On avance par inertie mais lentement on s’enfonce

Vingt années se sont écoulées depuis les attentats aux tours jumelles de New York, qui ont choqué le monde entier par leur brutalité et par l’ampleur de ce massacre de personnes innocentes, qui étaient au mauvais endroit au mauvais moment. Les autorités politiques, ainsi que bien d’autres parties prenantes, surtout dans le domaine de la haute finance, ont appris très peu, voire rien du tout, de ces événements dramatiques. Ces acteurs continuent à considérer avant tout leurs propres intérêts de très court terme, comme si rien d’autre n’était important au-delà de l’enrichissement personnel, même lorsque cela nuit au bien commun.

La pandémie du Covid-19 est le dernier exemple en date de cet égoïsme nuisible, qui s’est répandu en Suisse comme dans les autres pays soi-disant «avancés» sur le plan économique, mais qui en réalité sont restés assez primitifs sur ce plan, vu que la «loi de la jungle» domine, sans que l’État intervienne pour empêcher les dégâts sociaux désormais visibles par toutes les personnes capables de discernement.

Un État responsable et visant le bien commun se serait comporté différemment de ce qui a été fait dans les pays «développés». L’État, en fait, devrait s’occuper de ses propres citoyens, contribuant à faire en sorte que leur propre santé (physique et mentale) soit la meilleure possible dans tous les cas, surtout dans les pays (comme en Suisse) où il y a les ressources financières nécessaires pour garantir à l’ensemble de la population un niveau de vie satisfaisant et digne d’un pays «avancé» sur le plan économique.

Au lieu de se soucier de l’équilibre des finances publiques, comme le font bien des politicien.ne.s aussi en Suisse, les autorités gouvernementales devraient être amenées à résoudre les problèmes sanitaires, ainsi que ceux concernant l’emploi, des personnes se trouvant en difficulté – à cause de leurs propres choix ou indépendamment de leurs actions. L’argent doit servir pour vivre bien tous ensemble, parce que nous ne sommes plus à l’époque des cavernes, lorsque peut-être certain.e.s croyaient que chacun devait s’occuper seulement de soi-même et se protéger des autres êtres vivants, suivant la loi de la jungle illustrée par les films de Tarzan.

En réalité, même Tarzan ne fut pas laissé pour compte, vu que des animaux avaient pris soin de lui, montrant ainsi l’importance de la collectivité pour chacun de ses membres et notamment pour les plus faibles ou démunis – peu importe qu’il s’agisse de nouveau-nés, jeunes, adultes ou personnes âgées.

Certes, l’image reflétée par beaucoup de personnages politiques n’est pas enthousiasmante, ni exemplaire en ce qui concerne leur comportement personnel. Toutefois, chacun doit comprendre qu’il est dans son propre intérêt de contribuer au bien commun, parce qu’il s’agit de la seule manière d’éviter des massacres comme celui des tours jumelles en 2001 et les conséquences socio-économiques des pandémies comme celle du Covid-19.

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.

8 réponses à “On avance par inertie mais lentement on s’enfonce

    1. Une chronique tellement emprunte d’humanisme. Merci très cher Professeur Rossi.

      Peu de temps après le fameux “grounding” de Swissair en 2001 – déjà révélateur des relations incestueuses entre les pouvoirs politiques et financiers – un ex-analyste financier nous rappelait un triste constat avec ses mots: “L’économie me semble un étang à requins. À l’Université, on enseigne l’éthique, mais dans la pratique, c’est bien différent”. Or, vingt ans après cette année déjà fatidique, les politiques savent-ils seulement qu’aujourd’hui encore, soit le 13 septembre 2021, alors que la faillite du 15 septembre 2008 de la banque d’investissement Lehman Brothers propulsa la planète dans sa plus grande crise financière, et économique, que le monde ait connu après le célèbre crash financier d’octobre 1929 – un événement marquant à jamais l’histoire boursière avec l’onde de choc menant à la Grande Dépression – que la maxime de Wall Street et de la City est toujours : “I’ll Be Gone, You’ll Be Gone”, soit en français, “je ne serai plus là, vous ne serez plus là” ? Qui signifie clairement que les prochains cataclysmes – inévitables comme conséquence des comportements d’aujourd’hui – ne sont pas le problème des financiers qui ne seront plus ici… et que c’est d’autres qui devront gérer les problèmes. Effectivement, ni les acteurs de la haute finance, ni les politiques n’auront appris et  retenus les leçons de l’histoire. Ne serait-ce “que” morale!

      Bien que l’éminent anthropologue Claude Lévi-Strauss (1908- 2009) écrivait comme un vœu pieu: “les crises permettent aux sociétés touchées de se remettre efficacement en question et de se reconstruire, en se débarrassant des modèles économiques obsolètes qui les mènent à leur perte”; force est de constater qu’il n’en est plus rien au 21ème siècle. Un progrès dans la pauvreté intellectuelle, doublé de relations contre nature entre pouvoirs politiques et financiers. Dommageable également de constater que depuis le début de cette nouvelle crise (sanitaire et économique), des anthropologues ont aussi été interrogés dans les médias sur ce que cette crise révèle de notre rapport à la maladie, à la mort, à l’espace public, aux animaux, à la mondialisation, à l’économie, mais que le nom de Claude Lévi-Strauss n’a jamais été prononcé, alors qu’il fût sans doute l’un des plus grands anthropologues du 20ème siècle. Il en a pensé toutes les tensions, les contradictions et les catastrophes. Autant de leçons que nos gouvernements successifs,  aux économies dites “avancées”, auraient du retenir au lieu de se raccrocher sauvagement à une sélection darwinienne 2.0. Et ô combien déjà révélatrice lorsqu’on mesure les propos de Warren Buffet qui ne plaisantait pas lorsqu’il prévenait dès 2006 – soit avant la crise du subprime US – que les (ultra) riches étaient en train de gagner. Dans une interview accordée à l’époque au New York Times, il reconnaissait qu’une “lutte de classes” faisait rage, tout en précisant : “c’est ma classe, les riches, qui a déclaré cette guerre et c’est elle qui est en train de la remporter” ! … avant de confirmer à la faveur de la crise financière que cette guerre avait bel et bien été gagnée : “we won” – nous avons gagné.

      Enfin, pour préparer le monde d’après, s’il reste évident qu’il faudrait d’abord percevoir les signes du monde d’avant, dont le fondateur de l’anthropologie structurale a proposé de tracer la carte, faudrait-t-il encore que nos dirigeants saisissent qu’il n’y a aucun cercle vertueux dans l’ignorance et encore moins dans le fait à pérenniser coûte que coûte un modèle déjà autodestructeur.

  1. Alors que la Suisse reste la patrie de la “Croix-Rouge” (1866) et la France celle des “droits de l’Homme” (1789); son rôle fut également crucial dans l’instauration de la “pensée dominante”, à vocation néolibérale, en Europe. C’est en effet la France, en 1973, qui devait franchir une étape historique sur le chemin de la libéralisation financière internationale en modifiant les statuts de la Banque de France, le 3 janvier, notamment par l’article 25, indiquant que “le Trésor public ne peut être présentateur de ses propres effets à l’escompte de la Banque de France”. Mettant ainsi définitivement les États à la merci du système bancaire, puisque leur Trésorerie n’était de facto plus en droit d’emprunter auprès de sa banque centrale. Tournant crucial en Europe qui ne devait rien au hasard à une époque où elle était présidée par un ancien banquier, Georges Pompidou. Une époque où les décisions politiques, sous Richard Nixon aux États-unis, en 1971, allaient dérouler le tapis rouge à la financiarisation de nos économies avant d’offrir le “Saint-Graal” à la haute finance au cours des années 1980. Un temps qui permettra notamment l’emprise des dogmes monétaristes sur les institutions nationales en France, le “big bang” financier en Angleterre, et offrira à la Suisse, dotée d’un “secret bancaire pourtant louable à ses tous débuts”, les moyens pour faire turbiner une industrie financière spécialisée dans “le blanchiment de fraude fiscale” à l’échelle planétaire.

    La transfiguration de la finance dans les années 80, de même que l’emprise des monétarismes et leurs dogmes (entre-autres cette si “bienveillante efficience”) sur nos institutions ont eu des impacts sévères dans le domaine de la santé publique et des assurances sociales.

    Rappelons-nous que tout commence en 1983, en France, avec le tournant de la “rigueur” (selon la logique que les déficits des uns ont comme pendant les excédents des autres et/ou qu’en creusant une dette dorénavant laissée à la spéculation des marchés financiers, cette faute finira un jour par se rappeler à vous) pris par le gouvernement socialiste (ai-je dit un double paradoxe?). Un haut-fonctionnaire, Jean de Kervasdoué, met en place un “programme de médicalisation des systèmes d’information”. L’objectif est de quantifier et de standardiser l’activité et les ressources des établissements de santé (ai-je dit en quête d’efficience?). Officiellement, il s’agit de diminuer les inégalités entre les hôpitaux. Il s’agit aussi de mieux contrôler les dépenses. Le ministère de la Santé développe progressivement un système d’information qui classe les séjours à l’hôpital en grandes catégories et permet d’en établir le coût moyen (ai-je dit que les dogmes monétaristes sont à l’ouvrage?). “Au début des années 2000, le ministère est en mesure de connaître la “production” de chaque hôpital ainsi que son coût”… 

    Ceci nous rappelle-t-il rien, en Suisse et sur le fond également, au plan des services de santé publique et des assurances sociales? 

    …Alain Juppé est alors Premier ministre du premier mandat de Chirac. Il édicte par ordonnance, sans vote des parlementaires, l’”Objectif national des dépenses d’assurance maladie” (Ondam). Il s’agit d’un plafond de dépenses de santé à ne pas dépasser, quels que soient les besoins de la population. Chaque année, ce plafond est défini dans la loi de financement de la Sécurité sociale. “Les objectifs clairement avoués par les pouvoirs publics étaient de réduire de 100 000 lits le parc hospitalier français, soit près du tiers de sa capacité”, a expliqué l’Institut de recherche et documentation en économie de la Santé. 

    En Suisse, n’y voit-on toujours aucune similitude avec les réformes en santé publique entreprises dès le courant des années 2000, comptant une déliquescence des conditions de travail, de moyens matériels (lits…) et personnels?

    En France, ces ordonnances aboutissent rapidement à la fermeture des plus petits établissements. Plus de 60 000 places d’hospitalisation à temps complet (définies en nombre de lits) disparaissent entre 2003 et 2016, dont près de la moitié en médecine et chirurgie. Les gouvernements se succèdent, mais ce plafond des dépenses devient de plus en plus coercitif. Pourtant la population augmente, ainsi que la part des plus âgés donc des plus fragiles, et que le recours aux urgences s’intensifie.

    En Suisse, lors de sa politique du frein à l’endettement public, alors même que la dette publique helvétique est (et reste) enviable au regard du monde, ça ne nous rappelle toujours rien?

    2020 – Pandémie mondiale vs Les spectres de la pensée dominante comme autant d’effets secondaires.

    2021 – La discipline de la “science comportementale” – après avoir été dévoyée par l’idéologie “mainstream” – fut d’abord instrumentalisée pour les intérêts de la finance (FC), puis pour les intérêts de la sphère marchande (EC) et enfin pour servir de “guidance” à la politique (ai-je dit d’intérêts au sens de la Public Choice Theory?) comme nous le constatons actuellement avec la “politique du nudge”. Un modèle de politique qui semble se démocratiser de manière fulgurante. Alors jusqu’où va-t-on pousser le stoïcisme dans l’acceptation de l’inacceptable? Peut-être devrions-nous aussi revoir notre conception à la résilience.

  2. Lors de la crise financière de 2008, le coupable était bien identifié: c’était le système bancaire avec ses innovations hasardeuses qui a distribué des crédits à tour de bras à des ménages et des entreprises dont la solvabilité était douteuse. A cet égard, il est piquant de remarquer que c’est la première fois dans l’histoire que les banques ont fabriqué des bulles immobilières en vendant le rêve aux pauvres non seulement pour devenir propriétaires de leur logement, mais aussi pour devenir riches grâce à la spéculation.

    Force est de constater que les enseignements tirés de la crise des subprime ne semblent avoir eu aucun impact sur les vraies causes qui ont engendré l’instabilité financière. Certes des règles macro-prudentielles ont été mises en place: les ratios de fonds propres, les ratios de liquidité, l’endettement des ménages ne devrait pas excéder un certain pourcentage de leur revenu (par exemple en France, la Banque de France impose aux banques de ne pas accorder des crédits aux particuliers excédant 33% de leur revenu).

    Par ailleurs il importe de noter que les banques systémiques sont toujours là et qu’elles peuvent exploiter l’aléa moral à fond, que les règles macro-prudentielles ont été assouplies sous la pression du lobby bancaire et les recommandations des économistes néo-libéraux s’inspirant des techniques du contrôle optimal pour donner plus de consistance et de sérieux à leur argumentation. Ainsi l’idée de normes de capitalisation contracycliques sous-tend Bâle III: moins de fonds propres en période de récession afin de permettre aux banques de prêter davantage aux entreprises et aux ménages et donc de stabiliser en partie le cycle économique. Remarquons en passant que cet argument semble ignorer les considérations de la croissance économique. En clair nous ne devrions pas réserver le même traitement aux banques afin d’encourager celles qui prêtent aux entreprises qui font des investissements dans l’innovation et la formation afin que ces entreprises puissent maintenir ces investissements tout au long du cycle économique. Mais en réalité cette proposition est loin d’être la panacée. En effet, elle n’élimine pas les sources de l’instabilité du système financier.

    Pourquoi les réponses de régulation prudentielle ne sont pas à la hauteur? Il n’est pas excessif d’affirmer que l’instabilité financière réside dans l’expansion des crédits bancaires que nos amis suisses ont tenté de corriger au travers de l’initiative “monnaie pleine”. Mais malheureusement le peuple suisse n’a pas validé cette proposition lors de la votation concernant l’initiative «monnaie pleine». Avec la crise sanitaire dont nous continuons à vivre les conséquences économiques, la monnaie pleine retrouve, me semble-t-il, toute sa pertinence. Car l’essentiel de la monnaie au cours de ces 18 derniers mois est crée par la banque centrale et le bilan de celle-ci semble se modifier en faveur de la monnaie créée pour financer le déficit budgétaire de l’Etat. Ainsi les réserves des banques commerciales qui sont en fait une dette de l’Etat vis-à-vis du secteur privé, ont fortement augmenté au détriment des obligations publiques à long terme. Cette déformation du bilan de la banque centrale suggère deux interprétations:

    D’une part, elle suggère que les prochaines crises ne seraient pas d’origine bancaire et qu’elles pourraient par conséquent faire porter le chapeau à la banque centrale, et donc à l’Etat dont le seul pêché est d’avoir volé au secours de l’économie sous forme de chômage partiel, de subventions directes aux entreprises, de prêts garantis par l’Etat.

    D’autre part, le raccourcissement de la maturité de la dette de l’Etat est une source d’instabilité financière, car l’Etat devrait avoir une dette à très long terme. Autrement dit il existe un risque de connaître la situation de l’Italie des années 1970 où il fallait rouler des bons de Trésor tous les mois avec tous les risques qu’une telle politique comporte. C’est pourquoi certains préconisent de réguler les banques centrales en s’appuyant sur l’argument factuel selon lequel le taux d’expansion des crédits croît moins vite que le PIB dans la plupart des pays de l’OCDE. Mais si l’on durcit la politique monétaire dans un contexte d’incertitude, il est peu probable qu’on élimine le risque d’instabilité financière imputé à la banque centrale. Bien au contraire il existe de bonnes raisons de penser que cette mesure a toutes les chances de provoquer des vagues de faillites et de licenciements massifs, si bien que le remède proposé pourrait supprimer le malade à défaut de supprimer la maladie. En tout état de cause, l’instabilité financière causée par un contexte exceptionne ne devrait pas disqualifier l’idée selon laquelle les crises sont d’origine bancaire, en raison notamment de la création excessive de la monnaie de crédit qui est principalement le fait des banques commerciales. La crise sanitaire semble constituer une réelle opportunité pour affiner les arguments en faveur de la monnaie pleine et donc s’abstenir d’évaluer celle-ci à l’aune d’un comportement anormal de la banque centrale dans une situation exceptionnelle.

  3. Bonjour NOEL,

    En tout bien tout honneur, votre entrée en matière postule que “lors de la crise financière de 2008, le coupable était bien identifié…”. Permettez-moi d’y apporter une nuance de taille pour aller plus loin dans le raisonnement (et y percevoir d’éventuelles “similitudes” entre le passé et le présent):

    Bien qu’ambitieuse et destinée à rappeler les grandes réformes de Roosevelt dans la banque et la finance, la Loi de 2002 (Sarbanes-Oxley) – votée dans le contexte très particulier qui suivra le krach 2001/2002 – fera écho aux différents scandales financiers révélés dans le pays aux débuts des années 2000, tels ceux d’Enron et de Worldcom, Global Crossing ou encore Adelphia. Cette loi “SOX” de 2002 a certes rassuré les investisseurs en imposant des règles et sanctions nouvellement rigoureuses, mais elle avait été rédigée à la hâte et était très complexe, de sorte qu’elle a causé des maux de têtes aux responsables de la réglementation durant plusieurs mois (puis, des années durant) et surtout ne permit aucunement – en 2006-2007 – de déjouer les fraudes qui avaient pourtant toujours cours, notamment la transaction “Repo 105” qui contribuera à la mise à mort de Lehman Brothers en 2008. Revenons en 2002 avec les parlementaires républicains américains, dont les deux candidats à la présidentielle de 2008, John McCain et Ron Paul. Ces derniers dénonçaient la politique étatique des GSE* (Governement Sponsored Enterprises). Rappelons-nous que Fannie Mae et Freddie Mac – organismes à caution publique – dans le cadre de ces politiques économiques consistant à cautionner sur demande des Démocrates les crédits immobiliers aux ménages américains insolvables, ceci malgré le danger de défaillance du système bancaire que cela représente, ont mandaté Joseph Stiglitz pour analyser les risques de défaillance de ces institutions. Celui-ci publiera un rapport qui concluera à leur quasi absence de risque de défaillance, affirmant qu’ils disposent de suffisamment de capital. Ce prix Nobel d’économie (hétérodoxe) – conseiller économique sous l’administration Clinton (démocrate) – après son départ pour la banque mondiale – écrira ceci… (Réf. “Le triomphe de la cupidité”) 

    P.47 : “Une réglementation laxiste sans argent bon marché n’aurait peut-être pas conduit à une bulle. Mais l’important c’est que l’argent bon marché avec un système bancaire bien géré ou bien réglementé aurait pu conduire à une expansion […]”

    P.48 et 49 : “Ce sont les banques, sans aucune incitation de l’État, qui se sont lancées dans les subprimes”. (Quid*)

    P.231 : “Ce renflouement et ses nombreux prédécesseurs des années 1980, 1990 et des premières années 2000 ont envoyé un signal fort aux banques: n’ayez pas peur des prêts qui tournent mal, l’État ramassera les morceaux”

    P. 283 : “ils [les marchés financiers] ont coupé en rondelles les crédits hypothécaires dans des titres, puis coupé en rondelles ces titres dans des produits toujours plus compliqués”

    Les relations incestueuses entre pouvoirs politiques et financiers ont également permis de fermer les yeux sur la face obscure du président du Nasdaq de 1990 à 1993… Bernie Madoff. De même que “les grands coquins” – censés se trouver derrière les barreaux – furent défendus par de puissants cabinets – à l’instar de Covington & Burling et Bryan Cave LLP, Jenner & Block ou encore Morrisson & Foerster – dont certains membres influent ont exercé (et exerceront ensuite) de hautes fonctions au sein du “Ministère public”. Souvenons-nous aussi que sous l’ancienne présidence de la Fed – avant que celle-ci ne donne la patate chaude à Bernanke en guise de témoin – le taux directeur de la Fed n’était-il pas passé de 1% le 25 juin 2003 à 5.25% le 29 juin 2006? Une bombe à retardement ainsi armée. Greenspan (dit le “Maestro”) fervent monétariste et pour lequel Milton Friedman lui vouait une grande admiration, reconnaîtra toutefois devant le Congrès américain, le 23 octobre 2008, “avoir trouvé un défaut dans son système consistant à faire du marché libre le meilleur moyen d’organiser l’économie”. Ce qui n’est pas sans nous rappeler cette autre bourde issue des dogmes monétaristes, mais cette fois-ci commise au sein de la BCE par Trichet. Et celle qui collera ensuite aux pouvoirs politiques – et technocratiques – en privilégiant la voie mortifère de l’orthodoxie budgétaire en laissant les nombreuses supplications du successeur Draghi… en sourdines. L’absence de cette courroie de transmission budgétaire dans la politique monétaire aura des conséquences incommensurables sur les peuples, à l’extrême opposé des opportunistes des marchés financiers, et immobiliers, qui verront leurs profits se mesurer à l’échelle de l’accroissement du fossé des inégalités.

    Pour revenir à la Fed contrant la récession suite à l’événement dommageable de 2008, elle rachètera les dettes des organismes fédéraux spécialistes des prêts hypothécaires et une grande quantité d’obligations du Département du Trésor des États-Unis. Une année plus tard, fin 2009, la Fed aura ainsi acquis pour environ 3 500 milliards de dette pour contenir la crise du subprime aux États-Unis. En 2010, les bénéfices dus à ces dividendes s’élevaient à 82 milliards de dollars, soit plus du double des années précédant la crise. En 2012, l’on constatera que les investissements destinés à aider l’économie américaine auront rapporté gros à la Fed (banque centrale) puisqu’elle enregistrera des profits jamais atteints en 99 ans d’existence. Inutile de préciser que les bénéfices engrangés par la Fed viendront directement renflouer les caisses du département du Trésor des États-Unis, organisme ayant pour fonction de répondre aux besoins fiscaux et monétaires des États-Unis (il va s’en dire que les avantages fiscaux concédés sur l’autel de la concurrence représentent un coût). Ironie du sort, faut-il croire que le fossé des inégalités fut légèrement comblé chez eux? Non, bien évidemment, au contraire. Que ce fossé des inégalités fut alors légèrement comblé sur le Vieux Continent? Non, au contraire et pire encore.

    À présent, ne voyons-nous pas que les ménages de la classe moyenne helvétique se sont fortement endettés à la lueur de la politique non conventionnelle de la BNS, c’est-à-dire lorsque cette dernière a basculé dans le “territoire inconnu” des taux d’intérêt négatifs? Une période où fut acté le phénomène de “répression financière” selon la logique de “bail-in” en cas d’aléa financier majeur. Le gouvernement (par analogie à l’État) pour la “bonne gestion” du budget (que l’on ne doit confondre à celui d’un ménage dans le sens des “sciences économiques”) mais au détriment de ses administrés, que perçoit-il dans la politique non conventionnelle de la BNS dans un environnement économique et financier instable? Quelle est donc sa vision du bénéfice/risque au regard de l’Intérêt général? Car comme le précise si bien l’économiste suisse Vincent Held: “Il y a bien quelqu’un qui doit (devra) payer”…

    (Très instructif)
    https://www.illustre.ch/magazine/bns-aspire-lepargne-suisses

    Ainsi, nous mesurons mieux l’antithèse de “Capitalism and Freedom”. Nous comprenons bien, rétrospectivement, que Friedman n’avait pas complètement tord en s’adressant à ses disciples via son “école de pensée” – qu’il fonda lui-même au sein de l’Université de Chicago (Chicago School of Economics) – en soulignant “combien il est absurde de croire que les individus qui composent les gouvernements sont des sortes d’anges altruistes qui travaillent uniquement pour l’intérêt de la société, plutôt que pour leur propre intérêt”. D’ailleurs, cette injonction paradoxale menée à dessein – dont le but premier visait à discriminer toutes les idées en faveur d’un État à l’ambition sociale – raisonne à présent au mur des réalités et des inégalités. Plus démoniaque fut-il encore – sachant que le néolibéralisme ne peut prospérer en l’absence du soutien Étatique – puisque son idéologie est finalement parvenue à rallier à sa cause l’État lui-même, le reléguant au rôle subalterne d’entité entrepreneuriale épousant sa conception personnelle de la responsabilité sociale.

    Conclusion: il nous faut repenser le débat à l’échelle sociétale, bien au-delà des seuls considérations techniques. Sinon, les mêmes errements produiront des effets toujours plus violents.

    Bien à vous

  4. Dans la continuité de mon post précédent, pour les lecteurs intéressés:

    Qui se souvient encore de l’américain George Stigler (1911-1991) rattaché à “l’École de Chicago”? Il reçu son prix, dit “Nobel d’économie”, en 1982 pour “ses études fondatrices des structures industrielles, du fonctionnement des marchés, et des causes et effets de la régulation publique”. Une époque où les frondes s’articulaient à la mise en bière du “Glass-Seagall Act” par les prophètes de “la régulation des marchés financiers”, sensés refléter toutes les anomalies au travers du “concept d’efficience”. Un dogmatisme idéologique déboulonné depuis, mais toujours présent dans les faits (et ceci en dépit de la loi Dodd-Frank de 2010). La loi “Glass-Steagall” fut la première disposition du New Deal de Roosevelt qui permettait de s’assurer que les banques ne mettent plus en péril l’économie, et l’épargne populaire suite au krach de 1929. Cependant, courant de l’année 1996, le Secrétaire du Trésor déposera une série de demandes de modification législative visant à l’abrogation de la loi “Glass Steagall”, pour voir son abrogation définitive en 1999, sous la présidence Clinton – démocrate – mais avec un congrès majoritairement républicain. Toutefois, le président Clinton ne fera usage de son droit de veto. 

    Déjà en ce temps là, une des figures des Lumières, Adam Smith – dont l’oeuvre emblématique reste maîtrisée par l’éminent professeur au MIT, linguiste, Noam Chomski –  aurait méprisé cette vision du capitalisme post 1970/1980 . Si tout le monde lit le premier paragraphe de “La Richesse des Nations” où il dit combien la division du travail est merveilleuse, peu poursuivent des centaines de pages plus loin, où Adam Smith dit “que la division du travail détruira les êtres humains et transformera les gens en créatures aussi stupides et ignorantes qu’il est possible de l’être pour un humain”, nous rappelle Noam Chomski. “Que par conséquent, dans toute société civilisée, le gouvernement devra prendre des mesures pour empêcher la division du travail d’atteindre ses extrêmes. S’il a bien donné un argument en faveur des marchés, toutefois, l’argument central était sous condition d’une liberté parfaite, les marchés mèneraient à l’égalité parfaite. C’est l’argument en leur faveur, parce qu’il pensait que l’égalité de condition – PAS SEULEMENT L’OPPORTUNITÉ – était ce que à quoi l’on devait tenter d’aboutir”.

    Cet élément revêt une grande importance si l’on reprend la publication de l’édition “savante” du bicentenaire d’Adam Smith, par le grand bastion de l’économie de marché, l’Université de Chicago. L’ouvrage comporte un énorme index et toutes les notes de bas de page, et l’introduction écrite par un lauréat du Prix Nobel, l’économiste George Stigler. Une authentique édition d’érudit? “C’est celle que j’ai utilisée” – en comparaison à l’œuvre originale – nous dira l’éminent et trés respecté  professeur du MIT, Noam Chomsky, puriste de Smith. Avant de poursuivre avec un brûlot de sa plume: “C’est la meilleure version. Le cadre académique était très intéressant, y compris l’introduction de George Stigler. Il est probable que Stigler n’a jamais ouvert “La Richesse des Nations”. Presque tout ce qu’il dit du livre est complètement faux, mais d’une certaine façon, l’index était encore plus intéressant. Adam Smith est très connu pour son plaidoyer en faveur de la division du travail. Regardez dans l’index « division du travail » : il y a des tas de choses listées. Mais il y en a une manquante, à savoir sa dénonciation de la division du travail, celle que je viens de citer. Je ne sais pourquoi mais elle est absente. Et ça continue comme ça”.

    Non seulement la pensée unique, d’ordre néolibéral chez les économistes mainstream, a gangréné le pluralisme des sciences économiques mais le modèle éducatif conditionné a aussi porté sa pierre au grand édifice…(réf mon post daté)

    (02 novembre 2020 à 12:42)

    https://blogs.letemps.ch/sergio-rossi/2020/11/02/la-fete-des-morts-qui-ressuscitent-comme-des-zombies/

  5. Dans le monde d’après Covid-19, nos classes moyennes et nos retraités seront-ils majoritairement “chiliens” au sens d’un “mirage économique”?

    Quelques mois avant la pandémie, le Chili, présidé par Sebastian Piñera, était encore cité comme un exemple de stabilité économique et politique en Amérique latine. Un “modèle économique et social” dont la source remonte à la dictature Pinochet, ainsi qu’à la stratégie volontariste de libéralisation menée aux forceps par une troupe d’élites des “sciences économiques”. Et, si ce “miracle économique” a vu l’ascension des hauts revenus (accroissant les inégalités) dans un contexte prospère du fait de la nature de sa croissance, de la privatisation de pans entiers de son économie, néanmoins de vastes secteurs sont aussi apparus très vulnérables. Désormais, les classes moyennes basses qui veulent que leurs enfants fassent des études ont des budgets devenus trop justes, tandis que les familles ayant pris des crédits se retrouvent maintenant dans l’angoisse de l’endettement à cause d’un pouvoir d’achat ayant fini par décliner. Aujourd’hui, les contestations se cristallisent autour de l’éducation et des retraites, car si 10% du salaire des employés chiliens reste ponctionné pendant la vie active, beaucoup perçoivent une retraite inférieure au salaire minimum; d’autant que les dépenses sociales sont relativement faibles dans le pays.

    Durant ce choc extrême vécu par le peuple lors du renversement du président Allende par la junte du Général Pinochet (dictature militaire de 1973 à 1990), le Chili restera emblématique quant à son rôle de “laboratoire avancé du néolibéralisme”. En effet, c’est à cette aune que l’on mesure la participation des économistes latino-américains. Des diplômés de l’Université de Chicago et d’autres universités américaines, les “Chicago Boys” (Jorge Cauas, Sergio de Castro, José Piñera, Hernán Büchi, etc.) auront contrôlé le ministère des Finances pendant plus de onze ans, “le Plan” pendant plus de neuf ans, le ministère de l’Économie pendant cinq ans et demi, et, en général, les principaux postes clés à partir de 1975. Comme le dit J. Piñera – un “Chicago Boy” de Harvard – “ils ont pénétré des domaines traditionnellement hors des limites de la rationalité économique comme les relations du travail, la sécurité sociale, l’éducation, la santé, la gestion municipale et même la défense”. Les “Chicago Boys” auront ainsi prôné pour la première fois le modèle néolibéral. Dans le langage de l’économiste Friedrich von Hayek*, on pourrait dire qu’ils ont mené à bien une révolution “constructiviste” grâce à un despotisme technocratique. Entre 1973 et 1981, les “Chicago Boys”, pionniers de l’ultralibéralisme, ont entamé une série de “réformes” compatibles avec le décalogue de la première version du consensus de Washington, proposée à la fin des années 1980: liberté totale des prix; ouverture indiscriminée aux importations; libéralisation du marché financier aussi bien en termes de taux d’intérêt que d’allocation du crédit; large libéralisation des flux internationaux des capitaux; réduction de la taille du secteur public; privatisation des entreprises publiques traditionnelles; suppression de la majorité des droits syndicaux; réforme fiscale pour réduire les impôts directs et les rendre plus progressifs (toutefois sans trop atteindre le haut du perchoir); introduction des premiers systèmes de retraite par capitalisation.

    L’an passé – en pleine pandémie – des files d’attente interminables s’étiraient dès l’aube devant les établissements financiers: des Chiliens se pressaient pour réclamer une partie de leur épargne-retraite afin d’améliorer leur subsistance par anticipation, après une décision historique du Parlement donnant le feu vert aux retraits successifs de 10% de la totalité des fonds de pension à capitalisation individuelle et privée. Ces ponctions répétées remettent ainsi en question la pérennité de ce système de retraites mis en place pendant la dictature du Général Pinochet, sous l’influence des “Chicago Boys” – nourris à l’idéologie de Friedman – qui testaient là, au Chili, leurs théories néolibérales. On l’aura donc compris, même si certaines difficultés sont spécifiques à leur système de prévoyance, d’autres sont communes à la plupart des systèmes de retraite de par le monde avec, dans la foulée, des taux d’intérêt sur le capital – pour des placements dits “sans risques” – qui n’ont eu cesse de se contracter durant les décennies passées. Tandis qu’à l’opposé, “grâce” à la socialisation des errements financiers durant ces vingt ans écoulés, les performances boursières (et spéculatives) ont atteint des sommets inégalés. Une manne providentielle s’est ainsi offerte à tous les acteurs de ce genre de système de prévoyance financiarisé et dont les assurés restent otages. Le taux réel sur emprunt d’État chilien étant proche de 0% (négatif en Suisse) et la tendance est là pour durer. De même, la démographie s’approche rapidement du modèle européen en termes de natalité et d’espérance de vie.

    Pour la petite histoire, sachant que l’armée jouit encore d’un poids économique et politique non négligeable dans le pays, le gouvernement militaire n’a préservé son système de prévoyance par répartition que pour les personnels de l’armée, qui jouissent aujourd’hui de conditions de retraite jalousées du reste des salariés chiliens soumis au système par capitalisation.

    Enfin, et pour terminer, à l’heure où le pillage de l’ensemble des richesses se démocratise dans une résilience consternante, le peuple helvétique devrait garder à l’esprit que le pays compte non seulement 2000 caisses de pension, mais aussi que la gestion de ce “trésor de guerre” est externalisée pour un coût de 5% par an. Dans un tel contexte généralisé – considérant les aspects démographiques – toute promotion du réhaussement de l’âge légal de la retraite au motif de l’allongement de l’espérance de vie est un alibi. Au pire, un sophisme.

    * Friedrich von Hayek (1899-1992) est un économiste et philosophe austro-britannique. Il reste l’un des pères du néolibéralisme de l’École autrichienne avec l’économiste Ludvic von Mises (1881-1973). La Société du Mont-Pélerin sera fondée par Hayek et Mises en 1947. Puis l’économiste américan Friedman y fera son entrée avec son idéologie néolibérale quelque peu différente de l’École autrichienne. À la première réunion participent trente-six personnalités “libérales” réunies à l’Hôtel du Parc au Mont-Pèlerin, sur les hauts de Vevey. Ce réservoir d’idées et de promotion du néolibéralisme sera financé par des banquiers et patrons d’industrie helvétiques (ce même genre de groupes d’influence qui n’a d’ailleurs jamais cessé sa générosité envers les partis politiques suisses, notamment.

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