L’Union européenne est en récession démocratique

Dix ans après l’éclatement de la crise dans la zone euro, l’Allemagne est en récession économique. Cela n’est pas surprenant, au vu des politiques d’austérité qui frappent aussi l’économie allemande – qui les avait imposées à l’ensemble de l’Euroland. Un nombre croissant de politicien.ne.s allemand.e.s semble désormais vouloir abandonner la politique du « schwarze Null » visant l’équilibre budgétaire, afin de relancer l’activité économique par une augmentation des dépenses publiques pour stimuler la croissance du Produit intérieur brut (PIB) – l’indicateur principal, voire unique, que la majorité des politicien.ne.s et des économistes considère pour savoir si un pays se porte bien ou mal sur le plan économique.

En fait, déjà bien des années avant l’éclatement de la crise de la zone euro, l’Union européenne (UE) est entrée en récession démocratique. L’introduction de l’euro ainsi que les politiques économiques néo-libérales mises en œuvre dès les années 1990 ont induit une perte de bien-être économique pour une partie importante de la population européenne. La crise éclatée dans la zone euro a fait augmenter visiblement le nombre de personnes en difficulté financière, mais n’est pas la cause essentielle de cette situation. Le « péché originel » se trouve dans l’idéologie du « libre marché » en tant que source de la croissance et du bien-être économique. Cette idéologie a paupérisé un nombre croissant de personnes à travers l’UE (et bien au-delà), péjorant aussi l’environnement et réduisant de manière pernicieuse les démocraties du Vieux continent, où les populistes et les « souverainistes » agitent les foules pour des raisons électorales.

Pour contrer ces dérives et renverser la vapeur, il faut un « Green New Deal » que les pays membres de l’Euroland doivent mettre en œuvre afin de remettre sur pied la démocratie dans l’UE. La priorité ne doit pas être l’équilibre budgétaire du secteur public ni la croissance du PIB : il faut assurer avant tout une existence digne à toute personne, offrant les services publics dont chacun a besoin pour faire partie de la société. Seulement de cette manière il sera possible de soutenir la croissance économique mesurée par le PIB, atteignant à long terme l’équilibre budgétaire en tant que conséquence (plutôt que comme prérequis) des choix de politique économique.

L’UE ne peut pas se permettre de s’effondrer, parce qu’elle tire ses origines de la volonté d’éviter une nouvelle guerre mondiale. Les politicien.ne.s allemand.e.s – entre autres – doivent en être conscient.e.s, avant que cela soit trop tard.

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.

10 réponses à “L’Union européenne est en récession démocratique

  1. Très bon article. Pour relancer l’endettement en Europe il convient de modifier les traités qui encadrent la création de la monnaie unique notamment Maastricht (la limite de 60% du PIB). C’est toujours facile de trouver des solutions qui nécessitent l’augmentation de la dette. L’endettement doit impérativement s’accompagner d’une dévaluation de la monnaie, sinon ça équivaudrait à manger le pain blanc des futures générations.
    Les américains le font (dettes % dévaluation) depuis environ 33 ans et leur économie fonctionne plutôt bien.

  2. Bonjour Elie Hanna,

    Non, l’endettement ne doit pas impérativement s’accompagner d’une dévaluation monétaire. Et les États-Unis ne sont pas le bon exemple en la matière étant donné le statut hégémonique de leur devise vu sous l’angle d’une monnaie de réserve mondiale. On peut aussi se souvenir du dogmatique Jean-Claude Trichet, coulé dans le moule néo-libéral (ou ordolibéral par peur sans doute des claquements de bottes de Berlin), et dont son obsession anti-inflationniste a contribué à gonfler l’excès de dettes dans le public comme dans le privé. Sans compter les sauvetages bancaires post 2008 via les fonds publics. La seule façon de réduire l’endettement est d’abord de relancer l’économie en rendant du pouvoir d’achat à celles et ceux qui dépensent vraiment dans le cadre de la vraie économie. En ce sens, seules les classes pauvres et moyennes sont concernées et profitent réellement à l’activité économique car elles seules sont responsables de la croissance. Les classes aisées – et l’actionnariat au premier plan – thésaurisent ou investissent sur les marchés financiers en abattant les cartes de la financiarisation. Ce ne sont effectivement pas tant nos usines, nos industries et nos entreprises qui ne sont pas assez productives – déjà qu’elles n’arrivent plus à écouler pleinement leur production dans un contexte où la demande agrégée est anémique, placant ainsi au pilori les partisans de la politique de l’offre – car la productivité réelle a bel et bien été captée au bénéfice d’une élite qui a assisté, totalement indifférente, au creusement d’un fossé entre salaires réels et la productivité. Il faut donc déjà rétablir la corrélation traditionnelle entre productivité, salaires réels et consommation, car cette confiscation en bonne et due forme de l’appareil économique fut entreprise depuis la fin des années 1970 (ère du monétarisme) par une infime minorité qui – sous le faux-semblant de l’effet de ruissellement et de la théorie des marchés parfaits et efficients – a redistribué le produit du travail des autres largement en sa faveur. Voilà pourquoi les revenus du citoyen moyen n’ont pas progressé autant que la productivité du travail. Voilà pourquoi le dogme néo-libéral nous demande constamment d’améliorer la productivité de nos entreprises. Faire des cadeaux fiscaux aux entreprises – toujours sous de faux prétextes – sans s’assurer de récupérer ces fonds à un moment donné n’a aucun sens sur le plan économique. Le devoir d’un État, s’il est d’abord de soutenir son économie, ses chômeurs, pérenniser son filet social de sécurité en mettant tout en oeuvre pour atténuer la déprime en redonnant de la confiance (évitant également dans un contexte donné l’effet de trappe à liquidité), il lui incombe aussi de se rembourser une fois la conjoncture redressée. L’économiste John Maynard Keynes disait que l’État devait rembourser sa dette en cas de reprise, ne serait-ce que pour ne pas hypothéquer l’avenir. Or, les périodes fastueuses sont le moment idéal pour pratiquer l’orthodoxie budgétaire et non les périodes de crise économique. La dépense de l’un étant le revenu de l’autre, ce sont donc les recettes de l’ensemble des consommateurs, des intervenants et des entrepreneurs qui sont ainsi condamnées à s’effondrer s’ils réduisent tous leurs dépenses en même temps dans le but de rembourser leurs dettes ; ce faisant, la problématique de la dette ne fait qu’empirer car « plus les débiteurs paient et plus ils doivent », disait l’économiste Irving Fisher en décrivant cette calamité qu’est la « déflation par la dette ». Mario Draghi – ex président de la BCE, n’a-t-il pas prêché dans le désert – et à plusieurs reprises durant son mandat – qu’ « avec l’aide d’une politique budgétaire commune, la politique monétaire pourrait ­atteindre plus rapidement son objectif et avoir moins d’effets ­secondaires ». Tout en cachant à demi-mesure que les bulles spéculatives et la politique monétaire entretiennent une liaison dangereuse, faute d’une courroie de transmission budgétaire. Mais n’est-il pas de la responsabilité des gouvernements de maîtriser ce principe élémentaire ? Par ailleurs, comme l’a très justement dénoncé Joseph Stiglitz, économiste et titulaire du prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel, aujourd’hui le thermomètre PIB est obsolète car la richesse d’un pays ne peut désormais plus s’évaluer sur la seule base de sa production : « Le Produit Intérieur Brut (PIB) ne constitue pas un bon outil pour calculer la croissance et la qualité de vie. En considérant les mauvais facteurs, nous prenons les mauvaises décisions. ». Quant à « l’étude peu conventionnelle » de Paul Krugman – Viagra et richesse des nations – lui aussi économiste hétérodoxe et adoubé du même prix que Stiglitz, son papier est révèlateur : « Le Viagra a rendu des millions de gens plus heureux. En tout cas, statistiquement, il faut le croire. Ce bonheur est-il pris en compte dans le P.I.B ? Évidemment, non ! L’indice, lui, n’a enregistré que la fabrication du produit. Donc, on a créé du bonheur – en tout cas, du mieux-vivre – mais, dans les chiffres, cela se réduit à une toute petite production pharmaceutique ».

    Bien à vous

    Voici comment les QE ont ruisselé:
    https://www.zerohedge.com/s3/files/inline-images/how%20qe%20works%20in%20practice.jpg?itok=3994DpPy

    1. Bonjour,

      Beaucoup de nos idées sont communes. Lisez SVP mon article / le PIB sur Linkedin et mon article sur l’inflation sur mon site http://www.hfamilyoffice.ch

      Il faut commencez par arrêter cette stupidité qui est la globalisation, ainsi chaque pays regagnera son territoire et sa liberté d’action. L’UE est l’Europe des Nations selon ses pères et elle fait exactement le contraire.

      Cordialement,

  3. Bonjour,
    Je vous suggère de lire cet article de Dalio, qui pour moi explique bien les travers dans lequel est aujourd’hui le capitalisme, avec ses excès qui détruisent les classes moyennes et paupérisent tous les autres, sauf les ultra-riches qui augmentent leur fortune de manière incroyable.
    The World Has Gone Mad and the System Is Broken
    https://www.linkedin.com/pulse/world-has-gone-mad-system-broken-ray-dalio/
    Ça va mal finir, tous les peuples se révolteront (ça a commencé).
    Serge

    1. Selon Bloomberg, qui reprend les chiffres récents de la Réserve fédérale: “la fortune du pourcent le plus riche est ainsi sur le point de dépasser celles, combinées, des classes moyennes et moyennes supérieures. Les actifs du 1% représenteraient ainsi 35.400 milliards de dollars. La richesse de celles et ceux se situant entre les 50 et 90% les plus riches, soit la classe moyenne et moyenne supérieure selon les critères américains, s’établirait quant à elle à 36.900 milliards de dollars. Toujours selon la Réserve fédérale, les 10% les plus riches détiendraient – en 2019 – 63,8% de la richesse totale du pays, les 90% restants se partageant les miettes plus ou moins grosses selon la position sur l’échelle sociale. La tendance, depuis quinze ans, est à l’accroissement rapide des inégalités: la répartition était de 57,4% contre 42,6% en 2005. Quant aux 50% les moins riches, malheur à eux: ils ne possèdent que 6,1% des actifs totaux du pays, et doivent supporter le poids de 35,7% des dettes totales contractées par la population américaine”.

      Eh oui, comme chacun devrait le savoir à l’ère de la financiarisation, à contrario de la valeur travail, le capital, lui, n’a plus à passer par le détour de la production pour fructifier car sa simple circulation engendre une création de capital neuf. Et, bien que les économistes « mainstream » persistent sur la voie déjà désavouée par les résultats issus du groupe de travail du FMI en 2015, ou encore ceux prévalant en 2014 et produit par l’OCDE sur les effets du ruissellement (trickle down theory), cette théorie est à ranger depuis des lustres dans le tiroir des mythes.

  4. L’image est fort bien choisie: un drapeau qui se délite… en y réfléchissant mieux, il ne s’agit pas que de l’UE, mais d’un modèle dominant, d’une vision économique qui nous plonge vers le néant. Je doute qu’il suffise de changer quelques paramètres comme le taux d’endettement pour parvenir à remettre le bateau à flot car tout se tient. Sans rééquilibrage en faveur de la cohésion sociale, aucune nouvelle politique. S’il est une image qui illustrera à jamais ce début de siècle, c’est bien celle de ces trois tours réduites en poussière s’écroulant à la vitesse de la chute libre… aucune résilience.
    Cela n’est pas nouveau, durant le 19ème et le 20ème siècles, guerres et révolutions ont orienté des changements profonds tous les 75 ans environs. Le dernier est consécutif à la seconde guerre mondiale. Aujourd’hui, le prix des guerres rend cette option impossible.
    Toutes les réflexions permettant d’esquisser le monde de demain sont indispensables et urgentes. Qu’allons nous rebâtir? Avec quoi? Avec qui? Comment?
    Déjà le PIB n’apparait plus comme le fil à plomb pour ce chantier. Alors quoi?
    Quelle sera la place de la finance? sous quelle forme? Quelles lois et quel encadrement?
    Si vous me demandiez des solutions techniques, je pourrais vous répondre, mais qui les mettra en oeuvre?
    Parfois je me mets à rêver d’un think tank aussi efficace qu’a pu l’être la franc maçonnerie dans l’introduction de la démocratie libérale.

  5. “Pour contrer ces dérives et renverser la vapeur, il faut un « Green New Deal » que les pays membres de l’Euroland doivent mettre en œuvre afin de remettre sur pied la démocratie dans l’UE.”
    Peut-être mais cela est impossible dans le cadre de l’UE qui est un groupe de pays qui ne tirent pas dans le même sens pour la simple et bonne raison qu’ils n’ont strictement aucun intérêt (particulier) à le faire.
    L’UE est un projet de vassalisation de l’Europe par les États-Unis, rien d’autre. Si ce n’était pas le cas, demandez-vous pourquoi le secrétaire au trésor américain ne voulait pas que l’euro éclate.
    https://www.zonebourse.com/-16221/actualite/Tim-Geithner-exhorte-les-pays-de-la-zone-euro-a-s-activer-pour-eviter-le-pire-13801158/

    Par ailleurs, la règle de l’unanimité implique que les deux traités de l’UE que sont le Traité sur le fonctionnement de l’UE (dit de Maastricht) et Traité sur l’UE (Traité de Lisbonne) ne peuvent être modifiés qu’avec l’aval de TOUS les États membres, ce qui n’est jamais arrivé et n’arrivera jamais pour la simple et bonne raison que l’UE est un groupe de pays qui ne tirent pas dans le même sens parce qu’ils n’ont strictement aucun intérêt (particulier) à le faire.

    #Frexit
    #UPR

  6. Cela n’a rien d’une statistique exacte. Il s’agit juste d’une observation: les systèmes ont souvent une durée de vie comparables à celle des hommes. Seul leur souplesse permet de les réformer en douceur dans la durée. Mais en gros, le système bolchévique aura duré de 1917 à 1991. Si l’on remonte à la fin du 18ème siècle avec les révolutions americaines et françaises, nous observons une crise au milieu du 19ème avec la guerre de sécession, les révolutions de 1848 et l’instauration du suffrage universel, le Sonderbund, etc… Viennent ensuite la crise de 1929, le fascisme et les deux guerres mondiales comme un tremblement de terre aux nombreuses répliques qui mettra fin au capitalisme patriarcal en ouvrant une nouvelle ère avec le New Deal et la pax americana. Il me paraît évident que nous sommes à la fin de cette période. Que signifie le New Deal aujourd’hui? Où sont les alliances et les valeurs que les US ont fièrement exportées avec génie en 1945?.. Et personne de raisonnable ne peut ignorer les points de basculement climatiques et l’incompatibilité du modèle libéral actuel avec la limite des ressources. Donc, oui, nous sommes devant une incontournable refondation.

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