Les banques centrales contribuent à l’instabilité financière

Onze années après la mise en faillite de Lehman Brothers (le 15 septembre 2008), la pensée dominante sur le plan académique continue à prétendre que la crise éclatée à cette époque-là n’a été qu’une conséquence malheureuse d’une série d’erreurs que bien des institutions financières ont faites, alors que l’on pouvait déjà savoir que les crédits «subprime» étaient problématiques pour l’ensemble du système financier.

Avec l’accord tacite des banques centrales – qui jusqu’au 15 septembre 2008 avaient fermé les yeux sur ce qui était en train de se passer dans la finance de marché, se contentant d’observer la stabilité des prix à la consommation (erronément assimilée à l’absence d’inflation) –, les institutions financières (surtout les banques «too big to fail») ont profité de plus en plus, durant quelque trente années, de la possibilité de jouer au «grand casino» de la finance globalisée, spéculant de manière déconsidérée sur une série d’instruments financiers toujours plus opaques, complexes et risqués.

Au-delà des autorités de surveillance des marchés financiers dont les yeux étaient aussi fermés par la croyance aveugle dans l’autorégulation des marchés, les banques centrales ont contribué à faire enfler des bulles du crédit au niveau global, prétendant que la politique monétaire ne doit pas avoir l’objectif d’assurer la stabilité financière (en plus de l’objectif d’assurer la stabilité des prix à la consommation).

Durant ces onze années, les banques centrales ont péjoré la situation, avec des interventions ultra-expansives qui ont eu pour effet principal (voire unique) l’augmentation de la richesse financière au sommet de la pyramide sociale. La presque totalité de la «liquidité» que les autorités monétaires ont émise dans le système bancaire a en effet ruisselé sur les marchés financiers, faisant augmenter de manière démesurée les prix des actifs financiers – sans aucun fondement dans l’économie «réelle».

La politique monétaire est trop importante pour être laissée aux mains des banquiers centraux. Or, la confier aux politicien.ne.s n’est pas une solution. Il faut mettre en œuvre une réforme monétaire-structurelle qui rétablisse l’ordre sur le plan macroéconomique.

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.

6 réponses à “Les banques centrales contribuent à l’instabilité financière

  1. Professeur,
    “…la stabilité des prix à la consommation (erronément assimilée à l’absence d’inflation)…”
    pourriez-vous développer un peu? svp.
    merci

    1. Bonjour Farinelli. Le professeur Rossi a déjà écrit un article à ce sujet, voici un extrait:

      “L’inflation n’est pas l’augmentation des prix à la consommation. En réalité, l’inflation est la perte du pouvoir d’achat de la monnaie, suite à l’augmentation de la masse monétaire au-delà de l’augmentation de la production mise en vente sur le marché des biens et services. Le niveau des prix sur ce marché pourrait ne pas augmenter malgré l’inflation, si la masse monétaire excédentaire n’est pas dépensée pour l’achat de biens et services. L’indice des prix à la consommation pourrait même diminuer en cas d’inflation, suite au progrès technique qui permet aux entreprises de réduire leurs prix de vente de manière telle à ne pas réduire leur marge bénéficiaire. L’inflation, dans un cas pareil, empêche les prix de vente de baisser de manière proportionnelle à la réduction des coûts de production.

      En fait, l’indice des prix à la consommation ne mesure pas l’inflation mais la variation de ces prix durant une période donnée, habituellement sur base annuelle. Les prix à la consommation peuvent varier pour d’autres raisons que la perte du pouvoir d’achat de la monnaie (entendez l’inflation): si l’Etat augmente la taxe sur la valeur ajoutée ou si les entreprises augmentent leurs prix de vente car elles ont une position dominante sur le marché, l’indice des prix à la consommation augmente sans qu’il y ait de l’inflation. Vice-versa, si la masse monétaire augmente de manière excessive par rapport au produit vendu sur le marché des biens et des services, il y a de l’inflation même si elle n’apparaît dans aucune statistique sur les prix à la consommation” (dixit Professeur Sergio Rossi)

  2. “Il faut mettre en œuvre une réforme monétaire-structurelle qui rétablisse l’ordre sur le plan macroéconomique.” Mises à part 10 années de récession, que pourriez-vous proposer?
    N’a-t-on pas eu tort de soutenir les banques plutôt que de chercher à encadrer de nécessaires faillites?
    Quel a été pour la Suisse le coût réel du sauvetage d’UBS? J’entends par là: peut-on vraiement croire que les US ont expurgé la BNS de ses titres pourris sans contrepartie?

  3. N’est-t-il pas navrant de constater encore une fois le fourvoiement de la pensée « mainstream » (dominante) des économistes orthodoxes au détriment des économistes hétérodoxes ? Tout comme n’est-t-il pas paradoxale d’avoir attribué en 2013 – une décennie après les évènements de 2008 – le Nobel d’économie à Eugène Fama (un des pères du monétarisme avec Malkiel et Friedman – puis Tirole) pour qui « l’hypothèse des marchés efficients est une affirmation simple qui dit que les prix des titres et des actifs reflètent toutes les informations connues » ? Cette gangrène idéologique a pourtant contaminé nos sociétés et a contribué à nourrir un négationnisme économique auprès des pouvoirs dirigeants (politiques et technocratiques).

    Comment cette sphère (caste ?) déconnectée des réalités (mais qui n’ignore point les effets pervers relatés par la théorie du « Public Choice ») peut-elle encore feindre d’ignorer les phénomènes de « trappe à liquidité » de Keynes (Théorie générale…) ; de « debt-deflation » de Fisher ; de « paradoxe de la tranquillité » de Minsky ; comment peut-elle feindre d’ignorer les leçons de la Grande dépression ou les Décennies perdues du Japon ? Chacun devrait pourtant savoir qu’une politique monétaire non conventionnelle et expansive conduite sans la courroie de transmission de la relance budgétaire (politiques budgétaires contracycliques) ne fonctionne pas, et n’a jamais fonctionné dans l’histoire économique. Finalement, faut-il encore être surpris que ces politiques monétaires expansives soient venues gonfler le prix des actifs financiers en recréant une « exubérance irrationnelle » (pour reprendre les travaux de Richard Thaler ou de Robert Shiller) ? Ignorez-vous à ce point les “anciennes” réflexions de Keynes lorsqu’il décrit les Esprits animaux (Animal Spirits)?

    Certes, « le recours aux politiques budgétaires contracycliques, synonyme d’un endettement public accru, s’éloigne évidemment des anciens paradigmes (dominants) en invoquant la croissance de l’endettement public dans un processus d’allégement des contraintes issues de l’endettement passé. Mais le paradoxe n’est qu’apparent car c’est le seul moyen, en soutenant la demande et la croissance, d’alléger le fardeau du désendettement. Ce n’est qu’après le retour de l’expansion que l’ajustement de l’endettement public doit intervenir, sans effet dépressif marqué. Les recommandations issues d’un tel raisonnement sont élémentaires : ne surtout pas abandonner les politiques monétaires non conventionnelles tant que la confiance n’est pas là, malgré leurs effets pervers sur les marchés d’actifs, tant que l’investissement et la consommation ne prennent pas le relais de la dépense publique, et, donc, n’y recourir que lorsque la reprise apparaîtra solide, y compris en recherchant un regain d’inflation de nature à alléger les charges réelles du « deleveraging » ; reporter les exigences d’ajustement budgétaire tout en prenant des engagements fermes sur le sentier de réduction future de l’endettement public, en engageant résolument, dès maintenant, des programmes massifs et pluriannuels d’investissement dans les infrastructures, les réseaux de communication, la recherche publique et la R&D, l’économie verte… permettant d’infléchir la chute des gains de productivité tout en soutenant la demande. Il faut donc choisir les actions politiques qui minimisent les coûts sociaux et qui hypothèquent le moins les chances de reprise durable de l’activité. Seules de nouvelles impulsions budgétaires permettront de sortir de l’atonie que l’on observe encore au niveau des comportements de consommation ou d’investissement ». Oui Messieurs/Dames, quand comprendrez-vous qu’il faut cesser de faire la confusion entre le budget d’un État et celui d’un ménage ?

    Le recours à ce type de relance ne fut pourtant pas usité depuis 2009 en Europe (pensée dominante oblige) – et à bien trop faible dose aux USA – et pire encore puisque les politiques d’austérité conduites par les pouvoirs technocratiques et politiques en place en Europe – dans un univers indécent adossé aux préceptes des théoriciens de l’offre – n’ont fait qu’exacerber le phénomène pervers conduisant à « la stagnation séculaire » et à l’accroissement des inégalités (Piketty/Krugman/Stiglitz). Sans compter que les diverses bulles ont largement eu le temps de se gonfler (par ex. Ratio PER de Shiller et Indice Case-Shiller) dans un cycle s’annonçant à nouveau récessionnaire.

      1. Sachant que les bulles spéculatives et la politique monétaire entretiennent une liaison dangereuse, alors il n’est pas inintéressant d’observer l’ « indicateur Buffet ». Ce dernier représente le ratio de la capitalisation boursière totale sur le produit intérieur brut. Il avoisine les 145%, sachant qu’un marché correctement valorisé offre, dit-on, un ratio compris entre 75 et 90%. Tout ce qui dépasse 115% est considéré comme nettement surévalué.

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