L’automne sera chaud sur le plan économique

La pandémie du Covid-19 pourrait donner lieu à une deuxième vague sur le plan sanitaire cet automne, à la lumière de l’augmentation du nombre de personnes ayant été infectées par le nouveau coronavirus.

Indépendamment de cette deuxième vague, l’automne sera chaud sur le plan économique, étant donné que les stratégies des entreprises et les choix de politique économique continuent d’ignorer que notre système économique ne sera plus jamais comme celui que nous avons connu avant l’éclatement de la pandémie.

D’un côté, les dirigeants de bien des entreprises vont augmenter la pression à la baisse sur les salaires de la classe moyenne, pour essayer de récupérer ainsi les pertes de gain observées durant la période de confinement suite à la pandémie. Cette tentative ira toutefois à l’encontre de leurs propres intérêts car les entreprises gagnent sur le marché des produits ce qu’elles dépensent sur le marché du travail, étant donné que les travailleurs sont tous des consommateurs de biens et services. La diminution de la capacité d’achat des travailleurs dépendants sera accompagnée par une réduction de celle des travailleurs indépendants, eux aussi frappés par les conséquences économiques de la pandémie.

De l’autre côté, les choix de politique économique vont viser l’équilibre des finances publiques et la stabilité des prix à la consommation, même si la politique des taux d’intérêt négatifs n’agit pas sur la capacité d’achat des consommateurs (surtout ceux de la classe moyenne et de la classe inférieure) mais avantage les propriétaires du capital financier qui s’enrichissent au détriment de la stabilité économique et de la cohésion sociale. Pour sa part, l’équilibre des finances publiques va endommager aussi bien la stabilité économique que la cohésion sociale, parce qu’il sera atteint à travers une forte réduction des dépenses publiques au lieu d’une augmentation considérable de celles-ci pour soutenir l’ensemble de l’économie et de la société à long terme.

Lors d’une crise économique globale dont la portée est historique, il faudrait abandonner les dogmes qui ont créé les conditions-cadres ayant fait éclater la pandémie, pour étudier l’histoire de la pensée économique afin de redécouvrir l’importance des dépenses publiques pour la relance économique. Les domaines dans lesquels il est nécessaire d’augmenter les dépenses publiques sont sous les yeux de tout le monde. Pour les voir clairement, les politiciens au pouvoir doivent toutefois ouvrir leurs yeux : un œil sur l’offre et l’autre sur la demande. Seulement de cette manière ils pourront avoir une vision systémique des problèmes, qui leur permettra de comprendre quelles sont les solutions à mettre en œuvre pour satisfaire l’intérêt général et contribuer au bien commun.

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.

2 réponses à “L’automne sera chaud sur le plan économique

  1. Nous ne sommes malheureusement plus au temps des Lumières, cher professeur, puisque cette machine infernale qui atrophie nos sociétés modernes nous a déjà ramené au siècle des obscurantismes. Prêcher dans le désert n’est-il pas le fardeau des économistes hétérodoxes tout comme notre approche copernicienne une relique barbare? Rappelez-vous cet extrait d’une de vos chroniques qui illustre l’exosquelette de cette machine infernale: “L’approche néolibérale n’a pas réduit l’intervention de l’État dans le système économique, mais a permis aux pouvoirs forts dans ce système de contrôler les institutions publiques afin d’utiliser le rôle de l’État pour atteindre l’objectif final du néolibéralisme, qui consiste à mettre le plus grand nombre possible de personnes dans une situation de besoin – donc dans une position de faiblesse et de servitude face à ces pouvoirs forts, leur permettant ainsi de faire leurs propres intérêts sans aucun type de contrainte”.

  2. Avec la crise sanitaire qu’on pensait à tort qu’elle allait s’évanouir avec la chaleur de l’été, une chose est certaine, c’est que nous continuons de naviguer dans un océan d’incertitudes et que cet état de fait a de fortes chances de perdurer tant qu’un vaccin ou un traitement efficace n’aura pas été mis au point.
    Cependant les crises n’ont pas que des inconvénients, tout particulièrement quand elles nous aident à nous débarrasser des dogmes et des croyances erronées en matière de politique économique. De ce point de vue, le professeur Rossi a raison d’inviter les dirigeants politiques à rompre avec les dogmes et à mettre en œuvre des mesures économiques en faveur de l’offre et de la demande. Ainsi les règles budgétaires et monétaires conçues comme des règles de bonne gestion ont volé en éclats : la zone euro a mis entre parenthèses le pacte de stabilité budgétaire et de croissance, sans doute la vertueuse Suisse serait-elle contrainte de suspendre le mécanisme de frein à l’endettement en cas d’aggravation du chômage, les banques centrales mènent des politiques monétaires ultra-accommodantes sans craindre le dérapage inflationniste.
    Avec le choc sanitaire nous avons l’impression que nous avons basculé dans un monde où l’Etat est réhabilité en tant qu’assureur et protecteur du bien commun. Mais en vérité ce n’est qu’un répit illusoire de courte durée, car les gardiens du temple néo-libéral en pleine tempête du covid viennent de sonner la charge contre l’argent magique, l’explosion de la dette publique et ses conséquences négatives sur le bien-être des générations futures , le poids des dépenses publiques dans le PIB, le scandale du chômage partiel, les norme sanitaires imposées aux entreprises au nom de la logique selon laquelle la santé des salariés est plus précieuse que celle de l’économie.
    De toute évidence la crise sanitaire a impacté fortement les économies et ce en dépit du soutien public en matière de garantie des prêt bancaires aux entreprises et du chômage partiel. Sans doute ce dispositif devrait être non seulement prolongé mais aussi complété par la mise en place d’un revenu universel temporaire pour les salariés précaires ou travaillant dans l’économie souterraine. Ce que nous avons appris avec les crises récurrentes c’est que les forces de marché ne peuvent pas fonctionner correctement dans les situations de risque systémique et de non-coopération. A ce propos l’article du Rossi professeur donne une illustration en ce qui concerne l’interaction entre ménages et entreprises, laquelle donne lieu à des externalités négatives sous forme de chômage involontaire et de contraction de l’activité. En clair les comportements rationnels non-coopératifs des acteurs privés conduisent à une situation collective non-optimale dont l’issue réside dans la mise en oeuvre d’une politique budgétaire expansionniste ( augmentation des dépenses publiques).
    Comme chacun sait l’économie est composée en gros de trois catégories d’ agents : les ménages, les entreprises et les Administrations ou l’Etat en faisant abstraction du secteur bancaire et du reste du monde. Les ménages vendent leurs services de travail aux entreprises contre de la monnaie et achètent des biens et des services produits par celles-ci. Les entreprises utilisent le travail et le capital pour produire des biens et services qu’elles vendent aux consommateurs contre de la monnaie. Pour illustrer la proposition du professeur Rossi qui nous montre comment l’interaction entre le secteur des entreprises et celui des ménages peut conduire à un déséquilibre ou un équilibre de sous-emploi, celui précisément décrit par Keynes dans sa « Théorie Générale ».
    Quand les entreprises subissent une contrainte sur leurs ventes, il est peu probable qu’elles maintiennent leur emploi à un niveau constant du fait que les ajustements par les prix à court terme sont exclus en raison de l’imperfection de l’information sur l’environnement. Ainsi la demande de travail sera ajustée au niveau des ventes réalisées. Nous devons donc nous attendre à ce que chaque entreprise se sépare d’une partie de son personnel sans tenir compte du fait que son action rationnelle au plan individuel peut affecter négativement son environnement en l’occurrence la baisse de la demande globale, l’augmentation du chômage et le coût pour la collectivité sous la forme de l’assurance-chômage. De même quand un individu ne parvient pas négocier les quantités désirées de travail, il révisera à la baisse son plan de consommation et si tous les individus adoptent le même comportement, ils vont renforcer le rationnement des entreprises sur le marché des biens et services, lesquelles à leur tour révisent à la baisse leur demande de travail Ainsi les ménages et les entreprises se contraignent inconsciemment et mutuellement en déclenchant un processus de multiplicateur keynésien à rebours, lequel se manifeste sous la forme d’effets de report ou spillover effects La conséquence ultime en bien évidemment une situation non-coopérative au sens de la théorie des jeux et donc non-optimale du fait que chacun considère ses propres ses décisions comme une goutte dans un océan.
    Sans l’intervention de la puissance publique, ce scénario risque de se réaliser dans un proche avenir avec les faillites des entreprises et les plans de licenciements. D’où la nécessité de mettre en place un plan de relance qui doit agir à la fois sur l’offre et la demande. En outre le plan de relance doit réduire l’incertitude économique pour donner envie aux consommateurs de dépenser et aux entreprises d’investir et d’embaucher. La question fondamentale à laquelle les dirigeants politiques sont confrontés est comment donner envie de boire à un âne qui n’a pas soif.
    A ce propos je ne connais pas la réaction des pouvoirs publics suisses à la crise, en revanche, je connais bien le plan de relance à 100 milliards d’euros du gouvernement français. Il est frappant de constater qu’un tel plan fait la part belle à l’offre et aux changements structurels tels la rénovation énergétique des bâtiments ou la transition énergétique dans le secteur de l’automobile. D’autre part la plupart des mesures n’ont aucun lien avec l’épidémie et l’urgence de la situation économique avec la menace de la faillite d’un grand nombre d’entreprises qui ne sont pas forcément des entreprises zombies et les licenciements secs d’un grand nombre de salariés.
    Certes les mesures en faveur de l’offre et du climat sont les bienvenues, mais elles ne peuvent produire leurs effets qu’à moyen et long terme, en raison notamment des délais administratifs et de l’acceptation du plan européen de relance par les parlements des pays membres. Ainsi la rénovation thermique des bâtiments ne se fait par un claquement de doigts. Selon plusieurs experts le plan de relance français commencera à produire ses effets à partir de 2022, c’est une année d’élection en France. Cette coïncidence fortuite est sans doute un hasard du calendrier !

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