L’Allemagne doit remercier la BCE

Les politicien.ne.s et la population en Allemagne, ainsi qu’une grande partie de la presse, n’arrêtent pas de critiquer la Banque centrale européenne (BCE), parce qu’elle continue de mettre en œuvre sa propre politique monétaire ultra-expansive, au détriment des épargnants allemands et d’autres pays européens, qui doivent supporter les intérêts négatifs sur leurs dépôts bancaires ainsi que les rendements négatifs des titres de la dette publique.

En fait, si la BCE doit continuer à adopter une telle politique monétaire, c’est à cause de l’attitude de l’Allemagne, qui a imposé des politiques d’austérité draconienne aux pays membres de l’Euroland qui souffrent le plus de la crise systémique éclatée dans la zone euro il y a désormais dix années, lorsque le nouveau gouvernement élu en Grèce révéla que la situation des finances publiques était bien pire de ce qu’on avait laissé entendre auparavant.

La politique monétaire de la BCE, en effet, cherche principalement à contraster les effets récessifs qui sont induits par les politiques d’austérité, à travers des interventions considérées comme étant « non-conventionnelles » par celles et ceux qui ont une vision néo-libérale de la politique économique.

À vrai dire, en réalité, l’expansion monétaire de la BCE favorise la classe supérieure et n’aide pas la classe moyenne de la population en Allemagne (comme ailleurs dans la zone euro). Les riches profitent des effets que la politique monétaire de la BCE engendre, dans la mesure où elle augmente les prix des actifs financiers et ceux des terrains et des immeubles dont sont propriétaires les personnes nanties – dont la richesse augmente alors sans aucun mérite ni fondement dans l’activité économique.

La classe moyenne, par contre, subit les effets négatifs des politiques d’austérité, qui ont baissé la qualité ou le volume des services publics offerts à la population, suite à la diminution des dépenses publiques imposée par la classe dominante en Allemagne (comme ailleurs). Cela comporte aussi une réduction du niveau d’emploi dans le secteur public, qui tôt ou tard induit aussi une augmentation du chômage dans l’économie privée, vu que de nombreuses entreprises ont plus de peine à écouler leurs biens et services suite à la réduction des dépenses publiques.

Si les politicien.ne.s et la population en Allemagne veulent mettre fin à la politique monétaire ultra-expansive de la BCE, elles ne doivent faire rien d’autre qu’accepter l’augmentation des dépenses publiques, dans leur propre pays et a fortiori dans les pays le plus lourdement frappés par la crise de la zone euro. Cela permettra de relancer et soutenir l’économie de ces pays, augmentant aussi le niveau d’emploi et les salaires, avec des répercussions positives sur les recettes fiscales engrangées par l’État (qui pourra ainsi rembourser les dettes accumulées pour relancer l’ensemble de l’économie).

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.

4 réponses à “L’Allemagne doit remercier la BCE

  1. Eh oui, cher professeur, la théologie Luthérienne demeure si profondément ancrée (mais toutefois grossièrement sélective) dans les entrailles du modèle ordolibéral de gouvernance de l’Allemagne, que celui-ci a une fâcheuse tendance – par son orthodoxie paranoïaque – à chasser les vieux démons de son histoire. Pourtant, elle est riche d’enseignants, surtout à l’heure des populisme. Rappelons-nous de 1930, alors que l’Allemagne se remettait doucement de la période d’hyperinflation de 1923 et 1924 (et ses traumatismes après ceux de WW1) l’onde de choc de la grande dépression traverse l’Atlantique et frappe l’Europe toute entière. Le pays est touché en profondeur. De 650 000 en 1928, le nombre de chômeurs progresse rapidement pour atteindre le seuil de 3 millions en 1930. C’est dans ce contexte de crise économique que le Président Hindenburg va désigner Heinrich Brüning à la Chancellerie. A son arrivée au pouvoir, le nouveau Chancelier se fixe plusieurs objectifs : résorber le chômage, rétablir la balance commerciale et les déficits du pays mais surtout l’obtention de la révision du plan Young, c’est à dire la suppression de la dette due au titre des réparations de guerre. Afin de rendre une telle décision possible, Brüning juge indispensable de rétablir les comptes de la nation. La stratégie suivie est d’adoucir la position de ses créanciers par un affichage de rigueur et de vertu. Dès lors pour Brüning, il n’y a pas d’alternative, c’est une politique d’austérité qui s’impose dans un contexte pourtant déjà déflationniste. Le 16 juillet 1930, Brüning soumet son projet au Reichstag : réduction de 10% du salaire des fonctionnaires, diminution des indemnités chômage, augmentation des impôts. Le projet est cependant rejeté. Brüning tente alors de passer en force, sans succès. La dissolution devient inévitable, elle aura lieu le 22 juillet. Mais les électeurs vont d’ores et déjà se montrer récalcitrants face au programme qui les attend. Si les élections de la mi-septembre voient le SPD (parti social-démocrate) progresser, c’est le parti nazi (NSDAP) qui réalise une forte percée à 18% des voix. Le parti de Heinrich Bruning, le “Zentrum”, n’obtient de son côté que 11% des suffrages. La pression sur le Chancelier est alors maximale, mais il reste déterminé. Face au nouveau blocage du Parlement et en vertu de l’article 48 de la constitution Heinrich Brüning va alors gouverner par décrets, et ce, avec le soutien du Président Hindenburg. A la fin de l’année 1930, les premières mesures sont prises, la politique d’austérité entre dans le dur. Les résultats sont catastrophiques pour le pays. La politique menée par Brüning aggrave une situation déjà calamiteuse. Le 1er juin 1931, le clou s’enfonce encore un peu plus. Un nouveau décret-loi s’attaque à la protection sociale ; baisse de 14% de l’aide aux chômeurs, les femmes ne sont plus indemnisées, tout comme les moins de 21 ans, baisse des allocations familiales, hausse des impôts de 4 à 5%.  Malgré son évident caractère  “récessioniste”, la politique est poursuivie avec vigueur. Lors de cette année 1931, la crise économique atteint son paroxysme en Allemagne et le PIB se contracte de 7%.  Au cours de l’été 1931, la faillite bancaire démarrée en Autriche se propage à l’Allemagne. En moins de deux années, la politique d’austérité enterre l’économie du pays. Suite aux élections présidentielles de 1932, et la victoire d’Hindenburg, Brüning  se voit contraint de “démissionner”. Fin 1932 Le chômage atteint un niveau de 30% de la population active, soit 5 millions de personnes dont la moitié n’est pas indemnisée. La production industrielle s’est effondrée de près de 30% en deux ans. La population est excédée. La conférence de Lausanne de juillet 1932 permettra une révision drastique des montants dus au titre des réparations de guerre, mais ne changera rien, le mal est fait. Le 30 juillet, les nazis obtiennent 37% des voix aux élections législatives. La fin de l’année 1932 et le début 1933 se résumeront à quelques misérables tactiques politiciennes, au “gouvernement des barons” de Franz Von Papen, et à la fin de la République de Weimar. Les deux années qui séparent l’arrivée d’Heinrich Brüning à la Chancellerie et la prise de pouvoir du parti nazi se résument à la convergence de plusieurs facteurs. Une crise déflationniste à laquelle Brüning va répondre par une politique d’austérité, un passage en force devant le Parlement rendu possible par les décrets lois, et une volonté d’afficher une politique “stricte” devant les créanciers internationaux afin de se mettre en capacité de demander la révision du plan Young).

    En 2019, sur le plan de la “science économique”, il demeure toujours aussi dramatique de constater que l’idéologie “mainstream” (propre aux monétaristes), qui a pris le relais de l’orthodoxie néo-libérale, “ignore” encore et encore les outils de politique monétaire contracyclique, c’est-à-dire via le levier de la relance budgétaire. A moins, et comme vous le soulignez très justement, que nous assistions à un formidable transfert des richesses piloté par le truchement des marchés financiers et immobiliers (bulles des actifs) puisque la vélocité du capital n’a d’égal au facteur travail, lequel tend à disparaître. Il va s’en dire, que la déflation salariale qui accompagne la politiques de l’offre (qui ne créé plus sa propre demande) a un effet récessionniste. Tout comme une demande agrégée atone se renforce par un sentiment de perte de confiance des ménages et dont le niveau d’épargne de précaution n’est qu’un révélateur. Tout comme l’investissement calamiteux des entreprises (même dans la Recherche & Développement) sont des signes d’échèc de politiques économiques ayant fait leur temps. Mais par ces critiques constructives, il y en a une qui mérite amplement d’être soulevée. Ce ne sont pas les politiques des banques centrales qui doivent être condamnées, mais la passivité et le manque de courage des gouvernements adossés aux intérêts d’une caste.

  2. Ce point de vue est fort critiquable. La réalité est que l’Allemagne a été trahie par la BCE. Le deal originel était que l’euro soit au moins aussi bon que le Deutsche Mark. On a pris le chemin inverse depuis Trichet continué par Draghi. Comme je l’explique dans l’Agefi cette semaine, cette brave Lagarde est La Française de Trop.

    1. Vous devriez peut-être prendre connaissance de la théorie des “zones monétaires optimales” (ZMO) – de Robert Mundell – qui fait encore référence. En quelques pages, il y expliquait déjà que, pour que plusieurs pays aient intérêt à faire une monnaie commune, il fallait qu’il existe entre eux une excellente mobilité des facteurs de production: capital et travail. En cas de choc économique sur l’un des pays de la zone, l’équilibre ne pouvant plus être rétabli par une dévaluation (taux de change), il devait l’être par un déplacement de capitaux et/ou de population. La question s’est évidemment posée de savoir si l’Europe était une ZMO. La réponse fut bien évidemment non: les travailleurs passent difficilement les frontières (l’Europe n’est pas les USA) et la vitesse de déplacement du travail n’a pas d’égale à celle du capital (financiarisation de nos économies modernes). Par ailleurs, la monnaie unique fut déjà calquée sur le Deutsche Mark, vous avez tendance à l’oublier, comme vous avez une fâcheuse tendance à oublier les dévaluations internes compétitives auxquelles s’est livrée l’Allemagne avec les réformes Hartz. En cas de choc (ou déséquilibre exacerbé des balances commerciales) d’un des pays d’Euroland, il aurait fallu inventer des mécanismes d’amortissement, par exemple, par une solidarité financière entre les pays membres. Ce que la pseudo locomotive économique allemande s’est toujours refusée. Non seulement son illusoire modèle économique a été préjudiciable pour l’ensemble des membres de l’union monétaire, mais il se révèle (au grand jour aujourd’hui) également sur le plan domestique de ce pays, où les investissements internes sont calamiteux, le marché du travail est gangréné par des travailleurs précaires, son modèle social saccagé, et que son déclin démographique reste préoccupant (politique migratoire…quid).

    2. Au contraire, l’Allemagne a profité à fond du différentiel entre l’euro et le Deutsche Mark contrairement à d’autres membres de l’Union monétaire

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