Les accords sur le climat sont comme le Père Noël

Dans quelques jours ce sera Noël, une journée de fête que l’on devrait pouvoir passer en toute sérénité au sein de sa propre famille, mais qui en fait est devenue une occasion pour faire des dépenses qui sont souvent déraisonnables, quitte à devoir s’endetter pour les financer. Quelque chose de similaire pourrait avoir lieu durant cette décennie en ce qui concerne les accords internationaux sur le climat, récemment au centre de l’attention suite à la conférence de la COP26 à Glasgow. Celles et ceux qui croient au Père Noël vont probablement croire aussi que ces accords et leurs signataires vont amener à des choix, aussi bien privés que publics, favorables à l’environnement. Or, le simple fait que l’horizon temporel prévu pour la réalisation des objectifs inscrits dans ces accords soit encore loin sur le plan politique (même si, en fait, on se trouve à une minute avant minuit) induit à penser que les mots prononcés à Glasgow et écrits noir sur blanc dans les accords vont rester lettre morte, vu qu’il n’y aura aucune chance d’atteindre les objectifs inscrits dans ces accords, vu que les problèmes climatiques sont des phénomènes qui touchent le monde entier (même si à géométrie variable) et que la contribution d’un pays quelconque afin d’améliorer le climat ne fait pas la différence, si les autres nations ne changent pas leur fusil d’épaule.

Depuis 1972, bien des scientifiques attirent l’attention de l’ensemble des parties prenantes sur le fait qu’il faut changer de trajectoire pour éviter la disparition de l’espèce humaine, à cause des dommages à l’environnement provoqués par cette espèce. Cinquante années se sont écoulées depuis la publication du Rapport sur les limites du développementrédigé par des chercheurs du MIT pour le Club de Rome, mais durant ce laps de temps ce rapport a été largement ignoré tant par les dirigeants des entreprises que par celles et ceux qui ont été élu.e.s par le peuple pour satisfaire l’intérêt général.

Il suffit de lire les conclusions auxquelles sont arrivés les participants à la conférence de Glasgow pour comprendre que les objectifs (apparemment ambitieux) de la classe politique mondiale vont être très difficilement atteints, aussi parce que leur échéance temporelle se situe bien après l’échéance électorale (voire l’espérance de vie) de ces politicien.ne.s.

Il faudra dès lors encore passer par une série d’événements dramatiques pour une grande partie de la population mondiale avant que l’espèce humaine soit contrainte de changer sa propre trajectoire de développement par la situation climatique et environnementale. Nous ne sommes pas en mesure de prédire l’avenir, donc nous ne savons pas ce qui va se passer durant les prochaines décennies sur le plan climatique, mais nous apercevons déjà un scenario très problématique pour la vie sur la Terre, à commencer pour l’espèce que nous avons l’habitude d’appeler «homo sapiens» – apparue il y a environ 300’000 années.

Selon certains anthropologues, le quotient intellectuel de l’espèce humaine est en train de diminuer depuis le début des années 90 du siècle passé. Nous savons ce que nous devons faire pour changer de trajectoire, mais nous devons être conscients que tout le monde, de manière individuelle et collective, doit s’engager pour permettre à tout un chacun de mener une vie digne de ce nom. Un homme averti en vaut deux…

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.

33 réponses à “Les accords sur le climat sont comme le Père Noël

  1. Les Homo sapiens sont beaucoup plus anciens: environ 2 millions d’années.
    https://en.wikipedia.org/wiki/Timeline_of_human_evolution

    Je pense que la clé du changement climatique viendra de la fin de la “dictature de l’actionnaire” et aussi des “Homo-Consommateurs-Frénétiques” que nous sommes tous.
    Quand on arrête d’acheter le dernier truc vu à la TV, y compris la dernière Tesla, la pollution diminue vite de moitié.
    Bon c’est vrai, y aura d’autres problèmes comme le travail, l’argent, la nourriture, le cours de violon du petit, etc, etc…. 😁
    Navré, je n’ai pas la solution à tout !

  2. A partager, qui décille – violemment et définitivement – les yeux sur les transformations radicales et urgentes à notre survie =>

    1) Les constats implacables de Jancovici, ingénieur en énergie:

    http://www.youtube.com/watch?v=LCZQZMpfAWE

    http://www.sciencespo.fr/fr/actualites/actualit%C3%A9s/%E2%80%9Cco2-ou-pib-il-faut-choisir%E2%80%9D/4307

    https://new.sfen.org/rgn/croissance-verte-existe-jean-marc-jancovici/

    http://www.inumaginfo.com/le-monde-sans-fin-la-bd-de-christophe-blain-et-jean-marc-jancovici-24102021-721.html

    2) La pensée systémique très féconde, d’un homme passionné et enthousiasmant, docteur en mathématiques, docteur en théologie, économiste et spécialiste des interactions économie-écologie

    http://www.ladn.eu/nouveaux-usages/gael-giraud-interview-penseur-gauche/

    3) http://www.lemonde.fr/culture/article/2021/06/07/notre-planete-a-ses-limites-sur-netflix-quand-l-humanite-prend-le-risque-de-rendre-la-terre-invivable_6083233_3246

    4) Et de Marc Müller, ingénieur en énergie, devant les actionnaires du Groupe E:

    “On ne parle presque que de climat et de transition énergétique au quotidien. Cela donne l’impression que le mouvement est en marche et que nous allons y arriver. Les gouvernements occidentaux misent sur le Zéro Net Carbone en 2050 (plus d’émissions du tout) et cela semble jouable. C’est l’objectif de l’accord de Paris.

    Sur invitation des actionnaires du Groupe E, je m’amuse à faire le tour de quelques-unes de nos activités en appliquant le Zéro Net Carbone 2050. Je vous le livre (démonstration dans la vidéo): grand nombre de nos activités devront disparaître car nous n’avons simplement pas assez d’énergies renouvelables. Ce sont les limites physiques que nous impose notre petite planète.

    Les éco-carburants, les carburants de synthèses, l’hydrogène et l’avion propre ne sont que du greenwashing sans aucun fondement physique. A force de répéter que ces solutions vont arriver, on pourrait presque croire que c’est vrai. Pourtant ça ne l’est pas.

    Or, les tensions entre ceux qui l’ont compris et ceux qui s’évertuent à prétendre qu’on pourra changer sans rien changer ne fait que se tendre. Je vous livre ici mon intuition: ça va péter. Ca va péter entre les générations, ça va péter entre les manifestants et les gouvernements et ça va péter entre ceux qui veulent que ça change maintenant et ceux qui continuent à nier les lois de la physique.

    Ce ne sera pas la faute des jeunes, des écolos, ou des scientifiques, mais bien la conséquence de la non-action de tous les autres. ”

    http://www.youtube.com/watch?v=HR-sZlRqpPk

  3. Il est très difficile pour les hommes politiques et pas moins pour les affairistes de piger cette notion de climat qui change, d’environnement (eau, sur, sol) qui se dégrade, de biodiversité qui se raréfie, car ils sont avant tout préoccupés de garder leurs pouvoirs.

    Le message de Glasgow 2021 est évidemment une tromperie toute politicienne (une de plus) et les affairistes étaient encore une fois à la manœuvre, en coulisse. Les belles déclarations à l’unisson de nos partis imbibés des variantes de la couleur Verte en Suisse ne font que colporter les belles déclarations politiques, un tantinet utopiques, de la COP21. J’ai l’impression qu’il va falloir quelques crises de plus pour faire comprendre et avancer la mise place des solutions (qui existent!) à cette problématique complexe.

    Si le quotient intellectuel est effectivement rapporté à la baisse depuis les années 1990, cela explique peut-être aussi cette inaction et cet engouement apparent pour les idées loufoques de type QAnon qui «bouffent», malgré nous, notre temps de cerveau libre. On formule l’espoir qu’Homo sapiens parviendra à surmonter ces obstacles.

  4. Cf. aussi ” Intelligente, elle a très vite compris qu’on ne sauverait pas la planète en coupant le robinet quand on se brosse les dents ou en allumant deux lampadaires au lieu de trois au salon. Diplômée en sciences politiques, au fait des vices et vertus du monde capitaliste, elle a identifié le secteur le plus polluant qui soit: la finance, les banques et assurances sans qui aucun projet d’envergure ne peut voir le jour.”

    http://www.letemps.ch/societe/lucie-pinson-militante-verte-veut-faire-plier-banquier

  5. Les années passent et pourtant le monde trépasse toujours un peu plus. Autant dire que l’héritage de toute une génération de politiciens bercés trop près du mur accrédite le constat du père de l’économie comportementale, Richard Thaler: “Ce sont les fous qui sont désormais à la tête de l’asile!”

    Et comme je le rappelais lors d’une de mes interventions sur ce blog – le 28 mai 2019 à 21h26 min – (…) en 2004, après trois décennies de croissance économique et démographique exponentielle, les auteurs d’une nouvelle édition du rapport Meadows (en 1972, à la demande du Club de Rome, de jeunes chercheurs américains rédigent un rapport, “The Limits to Growth”, qui crée le scandale: nous sommes à la veille du premier choc pétrolier et pour beaucoup le crédo de la croissance économique ne saurait être remis en question) confirment leur premier diagnostic et alertent les acteurs politiques et économiques en proposant différents scénarios de transition vers un développement “soutenable”. Désormais le concept même de “développement durable” paraît complètement obsolète pour Dennis Meadows: “C’est trop tard” répétera-t-il à Paris en 2012, avec un grand sourire un peu désabusé, “nous avons dépassé les limites depuis déjà longtemps”. Alors, la croissance économique ne fut-elle pas déjà bornée à l’aune des années 1970, à l’heure où l’École des monétaristes prenait le pouvoir sur le monde économique? L’émergence de la financiarisation de nos économies, dites modernes, ne fut-elle pas les prémisses d’un détournement planifié des richesses (et le pillage des ressources naturelles) avec la bénédiction successive des détenteurs de rentes de situation à l’instar des pouvoirs politiques, comme déjà décrit dans la théorie des choix publics, ceci au détriment de l’Intérêt général? (…)

    Certes, si la réponse est déjà dans la question et que nous tous portons une part de responsabilité avec notre mode de consommation, il n’empêche qu’aujourd’hui les “négriers des temps modernes” les plus aisés polluent bien davantage que les plus pauvres sur la planète et devraient faire l’objet de mesures d’imposition ciblées, comme le révélait la récente étude du “World Inequality Lab” (WIL). En effet, les 1% les plus fortunés ont émis en moyenne chacun 110 tonnes de CO2 en 2019, détaille cette étude menée par l’économiste Lucas Chancel, codirecteur du “WIL” à l’Ecole d’économie de Paris. En cumulé, cela a représenté 17% des émissions mondiales de CO2 cette même année. Quant aux 10% les plus riches, eux sont responsables de la moitié des émissions planétaires tandis qu’à l’opposé du spectre, la moitié la plus pauvre de la population mondiale a émis en moyenne seulement 1,6 tonne de carbone par personne, soit 12% des émissions mondiales. “Il y a une forte inégalité des contributions au problème climatique” souligne Lucas Chancel, estimant que “le gradient du revenu et du patrimoine permet d’expliquer une grande partie des inégalités” d’émissions.

    Il n’est dès lors plus acceptable que tous ceux qui ont soutiré grand profit de la mise en esclavage de l’océan de serfs – post 1970/1980 – échappent à une contribution écologique établie sur la richesse.

    Lucas Chancel préconise ainsi: “un ’impôt progressif écologique sur la richesse”. Selon cet économiste, “un tel outil pourrait être politiquement plus viable que les taxes sur la consommation de carbone qui frappent durement les groupes à faibles revenus qui ne parviennent pas à réduire les émissions des personnes très fortunées”. Autant dire qu’aujourd’hui encore, la contribution écologique des classes moyennes reste inversement proportionnelle à celle des “négriers des temps modernes”; c’est-à-dire que dans cette énième guerre des classes – post 1970/1980 – les plus nantis, donc les plus gros pollueurs, ont réussi un autre tour de passe-passe avec comme but inavoué de transférer leurs charges climatiques sur la majorité.

  6. Alors que la BNS (Banque Nationale Suisse) fut prise la main dans le sac en enfreignant ses propres directives en matière d’investissements responsables, et bien qu’en décembre 2020 elle a publié sa décision d’exclure les entreprises dont l’activité principale consiste à exploiter des mines de charbon, toutefois, la banque centrale helvétique détenait toujours des parts dans 148 entreprises d’énergie fossile : seules 5 d’entre elles étaient des entreprises charbonnières avec une valeur très faible de 4,7 millions de dollars US par rapport au volume d’investissement, car 99,9 % des investissements de la BNS dans les énergies fossiles restent. Ainsi, l’on devrait mieux comprendre que nos banquiers centraux ne sont pas que de simples “machines à sous” et doivent accepter le versant hautement politique et social de leur mandat. Ils ont une obligation de cohérence qui s’avère d’autant plus impérative que leurs pouvoirs sont grandioses, souvent plus concrets et plus efficients que ceux des exécutifs politiques. Sauf que les politiques monétaires menées par la BCE, la Réserve fédérale US, la Banque d’Angleterre, la Banque Nationale Suisse et la Banque du Japon (pour ne citer que les plus importantes d’Occident) ont un impact défavorable considérable sur le climat puisque ces dernières subventionnent toujours toute la chaîne des prédateurs. Alors, à quoi bon taxer et pénaliser les classes moyennes et les pauvres, à quoi bon créer un “Conseil de défense écologique” et comment décemment répondre aux légitimes inquiétudes de nos jeunes alors que les banques commerciales occidentales, par exemple, ont prêté – pour les seules années 2016/17/18 – 1.900 milliards de dollars aux intervenants actifs dans l’énergie fossile?

    https://www.bankingonclimatechaos.org/bankingonclimatechange2019/#data-panel

    Pour être en cohérence avec les accords de Paris et que les efforts de la finance aient du sens, c’est bien la décarbonation de l’industrie qu’il s’agit avant tout d’accélérer, comme le précise justement E. Paulet, (PhD finance, banque systèmes financiers) et F. Relano (PhD finance et développement) de l’ICN Business School: “Sans décarbonation, c’est toute la stabilité du système financier qui est en danger, car une éventuelle perte de valeur de leurs actifs fossiles pèserait lourd dans leurs bilans. Continuer avec le “business as usual” en utilisant le vert comme simple outil marketing mettrait tout en péril : le climat et la finance. Il ne s’agit donc pas de “verdir” un peu la pratique financière, mais bien de changer en profondeur le système”.

  7. A ma connaissance, l’Association NégaWatt a ses origines en France et son programme ressemble beaucoup à celui du candidat à la présidence Jean-Luc Mélenchon, ce qui remet en question son originalité suisse autant que sa neutralité politique.

    L’insistance de David Moreau, président de NégaWatt Suisse sur le “made in Switzerland” convient aux excellents fromages et vins valaisans mais il serait difficilement applicable à la construction d’aérogénérateurs et de voitures électriques, etc… A moins que la nouvelle Hispano-Suiza deluxe soit fabriquée uniquement dans notre pays et que nous puissions construire des éoliennes suisses sous le nom de Zephyr à la place des « bourrasques » chinoises.

    De plus, où trouverons-nous les métaux et les terres rares nécessaires à leurs composants, à moins qu’ils ne soient pas cachés dans des grottes profondes des Alpes? Et où trouverons-nous l’électricité nécessaire à toutes ces nouvelles industries? Pour ce qui est de la sobriété dans la consommation de courant, je préférais boire une bonne bouteille d’Humagne Rouge – Santé!

  8. Dans tous ces affligeants jeux de dupes qui gangrènent nos sociétés depuis des décennies où s’entremêlent “conditionnement Pavlovien” (Ivan Pavlov) et “dilemme du prisonnier” (Albert W. Tucker / John Forbes Nash) faut-il être étonné – en 2021 – que certaines banques centrales ne prennent toujours pas en compte l’impact climatique de leurs investissements? Seul un quart des banques centrales du G20 et de l’Eurosystème se sont engagées à investir de manière responsable et huit banques centrales n’ont toujours pas adopté de politique d’investissement durable et responsable (ISR). Ceci dit, alors que le plus gros des efforts reste imputable à l’océan de serfs – via la volonté d’une politique politicienne – il n’est dès lors pas inintéressant d’avoir connaissance des cinq astuces permettant à la sphère financière – y compris les banquiers centraux (comme “prêteurs en dernier ressort”) – de passer pour des investisseurs responsables tout en continuant à investir dans les grands pollueurs: maintenir l’opacité; investir dans des obligations vertes; brandir les principes de l’investissement responsable (PRI); se concentrer sur l’approche “best-in-class”; et se contenter de normes internationales peu exigeantes. Ces astuces, qui sont également largement utilisées par des acteurs financiers privés, servent à justifier une approche “ISR” sans suggérer une amélioration concrète de l’impact environnemental des investissements de la banque et a fortiori un alignement sur l’Accord de Paris.

    Il est ainsi choquant – mais pas surprenant – de constater que sur les quatorze banques centrales de l’Eurosystème ayant des politiques “ISR”, neuf sont très opaques, dont six qui ne divulguent aucune information crédible pour justifier leurs déclarations sur le sujet. La Banque Centrale Européenne (BCE) est même allée jusqu’à refuser la demande d’information d’une ONG sur sa politique “ISR”. Tout comme la Banque Nationale Suisse (BNS) a refusé d’accéder à la demande pertinente du géo-économiste suisse de l’énergie, Laurent Horvath.

    L’on comprend mieux, dans cette hypocrisie généralisée, pourquoi “la banque centrale des banques centrales” (BRI – Banque des Règlements Internationaux) a émis ses craintes d’une nouvelle bulle sur les classes d’actifs “verts” (tant à la mode).

  9. “Couvrez ces chiffres que je ne saurais voir”, telle aurait pu être la réplique de Tartuffe de Molière, sauf qu’elle s’apparente plus aux imposteurs qui nous gouvernent.

    La mise à jour récente du modèle World 3 de Meadows:

    “Denis Meadows et son équipe (MIT) ont utilisé le modèle de système dynamique World 3 pour étudier les interactions principales entre les variables mondiales concernant la population, la fécondité, la mortalité, la production industrielle, la nourriture et les services par habitant, les ressources non renouvelables et la pollution. Il se base donc sur des données physiques pour étudier l’économie mondiale. En 2008, le chercheur australien Graham Turner a repris le modèle World 3 et constaté que son scénario central de prévision s’était vérifié sur les presque 30 dernières années. En 2020, Gaia Branderhorst de l’université d’Harvard a réactualisé le modèle, toujours « backtesté » avec succès, et fourni plusieurs scénarios de prévisions jusqu’en 2100. Les prévisions du scénario central si rien n’est fait (Business As Usual) indiquent un effondrement de la production industrielle et agricole, de la population humaine et une chute du niveau de développement humain (nourriture par personne, services, production industrielle, indice de développement) qui retourne à celui du début du XXe siècle” (Source documentée ci-dessous)

    https://alaingrandjean.fr/2021/02/25/changement-climatique-de-pib/

  10. Tout le monde semble convenir que le climat est un bien commun et de ce fait il est exposé à la menace de la tragédie des pâtures communautaires, tout particulièrement en l’absence de la mise en place des mécanismes de régulation ou de l’intervention de la puissance publique sous la forme de réglementation. L’idée que le bien que nous possédons en commun avec les autres encourt le risque d’être utilisé de manière excessive est aussi ancienne que le monde civilisé. Plus précisément on en trouve trace dans les écrits d’Aristote.

    En ce qui concerne le réchauffement climatique, on peut dire que la communauté internationale a pris conscience de manière aiguë du défi climatique depuis le protocole de Kyoto en 1997. Depuis lors, il est largement admis qu’il faut agir vite et fort avant que le processus du changement climatique ne devienne irréversible, et partant qu’il aboutisse à la disparition de l’espèce humaine. Cependant, force est de reconnaître que le principe du pollueur-payeur consistant à responsabiliser les acteurs économiques, en l’occurrence les pays, leurs citoyens, leurs entreprises, leurs administrations et leur Etat, peine à se concrétiser au plan international. Les raisons d’un tel échec sont multiples. En nous limitant à l’essentiel, il est incontestable que la non-coopération et le non-respect des promesses faites lors des conférences des parties (COP) s’expliquent en grande partie par le fait qu’aucun pays n’est prêt à se sacrifier pour le bien-être de l’humanité. En effet, l’intérêt national et la préférence pour le présent semblent primer sur l’impératif écologique dont les coûts sont locaux et visibles, mais dont les bénéfices sont globaux et invisibles pour le commun des mortels.

    Par ailleurs, un accord international est intrinsèquement instable et souffre d’un défaut de crédibilité. Mais en vérité, cette idée est antérieure à la question du climat, car elle a émergé lors des discussions académiques sur la nécessité d’une coordination internationale des politiques macroéconomiques afin d’éviter que les politiques monétaires des principales banques centrales ne soient trop restrictives concomitamment dans les années 1970 et 1980. Rappelons qu’à cette époque il y avait un conflit entre les Etats-Unis d’une part et le Japon et l’Allemagne fédérale d’autre part à propos du déficit de la balance des paiements des Etats-Unis: la solution optimale à ce déficit extérieur requerrait-elle la restriction de la politique monétaire américaine ou bien la mise en œuvre des politiques monétaires expansionnistes par le Japon et de l’Allemagne avec des excédents commerciaux?

    Bien évidemment c’est le même problème qui se pose aujourd’hui avec plus d’acuité à propos de l’accord sur le climat: l’accord est voué à l’échec à cause de la pluralité des passagers clandestins, du problème des fuites de carbone (délocalisation des activités polluantes) et des comportements stratégiques de certains pays qui traînent la patte en matière de lutte contre le réchauffement climatique, dans l’espoir d’améliorer leur position dans les négociations futures, et donc obtenir des avantages substantiels sous la forme de transferts financiers ou bien l’allocation de permis d’émission gratuits. En ce qui concerne ce dernier point, l’expérience américaine à propos de la lutte contre le dioxyde de soufre responsable des pluies acides est éclairante: les Etats du Midwest ont obtenu des avantages exorbitants en faisant monnayer leur participation à un accord sur le climat; alors qu’ils sont de gros pollueurs devant l’Eternel.

    Néanmoins, la principale raison pour laquelle les résultats obtenus en matière de lutte contre le risque climatique ne sont pas à la hauteur des enjeux s’explique par le fait que l’accord international est fondé sur des promesses. Or, celles-ci n’engagent que ceux qui les écoutent et donc qui les croient. En outre, il n’existe aucune autorité supranationale qui serait à même de contrôler, de vérifier les engagements pris par les parties prenantes, de récompenser les comportements vertueux et de sanctionner les comportements déviants.

    Cependant, il est vrai que l’analyse économique suggère des solutions à la tragédie des biens communs. Ainsi la politologue Elinor Ostrom a montré comment de petites communautés stables sont capables de gérer leurs ressources locales communes sans se retrouver victimes de cette tragédie, grâce notamment à des mécanismes d’incitations et de sanctions. Or, cette approche ne saurait s’appliquer à la problématique du climat qui implique, en effet, un nombre considérable de parties prenantes (toute la population mondiale). Autrement dit, l’approche ne constitue en aucune manière une solution efficace au problème du passager clandestin. C’est pourquoi trouver une solution satisfaisante au problème des externalités mondiales relève de la quadrature du cercle; à moins de se doter d’une autorité mondiale dont la mission serait de gérer le bien commun et d’attribuer à chaque habitant de la planète un droit de tirage spécial qui pourrait être échangé sur le marché des droits d’émission négociables.

    A présent il convient de dire quelques mots à propos des instruments de politique environnementale que les économistes privilégient pour lutter contre l’accumulation de CO2 et d’autres gaz à effet de serre. Il s’agit essentiellement de la taxe carbone et le recours au marché des droits d’émission négociables, car la réglementation ne semble pas avoir bonne presse auprès dés économistes libéraux notamment. Je m’en tiendrai ici à la taxe carbone. Il va sans dire que chacune des approches a des avantages et des inconvénients et la discussion entre économistes ne semble pas être d’un grand secours pour faire un choix éclairé entre ces deux méthodes tantôt concurrentes tantôt complémentaires. Cependant, l’économiste Jean Tirole, qui a étudié la question de manière approfondie, nous invite à mettre notre destin entre les mains des forces du marchés, si nous entendons réellement écarter la catastrophe climatique. Or son analyse, pour brillante qu’elle soit, sous-estime les effets délétères de la financiarisation du marché du carbone, et donc la volatilité du prix de ce marché qui est déstabilisante pour le calcul économique des industriels. Sans parler de la nécessité des subventions publiques pour aider les entreprises à changer d’orientation en matière d’innovations technologiques. En la matière il suffit de songer à l’industrie automobile, qui dispose d’un avantage comparatif et d’une expérience dans le moteur thermique. Sans le soutien public, il semble peu probable que ces industries modifient spontanément leur orientation technologique.

    La taxe carbone a pour but d’inciter les acteurs économiques à internaliser les effets externes de leurs décisions sur leur environnement en les poussant à verdir leurs investissements en adoptant des technologies propres, et donc moins gourmandes en énergie fossile (pétrole, charbon, gaz). L’idée est intéressante, mais elle n’est efficace que si elle est appliquée à l’échelle planétaire pour éviter le phénomène des fuites de carbone vers les pays moins regardants sur les normes environnementales. De plus, elle peut se heurter à l’acceptabilité sociale (voir le mouvement des Gilets jaunes en France), si elle néglige l’épineuse question de l’équité. En tout cas les études montrent qu’il faudrait fixer la taxe carbone entre 150 et 350 euros par tonne de CO2 en 2050 pour espérer se placer sur une trajectoire en conformité avec les recommandations du Giec, c’est-à-dire rester sous les 1,5 et 2° C.

    Malheureusement cette question d’équité n’est pas suffisamment prise en compte dans les décisions publiques, notamment pour les catégories sociales qui ne disposent pas d’alternative à leur véhicule personnel pour travailler, faire leurs courses, se soigner, étudier ou se distraire, et ce d’autant plus que la rente immobilière les a chassées du centre-ville pour les refouler vers les zones rurales et péri-urbaines. Dans ces conditions, pourquoi ne pas faire supporter le fardeau de la taxe carbone sur les ménages disposant des moyens de transports alternatifs?

    Bien évidemment les banques centrales ont aussi leur part de responsabilité dans cette relégation géographique des ménages modestes: avec des injections massives de liquidités, elles ont renforcé cette fracture entre le centre et la périphérie en matière de logements, en alimentant la bulle spéculative du marché immobilier. C’est pourquoi, on peut se demander s’il n’est pas urgent d’étendre le mandat de la banque centrale à l’emploi, à la transition climatique, à la réindustrialisation de l’Europe, au logement. En tout cas, il serait souhaitable que la banque centrale verdisse sa politique monétaire en incitant les banques commerciales à financer les projets d’investissements verts. Mais pour que son incitation soit crédible, il faudrait que la banque centrale soit elle-même exemplaire. Ce qui ne semble pas être le cas de la BNS dont le portefeuille d’actifs est gavé d’actions d’entreprises carbonées ou brunes, n’en déplaise à ses dirigeants dont la communication est toujours subtile et soignée pour cacher cette face obscure de leur institution.

  11. Si certains qualifient la pandémie mondiale comme étant un “cygne noir”, pour reprendre le titre de l’ouvrage de l’ancien trader et professeur à l’Université de New York, Nassim Nicholas Taleb, auteur “The Black Swan: The Impact of the Highly Improbable”, dans les faits et fondamentalement l’imprévisible n’en est rien, puisque à proprement parler cet événement majeur (Pandémie Covid-19) était quelque chose de l’ordre du prévisible, pour peu que “l’on ait regardé complètement les conséquences de la mondialisation”. Pour ce philosophe et statisticien américano-libanais, “le problème, c’est que les gens regardent les choses sans les effets secondaires, et ce virus, c’est l’effet secondaire de la globalisation”.

    Pourtant, sous l’angle de la “théorie des choix publics”, l’on peut dire qu’il n’est de pire aveugle que celui qui s’obstine à ne pas voir, de la même manière que la conflagration qui sera induite par le risque climatique sur l’hypothétique “stabilité financière” (instabilité financière) ne pourra pas être qualifiée de “cygne noir”, mais de “cygne vert” puisque les gouvernements, faute d’avoir refusé encore une fois de brider suffisamment le monstre (par analogie à la financiarisation prédatrice) dans une logique de “laisser-faire”, ne pourront argumenter l’alibi de l’imprévisible.

    Un rapport de l’organisme “Finance Watch” explore un large éventail de mesures prudentielles pour lutter contre le risque financier lié au climat. Il conclut qu’une crise financière liée au climat peut être déjouée si les risques financiers liés au climat sont insérés “sans délai” dans les règles de capital prudentiel des banques et des assurances de l’UE (comme tant d’autres zones économiques et financières devraient s’inspirer). Alors que les travaux plus larges sur les mesures prudentielles se poursuivent, des solutions rapides aux règles de capital peuvent faire face aux risques que le changement climatique fait peser sur le système financier. En particulier, l’examen de l’UE CRR/CRD et Solvabilité II ouvre une fenêtre pour agir maintenant.

    Une des “solutions” réside dans les exigences de capital minimum pour les sociétés financières qui financent des projets de combustibles fossiles émetteurs de gaz à effet de serre:

    “Le changement obligerait les banques et les compagnies d’assurance à rechercher et à gérer les risques financiers liés au climat et à constituer davantage de capital pour absorber les pertes inévitables causées par les événements découlant de ces risques”.

    Exigences de fonds propres adaptées au profil de risque climatique: une approche de précaution:

    “La mise en œuvre d’exigences de capital “un pour un” pour le financement de nouveaux combustibles fossiles signifie que pour chaque euro qui finance de nouveaux projets de combustibles fossiles, les banques et les assureurs doivent avoir un euro de leurs fonds propres tenu responsable des pertes potentielles”.

    Une approche de précaution, “un pour un”, est cohérente avec la nature fondée sur le risque de la réglementation prudentielle: elle apporte des exigences pour le financement des activités liées aux combustibles fossiles – les principaux contributeurs au changement climatique et à l’instabilité financière qu’il induit en ligne avec leur risque climatique. Il surmonte également les données existantes et les défis méthodologiques visant à une mesure précise mais insaisissable des risques climatiques.

    Mesures Pilier II et Pilier III: utiles mais pas suffisantes à elles seules:

    “Le document note que les “trois piliers” des règles prudentielles jouent chacun un rôle pour rendre les institutions financières résilientes en veillant à ce que les risques associés soient identifiés et pris en compte par les banques, les assureurs ainsi que les organismes de réglementation et de surveillance. Les mesures du Pilier II (contrôle prudentiel de l’adéquation des fonds propres internes) et du Pilier III (Informations publiques pour déclencher la discipline de marché) sont utiles et doivent donc être poursuivies, mais elles ne sont pas en mesure à elles seules de contrer le risque de déstabilisation des institutions financières par l’impact du changement climatique”.

    “Aucune mesure du Pilier II n’a conduit les institutions financières à constituer des coussins de capital pour les risques liés au climat, note le document. Sur le Pilier III, les informations sur les risques climatiques ne parviennent pas à aborder le risque car le rôle économique des prix est de refléter la valeur future moyenne attendue des actifs, et non leur valeur en cas d’événements extrêmes”.

    Pourquoi est-ce important?

    La bataille du charbon et d’autres combustibles fossiles a occupé le devant de la scène lors de la COP26, alors que le changement climatique, les événements catastrophiques du “cygne vert” et une crise financière liée au climat se profilent. Les principaux régulateurs, superviseurs et chercheurs du monde entier ont repéré le lien entre le changement climatique et la stabilité financière. Parallèlement, les institutions financières contribuent à l’accélération du changement climatique en finançant des activités émettrices de gaz à effet de serre, alors qu’elles subissent les conséquences dévastatrices des événements climatiques. Les analyses du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) mettent en garde contre les conséquences dévastatrices du report des mesures visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre et appellent à arrêter immédiatement tous les investissements dans de nouveaux actifs ou activités liés aux combustibles fossiles.

    “Les régulateurs et les superviseurs financiers confirment qu’il y a des avantages évidents pour le secteur financier à agir tôt”!!!

  12. La communauté internationale n’a toujours pas réussi à se rapprocher des objectifs des accords de Paris sur le climat d’il y a six ans, mais elle souhaite maintenir le réchauffement climatique à 1,5 degrés d’ici à 2100? De là à prendre l’ensemble des classes moyennes (le plus gros contributeur des “taxes climatiques”) pour des idiots utiles du village global, il y a encore un pas de franchit!

    https://www.zerohedge.com/s3/files/inline-images/COP26.jpg?itok=GfEVVkzA

    Durant combien d’années faudra-t-il répéter qu’en l’absence d’une refonte (changement de paradigme) de la financiarisation prédatrice de nos “sociétés dites modernes”, aucune solution ne sera pérenne pour le climat (aussi)? Savons-nous seulement qu’au cours de la dernière décennie – qui a vu autant d’austérité budgétaire que de dette publique enflée – la reprise haussière des bourses reste en bonne partie redevable à la politique des “buybacks” (rachats d’actions propres)? Exemple avec le S&P 500…

    https://cms.zerohedge.com/s3/files/inline-images/Stocks-vs-Buybacks.png?itok=5dGkScMK

    Cela n’a rien de surprenant, en fait, compte tenu de l’environnement des taux d’intérêt bas (voire négatif dans certains pays). Comme chacun devrait le savoir, il y a un moment où les taux bas (et négatifs) découragent l’activité économique car les entreprises deviennent réticentes à “investir” (voire à changer leur fusil d’épaule en matière d’approche climatique) en raison de l’environnement de faible rendement. C’est-à-dire un manque de croissance du chiffre d’affaires des entreprises. Étant donné que les cours boursiers plus élevés récompensent davantage les dirigeants d’entreprise et les pourvoyeurs de capitaux (les actionnaires), il n’est dès lors pas surprenant de voir les entreprises opter pour un avantage à court terme par rapport à l’investissement durable (et éthiquement responsable). Même s’il peut sembler que les “rachats d’actions” sont un non-événement, ils sont plus insidieux qu’il n’y paraît. Commençons par un exemple simpliste.

    La société A gagne 1 $/action et il y a 10 actions en circulation.

    Bénéfice par action (EPS) = 0,10 $/action.

    La société A utilise la totalité de ses liquidités pour racheter 5 actions.

    L’année prochaine, la société A gagne à nouveau 1 $, cependant, les gains sont maintenant de 0,20 $/action (1 $ / 5 actions)

    Le cours des actions augmente parce que le BPA a bondi de 100% d’une année sur l’autre.

    Cependant, comme la société a utilisé toute son encaisse pour racheter les actions, il ne lui restait plus rien pour développer son activité.

    L’année suivante, la société A gagne toujours 1 $/action et le BPA reste à 0,20 $/action.

    Le cours de l’action chute en raison d’une croissance de 0% sur l’année.

    Certes, l’exemple est extrême mais il montre que les rachats d’actions ont un effet limité et ponctuel sur l’entreprise. C’est pourquoi une fois qu’une entreprise s’engage dans des rachats d’actions, elle est inévitablement piégée dans la poursuite de sa politique des “buybacks” pour maintenir le cours des actions à un niveau élevé.

    Le problème est le détournement continu de montants toujours croissants de liquidités provenant d’investissements productifs et responsables qui pourraient créer une croissance économique à long terme.

  13. Qui se souvient encore du patient “BofAML” (Bank of America Merrill Lynch) transfusé par “l’Hôpital Public” (fonds publics) en plein cœur de la crise du subprime (2008) alors que trois ans après, la Grèce et l’Italie étaient placées sous respirateurs artificiels lors de la crise des dettes souveraines? En effet, en 2011, la banque américaine (BofAML) présentait une facture de risques plus importante que celle des deux pays réunis. Après avoir bénéficié d’une perfusion à 45 milliards de dollars, “le patient” en mort clinique dû trouver une solution rapide avec les régulateurs américains face à l’explosion des risques de son portefeuille de dérivés. Jusque-là, officiellement, on considérait que “le patient” avaient remboursé au Trésor l’intégralité des prêts qu’il leur avait consentis (avec intérêts) dans les urgences du moment. Oui mais voilà, “le patient” avait omis de déclarer sa “schizophrénie” quant aux risques posés par ses contrats de dérivés. Ainsi, en 2011, on a assisté au transfert discret du gigantesque portefeuille de dérivés de “BofAML” – estimé à 75 000 milliards de dollars – du bilan de la banque d’affaires vers le bilan de la banque de détail du groupe, celle qui s’occupe des petits clients et bénéficie d’une garantie d’Etat. Ainsi, ce portefeuille hautement spéculatif jouit de la bénédiction de la Réserve fédérale (Fed) qui autorisa cette opération. Si l’objectif de l’époque était en principe d’éviter un problème au système financier global, la réalité fût que les petits déposants d’une banque comme “BofAML” ont assuré son énorme exposition en dérivés. La subvention permettant ainsi de garantir (via la FDIC) aux épargnants l’accès à leurs dépôts s’est ainsi vue détournée pour couvrir les risques de la banque d’affaires.

    Ceci pour dire que dix ans après – en 2021 – la schizophrénie du “patient” n’a pas changé d’un iota lorsqu’on aborde le risque climatique systémique. En effet, après avoir chiffré le coût – pour le monde – d’une transition visant à annihiler le risque climatique, le “patient” estime qu’il faudrait pas moins de 150 000 milliards de dollars de nouveaux investissements en capital pour atteindre un monde “net zéro” sur 30 ans – ce qui équivaut à quelque 5 000 milliards de dollars d’investissements annuels – équivalant au double du PIB mondial actuel.

    Inutile de dire que le secteur privé n’a pas les capitaux nécessaires pour réaliser cet investissement, c’est pourquoi la “schizophrénie du patient” le conduit généreusement à penser que tout ou partie de la facture devrait être payée par les banques centrales sous la forme de dizaines de milliers de milliards de QE (Quantitative Easing). Et puisque l’assouplissement quantitatif (QE) est essentiellement la monétisation de la dette, et puisque 150 000 milliards de dollars de nouvelle dette auraient des conséquences dévastatrices sur l’économie, “BofA” a eu la gentillesse de partager son calcul sur le degré d’inflation de ce projet chouchou des milliardaires: le scénario de “monétisation complète”, où les banques centrales injectent 5 000 milliards de dollars de liquidités chaque année via le QE pendant 30 ans, se traduirait par une augmentation de 3% de l’inflation pendant une bonne décennie.

    https://cms.zerohedge.com/s3/files/inline-images/additional%20inflation_0.jpg?itok=_-7Tswa9

    C’est là que nous arrivons à la punchline, car comme l’admet “le patient”, il s’agit de donner le feu vert au plus grand épisode de QE de l’histoire, enveloppé dans le vernis “noble” de la lutte pour la cause la plus importante de l’histoire de la civilisation, mais en réalité ce n’est que le plus grand programme de transfert de richesse de l’histoire de l’humanité.

  14. Bonjour Raymond,

    Merci pour vos contributions qui nous éclairent comme toujours sur le monde de la finance et ses effets pervers. Je tiens également à remercier le professeur Rossi dont les billets nous invitent à sortir des sentiers battus pour réfléchir sur des questions complexes. Effectivement de nombreuses entreprises cotées en bourse procèdent à des rachats de leurs propres actions dans le but d’en manipuler le cours et donc d’améliorer la rémunération de leurs dirigeants et de pouvoir distribuer de généreux dividendes à leurs actionnaires. La conséquence de ce comportement myope (vision court-termiste) se traduirait inévitablement par le sacrifice des investissements susceptibles de renouveler et de moderniser le capital physique. Avec une telle stratégie, il ne faudrait pas s’attendre à ce que le miracle se produise au sein des entreprises en faveur de la cause climatique, en particulier si l’écotaxe ou la taxe carbone est compensée par la réduction d’autres taxes et impôts, grâce à l’activité de lobbying de certains industriels des secteurs polluants comme les aciéries, la cimenterie ou l’industrie automobile. D’où la nécessité de changer de paradigme comme vous l’écrivez à juste titre.

    Il va sans dire que ce comportement de la part des entreprises n’est pas une fatalité dans la mesure où il serait possible de l’infléchir au moyen d’une taxation appropriée ou d’une norme prudentielle. Par exemple fixer un ratio de bénéfices mis en réserve comme une règle prudentielle ou bien utiliser un système de bonus-malus dont la logique devrait s’inspirer du principe pollueur-payeur: accorder des allégements fiscaux ou des subventions aux entreprises qui font des efforts en matière de lutte contre le réchauffement climatique, de l’innovation ou de l’emploi et de la formation qualifiante de la main-d’oeuvre. En revanche, il serait souhaitable d’accroître le poids de la fiscalité sur les bénéfices pour celles qui font peu d’efforts pour le climat, l’emploi, l’innovation ou la modernisation de leur capital.
    C’est pourquoi, il n’est pas déraisonnable d’affirmer que les entreprises dont les dirigeants se préoccupent de manière excessive de leurs propres rémunérations et de la manne financière à distribuer aux actionnaires, se comportent de manière irresponsable, eu égard à l’avenir de leur propre entreprise et bien sûr à celui-ci de toute la société en vertu des externalités négatives liées à leurs actions; même si l’on admet que la responsabilité sociale de l’entreprise est de faire des profits. Néanmoins, il est vrai qu’il existe des arguments techniques qui militent en faveur de cette stratégie de rachat des actions, notamment quand il s’agit de défendre les fleurons industriels nationaux contre certains prédateurs étrangers, notamment chinois (OPA amicales ou hostiles).

    Par ailleurs, il est regrettable que les débats actuels sur la transition énergique passent sous silence le fait que celle-ci pourrait induire un bouleversement sans précédent de l’économie et de notre mode de vie, sous la forme d’une destruction du capital physique, d’une dévalorisation du capital humain et des pertes d’emplois. Car la transition énergétique va contraindre la société à un arbitrage intertemporel comme celui auquel fait face un consommateur qui est soumis à sa contrainte budgétaire: si celui-ci désire consommer plus demain, il devra restreindre sa consommation aujourd’hui, autrement dit, il devrait accroître son effort d’épargne. Cela signifie que le consommateur réduit sa préférence pour le présent en actualisant sa consommation future à l’aide d’un taux d’intérêt faible. Cela revient à sacrifier le présent pour le futur. C’est le même raisonnement qui s’applique au niveau macroéconomique: la société devrait faire le choix d’une forme de décroissance, mais pas celle qui est prônée par les écologistes intégristes: il s’agit ici de consacrer une part importante du PIB à l’investissement vert au détriment de la consommation présente. En effet, si l’on raisonne à niveau constant du PIB, il faudra que la baisse de la consommation des ménages soit compensée par un accroissement de l’investissement des entreprises d’un montant équivalent jusqu’en 2050 pour espérer bâtir une économie décarbonée et efficace avec une main-d’oeuvre formée et hautement qualifiée.

    Cependant, comme on peut le constater, un tel scénario semble hautement optimiste dans la mesure où il néglige l’incertitude, les inégalités de revenus et de patrimoine, les effets pervers de la financiarisation de l’économie, et surtout il suppose implicitement un environnement durable des taux d’intérêt bas avec le risque d’accentuer les inégalités via la spéculation immobilière, sans parler du danger de la finance carbone, notamment quand les banques commerciales utilisent l’argent des déposants non pas pour la couverture des risques sur les marchés à terme, mais à des fins purement spéculatives avec une forte probabilité de faire passer les contribuables à la caisse au cas où les choses tournent mal. Autrement dit, avec le marché des droits des émissions négociables, on n’est pas à l’abri d’une future crise financière comme celle de 2008.

    De surcroît, il est important de noter que les débats sur la transition énergétique se focalisent davantage sur les aspects microéconomiques et semblent ne pas prêter une attention accrue au versant macroéconomique, tout particulièrement au phénomène de la destruction créatrice. En tout état de causse, nous devrions nous attendre à une destruction du capital. Celle-ci va se traduire par la disparition de nombreuses entreprises carbonées: on va fermer les usines des voitures thermiques et leurs multiples sous-traitants, les centrales à charbon, les cimenteries ou les aciéries utilisant l’énergie fossile. La liste est loin d’être exhaustive des industries menacées par la disparition occasionnée par la transition énergétique. Dans cette hypothèse, il faut s’attendre à ce que le chômage augmente et que de nombreuses compétences des salariés deviennent obsolètes, avec sans doute à la clé un problème aigu d’appariement entre l’offre et la demande sur le marché du travail. Afin de compenser ces pertes de capacités de production et les destructions d’emplois qui leur sont associées, il faudrait un effort colossal en matière d’investissements dans les énergies renouvelables, le stockage de l’électricité grâce au développement de la filière hydrogène, la rénovation thermique des bâtiments et des logements et la formation qualifiante de la main-d’œuvre afin de favoriser les transferts intersectoriels de celle-ci à moindre coût économique et social. Sachant que les activités liées au climat peuvent générer de véritables gisements d’emplois qualifiés ou non avec des salaires variables selon les industries. Par exemple, des salaires élevés dans l’industrie automobile et faibles dans l’isolement thermique des logements et des bâtiments.

    Se pose également la question de financement de ces investissements gigantesques dans l’économie verte. Si l’Etat prend en charge partiellement la rénovation thermique des bâtiments et des logements par exemple, il devra augmenter les impôts ou bien s’endetter davantage à des conditions avantageuses de préférence, afin d’éviter que la dette publique n’explose. Quoi qu’il en soit, cela nécessite le maintien de la politique monétaire ultra-expansionniste actuelle. Or, celle-ci ne pourrait pas être menée indéfiniment au sein de la zone euro par exemple, en raison de l’hostilité des pays conservateurs attachés à l’orthodoxie monétaire et à l’équilibre des finances publiques, à l’égard de la prédominance budgétaire. Vu que cet effort colossal d’investissement devrait s’étaler sur un horizon temporel long pour espérer parvenir à zéro carbone, la politique monétaire ultra-expansionniste encourt le risque d’être remise en cause en raison des pressions inflationnistes, lesquelles pourraient être nourries par l’inflation salariale et/ou la hausse des coûts de production dus au renchérissement des matières premières.

    En revanche, si le financement des investissements verts incombe intégralement au secteur privé, il faut s’attendre à ce que les prix des nouvelles énergies augmentent fortement pour que les entreprises espèrent avoir un retour sur investissement. Or, la hausse des prix de l’énergie va avoir indubitablement un impact négatif sur le pouvoir d’achat des ménages; sachant que l’énergie représente relativement une forte proportion dans les budgets des ménages modestes (par exemple le coefficient budgétaire de l’énergie est de 15% pour les 20% des ménages modestes français). D’où la nécessité de la mise en place d’une politique de redistribution pour neutraliser les effets négatifs des mesures en faveur du climat sur cette catégorie des ménages. Ainsi l’Etat devrait utiliser le produit de la taxe carbone pour compenser financièrement les ménages aux revenus modestes, comme c’est le cas de certaines provinces du Canada ou la Suède, qui a mis en place une politique en faveur de la cause climatique plus ambitieuse que le reste du monde.

    En résumé, les mesures prises en faveur de la lutte contre le risque climatique devraient prendre en compte les questions macroéconomiques et celle de l’équité. Elles impliquent également que, pour éviter la fin du monde, les générations présentes devraient se sacrifier afin de léguer aux générations futures une économie décarbonée. Mais ce dont on est sûr, c’est que celle-ci ne signifie nullement la fin des inégalités!

    1. Bonjour NOEL,

      Si je peux apporter un peu d’eau au moulin et que chacun retienne ne serait-ce que quelques gouttes afin de mieux cerner les errements du monde d’aujourd’hui, j’en suis ravi. Merci pour cette appréciation que je vous retourne eu égard à vos analyses.

      Permettez-moi également d’apporter une précision, en tout bien tout honneur, sur votre remarque: “qu’il existe des arguments techniques qui militent en faveur de cette stratégie de rachat des actions” […] Certes, en effet, mais la vocation première de cette stratégie doit être reléguée au monde qui pré-existait bien avant la grande conflagration post 2007/2008. En effet, les opérations de “buybacks” (rachat d’actions) et de “Leverage Buy-Out” (LBO) n’ont fondamentalement plus qu’un but spéculatif – dans le nouveau monde – tout en reportant si possible la prime de risque sur la société. Rappelons que l’opération à effet de levier (LBO) permet aux repreneurs de racheter une société privée en dépensant un minimum d’argent. L’acquéreur doit alors convaincre une banque de l’accompagner grâce à un plan stratégique irréprochable: réduction des coûts (avec tous les phénomènes que nous connaissons si bien et dont les conséquences coûteuses sont reportées sur l’État); développement à l’international ou sur de nouveaux marchés. Il doit ainsi permettre d’augmenter très vite le chiffre d’affaires et la rentabilité. Une fois à la tête de l’entreprise, l’acquéreur utilisera donc une partie de ses bénéfices pour rembourser ou augmenter son emprunt pour financer de nouvelles acquisitions. Si la stratégie de développement de l’entreprise fonctionne à court terme, les valeurs (et profits) peuvent croître rapidement (comme le taux d’endettement). Dans cette partie de pocker où les salariés représentent la figure des cartes, il est alors possible de retirer sa mise durant la partie avec une plus-value exceptionnelle… après remboursement de toutes les dettes, techniquement parlant (et en cas de fâcheux revers, la holding risque rarement de connaître le goudron et les plumes).

      D’ailleurs, l’archétype même de ce type d’opération spéculative n’est-il pas le franco-israélien Patrick Drahi, vivant en Suisse? On se demande pourquoi. En 2003, alors que le secteur du câble est en pleine déroute en France, le fonds d’investissement Cinven contacte Drahi pour reprendre et redresser une foule de petites entreprises. Au passage, le fonds Civen obtiendra un profit de 1,6 milliard d’euros pour un investissement de 91 millions d’euros dans cette réunification du câble. Un service public concédé au secteur privé, ceci dit. Volant de succès en succès, le magnat des télécoms pourra se permettre des LBO toujours plus gros, car au lieu de revendre ses entreprises, il s’appuiera sur le capital accumulé (effet de levier) pour monter en puissance. Le LBO sur SFR sera d’ailleurs le plus gros jamais monté en France, avec 8 milliards d’euros de dettes. L’empire de Patrick Drahi – et le pouvoir d’Altice Europe – s’étendra bien évidemment hors de France au terme d’une opération – cette fois – de “buybacks” (rachat d’actions) puisque le milliardaire détiendra 92% du capital du groupe de télécoms, maison-mère de SFR en France, contre 78% auparavant.

      Certes, Drahi réduira une nouvelle fois sa dette, laquelle s’élevait encore récemment à près de 30 milliards d’euros. Par contre, la grande facture sociale issue de ses restructurations aux forceps n’est point quantifiée. Sans compter un “service des Télécoms” exécrable où lenteurs et pannes à répétitions sont devenues légion. Un réseau toujours qualifié de vétuste dans une bonne partie de l’Hexagone et dont l’entretien laisse à fortement désirer. Sans doute le prix à payer pour les français bénéficiaires de la redevance (taxe) de 138 euros/an. Comme les Suisses avec Billag dont SERAFE AG est le percepteur depuis 2019.

      Ceci étant précisé, NOEL, alors que je rejoins dans les grandes lignes votre développement très pertinent, il me semble qu’un “pacte européen finance-climat” prévoyant la création d’une banque européenne du climat – associé à un “plan Marshall du climat” – pourrait être un bon point de départ.

      Bien à vous

  15. Il est incontestable qu’il existe un consensus plus ou moins mou sur la nécessité d’agir contre le risque climatique avant que le processus du réchauffement climatique ne devienne irréversible. Cependant, comme nous le savons, il existe aussi des divergences sur les modalités d’action et sur la répartition du fardeau financier entre les parties prenantes pour parvenir à une économie totalement décarbonée. Mais il est peu probable que la question des inégalités patrimoniales disparaisse dans un monde débarrassé de toute trace de carbone. C’est pourquoi il ne faudrait pas que la cause climatique, pour aussi sérieuse soit-elle, occulte le problème de l’équité dans la répartition de la richesse entre pays et entre les acteurs économiques à l’intérieur de chaque pays. En effet, il est établi sur la base des études empiriques solides (voir par exemple le rapport sur les inégalités mondiales 2022) que la crise sanitaire a fortement creusé les inégalités patrimoniales un peu partout dans le monde. Même si le pire n’est jamais certain, nous devrons nous attendre à ce que le creusement des disparités patrimoniales se poursuive, tant que la pandémie continue à sévir avec ses variants aussi contagieux les uns que les autres, en raison notamment d’une couverture vaccinale notoirement insuffisante à l’échelle mondiale.

    Cet accroissement de la concentration de la richesse entre les mains d’une poignée d’heureux élus n’est pas l’œuvre d’un deus ex machina, mais il est la conséquence mécanique de la mise en œuvre des politiques monétaires expansionnistes financées par les banques centrales. Celles-ci ont, en effet, injectés d’énormes liquidités, lesquelles ont provoqué la ruée des riches vers les actifs à hauts rendements directs et à fort potentiel de plus-values, principalement les actifs immobiliers et les actions. C’est pourquoi, nous pouvons raisonnablement affirmer que les politiques monétaires ultra-expansionnistes ont exacerbé les inégalités patrimoniales, même si les inégalités de revenus ont été plus ou moins stabilisées, grâce notamment aux mesures publiques de soutien à l’économie (par exemple le chômage partiel, les prêts bancaires garantis par l’Etat ou le fonds de solidarité). Bien évidemment les mastodontes du numérique ont également apporté leur contribution à l’aggravation des inégalités patrimoniales en distribuant de généreux dividendes à leurs actionnaires. Le phénomène d’enrichissement se produit lorsque le patrimoine croît plus vite que le PIB. Cet effet “boule de neige” a été renforcé par l’environnement des taux d’intérêt bas, et donc il est le miroir de la spéculation. A la limite, un tel processus pourrait déboucher sur la détention de la richesse mondiale par une seule personne.

    Point n’est besoin de préciser que cette concentration des richesses est problématique et lourde de conséquences à la fois sur l’efficacité économique et sur l’équité. Plus précisément, elle peut freiner l’innovation et sans doute elle est insupportable pour la société, tout particulièrement quand la mobilité sociale est faible: c’est la fameuse panne de l’ascenseur social qui est au cœur de la fracture sociale en France et sans doute aux Etats-Unis.

    Par ailleurs, notons que les inégalités ne sont pas une fatalité, car elles peuvent être combattues par des mesures et des réformes économiques intelligentes. Ainsi, il existe de nombreuses propositions qui ont été formulées pour contrecarrer l’aggravation de l’indice de Gini appliqué à la question du patrimoine. Il convient de les présenter ainsi que les arguments sur lesquels elles s’appuient.

    Si la richesse tend à se concentrer entre un nombre faible de mains, alors il est à craindre que le champ d’opportunités des investissements se rétrécisse comme une peau de chagrin: les riches ne pourraient réaliser qu’un nombre très limité de projets d’investissement économiquement et socialement utiles. De ce fait la concentration de la richesse risque non seulement de réduire les dépenses de consommation et d’investissement destinées à créer des emplois et à fournir des salaires décents à un nombre d’individus, mais aussi les dépenses des riches peuvent avoir un impact epsilonesque sur le PIB et l’emploi. Pour s’en convaincre, il suffit de penser à ces milliardaires américains qui ont transformé l’espace en bac à sable où ils s’amusent à faire des sauts de puce, sous prétexte qu’ils disposent de moyens financiers colossaux pour réaliser leurs rêves les plus fantaisistes.

    Afin de corriger les inégalités de patrimoine et de les rendre compatibles avec l’efficacité économique, il existe des solutions à la fois publiques et privées. Ainsi, sans être exhaustif, plusieurs outils ou leviers peuvent être actionnés simultanément ou séparément. Il serait souhaitable par exemple de taxer les rentes de situation en prenant le soin de faire le tri entre les rentes d’innovation et les rentes intergénérationnelles et souvent monétaires (héritage et spéculation financière). Autrement dit, les pouvoirs publics devraient donner des incitations aux innovateurs comme ceux qui mettent au point un vaccin ou un traitement thérapeutique contre le Covid-19. Dans une telle situation, on est en présence de la bonne rente, même s’il est vrai que le problème du conflit entre la nécessité de protéger les innovateurs par un brevet et la nécessité de diffuser l’innovation dans le corps social, demeure entier.

    L’autre solution que préconise l’économiste français Patrick Artus, par exemple, consiste à substituer une politique de redistribution du capital à la politique de redistribution des revenus par l’impôt: développer l’actionnariat salarié et le généraliser à toutes les entreprises cotées en bourse, voire à celles qui ne le sont pas comme certaines PME. Enfin, la troisième solution consiste à lutter contre la rente de monopole en accentuant la concurrence sur les marchés contestables. Autrement dit, il faut lutter contre les entreprises dominantes qui se livrent à un comportement de prédation pour empêcher les rivales avec de nouvelles technologies ou de nouveaux produits d’entrer sur le marché.

    Bien évidemment ces solutions présentent des avantages et des inconvénients. Mais pour réduire les inégalités, certains économistes comme Gabriel Zucman, coauteur du rapport précité, proposent d’inventer de nouvelles institutions et traités pour réconcilier la mondialisation avec la justice fiscale. Zucman propose également un impôt sur les milliardaires avec un supplément pollution pour ceux qui ont des actions dans les secteurs carbonés. “Il faudrait débarrasser l’impôt sur la fortune (ISF) dans le cadre français par exemple, de ses exonérations, et rétablir la progressivité du système”.

    En résumé, il semble difficile de se passer de l’intervention publique pour rétablir la justice sociale. En tout cas, les solutions par le marché comme celles consistant à réaliser l’alliance entre le travail et le capital via l’actionnariat salarié ne sauraient constituer une solution satisfaisante au problème des inégalités patrimoniales. Leur principal défaut réside dans le fait qu’elles transfèrent une part notable du risque aux salariés; sachant que ceux-ci ne disposent pas d’un patrimoine diversifié pour amortir les chocs aléatoires défavorables susceptibles d’affecter leur propre entreprise, alors que les riches actionnaires disposent en général d’un patrimoine extrêmement diversifié.

    1. Je me permets d’ajouter une idée que j’ai oubliée de mentionner dans mon dernier commentaire: la lutte contre le déreglement climatique pourrait aggraver les inégalités patrimoniales. Comment établir le lien entre la transition énergétique et les inégalités de fortunes?

      Rappelons que les pouvoirs publics peuvent utiliser soit la taxe carbone soit la dynamique du marché pour inciter les entreprises à adopter des technologies moins polluantes. Or ces instruments risquent de se révéler insuffisants en termes de ressources financières pour couvrir les besoins induits par la transition énérgétique, par exemple la rénovation thermique des logements, les achats des voitures propres par les particuliers, le soutien des innovations technologiques dans l’économie verte ou la compensation de la hausse des prix de l’énergie en faveur des ménages modestes ne disposant pas de solutions alternatives en matière de transports par exemple.

      D’où la nécessité de recourir à la dette publique comme complément de ressources financières, afin de financer les subventions à octroyer aux entreprises et aux ménages. Or un accroissement de la dette publique a de fortes chances de se traduire par une augmentation des inégalités patrimoniales dans la mesure où la dette publique est détenue par une minorité de riches.

      Afin de contrecarrer la formation des fortunes dynastiques ne serait-il pas souhaitable de taxer davantage les successions et les rentes fonciéres? En tout cas il ne faudrait pas que la lutte contre le réchauffement climatique aboutisse à la constitution de fortunes dynastiques, lesquelles conduisent à leur tour à un phénomène d’exclusion par le haut.

      C’est pourquoi, les droits de succession sont un bon instrument pour corriger les inégalités patrimoniales excessives, notamment quand la valeur ajoutée des héritiers à l’innovation et à la croissance est faible, voire inexistante; sachant que la concentration de la richesse est nuisible à la croissance économique et à la démocratie.

  16. 🥳31 décembre 2021🎉

    J’adresse tous mes Meilleurs Vœux à notre hôte ainsi qu’à l’ensemble des participant.es et lecteur.trices de ce précieux espace de partage. Que vos espoirs les plus ambitieux se réalisent en 2022 et, surtout, un grand Merci à vous pour ces échanges constructifs et enrichissants!

    En empruntant cette pensée philosophique à la nation Amérindienne, je vous la délivre à mon tour avec bienveillance: “Si parfois les choses peuvent sembler bien sombres… la sagesse nous rappelle que dans les moments difficiles, nous sommes plus conscients des ressources que nous possédons à l’intérieur de nous, et c’est là que réside la paix. La paix n’est pas l’absence de conflit. Elle vient de la capacité que nous avons à le résoudre”.

    Une dédicace spéciale à l’éminent Professeur et Dr. Sergio Rossi pour ses remarquables et courageux billets qui nous ont non seulement permis de porter un regard perçant sur les enjeux d’aujourd’hui et de demain, mais également offert autant d’opportunités à débattre dans un monde en pleine mutation.

    Bien à vous tous et d’ores et déjà une très bonne Année 2022🎆

  17. Merci pour ce texte, comme pour les autres posts que je lis toujours avec intérêt. Un seul point de désaccord: le fait que nous ne pouvons pas prédire le futur. Cette vision est limitante: il y a certains domaines du futur qui sont parfaitement prévisibles, surtout si on ne fait rien pour infléchir la tendance. Le changement climatique est un de ceux-là, raison de plus pour se mettre au travail exactement comme le dit M. Rossi.

  18. Bonjour NOEL,

    Permettez-moi de réagir à votre intervention enrichissante – du 6 janvier à 8h 43min – en y apportant mon point de vue de Franco/Suisse.

    Les droits de succession imposent un patrimoine qui a déjà fait l’objet d’une taxation fiscale au préalable, voire plusieurs durant la constitution de la fortune mobilière et/ou immobilière. De même pendant la phase d’accumulation des revenus du travail ou des revenus du patrimoine investit. De fait, nous sommes déjà en présence, à minima, d’une double imposition. Je conçois que du point de vue de la France – qui a connu la monarchie avec ses transmissions (privilèges) qui relevaient du droit seigneurial – l’on puisse rester figé sur cette injustice connue des serfs durant la monarchie et pendant la transition de la noblesse, qui ne doit pour autant être assimilée à la bourgeoisie plusieurs siècles après la révolution. Cet héritage de l’histoire pose un problème en France, car le contribuable est déjà qualifié de “riche” (voire de bourgeois) avec un revenu marginal de 4 000 euros/mois et/ou un patrimoine net de 100 000 euros. Aujourd’hui, nous devons plutôt braquer nos yeux sur les ultra-riches, le grand actionnariat, et l’injustice fiscale qui se dégage des moyens privilégiés (financiers/juridiques/fiscaux/politiques) dont jouit cette caste – au demeurant au travers de la courroie de transmission de la financiarisation sans principes moraux – pour la constitution des revenus et patrimoines durant la phase d’accumulation. Il va sans dire que les “machines à sous” – plus préoccupées à cracher des dividendes que de créer de la valeur au travers de l’innovation (R&D) – tombent sous ce giron. Pour ce qui a trait à la source du “financement climatique” au travers de la dette publique, en l’état actuel, selon moi, il pose un questionnement de fond: quels sont les investisseurs dans la dette publique (fonds d’investissement, fonds de pension, fonds alternatifs, banques, assurances…) et surtout sont-ils majoritairement domiciliés intra ou extra-muros? Comme je l’ai déjà développé ici-même avec l’exemple emblématique français dont la dette publique n’a eu de cesse à se creuser depuis les années 1970 – opérant littéralement un transfert des richesses – l’on voit bien que l’enchevêtrement des dispositions fiscales et l’armada de taxes dans l’Hexagone ne suffisent plus à maîtriser ce tonneau des Danaïdes. En comptant que la France et la Suisse ne disposent pas des spécificités des États-Unis (hégémonie du $) ou du Japon (ratio domestique des détenteurs d’emprunts souverains).

    Voici une morale de l’histoire qui nous rappelle que le diable (la financiarisation) doit être mis sous cloche, sinon la lutte climatique restera vaine et son concept toujours plus coûteux pour la grande majorité au profit d’une minorité.

    “Tout commence sur les rivages glacés de l’Alaska. La nuit du 24 mars 1989, un tanker géant de la compagnie pétrolière Exxon est éventré par un haut fond. 50 millions de litres de brut s’échappent des cuves de l’Exxon-Valdes engendrant l’un des pires désastres écologiques de l’histoire. Six ans plus tard, le gigantesque procès qui oppose la compagnie pétrolière Exxon à l’Etat de l’Alaska, au gouvernement américain et à plus de 150 organisations de défense de l’environnement, livre son verdict. Exxon est condamnée à verser un dédommagement de 5 milliards de dollars (ce montant sera ramené à seulement 500 millions par la Cours suprême américaine en 2008). Entre-temps, pour couvrir le risque de l’entité Exxon à devoir verser cette somme de 5 milliards de dollars, la banque JP Morgan & CO accordait à Exxon un crédit de 4,8 milliards de dollars. C’est à ce moment que la jeune et brillante banquière, férue de mathématiques et petite protégée de JP Morgan entre en scène en 1994. Avec son équipe, elle va “revendre” le risque que constitue à présent cette ligne de crédit – ouverte par JP Morgan – à d’autres établissements bancaires. Le “Credit Default Swap” (dérivés sur événement de crédit) moderne est né. Ce nouveau véhicule d’investissement va dès lors – fin des années 90 – connaître un succès fulgurant au point de susciter une forte spéculation sur le risque. Tant et si bien que le CDS sera identifié comme l’une des causes de la crise financière de 2007/2008 (subprime US). Si la crise de 2008 aura couté aux investisseurs près de 25 000 milliards de dollars, soit la moitié de la capitalisation boursière mondiale”, les experts n’ont d’ailleurs toujours pas chiffré le coût global pour la société réelle de cette énième catastrophe: c’est-à-dire tous les sauvetages financés par la dette (au plan mondial); toutes les conséquences de ce tsunami financier en Europe (crise des dettes souveraines et spéculation sur ces dernières); toutes les conséquences financières directes et indirectes (au travers de l’austérité budgétaire) qui ont encore des répercussions significatives, aujourd’hui, avec la pandémie et la déliquescence des moyens sanitaires (contraction des investissements publics).

    Cette jeune et brillante banquière de JP Morgan & CO (et de la morale de l’histoire) n’est autre que Blythe Sally Jess Masters. La même banquière qui fut proposée dernièrement à l’élection au conseil d’administration de la banque universelle helvétique Credit Suisse (élue au 30 avril 2021).

  19. Bonjour Raymond,

    Tout d’abord permettez-moi de vous présenter mes meilleurs voeux pour 2022, ainsi qu’au professeur Rossi, et aux participants et lecteurs dans cet espace de liberté.
    Ensuite je tiens à vous remercier pour vos remarques pertinentes en ce qui concerne le système fiscal français. Comme vous le savez, en France nous avons actuellement un débat très animé sur la fiscalité du patrimoine (ISF et droits de succession). Sachant que la fiscalité est un sujet qui fâche et que le consentement à l’impôt chez nous est très faible en comparaison d’autres pays de l’OCDE, principalement l’Allemagne, la Suisse ou le Japon. Si l’on met de côté la course à l’échalote dans le moins-disant fiscal et la promesse d’un big bang en matière de réforme fiscale de certains hommes et femmes politiques, candidats à la magistrature suprême, il convient d’expliquer succinctement pourquoi un tel débat est-il récurrent et sans fin en France? Il est à cela plusieurs raisons qu’il convient d’exposer sans prétendre d’être exhaustif en la matière.

    Nous sommes les champions en matière de prélèvements obligatoires parmi les pays de l’OCDE: une forte fiscalité sur les personnes physiques et morales est perçue et vécue comme défavorable à l’esprit d’entreprise, à la prise du risque, à l’innovation. En outre elle est supposée exercer des effets désincitatifs sur l’offre du travail et encourager la fraude fiscale, l’exode fiscal et le développement de l’économie parallèle. Cependant, il n’est pas exact qu’une forte fiscalité est toujours nuisible au dynamisme économique et à l’innovation. Ainsi la Suède se caractérise par un fort taux de prélèvements obligatoires, un faible coefficient de Gini, un niveau de productivité relativement élevé, un taux de chômage relativement bas. En plus, elle est très dynamique en matière d’innovations: elle dépose trois fois plus de brevets triadiques par milliers d’habitants que la France.

    En tout cas les pays scandinaves nous apportent la preuve qu’il est possible de bâtir un système fiscal à la fois redistributif et incitatif à l’innovation sans que la pression fiscale soit dirimante. Sans doute ce dont nous avons besoin en France c’est de substituer une social-démocratie de l’innovation à la social-démocratie de la consommation. En effet notre croissance économique est tirée en grande partie par la consommation des ménages que l’Etat devra alimenter sans cesse au travers des transferts de revenus en faveur des ménages. Sans parler d’un système social qui ressemble de plus en plus au tonneau des Danaïdes sans pour autant atténuer la pauvreté, qui est répartie à la hausse à la faveur de la crise épidémique. D’où la nécessité d’un financement par la dette publique et/ou le recours aux impôts et aux taxes dont la croissance de leur poids est de nature à pousser les acteurs économiques à ralentir leurs efforts.

    Autrement dit, nous devrions changer de paradigme: mettre en place un modèle qui encourage l’innovation, celle-ci redistribue par le truchement des gains de productivité et stimule donc la croissance économique via l’investissement et la consommation. Espérons que la transition énergétique dictée par l’impératif climatique va opérer cette rupture en donnant le primat à l’investissement dans l’économie verte. Mais, comme cela a été souligné à plusieurs reprises ici dans ce blog, il ne faut pas non plus rêver que les inégalités patrimoniales vont s’atténuer grâce à la fée de l’innovation. D’où la nécessité de poursuivre la réflexion sur la conception d’un système fiscal optimal qui concilie l’équité et l’efficacité, sachant que la recherche d’un tel équilibre ressemble beaucoup à la quête du Graal. En d’autres termes, tout système fiscal comporte des fuites, des inefficiences et une dose d’inéquité. C’est pourquoi nous avons besoin de l’analyse économique pour éclairer notre lanterne: Le rôle de l’économiste agissant comme un plombier par ses conseils auprès des responsables politiques consisterait à proposer des solutions pour colmater les brèches. C’est à cette tâche que certains économistes français travaillant dans les universités américaines prestigieuses se sont attelés pour proposer aux Démocrates américains de mettre en place un barème progressif en matière des droits de succession sur les héritages des milliardaires et des multimillionnaires, et ce en parfait accord avec l’histoire fiscale des Etats-Unis, notamment sous l’Administration Franklin Delano Roosevelt. Autrement dit, ils préconisent un retour aux sources pour réduire les inégalités patrimoniales, qui ont été exacerbées par la financiarisation de l’économie à outrance et la stagnation séculaire du fait que le partage des gains de productivité a profité davantage au capital qu’au travail. C’est pourquoi il n’est pas impossible que le regain d’intérêt pour la fiscalité sur le patrimoine en France ait été influencé par les travaux académiques des économistes comme Thomas Piketty, Emmanuel Saez, Gabriel Zucman ou Philippe Aghion.

    Par ailleurs, en France nous avons un vrai problème de consentement à l’impôt dont l’origine remonte sans doute à l’Ancien Régime avec ses fermiers généraux et ses gabelous. Pour certains la taxation des successions est un racket, voire un impôt sur la mort, car la richesse accumulée sous forme de patrimoine et susceptible d’être transmise aux ayants-droit sous forme d’héritage, a déjà fait l’objet de prélèvements fiscaux sur les revenus du travail et du capital. Sur ce point, cher Raymond, je vous rejoins. C’est pour cette raison et d’autres que d’aucuns estiment qu’il est urgentissime de mettre un terme à ce scandale d’une fiscalité spoliatrice, laquelle, semble-t-il, est préjudiciable par-dessus le marché à l’esprit d’entreprise et aux incitations.

    Bien évidemment, il semble difficile d’avaler un tel argument sans y apporter quelques nuances. Il est piquant de remarquer que les partisans de la baisse des droits de succession, voire leur suppression, ont la fâcheuse tendance de mettre dans le même panier les grandes fortunes et les petits patrimoines. En outre, l’observation statistique ne corrobore pas ce discours victimaire et pleurnichard. En effet, depuis 2005, les prélèvements sur les héritages en France n’ont cessé de baisser, si bien qu’ils sont retournés à leur niveau au début des années 1990. En 2011, ils représentaient environ 6,9 milliards d’euros soit 0,8% des recettes fiscales et 0,4% du PIB. Entre 2012 et 2019 les recettes fiscales sur les droits de succession et donations sont passées de 9,1 milliards à 14,4 milliards d’euros. Cette évolution reflète en grande partie l’envolée du patrimoine due à la spéculation immobilière et financière, laquelle semble avoir un lien étroit avec la politique monétaire ultra-expansionniste de la BCE.

    Or une telle évolution des inégalités patrimoniales est non seulement problématique du point de vue éthique, mais elle pèse aussi sur la croissance économique, car les héritiers ont tendance à limiter leur offre de travail. Il est largement admis – et l’évidence empirique le confirme – qu’un gros héritage a des effets désincitatifs sur l’offre de travail. Sans doute c’est pour cette raison que des milliardaires américains comme Bill Gates ont décidé de ne pas tout léguer à leurs enfants. «Ainsi, les successions ont tendance à conforter, voire à accentuer les inégalités. Selon France Stratégie, les ménages ayant reçu plus de 100.000 euros de donation ou d’héritage affichent déjà un revenu 20 à 30% supérieur à ceux ayant reçu moins que ce montant. Le meilleur moyen de devenir riche de nos jours n’est d’ailleurs pas de travailler, mais d’hériter au sein d’une famille aisée. Près de 70% du patrimoine privé total en France provient en effet d’une succession, contre environ 40% dans les années 1970. Les divers classements des plus grandes fortunes françaises, où n’apparaissent guère les self-made-men, attestent aussi de ce mécanisme». Par ailleurs, il n’est pas impossible que ce déclin du rôle de l’effort dans la formation des inégalités contredise l’idéal méritocratique. Cela pourrait avoir une conséquence négative sur la cohésion sociale et pourrait expliquer en partie la montée du populisme.

    A ces observations formulées en vrac, il convient d’ajouter le fait que le système fiscal comporte des assiettes d’imposition trouées de niches fiscales. Celles-ci semblent expliquer en grande partie le fait que le systéme fiscal français soit devenu régressif pour les hauts revenus: pour les plus riches, le taux de prélèvement brut décroît quand le revenu augmente. Pour corriger ces fortes inégalités de patrimoine qui s’observent également en Suisse, le remède réside sans doute dans la mise en place d’un impôt progressif sur les successions et les rentes foncières. Mais aussi il est important de réfléchir à la manière d’augmenter le consentement à l’impôt, notamment dans le cadre français. Pour cela, il est souhaitable que l’Etat se comporte de manière exemplaire dans l’utilisation des recettes fiscales, et que le français lambda cesse de considérer son voisin du palier comme un fraudeur du fisc qui use et abuse du système de protection sociale. En effet le renforcement du consentement à l’impôt exige que l’on donne l’impression aux citoyens que tous les contribuables s’acquittent honnêtement de leur impôt.

    Selon certaines études, le meilleur moyen pour atteindre cet objectif consiste à renforcer le contrôle fiscal ou utiliser la peur du gendarme comme arme dissuasive pour les fraudeurs potentiels. En clair, si la fraude est fermement traquée et punie par de lourdes pénalités (redressement fiscal), la tentation de tricher ou de frauder sera fortement atténuée par la peur d’être attrapé par la patrouille. Cela suggère que l’éthique fiscale est positivement corrélée avec le degré de surveillance, lequel suppose d’étoffer les effectifs de l’administration fiscale. A cet égard, il est important de noter que la Suisse échappe à cette corrélation. En effet une étude de Bruno Frey et Lars Feld de l’Université de Zurich suggère que, dans le cas de la Suisse, un surcroît de contrôles tendrait à réduire le consentement à l’impôt, autrement dit tout audit fiscal pourrait être perçu par le citoyen comme une rupture du contrat implicite de confiance avec son administration fiscale, sachant que le consentement à l’impôt est élevé en Suisse.

    Bruno Frey et Lars Feld: «Tax Evasion in Switzerland. The Role of Deterrence and Tax Morale» (2007).

    1. Bonjour NOEL,

      Merci infiniment pour vos Meilleurs Vœux et sachez que j’éprouve toujours un grand plaisir à vous lire.

      De mon point de vue – même si je souscris aux grandes lignes de votre analyse – il me semble erroné de croire qu’en France l’État-providence – qui fut développé et mis en place par la création de la sécurité sociale au travers des ordonnances du 4 et du 19 octobre 1945 – fut à l’origine du tonneau des Danaïdes. Car, si depuis la fin des années 1970 une idéologie dominante se complet à diaboliser l’État providence comme une “plaie d’Égypte”, elle a pourtant toujours eu cette fâcheuse tendance à dissimuler qu’en 1973, la France franchissait une étape historique sur le chemin de la libéralisation financière internationale; précisément en s’interdisant de recourir à la planche à billets de sa propre banque centrale. C’est en effet à cette aune qu’il faut interpréter les nouveaux statuts de la Banque de France – adoptés le 3 janvier 1973 – et particulièrement leur article 25 – indiquant que “le Trésor public ne peut être présentateur de ses propres effets à l’escompte de la Banque de France”. Mettant ainsi définitivement les États à la merci du système bancaire, puisque leur Trésorerie n’était de facto plus en droit d’emprunter auprès de sa banque centrale. Tournant crucial dans la gestion des finances publiques des nations occidentales (et même mondiales!) qui emboîtèrent dès lors le pas à la France, ne devant du reste rien au hasard à une époque où elle était présidée par un ancien banquier, Georges Pompidou. Et peu importe, après tout, pour cette idéologie dominante à matrice néolibérale, si la dette publique française de 20% du PIB en 1970 devait dès lors connaître une descente aux enfers ininterrompue. Les avantages fiscaux indécents concédés aux bénéficiaires de la concurrence fiscale déloyale, finalement contreproductifs au bien commun, ainsi que les concessions fiscales (niches) de toutes sortes accordées vers le haut de la pyramide sont autant de recettes publiques ayant fait défaut et nuit à la croissance économique. Et au diable si le financement des déficits fut abandonné aux acteurs des marchés financiers qui pouvaient dès lors spéculer sur les dettes souveraines (politiques des taux d’intérêt), et la financiarisation globalisée faire son beurre.

      1. Bonjour Raymond,

        Merci pour votre remarque concernant l’Etat-Providence. J’admets volontiers que la référence à la mythologie grecque a introduit une ambiguité dans la formulation qui peut laisser penser que je suis sur la même longueur d’onde que les ultra-libéraux biberonnés à l’idéologie anti-redistribution. En fait, ce que j’ai voulu dire, c’est que le systéme social ou plus précisément la Sécurité sociale issue du Conseil national de la résistance est un bien commun. En cette qualité il est potentiellement exposé à la menace de la tragédie des communs ou “Tragedy of Commons”, notamment en l’absence des mécanismes de régulation et de contrôle de la part de la puissance publique, afin de garantir sa pérennité. Or de nombreux rapports pointent des anomalies comme les fausses cartes vitales en circulation, des pensions de retraite versées à des retraités décédés, des employeurs indélicats qui ne versent pas les cotisations sociales, etc. Enfin, avec la crise sanitaire, le “fameux
        Trou de la Sécu” ou déficit de la Sécurité sociale a de fortes chances de revenir sur le devant de la scène, ce qui pourrait apporter de l’eau au moulin de ses adversaires selon lesquels, pour en finir avec le déficit chronique de la Sécurité sociale, le remède réside soit dans le rationnement de soins avec des franchises dissuasives, soit dans la privatiisation, c’est-à-dire le vendre à des compagnies d’assurance privées en qui on peut avoir toute confiance pour opèrer le tri entre les bons et les mauvais risques, tout en laissant sur le bord de la route un grand nombre de citoyens sans couverture des risques.

  20. Bonjour NOEL,

    Je suis effectivement d’accord avec vous en partageant ce même constat et les mêmes craintes. Merci beaucoup d’avoir précisé cela!

    Bien à vous

  21. En plein cœur de l’austérité, le gouvernement français concédait des mesures fiscales emblématiques comme les allègements de 20 milliards d’euros de charges pour les multinationales et octroyait, par le biais du “Crédit Impôt Recherche”, un remboursement de 45% des dépenses de l’entreprise sur le poste de la recherche et du développement. Sans compter la politique des prix de transfert qui permit à Google de s’acquitter de 5 malheureux millions d’euros en 2011, sur le 1,25 milliard d’euros de profits générés dans l’Hexagone. Alors que déjà l’hôpital public manquait cruellement de moyens.

    Il va sans dire que la Suisse ne fut pas en reste avec sa politique du frein à l’endettement, car le taux d’imposition moyen des sociétés multinationales était de 17,1%, et le taux d’imposition le plus bas de 11,35% en 2019, soit avant la pandémie, selon une enquête réalisée la même année par PwC. Cette dernière plaçait la Suisse parmi les pays appliquant les taux d’imposition les plus bas sur la scène internationale; nous pouvons tout aussi bien et raisonnablement en déduire que le frein à l’endettement public s’est implicitement exercé grâce au levier de la concurrence fiscale au détriment de l’Intérêt général. Bien évidemment que le postulat qui tend à “déshabiller Pierre pour habiller Paul” aura laissé des traces sur les petites et moyennes entreprises, comme sur l’état de certains biens communs (hôpitaux, moyens matériels et personnels, programmes d’anticipation et gestion des risques). Pour ce qui a trait de l’IFD, avec un taux d’imposition statutaire de 8,5% s’appliquant aux sociétés de capitaux, puis les fonds d’investissement taxés à hauteur de 4,25%, nul besoin de dessiner les contours de l’injustice fiscale opposant Capital et Travail.

    Rappelons que le bilan de la réforme de l’imposition des entreprises de 2011 – réalisé par Jean-Philippe Weisskopf, Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO); Christophe Pérignon, HEC Paris Business School et Dušan Isakov, Université de Fribourg – montre que la défiscalisation des dividendes augmente la valorisation des sociétés mais n’a pas d’effet sur l’investissement: “Lors de l’entrée en vigueur de la réforme, au 1er janvier 2011, un élément imprévu, et qui n’avait jamais été discuté avant le vote populaire, est apparu dans la circulaire publiée par l’administration fiscale fédérale. Le texte autorisait explicitement le versement des dividendes à partir de réserves issues d’apports en capital.” Conclusion: “Pris globalement, nos différents résultats indiquent clairement qu’une baisse de la fiscalité des dividendes n’a pas d’effets réels sur l’économie. Par conséquent, notre étude met à mal la vision néoclassique selon laquelle toute augmentation de la fiscalité des dividendes fragilise la croissance économique, en contractant l’investissement. En revanche, nos résultats montrent qu’une baisse de la fiscalité des dividendes a un effet important sur le montant des dividendes versés ainsi que sur la valorisation des entreprises”.

    En l’état – au regard de l’endettement public en Suisse (8,6 millions de résidents) – gardons-nous bien de faire la leçon à notre voisin français (67 millions), car la prime de risque du système social helvétique fut depuis belle lurette transférée au système privé (à matrice néolibérale) qui, lui, dans sa quête d’une pseudo efficience, la répercutera sur l’ensemble des ménages tout en se réservant le privilège d’entretenir un système de santé à deux vitesses. Il va sans dire que le taux prohibitif de la contribution des ménages aux coûts du système “public” de santé (par abus de langage) parle de lui-même. Un poids dans le budget des dépenses incompressibles des ménages qui expliquerait – pour une partie, même négligeable soit-elle – le taux d’endettement des ménages helvétiques qui atteint plus de 140% du PIB? Soit bien au-delà du taux d’endettement des ménages français.

  22. Recherche désespérément la notion d’Intérêt général!!!

    Warren Buffet ne plaisantait en 2006 – avant la crise financière de 2008 – lorsqu’il nous annonçait que les (ultra) riches étaient en train de gagner. Dans une interview accordée à l’époque au New York Times…

    https://www.nytimes.com/2006/11/26/business/yourmoney/26every.html?_r=1&adxnnl=1&adxnnlx=1392987663-rchqH3e8ouhHFF7h9JoYzA

    … il reconnaissait qu’une “lutte des classes” faisait rage, tout en précisant que “c’est ma classe, les (ultra) riches, qui a déclaré cette guerre et c’est elle qui est en train de la remporter”!

    … avant de confirmer en 2011 que cette guerre avait bel et bien été gagnée: ” they won” – ils ont gagné!

    https://www.businesswire.com/news/home/20111115006090/en#.UwdOP_l5OSq

    Pour ce qui a trait à présent à une énième “lutte des classes” au prisme de la crise climatique – tout en paraphrasant la sagesse du Professeur Sergio Rossi – “nous savons ce que nous devons faire pour changer de trajectoire, mais nous devons être conscients que tout le monde, de manière individuelle et collective, doit s’engager pour permettre à tout un chacun de mener une vie digne de ce nom”. Cette bienveillance n’est pourtant partagée par l’ensemble des 1%, voire des 10% les plus riches de la planète (et plus gros émetteurs de CO2)…

    https://wid.world/news-article/climate-change-the-global-inequality-of-carbon-emissions/

    Un jour, l’ensemble de nos décideurs ouvriront-ils les yeux en grand à moins qu’ils n’aient déjà déposé une option d’achat pour un buncker?

    https://www.ft.com/content/79781c20-051d-41c4-bd2c-31ceffb763e8

    1. Eh bien non, nous ne sommes pas dans un film de science-fiction, ni dans une théorie fumeuse ourdie par des complotistes. Encore moins un plagiat de quelques lignes du roman d’anticipation dystopique – Le Meilleur des mondes – écrit en 1931 par Aldous Huxley.

      “Face aux impacts réels du changement climatique, les super-riches investissent dans des bunkers qui purifient l’air, dans des services médicaux spécialisés, ou prévoient, grâce à des entreprises privées, leur évacuation en cas de problème”, selon le très libéral quotidien économique et financier britannique, Financial Times. “Alors que les plus pauvres subissent directement les effets de la crise climatique, les super-riches, eux, pourraient y échapper”. Un apartheid climatique? C’est le terme employé par le Conseil des droits humains de l’ONU: “Une dépendance excessive au secteur privé pourrait conduire à un scénario d’apartheid climatique dans lequel les riches paient pour échapper au réchauffement, à la faim, aux conflits, tandis que le reste du monde souffrirait”, expliquait en juin 2019 le rapporteur spécial de l’ONU sur l’extrême pauvreté, Philip Alston. “Une situation d’autant plus difficilement acceptable que plusieurs études ont pointé du doigt le rôle principal des plus riches dans la crise climatique”. CQFD

  23. Les réflexions sur le changement climatique sont passionnantes, en particulier quand elles débouchent sur des solutions concrètes à mettre en oeuvre à un coût moindre et avec le souci constant de trouver un équilibre entre l’efficacité et l’acceptabilité sociale de toute mesure économique destinée à réduire les émissions de gaz a effet de serre.

    Pour espérer réaliser cet objectif de manière satisfaisante, comme le souligne le professeur Rossi, chacun de nous doit fournir un effort en faveur du climat, et à plus forte raison les acteurs économiques dont les activités génèrent des externalités négatives comme la pollution, la déforestation ou la désertification souvent liée à une surexploitation des ressources hydrologiques par exemple, avec le risque de tensions géopolitiques (voir par exemple les conséquences de la construction des barrages turcs en amont de l’Euphrate sur la Mésopotamie en aval).

    En dépit de l’incertitude radicale à laquelle sont confrontées les décisions en faveur du climat, certaines institutions devraient être exemplaires en raison de leur pouvoir, et surtout à cause de leur force d’entraînement sur l’économie et la société. C’est le cas notamment des banques centrales qui pourraient agir contre le risque climatique au travers d’une politique monétaire encourageant les projets d’investissements verts. Malheureusement force est de constater que cela ne semble pas être le cas de la BNS dont les efforts en faveur du climat sont non seulement timorés, mais aussi incompatibles avec la composition de son portefeuille de valeurs mobilières dont certaines sont brunes. En outre, la BNS donne l’impression à l’observateur extérieur qu’elle est en train de transformer son mandat en un bastion de conservatisme, sans doute pour éviter d’étendre celui-ci au défi climatique ou à la lutte contre la montée des inégalités et de la pauvreté.

    Certes, la stabilité du système financier, la lutte contre l’inflation et l’appréciation du franc suisse constituent le noyau dur de la mission de la BNS. Mais ces objectifs ne sauraient être l’alpha et l’oméga de la politique monétaire en toutes circonstances, eu égard aux aléas et aux bouleversements affectant notre monde et dont certains sont le produit de nos comportements et décisions, quoiqu’à des degrés variables, compte tenu des asymétries entre les individus ou agents économiques. Admettons que l’assignation d’objectifs non strictement monétaires soit de nature à nuire à l’indépendance de la banque centrale, c’est l’argument dominant parmi les économistes libéraux en Suisse et ailleurs. Car, in fine, cela revient, semble-t-il, à faire jouer de facto à la BNS un rôle similaire à celui de l’Etat, c’est-à-dire être au four et au moulin.

    Sans parler de l’interférence des groupes de pression dans les choix de la politique monétaire, comme on a pu le constater lors de l’arrimage du franc à l’euro via le taux plancher. Celui-ci a été ouvertement et vertement critiqué par un grand patron de l’industrie horlogère suisse. Cet épisode montre que la banque centrale n’est pas une institution sacrée et que ses dirigeants souvent choisis en fonction de leurs compétences techniques devraient être tenus pour responsables de leurs décisions. En tout cas leur expertise ne devrait pas les dispenser à rendre des comptes à la société ou à se soustraire au contrôle démocratique. C’est pourquoi, s’abriter derrière le mandat est certes une position confortable pour les dirigeants, surtout si la stabilité financière est assurée, mais il n’en va pas de même pour la société notamment en cas de chômage structurel. Dans l’idéal un contrat d’incitation devrait lier la banque centrale à la société. En clair, le budget de la banque centrale ou les rémunérations de ses dirigeants devraient être déterminés à l’aune des résultats macroéconomiques obtenus et non en fonction des critères étroits. Peut-être serait-il souhaitable de suivre le modèle de la banque centrale de la Nouvelle-Zélande dont la vertu est d’avoir enrichi son mandat par l’inclusion de l’objectif de la maximisation de l’emploi durable.

    En tout cas l’ère des technocrates non élus semble révolue: “Les banquiers centraux n’ont pas su lire les effets des chocs déflationnistes de la globalisation, «l’effet Chine» et «l’effet Amazon», commente le journaliste, maintenant une politique monétaire beaucoup trop lâche, et se contentant d’intervenir – agressivement – après chaque cycle de ralentissement. Ce qui pousse la BIS à dire aujourd’hui que les banques centrales peuvent être elles-mêmes à l’origine du grand casse-tête monétaire de notre époque – «une chute sans merci du “taux naturel d’intérêt” selon Wicksell». Ou pour reprendre les mots de Borio: «Les taux d’intérêt bas engendrent les taux d’intérêt bas.» Et le prix des actifs peut continuer de grimper tandis que les banques centrales ne pensent qu’à l’inflation ciblée.

    Il va sans dire que Je ne suis pas dans les arcanes du directoire de la BNS ou de son Conseil de banque, mais celle-ci semble s’arc-bouter sur le principe selon lequel qui trop embrasse mal étreint. Cependant, le minimum minimorum qu’on est en droit d’attendre de la banque centrale, c’est d’encourager et de soutenir la recherche scientifique et les initiatives en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique. Par exemple créer un Prix pour récompenser les travaux des jeunes chercheurs ayant un lien avec le climat ou financer un séminaire dédié à la finance et au climat, de préférence à l’Université de Fribourg autour du professeur Rossi.

    En un mot comme en cent, il est indéniable que la BNS est en retard en matière d’initiatives en faveur du climat, sans doute en raison d’une aversion très forte à l’égard des innovations et le conservatisme que celle-ci ne manquerait pas d’induire pourrait être lourd de conséquences sur le bien-être collectif.

    1. Bonjour NOEL,
      Effectivement, les banques centrales sont impliquées dans la sauvegarde de la stabilité financière et à ce titre portent une lourde responsabilité pour ce qui a trait au phénomène du réchauffement climatique. D’ailleurs, la raison s’énonce par le “principe de Carney”, du nom du gouverneur de la Banque d’Angleterre qui, dans un discours (aux Lloyd’s of London du 29 septembre 2015) fut le premier des dirigeants de banques centrales à ouvertement évoquer le lien entre le réchauffement climatique et les banques centrales. Mark Carney a mentionné trois risques liés au changement climatique qui justifient que les banques centrales s’en préoccupent : le risque physique, le risque de transition et le risque de responsabilité. Ces trois risques sont susceptibles de nourrir une instabilité financière majeure devant laquelle une banque centrale ne peut rester indifférente.

      Vous faites bien de pointer du doigt la BNS qui, au travers de sa politique monétaire non conventionnelle (et par analogie: sa politique d’investissements) s’est enferrée dans une spirale infernale exacerbant le risque d’un “very diabolic double bind”, potentiellement plus disruptif que le simple “diabolic loop”. C’est-à- dire que le système financier pourrait être suffisamment impliqué dans le financement d’activités haut en carbone pour que les catastrophes climatiques et les conséquences financières des engagements pris soient cause d’une crise financière majeure aux conséquences économiques extrêmes mais, surtout, il se pourrait aussi que les tentatives pour se désengager de ces activités soient elles-mêmes cause de fragilité financière (par le biais de dévalorisation d’actifs “échoués” ,liés à des activités haut en carbone devenues insupportables ou interdites) et capables de mener à une crise financière aux conséquences tout aussi graves. C’est bien ce double écueil qu’il est de la responsabilité des banques centrales d’éviter.

      Et, c’est bien dans ce double écueil que la Banque Nationale Suisse (BNS) s’est engagée!

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