnie au cours du jour où ces « stock-options » leur seraient attribuées. Si le cours de l’action grimpait, ils bénéficieraient de la hausse en fonction du nombre de leurs options.

    Les dirigeants, tout comme les actionnaires, auraient dorénavant les yeux fixés sur le cours des actions de l’entreprise, s’efforçant de booster son bilan de trimestre en trimestre par tous les moyens possibles et par la « comptabilité créative (imaginative !) » en particulier. Le court-termisme était désormais inscrit dans l’économie : McKinsey avait réussi ! l’avenir avait été entièrement sacrifié au présent ! »
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  8. Voyage dans le temps et l’espace”

    Saison 4: Capital vs Travail

    Coût de l’absentéisme et transfert des responsabilités, telle est la question.
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    RAYMOND
    12 décembre 2021 à 20 h 44 min

    En matière d’absentéisme et du coût qu’il représente, il n’est pas inintéressant de se rappeler, alors même que les effets traumatisant de la pandémie jouent un rôle déterminant sur l’évolution des biais cognitifs au niveau du stress de tout un chacun, que le travailleur, comme “ressource humaine” (exploitable et corvéable à souhait), subissait déjà en temps normal une pression sans cesse croissante dans le monde du travail. Depuis 2012, le nombre d’arrêts de travail – en Suisse – a augmenté de 50% et dans six cas sur dix, il s’agissait de burn-out ou de dépression, selon les statistiques des assurances Swica et PK Rück, qui couvrent plusieurs centaines de milliers de collaborateurs. Alors que les incapacités de travail pour burn-out ou dépression durent en moyenne 18 mois, soit deux fois plus que les autres maladies, le coût des absences, pertes de production et rentes d’invalidité dues au stress a été estimé en 2012 à 10 milliards de francs par an par le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO). Pour autant, le burn-out n’est toujours pas considéré en Suisse comme une maladie professionnelle découlant du stress au travail, contrairement à d’autres pays européens. En dépit des avis des professionnels de la santé (ai-je parlé des conflits d’intérêts?) qui divergent sur la question des causes réelles de ce syndrome, il est toutefois utile de rappeler qu’une reconnaissance du burnout/dépression comme maladie professionnelle occasionnerait un transfert de charge sur l’assurance-accident en tant que maladie professionnelle, ce qui n’arrangerait pas les employeurs indélicats et peu réceptifs à un phénomène de société – qu’ils exploitent à dessein – et qui se verraient alors contraint d’endosser la double peine. Celle de supporter une partie des coûts de la santé de leur “ressource humaine” au bout du rouleau, puis celle d’assumer leur responsabilité précisée par le législateur à l’article 328 du Code des obligations. Un paradoxe, puisque à moyen/long terme le gain de productivité s’inscrirait aussi sur l’ardoise. Un paradoxe mais aussi une logique impitoyable dans une ère axée sur le court-termisme. Ce phénomène endémique – encore exacerbé par les conséquences de la pandémie – restait toujours en constante augmentation d’après le Job Stress Index 2018, mais le parlement Suisse, en 2019, préféra botter en touche cette problématique de taille en privilégiant les programmes de “prévention” mis en place par la si “bienveillante” économie privée.

    Étonnante conception de la notion d’Intérêt général où les politiques sont généralement recyclés dans l’économie privée en fin de mandat. Et rien de surprenant si l’on considère le sujet au prisme de la “Valeur Statistique d’une Vie” (VSV). Cette approche mesure la valeur d’une vie humaine – le capital humain – à partir de sa contribution au bien-être de la société. Elle se calcule en termes de revenu et de production. Dublin et Lotka (1947) définissent la valeur d’une vie humaine comme étant la valeur actualisée des revenus nets futurs d’un individu. Cela correspond à ses revenus bruts moins ce qu’il dépense pour lui-même (soit sa consommation). Comme l’économie financière a déjà hypothéqué au présent les revenus futurs (par l’endettement) du capital humain, ça devrait nous interpeller.

    Enfin, ne nous faisons donc plus aucune illusion, avec la soumission des politiques au service d’une idéologie commune (le néolibéralisme) qui a un besoin vital de subordonnés pour continuer de prospérer, et mis à part tous les phénomènes pervers que nous amène déjà l’économie 2.0 – dont la pandémie favorise – nous sommes déjà rentrés depuis plusieurs décennies dans un paradigme qui fait de la socialisation généralisée des pertes du secteur privé sa future thésaurisation des profits. Ceci dit, à l’heure des raisonnances, dans son article du New York Times Magazine du 10 septembre 1970, Milton Friedman avait parfaitement agencé les éléments de la thèse défendant la régulation (néo) libérale de l’entreprise capitaliste: “l’entreprise n’a qu’une responsabilité sociale, celle d’utiliser ses ressources et de mener des activités visant à maximiser ses profits (pour l’actionnaire) dans la mesure où elle respecte les règles du jeu, à savoir qu’elle livre une concurrence libre et ouverte sans escroquerie ni fraude”. Entre parenthèses, il est précisé que les profits réalisés le sont au bénéfice des actionnaires, en référence à une autre citation du monétariste Milton Friedman déclarant que la seule responsabilité sociale des dirigeants “n’est autre que celle de faire le plus d’argent possible pour leurs actionnaires” (Friedman, 1962).

    Nous ne pourrons pas dire que nous ne le savions pas!

  9. “Voyage dans le temps et l’espace”

    Saison 5: Capital vs Travail

    Bain de sang sur le marché des crypto-actifs et ça étonne encore du monde!

    RAYMOND
    10 mai 2021 à 18 h 44 min

    Bonjour (…),
    Pour quelqu’un qui semble maîtriser la “monnaie numérique” Bitcoin, vous auriez pu aussi nous rappeler que dans le passé, le cours de ce crypto-actif s’est envolé de 900 dollars à plus de 19’000 dollars en l’espace d’une année seulement et, si à ce moment là on avait transposé cette logique au marché des devises (comme un médium d’échange) à l’instar du dollar, ceci aurait eu pour conséquence de paralyser littéralement l’économie car nul n’aurait dépensé son argent en attendant de devenir riche; suivant la “version 2.0” de la loi de Gresham qui porte le nom de ce commerçant et financier anglais, Thomas Gresham (1519-1579), considéré comme l’un des fondateurs de la bourse de Londres. En effet, “lorsque dans un pays circulent deux monnaies dont l’une est considérée par le public comme bonne et l’autre comme mauvaise, la mauvaise monnaie chasse la bonne”. Les agents économiques préférant conserver, thésauriser la “bonne” monnaie et utiliser la “mauvaise” pour payer leurs échanges dans le but de s’en défaire au plus vite.

    Ceci dit, si le Bitcoin était un pays, ne serait-il pas le 41ème le plus énergivore de la planète?Et cette “cryptomonnaie” n’autorise toujours que 7 transactions par seconde quand Visa et Master Card en permettent 55’000, mais cela ne semble vous intéresser, pas plus que l’ascension stratosphérique (ai-je dis hyperinflation?) de son prix (puisqu’il n’a de valeur) à 0,000764 dollar en octobre 2009, et multiplié par plus de 54 millions de fois à nos jours. Toutefois, ça en dit déjà long sur l’aspect de cette “e-monnaie”, pour reprendre l’expression du monétariste Milton Friedman qui pronostiquait en 1999, dans une tribune, “qu’internet sera l’un des vecteurs principaux dans la réduction du rôle de l’État. La seule chose qui manque, mais sera bientôt développée, c’est une e-monnaie fiable”. Ce prophète de l’École de Chicago se gardant bien de nous préciser qu’en l’absence d’une bénédiction de l’État – déjà placé sous le joug de la financiarisation de nos économies modernes – aucune “monnaie virtuelle” ne connaîtra de fiabilité rationnelle.

    Meilleurs messages
    —-
    Bein oui, quant on spécule sur du vent (pseudo “Capital” puisqu’il ne provient du Travail accumulé) on ne peut que s’attendre à la tempête, comme celle qui frappe un des plus grands fonds alternatifs au monde – à deux doigts de la banqueroute. Que de souvenir avec le hedge funds “LTCM”.

  10. “Voyage dans le temps et l’espace”

    Saison 6: Capital vs Travail

    “Grande Curée ou clairvoyance”?

    RAYMOND
    11 décembre 2021 à 18 h 06 min

    Pour son ouvrage “La Curée”, Émile Zola s’est inspiré de la spéculation immobilière parisienne qui a marqué la fin du Second Empire et le début des années 1870, marqué par la crise bancaire de mai 1873, qui a été un des déclencheurs de la Grande Dépression de la fin du XIXe siècle.

    Voici donc un chapitre de notre histoire qui aurait pu l’inspirer au XXIe siècle. En effet, il y a un mois, les PDG et cadres exécutifs des entreprises du S&P500 (indice boursier américain des 500 principales sociétés cotées) ont vendu pour 63,5 milliards de dollars d’actions en novembre, comme l’a aussi constaté le Wall Street Journal dans un article publié le jeudi 9 décembre 2021. Du jamais vu dans l’histoire récente américaine qui a – pour certains experts – à voir avec la peur d’une hausse des impôts pour les très riches prévue par l’administration Biden.

    D’autres y verront dans ce pessimisme la certitude des chefs d’entreprises cotées “que le gouvernement américain va resserrer les vis des aides sociales Covid-19”. La fin de ces aides risquant non seulement de freiner la consommation des ménages, mais pour la frange la plus aisée des bénéficiaires de ces subventions publiques, freiner cette frénésie à réinvestir l’argent (des aides) dans les marchés financiers.

    Enfin, on peut aussi s’attendre à une prochaine mise au ban de la politique des rachats d’actions propres – cette manipulation légale des cotations en vue de doper les dividendes versés aux grands actionnaires et par analogie impactant directement les rémunérations des PDG et cadres exécutifs – après la “grande Curée” (comme souligné le long de ce fil/links). Tout comme ces ventes massives peuvent augurer que les États-Unis vont entrer en récession, du moins selon l’avis du professeur d’économie et ancien membre du comité de politique monétaire de la Bank of England – de 2006 à 2009 – David Blanchflower. Ce dernier a publié un document de recherche sur la prévision des retournements économiques. L’étude démontre que depuis 1978 toutes les récessions ont eu pour point de départ une baisse de plus de dix points de l’indice de confiance de l’Université du Michigan et du Conference Board (la récession se produisant dans les 6 à 18 mois). Or, l’indice de confiance du Conference Board a perdu 25,3 points en 2021 et celui du Michigan 18,4 points. Pour rappel, les baisses étaient de 21 points pour les deux indices en 2007 (avant la crise financière de 2008). En quoi consistent ces indices de confiance? À prendre le pouls de l’économie en temps réel en sondant les Américains sur leur vision de l’avenir en termes d’emplois, de revenus, sur l’état de l’économie. Blanchflower s’en remet ainsi à la “sagesse des foules” (wisdom of crowds) qui ont, selon lui, une vue plus juste de la santé réelle de l’économie que les experts. Certes, Blanchflower peut se tromper dans son analyse, mais l’apparition d’un autre indicateur donne du crédit à sa thèse: l’inversion de la courbe des taux qui est un indicateur avancé de récession. Lorsque le rendement des obligations à court terme est supérieur à celui des obligations à long terme, les indicateurs perçoivent alors le court terme comme plus risqué. En effet, la courbe mesurant l’écart entre le rendement à 30 ans et celui à 20 ans est en train de plonger, comme en 2000 et 2008 avant les krachs boursiers. Les marchés actions américains étant au plus haut, et si les prévisions économiques de Blanchflower sont exactes, l’atterrissage risque d’être brutal.

    Et qui seront encore une fois de plus “les dindons de la farce”?

  11. “Voyage dans le temps et l’espace”

    Saison 7: Capital vs Travail

    “La sélection darwinienne au service de la préservation climatique!”


    RAYMOND
    14 avril 2022 à 13 h 11 min

    Après les nombreux prêches dans le désert des économistes hétérodoxes, puis suite aux rapports de l’OCDE et du FMI en 2014 et 2015, il a enfin été clairement établi que la “théorie du ruissellement” (trickle-down theory) fut un leurre pour une large majorité et une formidable machine à concentrer les richesses pour une infime minorité. Cette injustice sociale se retrouve bien évidemment au niveau de la préservation climatique, car l’on retrouve cette même minorité à l’origine des émissions mondiales de CO2 pour assurer leur train de vie dispendieux. En effet, les 1% les plus fortunés de la planète sont à l’origine de 17% des émissions mondiales de CO2, tandis qu’à l’opposé du spectre, les 50% les plus pauvres de la population mondiale n’ont entraîné que 12% des émissions mondiales. En termes d’émissions de tonnes de CO2, le fossé est encore plus évocateur. Les 1% les plus riches ont ainsi émis en moyenne 110 tonnes de CO2 par an et par habitant, quand les 50% les plus pauvres ont émis en moyenne 1,6 tonne de CO2 par an et par habitant, soit 70 fois moins. Or, pour respecter un scénario de réchauffement limité à 1,5°C, il faudrait émettre environ deux tonnes de CO2 par an et par habitant. Selon les calculs, les 1% les plus riches émettraient encore 70 tonnes de CO2 en trop en 2030 par rapport à l’objectif de +1,5°C. Les classes moyennes, qui ont vu leurs émissions augmenter le plus vite entre 1990 et 2015, subiraient quant à elles un redressement sous “l’effet de Paris” en référence à l’Accord signé en 2015. Elles seraient ainsi quasiment dans les clous en 2030.

    Nous voyons bien qu’aujourd’hui les choix publics sont toujours orientés dans cette même veine qui postule à taxer et pénaliser encore plus les pauvres et les classes moyennes pour soulager les très riches et surtout les ultra-riches. Pourtant, une des pistes pourrait consister en une taxation progressive sur le carbone, suivant notamment le niveau des émissions mais aussi de richesse des individus, avec l’exemple d’impôts progressifs sur la détention de titres financiers liés à des activités non vertes. “La mise en place d’impôts progressifs écologiques sur la richesse pourrait être politiquement plus viable que les taxes sur la consommation de carbone qui frappent durement les groupes à faibles revenus et ne parviennent pas à réduire les émissions des personnes très fortunées. Avec un impôt progressif sur les plus hauts patrimoines, accompagné d’un supplément pollution pour ceux qui possèdent des actions dans les secteurs carbonés, un tel impôt sur la fortune des multimillionnaires (et milliardaires) pourrait même rapporter au moins 1,5% à 2% du PIB mondial”. De quoi financer les investissements nécessaires pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat!

    Dans un monde se voulant “moderne”, les notions d’Intérêt général et de bien commun devraient être un sujet central pour tous et non un comportement moyenâgeux avec une prime de risque reportée sur un océan de serfs!!!

    https://i0.wp.com/michelsanti.fr/wp-content/uploads/2021/11/inegalites.png?resize=768%2C670&ssl=1

    Aujourd’hui – en 2022 – il y a 19 fois plus de milliardaires dans le monde qu’en 1987 selon les très sérieuses données empiriques de Forbes. Ainsi, ils sont 4 200 % plus riches aujourd’hui, en dollars nominaux, ou 1 600 % après correction de l’inflation. Quand comprendrons-nous enfin que la seule circulation du Capital – avec sa vélocité et les artifices qui lui sont associés grâce à la financiarisation – suffit à générer du Capital neuf, à contrario du facteur Travail. Une authentique sélection darwinienne.

  12. Je me suis souvent pris à penser que les russes ont l’énergie, les chinois l’industrie, mais nous avons les économistes qui, à part quelques rares exceptions, nous promettent que tout va de mieux en mieux.
    Le 70% de la fortune étant concentrées entre les mains des 2700 milliardaire, les syndicats étant très largement financés par le patronat en échange de conventions séduisantes, l’immigration freinant la conscience de classe, le péquin moyen ne dispose pas du pouvoir nécessaire pour défendre son pouvoir d’achat. Bref, il perdra des plumes à toutes les occasions, épidémies, guerres ou autres.
    Je ne voudrais pas ressasser des comparaisons faciles. Cependant, causes et effets peuvent se répéter à travers les âges. Cet histoire remonte assez loin puisque je veux parler des bagaudes, c’est à dire des brigands ou pirates de terre ferme qui à la fin de l’empire Romain formaient une société en marge, refusant une logique économique qui réduisant les travailleurs pauvres en esclavage. Nous avons là le modèle d’une société aux abois où l’on puise dans les forces vives pour nourrir une ville (Rome) qui ne produit rien.
    Concrètement, j’ai observé divers stratégies pour ponctionner le monde du travail au profit du capital. L’une d’elles, particulièrement à la mode en France est la celle des poupées russes: une multitude de sociétés se sous traitent des contrats. A la fin, le travail est effectué par un petit indépendant qui est totalement tenu par son client et doit enchainer les travaux bâclés avec une cadence infernale pour survivre. Ainsi fonctionne la maintenance des réseaux BF ou téléphonique par exemple.

  13. “Voyage dans le temps et l’espace”

    Saison 8: Capital vs Travail

    Coup d’État contre les systèmes de retraite!

    RAYMOND
    25 septembre 2021 à 16 h 29 min

    Dans le monde d’après Covid-19, nos classes moyennes et nos retraités seront-ils majoritairement “chiliens” au sens d’un “mirage économique”? Quelques mois avant la pandémie, le Chili, présidé par Sebastian Piñera, était encore cité comme un exemple de stabilité économique et politique en Amérique latine. Un “modèle économique et social” dont la source remonte à la dictature Pinochet, ainsi qu’à la stratégie volontariste de libéralisation menée aux forceps par une troupe d’élites des “sciences économiques”. Et, si ce “miracle économique” a vu l’ascension des hauts revenus (accroissant les inégalités) dans un contexte prospère du fait de la nature de sa croissance, de la privatisation de pans entiers de son économie, néanmoins de vastes secteurs sont aussi apparus très vulnérables. Désormais, les classes moyennes basses qui veulent que leurs enfants fassent des études ont des budgets devenus trop justes, tandis que les familles ayant pris des crédits se retrouvent maintenant dans l’angoisse de l’endettement à cause d’un pouvoir d’achat ayant fini par décliner. Aujourd’hui, les contestations se cristallisent autour de l’éducation et des retraites, car si 10% du salaire des employés chiliens reste ponctionné pendant la vie active, beaucoup perçoivent une retraite inférieure au salaire minimum; d’autant que les dépenses sociales sont relativement faibles dans le pays.

    Durant ce choc extrême vécu par le peuple lors du renversement du président Allende par la junte du Général Pinochet (dictature militaire de 1973 à 1990), le Chili restera emblématique quant à son rôle de “laboratoire avancé du néolibéralisme”. En effet, c’est à cette aune que l’on mesure la participation des économistes latino-américains. Des diplômés de l’Université de Chicago et d’autres universités américaines, les “Chicago Boys” (Jorge Cauas, Sergio de Castro, José Piñera, Hernán Büchi, etc.) auront contrôlé le ministère des Finances pendant plus de onze ans, “le Plan” pendant plus de neuf ans, le ministère de l’Économie pendant cinq ans et demi, et, en général, les principaux postes clés à partir de 1975. Comme le dit J. Piñera – un “Chicago Boy” de Harvard – “ils ont pénétré des domaines traditionnellement hors des limites de la rationalité économique comme les relations du travail, la sécurité sociale, l’éducation, la santé, la gestion municipale et même la défense”. Les “Chicago Boys” auront ainsi prôné pour la première fois le modèle néolibéral. Dans le langage de l’économiste Friedrich von Hayek*, on pourrait dire qu’ils ont mené à bien une révolution “constructiviste” grâce à un despotisme technocratique. Entre 1973 et 1981, les “Chicago Boys”, pionniers de l’ultralibéralisme, ont entamé une série de “réformes” compatibles avec le décalogue de la première version du consensus de Washington, proposée à la fin des années 1980: liberté totale des prix; ouverture indiscriminée aux importations; libéralisation du marché financier aussi bien en termes de taux d’intérêt que d’allocation du crédit; large libéralisation des flux internationaux des capitaux; réduction de la taille du secteur public; privatisation des entreprises publiques traditionnelles; suppression de la majorité des droits syndicaux; réforme fiscale pour réduire les impôts directs et les rendre plus progressifs (toutefois sans trop atteindre le haut du perchoir); introduction des premiers systèmes de retraite par capitalisation.

    L’an passé – en pleine pandémie – des files d’attente interminables s’étiraient dès l’aube devant les établissements financiers: des Chiliens se pressaient pour réclamer une partie de leur épargne-retraite afin d’améliorer leur subsistance par anticipation, après une décision historique du Parlement donnant le feu vert aux retraits successifs de 10% de la totalité des fonds de pension à capitalisation individuelle et privée. Ces ponctions répétées remettent ainsi en question la pérennité de ce système de retraites mis en place pendant la dictature du Général Pinochet, sous l’influence des “Chicago Boys” – nourris à l’idéologie de Friedman – qui testaient là, au Chili, leurs théories néolibérales. On l’aura donc compris, même si certaines difficultés sont spécifiques à leur système de prévoyance, d’autres sont communes à la plupart des systèmes de retraite de par le monde avec, dans la foulée, des taux d’intérêt sur le capital – pour des placements dits “sans risques” – qui n’ont eu cesse de se contracter durant les décennies passées. Tandis qu’à l’opposé, “grâce” à la socialisation des errements financiers durant ces vingt ans écoulés, les performances boursières (et spéculatives) ont atteint des sommets inégalés. Une manne providentielle s’est ainsi offerte à tous les acteurs de ce genre de système de prévoyance financiarisé et dont les assurés restent otages. Le taux réel sur emprunt d’État chilien étant proche de 0% (négatif en Suisse) et la tendance est là pour durer. De même, la démographie s’approche rapidement du modèle européen en termes de natalité et d’espérance de vie.

    Pour la petite histoire, sachant que l’armée jouit encore d’un poids économique et politique non négligeable dans le pays, le gouvernement militaire n’a préservé son système de prévoyance par répartition que pour les personnels de l’armée, qui jouissent aujourd’hui de conditions de retraite jalousées du reste des salariés chiliens soumis au système par capitalisation.

    Enfin, et pour terminer, à l’heure où le pillage de l’ensemble des richesses se démocratise dans une résilience consternante, le peuple helvétique devrait garder à l’esprit que le pays compte non seulement 2000 caisses de pension, mais aussi que la gestion de ce “trésor de guerre” est externalisée pour un coût de 5% par an. Dans un tel contexte généralisé – considérant les aspects démographiques – toute promotion du réhaussement de l’âge légal de la retraite au motif de l’allongement de l’espérance de vie est un alibi. Au pire, un sophisme.

    * Friedrich von Hayek (1899-1992) est un économiste et philosophe austro-britannique. Il reste l’un des pères du néolibéralisme de l’École autrichienne avec l’économiste Ludvic von Mises (1881-1973). La Société du Mont-Pélerin sera fondée par Hayek et Mises en 1947. Puis l’économiste américan Friedman y fera son entrée avec son idéologie néolibérale quelque peu différente de l’École autrichienne. À la première réunion participent trente-six personnalités “libérales” réunies à l’Hôtel du Parc au Mont-Pèlerin, sur les hauts de Vevey. Ce réservoir d’idées et de promotion du néolibéralisme sera financé par des banquiers et patrons d’industrie helvétiques. Ce même genre de groupes d’influence qui n’a d’ailleurs jamais cessé sa générosité envers les partis politiques suisses, notamment.

  14. “Voyage dans le temps et l’espace”

    Saison 9: Capital vs Travail

    Coup d’État contre les systèmes “d’éducation” (d’instruction). Le grand Capital (financiarisé) est devenu l’ennemi public n°1!
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    RAYMOND
    2 novembre 2020 à 12 h 42 min

    (…) Non seulement la pensée unique, d’ordre néolibéral chez les économistes mainstream, a gangréné le pluralisme des sciences économiques mais le modèle éducatif conditionné a aussi porté sa pierre au grand édifice. Le non moins éminent professeur Noam Chom­sky, mondialement reconnu, n’a t-il pas mis en lumière les effets néga­tifs, voire per­vers, du modèle auto­ri­taire de l’école qui, en impo­sant des pra­tiques édu­ca­tives auto­ri­taires ne pri­vi­lé­gient pas la com­pré­hen­sion, le talent et la créa­t­vité? Penser autrement. Pour illus­trer son pro­pos, il cite l’exemple du pro­gramme édu­ca­tif amé­ri­cain “No child left behind de 2001” qui vise avant tout à ensei­gner pour réus­sir un examen. De son point de vue, ce sys­tème sco­laire qui impose l’ignorance a plu­tôt ten­dance à favoriser l’endoctrinement et la for­ma­tion d’individus qui seront for­ma­tés pour être à la solde d’une idéo­lo­gie de nature “coer­ci­tive qui vise à empê­cher le peuple d’exercer un contrôle sur le pro­ces­sus déci­sion­nel dans le but de le concen­trer entre les mains des aristo­crates, ces indi­vi­dus qui méprisent le peuple et cherchent à l’éloigner du pou­voir”.

    Pour Noam Chom­sky, ces intel­lec­tuels formeront à leur tour des indi­vi­dus qui s’attacheront à légi­ti­mer et à per­pé­tuer les valeurs d’une société indus­trielle domi­née par le modèle tech­no­cra­tique où le culte des experts occupe une place centrale. Par ailleurs, il dénonce le nou­vel esprit du temps, c’est-à-dire le sys­tème domi­nant de nature anti-démocratique promu par les poli­tiques et le patro­nat qui pri­vi­lé­gient la pro­duc­tion et l’accumulation de biens ainsi que la for­ma­tion “d’outils à la solde des employeurs.“

    Tout en cri­ti­quant ce modèle de société, N. Chom­sky dénonce “la tra­hi­son des clercs”, ces uni­ver­si­taires, intel­lec­tuels, médias et tous les défen­seurs de ce nou­vel esprit du temps (la pensée unique) qui glo­ri­fient, pro­pagent et légi­ti­ment ce sys­tème de valeurs dont l’objectif est de condi­tion­ner et d’opprimer les indi­vi­dus et d’entraver l’avènement d’une société “libre, juste et démo­cra­tique”.
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  15. “Voyage dans le temps et l’espace”

    Saison 10 : Capital vs Travail

    Le bal des hypocrites !

    Dans une économie mondialisée, le travail transportable est attribué au “moins-disant” salarial et social. Cela entraîne des phénomènes de délocalisation dont le rythme est conditionné par les capacités d’exportation et d’importation des biens et services. Le travail perd son ancrage local: il est déterritorialisé. Le différentiel de mobilité du capital et du travail explique la subordination du second au premier. C’est d’ailleurs ce qui avait conduit Karl Marx et Friedrich Engels (1820-1895) à conclure leur Manifeste du Parti communiste de 1848 par le fameux “Proletarier aller Länder, vereinigt euch !”, constatant que la loi des avantages comparatifs de David Ricardo (1772-1823) conduisait à la fragilisation du pouvoir de négociation de la rémunération du travail.

    Ainsi, rien de nouveau sous le soleil mis à part le fait que le conflit Russo-Ukrainien nous apporte maintenant de l’eau dans le gaz. Comme si l’on découvrait du jour au lendemain – avec ce changement de paradigme énergétique – que nous étions non seulement dépendant du gaz et du pétrole russe, mais que “l’ennemi public n°1” (le grand Capital mondialisé) ne pourra éternellement se dédouaner de sa responsabilité sur l’échiquier de la transition énergétique. En effet, rappelons-nous déjà de cet effet de manche “récent” et notoire induit par l’hypocrisie du “Green Tech”. Sur le plan sémantique, le terme “Green Tech” regroupait l’ensemble des innovations respectant l’environnement, que ce soit dans leur processus de production ou de distribution. Mais historiquement parlant – et avec un peu de sérieux – les innovations écoresponsables existent depuis des siècles. Cependant, l’engouement pour ce type d’innovations date d’un peu plus d’une décennie, car celui-ci remontait à la mise en avant du terme “Clean Tech” par l’entreprise américaine Clean Edge, au milieu des années 2000. Les “clean technologies” désignaient alors les innovations respectueuses de la planète. “So cute”, diraient nos jeunes d’aujourd’hui! Au fur et à mesure, le terme “Green Tech” a été poussé pour des raisons de marketing. Désormais, les deux termes sont utilisés de façon interchangeable. Le but de la “Green Tech” est donc de répondre aux besoins de la société actuelle en limitant l’impact négatif sur la planète. Pourtant, bien que dans le contexte actuel il soit impératif de s’intéresser de près à l’environnement, tout indique aussi de plus en plus clairement que la résolution du défi climatique ne pourra se faire sans un puissant mouvement de compression des inégalités sociales, à tous les niveaux, car avec l’ampleur actuelle des inégalités, la marche en avant vers la sobriété énergétique annonce aussi une prochaine répression financière sur les moins nantis.

    J’entends déjà tous les Taruffes du pouvoir s’écrier, mais couvrez donc ce sein nourrissier que l’on ne saurait voir, dès lors que l’on pose un regard insistant du côté de la dime. Alors même que refuser à payer sa juste contribution, c’est précisément nous condamner collectivement. Les non moins célèbres révélations des “Paradise Papers” n’ont-elles pas révélé que plusieurs entreprises (parmi tant d’autres) du secteur des énergies fossiles – Total, Engie, Glencore – avaient eu recours à des sociétés offshore? Et c’est à mille lieux d’être une première. Utilisant ainsi des montages financiers complexes via des États aux juridictions indécemment complaisantes pour investir dans des projets charbonniers, gaziers ou pétroliers, escomptant augmenter mécaniquement leurs ressources, tout en préservant leur image en dehors du voile. Certes, de là à parler d’un lien systématique entre “évasion fiscale et crise écologique”, il n’y a que quelques pas qu’ont esquissé des chercheurs dans leur étude: “D’abord, la perte éventuelle de recettes fiscales en cas d’optimisation fiscale agressive, recettes qui pourraient être utilisées par les États pour financer des politiques sociales et des politiques environnementales”. Puis, un deuxième problème qui “est que l’utilisation des paradis judiciaires et fiscaux pourrait être comparée à des subventions cachées. Elles payent moins d’impôts, et ont donc plus de capital qui peut être utilisé pour étendre leurs opérations, ou tout simplement pour redistribuer plus de dividendes et ainsi attirer plus d’investisseurs peu scrupuleux des questions environnementales”. Enfin, “l’utilisation de paradis judiciaires et fiscaux empêche de savoir d’où vient et où va l’argent. La gestion des écosystèmes en devient donc d’autant plus difficile”. S’il est effectivement logique que “payer moins d’impôts et d’éviter les règlementations trop contraignantes permettent aux entreprises de gagner plus d’argent”, les conséquences sont dramatiques pour l’extrême majorité vivant sur notre planète qui, elle, n’est pas à géométrie variable.

    Comprenons bien que le fait de “ne pas payer d’impôts où cautionner l’immense injustice fiscale, c’est précisément condamner la planète. Rien qu’en France, la pleurnicheuse devant l’éternel pour son “enfer fiscal”, le manque à gagner du budget national fut estimé avant la pandémie à quelques 80 milliards d’euros par an… causé – cette fois – par l’évasion fiscale. Or, aucun pays ne pourra raisonnablement faire de transition vers un monde plus juste et écologique sans un investissement massif de l’État. Car, à l’instar des oligarques du régime Poutinien, il ne faut surtout pas toucher aux ayatollahs de l’ultralibéralisme immoral.

    Donc, en l’état actuel des actes peu courageux de nos politiciens – adoubés par le grand Capital – le financement de la transition énergétique ne sera malheureusement qu’une énième version de la “lutte des classes” (K.Marx). Et l’homo-politicus, une nouvelle génération d’hypocrites que l’on ne condamnera jamais pour “crimes contre l’humanité”! En attendant, l’homo-politicus helvétique va devoir régler cette grosse épine dans le pied que représentent les plateformes opaques de négoce domiciliées à Zoug et à Genève.

  16. “Voyage dans le temps et l’espace”

    Saison 11 : Capital vs Travail

    Destruction massive du filet social de protection
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    RAYMOND
    17 décembre 2020 à 13 h 00 min

    Sous l’angle du capital naturel, pour le GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat sous l’égide de l’ONU), le lien entre le dérèglement climatique et l’exploitation des énergies fossiles est extrêmement probable, c’est-à-dire avéré à 95%. Et comme une évidence, il est tout naturel de poser le constat suivant : « le capital naturel a déjà été détruit ou endommagé de manière irréparable par le système économique »

    Nos outils de mesure et notre grille de lecture sont devenus des reliques. Non seulement la croissance économique, mesurée par rapport à l’évolution du Produit intérieur brut (PIB), est devenue une obsession pour la plupart des économistes, des institutions financières et des politiciens, mais la nature même du « PIB est désormais obsolète » pour paraphraser l’économiste hétérodoxe, Joseph Stiglitz, car ce thermomètre reste imparfait eu égard aux nombreux agrégats déjà pervertis par l’idéologie dominante. Durant le WEF de Davos, en janvier 2016, la fronde de Joseph Stiglitz résonnera encore en prônant que les instruments de mesure de l’activité économique doivent urgemment évoluer. Pour ce qui a trait à l’économiste hétérodoxe Paul Krugman, lui aussi titulaire du Prix de la Banque de Suède en sciences économiques (Nobel), il publiera une critique éloquente du PIB dans une tribune: « Le Viagra et la richesse nationale symbolise la problématique ambiguë d’un produit, le Viagra, qui donne du bonheur aux utilisateurs/consommateurs alors que sa présence dans les statistiques de production est quasiment absente ».

    Quant à la notion du PNB (Produit national brut), nos sociétés modernes et développées feraient bien de s’inspirer du Bouthan, avec son BNB (Bonheur national brut), cet indice qui sert à mesurer le bonheur et le bien-être de la population du pays et qui demeure inscrit dans la constitution promulguée le 18 juillet 2008 ; il se veut une définition du niveau de vie en des termes plus globaux que le PNB. D’ailleurs, dans un excellent papier de la chroniqueuse économique Myret Zaki, n’a-t-elle pas aussi lancé un pavé dans la mare en arguant que que « la croissance agrégée ne dit plus rien, en réalité, des améliorations du bien-être économique d’une population dans son ensemble », pour enchérir « qu’entre 1980 et 2016, les 1% les plus riches ont accumulé 28% de la croissance agrégée des revenus réels aux Etats-Unis, en Europe occidentale et au Canada, tandis que les 50% les moins riches en ont eu seulement 9% ». Comment s’étonner encore de son constat, parmi ceux de tant d’observateurs économiques, pour qui « les rapports annuels des entreprises se sont eux aussi mués, au fil des années en vecteurs de marketing autant que de reporting. Les illustrations prennent toujours plus de place, le texte fait la part belle aux réussites et les tableaux de chiffres viennent ensuite. Les exigences de divulgation financière se sont certes accrues, mais au même moment, leur poids dans les rapports est devenu très relatif ». Comment, dans ce contexte généralisé de tricherie économique, nier les limites de la croissance? S’il est devenu évident que notre planète vit à crédit, il en va de même pour la majorité de ses locateurs. Alors, la croissance économique ne fut-elle pas déjà bornée à l’aune des années 1970, à l’heure où l’École des monétaristes prenait le pouvoir sur le monde économique ? L’émergence de la financiarisation de nos économies, dites modernes, ne fut-elle pas les prémisses d’un détournement planifié des richesses et le pillage des ressources naturelles avec la bénédiction successive des détenteurs de rentes de situation à l’instar des pouvoirs politiques, comme déjà décrit dans la théorie des choix publics, ceci au détriment de l’Intérêt général et du bien commun?

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    Après plus de 50 ans d’injustices économiques établis sur des leurres et la croissance exponentielle de la financiarisation, combien d’années faudra-t-il encore pour nier les évidences et changer de paradigme ? Les aficionados de l’ultra-capitalisme d’hier sont-ils devenus à ce point une nouvelle frange du marxisme-léninisme des temps modernes ?

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    —-
    Dès lors, qui osera encore prétendre qu’il n’y a pas de guerre entre le grand Capital financier et le facteur Travail? La dernière bataille étant la destruction du filet social de protection.

  17. “Voyage dans le temps et l’espace”

    Saison 12 : Capital vs Travail

    Autre temps, autre époque, mais les négriers sont toujours à la barre!

    “L’actionnariat – Durant la pandémie – s’est enrichi de 1’500 milliards de $, soit le triple de ce qu’il avait gagné en deux ans sur le même laps de temps ayant précédé la Covid. Au total, les actionnaires ont gagné 50 fois plus que les salariés et travailleurs” dixit M.S

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    Raymond dit : avril 22, 2022 à 2:07

    “Merci” aux politiques non conventionnelles des banques centrales – qui n’ont fait que suivre les attributions (voir exceptionnelles) de leurs mandats respectifs – mais surtout toutes nos congratulations (abus de langage ironique) à nos gouvernements respectifs ayant poursuivi aveuglément les mantras du néolibéralisme. Cet aveuglement (ou connivence avec l’idéologie mainstream) aura ainsi nourrit une “exubérance-irrationnelle” sans commune mesure sur le marché des actifs financiers et de l’immobilier, tout en exacerbant le soutien public à des entreprises déjà en mort clinique (“les zombies”). Si nous voyons bien qu’une proportion non négligeable des services de l’État, à l’instar de la France, reste dans une posture dangereuse – que pour sauver les grands malades de la noyade, cette nation a opéré son choix au détriment de l’intérêt général et du bien commun – il n’en demeure pas moins que le pays a vu sa proportion d’entreprises “zombies” croître d’une manière exponentielle depuis les années 1980. Selon une étude de la Banque des Règlements Internationaux (BRI), la part des entreprises zombies parmi les sociétés cotées a augmenté, au sein de 14 économies développées, de 4 % à la fin des années 1980 à 15 % en 2017. En France, cette part a plus que doublé entre 2007 et 2017, passant de 6,8 % à 15,6 %. Bien évidemment que la crise économique liée au Covid-19 en 2020 (et maintenant géopolitique avec le conflit Russo-Ukrainien) contribue à une nouvelle tendance des “entreprises zombies” maintenues sous perfusion par les pouvoirs publics, alors que les soutiens dans les secteurs de la santé, la justice, l’éducation – des exemples parmi d’autres – font cruellement défaut. Comme l’on estime qu’environ un quart des entreprises zombies finissent par faire faillite, qu’elles sont en moyenne moins productives et innovantes que les autres firmes, dans ce contexte, le pari quant à la pertinence du soutien public via des prêts garantis se pose.

    Outre des considérations sociales fortes, leur issue reste toutefois particulièrement délicate à en juger la BRI puisque près de 60 % des entreprises parviennent “finalement” (temporairement) à sortir de leur statut particulier. Néanmoins, nous (les hétérodoxes) constatons également que les données empiriques démontrent que le “progrès” technique dégage peu de nouveaux produits, les innovations entraînent surtout des économies de capital, l’investissement fléchit et favorise la mécanique des rachats d’actions. Si les incertitudes dans lesquelles les peuples sont enracinés depuis plus d’une décennie encouragent – et par effet de manche dopent – l’épargne de précaution, l’ingénierie financière, elle, a réussi à retirer ses marrons du feu (sa mise) en soldant l’équation tout en contribuant à un transfert des richesses du bas vers le haut (le typique contraire de la “Trickle down Theory”, respectivement le “ruissellement” qui demeure toujours un leurre). Dans ce “capitalisme actionnarial” totalement tronqué, non seulement le champ libre est donné aux “entreprises zombies” de pousser comme des champignons (soutenues par le “shadow banking”, s’il le faut, ou succombant aux sirènes du “leveraged buy-out”), mais face au fléau que représente la pandémie mondiale qui se conjugue précisément avec la quatrième révolution industrielle (numérisation, digitalisation, intelligence artificielle, robotique) et un prochain Bretton Woods monétaire avec les “crypto-monnaies” (crypto-actifs) et les nouvelles “monnaies numériques de banques centrales”, les seuls fruits du facteur Travail ne pourront assurer une vie décente à la plus large majorité des peuples, dès lors qu’il est désormais communément admis que la seule circulation du Capital, avec sa vélocité et les artifices qui lui sont dédiés grâce à la financiarisation débridée (et son ingénierie), suffit à générer du Capital neuf, à contrario du facteur Travail qui lui tend à disparaître après avoir été placé sur l’oblique d’une pyramide de Ponzi.

    Comment transformer du plomb en or et de l’or en plomb? Rien de très compliqué finalement!

    PS: Ainsi je signais là ma dernière analyse sur le blog de M.S que j’ai par ailleurs largement alimenté par le passé (après une longue pause)

  18. Introduction:
    Réf. “Comment les Gafam combattent la législation européenne en sous-main” par Louis Hausalter / 24/07/2022 à 10:00

    “Google, Facebook et Microsoft ont dépensé chacun plus de 5 millions d’euros par an pour influer sur la réglementation européenne. Coup de tonnerre ! Approuvés début juillet par les eurodéputés, deux textes luttent désormais contre leurs pratiques anticoncurrentielles et les obligent à supprimer les contenus illégaux. Apple aura bataillé jusqu’au bout. À partir de 2024, l’Union européenne imposera un modèle universel de chargeur de smartphone à tous les constructeurs. Au grand dam de la firme à la pomme, qui a déployé à Bruxelles ses bataillons de lobbyistes, chargés de faire valoir que ce service rendu au consommateur serait catastrophique pour l’innovation et couperait l’Europe du reste du monde…”
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    “Voyage dans le temps et l’espace”

    Saison 13 : Capital vs Travail

    Dans un documentaire sur la mafia de New York un membre de la famille Genovese dit: “si tu veux être le patron, nomme le patron”.

    Raymond dit : août 25, 2020 à 6:55

    Qui nommait les GAFAM pour être le patron? L’actionnariat. Et qui se trouve au bout de la chaîne de valeur de cet actionnariat? Le citoyen; même celui qui s’ignore “actionnaire” par un pouvoir délégué implicitement à son fond de pension retraite, par exemple, dit fond de pension déjà en main d’un fond d’investissement. Ou le citoyen prit en otage de sa propre Banque Centrale nationale, à l’instar de la BNS (Banque Nationale Suisse) pour les Suisses, qui, à fin 2018, détenait pour 9.25 milliards de dollars d’actions Google, Amazon, Facebook et Apple. Suffit-il encore à constater l’ampleur du bilan de la BNS dépassant le PIB helvétique. Or, étant aussi entendu que les capitaux neufs ne sont plus une matière première activement recherchée par ces entités de hauts vols (les GAFAM), l’actionnaire s’est ainsi vu relégué progressivement à un rôle de simple subalterne. En ce sens, la notion même de l’actionnariat est attaquée sur ses bases par ces mastodontes.

    La dictature étant à nos portes, il devient donc urgent d’exiger à nos pouvoirs publics (et du législateur) l’organisation d’un démantèlement des GAFAM ou, à tout le moins, la mise en forme (et en place) d’une régulation ambitieuse qui leur est propre.

    Conclusion: “La dictature parfaite serait une dictature qui aurait les apparences de la démocratie, une prison sans murs dont les prisonniers ne songeraient pas à s’évader. Un système d’esclavage où, grâce à la consommation et au divertissement, les esclaves auraient l’amour de leur servitude…” dixit Aldous Huxley – Le Meilleur des mondes – roman d’anticipation dystopique, écrit en 1931.

  19. Aujourd’hui, le vent social pourrait commencer à tourner grâce au phénomène de la “Great Resignation” (ou “Big Quit”) et l’inflation galopante. Pour la première fois peut-être depuis la crise des années 1970, le rapport de force entre travailleurs et patronat paraît s’inverser dans un très grand nombre de secteurs. Avec leur “représentation du monde”, les ultra-libéraux pleurent à présent à chaudes larmes à mesure qu’ils se prennent leur sacro-sainte politique de l’offre en pleine face – après que la loi Offre/Demande fût transformée par des apprentis sorciers au sein du laboratoire économique de la sulfureuse École de Chicago. Néanmoins, beaucoup d’officionados s’enferrent toujours dans cette vision passéiste du prophète Milton Friedman pour qui, la seule responsabilité sociale des dirigeants “n’est autre que celle de faire le plus d’argent possible pour leurs actionnaires” (Friedman, 1962) – et, ce, au détriment des salariés. Mais le corollaire de la “quasi-absence” de chômeurs est l’impossibilité de recourir à l’outil du chantage au chômage – le “si tu n’es pas content, la porte est par là!” Un phénomène qui bouleverse déjà la donne dans plusieurs pays.

    Il est donc pathétique de constater encore une fois de plus que les ayatollahs du néo-libéralisme ont à ce point négligé que leur “représentation du monde” n’est point la vision du monde au sens philosophique. D’ailleurs, le mot “philosophie” a même fini par prendre un sens si vague qu’il n’a plus grand-chose à voir avec ses significations d’origine. Il ne désigne plus “un savoir réfléchi”, autrement dit une “science” au sens le plus général du mot (Aristote), encore moins “l’examen rationnel de notions obtenues par abstraction” (Bacon) ou “l’étude de la sagesse” (Descartes), voire l’ambitieuse “connaissance la plus complètement unifiée” (Spencer) ou “la recherche des principes de la certitude” (Cournot). Loin de ces références historiques pourtant fondatrices, le terme “philosophie” renvoie désormais à n’importe quel modèle global de “représentation du monde”.

    Visionnaire, Adam Smith avait saisi un élément clé lorsqu’il soulignait qu’”une fois le problème économique réglé, on pourra s’atteler à l’essentiel de la République philosophique”, qui est la rencontre des questions premières qui se posent à l’humain, à savoir “la question du vivre ensemble”, “la question de l’amour” et “la question du rapport au sens”. Le célèbre économiste de Cambridge, John Maynard Keynes, parlait de son côté “de l’au-delà de l’économie” et allait jusqu’à inciter ses collègues à l’humilité en disant: “Si les économistes pouvaient parvenir à ce qu’on les considère comme des gens humbles, compétents, sur le même pied que les dentistes, ce serait merveilleux!”

  20. “Voyage dans le temps et l’espace”

    Saison 14 : Capital vs Travail

    L’homo politicus joue au poker menteur!

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    RAYMOND 28 mars 2019 à 12:34

    Il y a deux parallélismes importants entre le travail et le revenu national. Le premier concerne leur lien de causalité, c’est-à-dire que le revenu est produit par le travail humain. Avec la digitalisation de nos économies (et avec elle, l’alibi Schumpetérien de la « destruction-créatrice »), ni les robots ni les équipements de toute sorte ne peuvent être à l’origine d’une valeur ajoutée, parce qu’ils sont eux-mêmes le résultat du travail humain, qui est le seul véritable facteur de production comme l’avait déjà expliqué J.M. Keynes dans sa Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie. Suite au processus de digitalisation croissante des activités économiques, en effet, le nombre de places de travail diminuera de plus en plus dans l’ensemble des économies nationales et cela aura pour conséquence, entre autres, une polarisation toujours plus marquée de la distribution du travail et des revenus sur le plan macroéconomique. Le deuxième parallélisme entre le travail et le revenu national est donné par le fait que tous les deux sont distribués de manière fort inéquitable et très problématique dans l’ensemble des systèmes économiques.

    Comme j’ai déjà eu à plusieurs reprises l’occasion de développer le sujet des effets pervers de la « supply side economics », et le leurre de la «trickle down theory », les théoriciens de la théorie économique dominante – de matrice néolibérale – restent pourtant et toujours cimentés dans leurs certitudes. Cette pensée dominante persiste à véhiculer le dogme qu’en réduisant la charge fiscale des entreprises (et des sociétés cotées), celles-ci augmenteront les investissements afin de produire et vendre davantage ; cela étant censé faire augmenter aussi – pour ces prophètes – les recettes fiscales permettant ainsi au secteur public de compenser les pertes fiscales initiales suite à la réduction successive des barèmes d’impôt. Par analogie « compétitive », à encourager l’augmentation des concessions fiscales sur les entreprises cotées tout en sachant que la vélocité du capital n’a d’égale au facteur travail.

    Pourtant, l’évidence empirique ne corrobore pas du tout la vision théorique dominante.

    Lorsque la demande sur le marché des produits est insuffisante pour absorber toute la production – comme cela est le cas en cette décennie de crise – les entreprises n’ont aucun intérêt à investir leurs bénéfices nets. Elles ont en revanche intérêt à placer ces bénéfices sur les marchés financiers, faisant augmenter les prix des titres cotés à la bourse (avec pour effet mécanique « une exubérance irrationnelle ». R. Shiller/ R. Thaler) en générant un « price earning ratio » totalement déconnecté des fondamentaux afin d’accroître le patrimoine financier que les entreprises possèdent à l’avantage de leurs propres actionnaires. Un phénomène économico-financier à très court terme (spéculatif) qui s’oppose aux tâches régaliennes de l’État censées s’inscrire dans une logique à long terme.

    Postulant de ce secret de Polichinelle, il n’est pas inintéressant de rappeler que la dette publique, contrairement à un capital qui représente du travail passé progressivement accumulé, représente aussi et surtout un prélèvement sur le travail futur. Plus spécifiquement, le créancier de l’État lui prête avec de l’épargne du travail (du travail accumulé dans le passé), tandis que l’Etat (le débiteur) rembourse sa propre dette grâce à un prélèvement fiscal sur le travail futur. C’est logique, la dette publique est garantie par la capacité de l’État à lever des impôts portant, entre autres, sur les revenus professionnels futurs. En s’endettant, l’État demande donc à ses créanciers (par le truchement des marchés financiers) de lui faire crédit au motif qu’il sera capable d’exiger un prélèvement sur la création de richesse de ses futurs contribuables. Dès lors, en suivant la ligne de conduite des dogmatiques de la pensée dominante, une dette publique excessive devient l’écueil principal à une fluidité du capital et à l’allègement du coût du travail. En effet, si la dette publique est refinancée par l’impôt, c’est immanquablement le travail qui est frappé.

    Et si l’injustice fiscale manifeste entre Capital et Travail se pérennise – exacerbée par nos sociétés mercantiles couplées à une digitalisation exponentielle – alors il ne reste plus qu’aux États autistes à réduire leurs prérogatives d’Intérêt général, c’est-à-dire à détricoter progressivement le filet de sécurité sociale, alléger ses investissements dans les infrastructures (ponts, autoroutes, hôpitaux, éducation, système des retraites, etc*) ou poursuivre la vente de son âme au secteur privé (aux tenants du Capital) en détruisant implicitement son patrimoine. Mais n’est-ce pas la situation à laquelle nous assistons depuis des lustres, celle où les États ont choisi de faire le jeu de Lucifer qui se mord la queue ?
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    * énergétique/climatique…

  21. https://youtu.be/-nIAXFzugVk
    Le conflit entre le travail et le capital va sans doute s’intensifier avec la résurgence de l’inflation résultant d’un déséquilibre entre l’offre et la demande sur un certain nombre de marchés ( matières premières, énergie, produits alimentaires, voire tensions sur le marché du travail en raison de la pénurie de main-d’oeuvre). Il va sans dire que le retour de l’inflation ou plutôt de la stagflation va compliquer les politiques de stabilisation, mais aussi conforter certaines banques centrales dans leur rôle conservateur de lutte exclusive contre l’inflation, c’est le cas notamment de la BNS. En revanche. En revanche, l’inflation a toutes les chances de provoquer des turbulences au sein de la zone euro en mettant la BCE devant une équation insoluble : comment maîtriser l’inflation importée sans provoquer une récession et une crise des dettes souveraines.
    Par ailleurs, il est à noter que nous ne disposons pas pour l’heure des outils macroéconomiques appropriés pour agir sur la répartition de la valeur ajoutée entre le capital et le travail, et ce en dépit des travaux académiques de qualité comme ceux-ci proposés par Keynes, Kalecki, Kaldor ou Pasinetti. Dans l’idéal, nous sommes enclins à penser que les capitalistes en l’occurrence les actionnaires et les salariés ont intérêt à développer des mécanismes de coopération pour tenter, dans un souci de rationalité collective, d’infléchir le partage de la valeur ajoutée selon les circonstances économiques, du fait que les autorité publiques n’ont pas la main sur la négociation des salaires dans le secteur privé, lequel représente l’essentiel du PIB.
    Enfin, compte tenu de l’ampleur des dettes publiques, du moins dans la zone euro, il faut s’attendre à ce que le conflit entre le travail et le capital comme le montre l’actuel débat sur le pouvoir d’achat, se traduise paradoxalement par une austérité budgétaire et monétaire. L’économiste Fréderic Farah nous montre en s’appuyant sur les enseignements de l’histoire des politiques économiques que l’austérité est le pire remède dans un contexte de baisse de demande globale et de pessimisme.

  22. Si le fondateur de la macroéconomie moderne – John Maynard Keynes – nous prédisait déjà qu’à l’avenir “il restera raisonnable d’avoir une intentionnalité économique au profit des autres; quand il ne sera plus raisonnable d’en avoir une pour soi-même, la vitesse à laquelle nous pourrons ainsi atteindre notre destination de félicité économique dépendra de quatre facteurs : notre capacité à contrôler le chiffre de la population, notre volonté d’éviter les guerres et les discordes civiles, notre consentement à nous en remettre à la science pour diriger toutes les affaires qui sont proprement du ressort de la science, et le taux d’accumulation tel que le fixera la marge entre notre production et notre consommation. Le dernier de ces facteurs prendra bien soin de lui-même, une fois l’accord réalisé sur les trois premiers”.

    Et si l'”Aigle de Meaux” – c’est-à-dire l’homme d’Église, prédicateur et écrivain français, Jacques-Bénigne Bossuet (1627-1704) – avançait que “Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu’ils en chérissent les causes”, rien ne nous empêche à méditer sur ces quelques données d’actualité.

    https://www.janushenderson.com/fr-fr/advisor/jh-global-dividend-index/

  23. Bonjour Raymond,

    Tout d’abord un grand merci pour vos commentaires, qui sont toujours enrichissants et stimulants pour une réflexion en dehors des sentiers battus. Je me propose ici de partager les idées inspirées par la citation de “l’Aigle de Meaux” et grand orateur devant l’Eternel, en tentant de l’illustrer par des exemples économiques: “Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu’ils en chérissent les causes”. Cette phrase célèbre traduit de manière parfaite l’idée que les sociétés et les individus sont traversés par des contradictions quasi-insurmontables.

    Ainsi si l’on s’amuse à faire un sondage sur les inégalités, on ne sera pas surpris d’apprendre qu’un grand nombre de nos semblables les fustigent, mais dans le même temps ils approuvent les causes qui en sont à l’origine: les rémunérations pharaoniques des PDG des grands groupes industriels ou bancaires ou des sportifs comme les footballeurs sont souvent légitimés par les talents ou la demande des consommateurs. Mais elles ne reflètent en aucun cas la productivité des individus concernés; alors que la théorie dominante insiste lourdement sur la nécessité de rémunérer les facteurs de production tels que le travail et le capital à leur productivité marginale.

    Il importe de noter que cette règle d’or en matière de gestion des ressources humaines au sein des entreprises ne semble s’appliquer curieusement qu’à la multitude des salariés invisibles, tout particulièrement à l’armée des précaires et des smicards que le Président Macron vient d’inviter à rompre avec le monde de l’insouciance et de l’abondance pour mieux faire face à l’avenir spartiate avec ses plans de sobriété et de rationnement. Alors qu’on croyait à tort que de telles joyeusetés étaient réservées aux économies centralement planifiées de type soviétique contraintes par l’offre.

    Ainsi un peu partout la majorité silencieuse semble s’accommoder des rémunérations abusives. Sauf peut-être en Suisse dont le peuple et les cantons ont accepté l’initiative populaire Minder en 2013, mais j’ignore si cette initiative, désormais gravée dans le marbre de la Constitution fédérale, a produit les effets escomptés en matière de réduction des disparités salariales. Pourquoi chérit-on les causes qui engendrent les inégalités, quand bien même celles-ci entretiennent un lamento sempiternel au point de confiner à la schizophrénie? Pas simple de répondre à cette question. Mais on peut en hasarder un élément d’explication somme toute subjectif: sans doute en raison de l’illusion que caresse chaque individu dans son for intérieur de basculer un jour du côté des heureux élus de la fortune. Toutefois, le rêve de devenir riche et célèbre pourrait être un obstacle à la fiscalité destinée à atténuer les inégalités résultant de la répartition primaire. Sur ce point, on peut faire confiance aux ultra-riches pour mener une croisade contre les impôts afin de mettre de leur côté des bénéficiaires des services publics en les convainquant que le monde de la richesse est accessible à tout un chacun dès lors qu’on accepte de prendre le risque et que la fiscalité cesse d’être confiscatoire.

    Par ailleurs, si l’on laisse jouer les forces de marché sans entrave, il n’est pas impossible que tout le revenu national soit accaparé par une poignée d’individus, voire par une seule personne dans le cas extrême et certes fort improbable. Point n’est besoin de préciser qu’un tel scénario est défavorable à la croissance économique et à la cohésion sociale. A cet égard, les travaux empiriques sur la croissance endogène nous y apportent un éclairage qui conforte les intuitions. En d’autres termes, le conflit entre le travail et le capital est consubstantiel à l’économie libérale, qui modifie sans cesse le pouvoir de négociation entre les acteurs économiques. A cause de cela, il est difficile de se passer des outils de la politique économique et/ou de la coopération entre les partenaires sociaux afin d’établir la paix sociale ou la paix du travail selon l’expression consacrée en Suisse, via notamment la modulation du partage de la valeur ajoutée selon les circonstances économiques; un peu à l’instar de la modulation de l’allocation chômage en fonction du taux de chômage que le gouvernement français va mettre en place dans un avenir proche. Cette fausse bonne idée empruntée aux Canadiens et Américains nous est présentée comme une innovation permettant d’en finir avec le mal français qu’est le chômage. En vérité, la mesure est un vieux vin présenté dans de nouvelles outres et destinée avant tout à plaire aux milieux économiques, et surtout à les dispenser de faire des efforts en faveur des salaires et de l’amélioration des conditions de travail. Il n’est pas inutile de rappeler que les secteurs sous tensions se lamentent depuis des lustres sur la difficulté à recruter. C’est pourquoi l’argument selon lequel la coexistence entre le nombre de chômeurs et les emplois non pourvus est due à la générosité de l’indemnisation du chômage, n’est pas nouveau, et le remède que le gouvernement va sortir de sa boîte à pharmacie n’est pas nouveau non plus, même s’il est vrai que la situation a été quelque peu aggravée par «la Grande démission». Celle-ci est survendue comme un phénomène positif.

    D’autre part, le péché mignon de cette réforme est qu’elle ignore superbement la diversité des chômeurs et leurs caractéristiques personnelles, en tentant d’établir de manière spécieuse une bijection au sens mathématique entre les emplois vacants et les demandeurs d’emploi. En tout cas, les travaux académiques et empiriques ne plaident pas en faveur de la réforme de l’assurance chômage que la France s’apprête à mettre en place. C’est pourquoi la dégressivité de l’allocation chômage ne saurait être la panacée: ni au retour des chômeurs vers l’emploi ni pour faire des économies à l’assurance chômage. En vérité, cette réforme fait la part belle à ce qu’il est convenu d’appeler un effet d’aléa moral, un argument sérieux que le monde de l’assurance utilise pour inciter les assurés à la prudence et à la vigilance face au risque, mais appliqué au monde du travail, il perd sa pertinence et se mue en une défiance à l’égard de la nature humaine. En règle générale on attribue à celle-ci une forte propension à la paresse et à la tricherie. D’où la nécessité de durcir les règles de contrôle.

    De surcroît, ce qui est frappant dans cette réforme, c’est que le rôle de l’assurance chômage comme stabilisateur automatique keynésien passe à la trappe, autrement dit, elle ne tient pas compte de l’interdépendance entre d’une part le marché des biens et services et d’autre part le marché du travail, sachant que le chômage peut s’interpréter comme une externalité négative résultant des décisions individuelles rationnelles, mais celles-ci sont catastrophiques au plan collectif, en vertu d’un manque de coopération. C’est pourquoi, la solution appropriée à l’équilibre budgétaire de l’assurance chômage ne consisterait pas à aggraver les conditions d’existence des chômeurs âgés, découragés ou peu formés ou appartenant à des minorités ethniques, mais plutôt à mettre en place un système bonus-malus afin de récompenser les entreprises licenciant peu et afin de mettre à contribution financièrement les entreprises abusant des licenciements comme variable d’ajustement à leurs difficultés structurelles.

    Après cette digression, revenons à la répartition du revenu global entre salaires et profits. Celle-ci peut évoluer de manière endogène, un peu à la manière d’un écosystème avec des proies et des prédateurs. Cela correspond tout à fait aux intuitions de Marx selon lesquelles toute croissance économique porte potentiellement en germes sa propre destruction. Aujourd’hui, avec le retour de l’inflation qu’on comparait naguère à l’arlésienne, due à une multitude de facteurs et non seulement à des politiques monétaires ultra-expansionnistes, le pouvoir d’achat est devenu une préoccupation majeure dans la zone euro, ce qui ne semble pas être le cas en Suisse, puisque l’inflation y est modérée (3,5% en août 2022). Il est incontestable que si l’on voulait éviter la spirale vicieuse prix-salaires, il serait souhaitable d’infléchir, par le biais de la négociation, la répartition de la valeur ajoutée en faveur des salaires et des investissements afin d’éviter l’effondrement de la demande globale et son corollaire, le chômage de masse.

    Bien évidemment, ce mécanisme n’est pas incompatible avec la mise en oeuvre d’une taxe exceptionnelle sur les spéculateurs de tout poil, afin de subventionner les ménages à faible revenu et les petites et moyennes entreprises, qui sont rationnées sur le marché du crédit bancaire. En tout état de cause, il faudrait éviter les mesures économiques du gouvernement français, lesquelles interfèrent dans le système des prix, par exemple le bouclier tarifaire (électricité, gaz, carburants). Ainsi la subvention de la consommation d’électricité via le blocage des prix de cette énergie va alourdir la dette de la compagnie d’électricité, et comme celle-ci est détenue en majorité par l’Etat, il faudrait s’attendre à une alourdissement du fardeau fiscal dans le futur. C’est pourquoi, si les subventions ne sont pas ciblées sur les ménages à faible revenu, dans un souci d’équité, il serait hautement souhaitable de renforcer la progressivité de l’impôt sur le revenu.

    1. Bonjour cher Noël,

      Merci infiniment pour ce magnifique et très pertinent billet que j’ai lu avec beaucoup d’attention. En résumé: Divin!!! Il me plaît à vous lire tant vos apports sont une indéniable valeur ajoutée pour nous tous. Un grand MERCI.

      Cordialement
      P.R

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