Réformes fiscales et financement des dépenses publiques

En Suisse les réformes fiscales, au niveau fédéral comme sur le plan cantonal, visent constamment à réduire les barèmes d’impôt sur les bénéfices des entreprises, avec le prétexte d’éviter la fuite de celles-ci vers d’autres juridictions fiscales. Il en va de même pour les personnes physiques dont les revenus et les patrimoines très élevés pourraient être déplacés ailleurs si leur fiscalité n’est pas allégée en Suisse.

Cette vision idéologique est très partielle et réductive car elle focalise l’attention sur une seule variable (le barème d’impôt), ignorant tout le reste qui, néanmoins, est pertinent pour le choix du domicile fiscal des personnes physiques et des personnes morales.

Pour la plupart des entreprises, en fait, au-delà de la charge fiscale (pour l’entreprise et ses dirigeants), ce qui compte, c’est la qualité des services publics de toute sorte (y compris la bureaucratie), la stabilité économique et financière, la disponibilité de terrains à bâtir et de personnel qualifié, l’accessibilité aux infrastructures de communication et la qualité des soins médicaux. Beaucoup de ces variables ont un lien direct ou indirect avec les dépenses publiques, que les impôts doivent contribuer à financer pour éviter que l’État s’endette trop.

Contrairement à la vision dominante, d’inspiration néo-libérale, la réduction de la charge fiscale des entreprises n’engendre en réalité aucun dynamisme au sein du système économique, si la demande sur le marché des produits est insuffisante pour induire les entreprises à investir davantage dans l’économie réelle. Cela vaut aussi pour les dépenses de recherche et développement, sur lesquelles la politique veut agir permettant aux entreprises de déduire le 150 pour cent de ces dépenses dans leurs déclarations fiscales.

Or, aucune autorité fiscale n’imaginerait jamais de permettre aux propriétaires immobiliers de déduire dans leurs déclarations fiscales le 150 pour cent de leurs dépenses pour l’entretien de leurs immeubles. Cela serait une énorme inégalité de traitement par rapport aux autres contribuables, au-delà du fait que cette déduction serait absolument injustifiable.

Si l’on veut mettre en œuvre une réforme fiscale, il faut donc commencer par comprendre quels sont les contribuables dont la dépense soutient l’économie locale, pour ensuite imaginer quelles incitations faut-il introduire dans la législation afin de relancer cette économie assurant en même temps l’équilibre des finances publiques.

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.

7 réponses à “Réformes fiscales et financement des dépenses publiques

  1. Réflexions pleines de bon sens. Mais il ne faudrait pas oublier que la ponction fiscale en Suisse, même si elle est moindre que dans un enfer fiscal comme la France, est déjà très élevée et que, de toute façon, elle devrait être réduite.

    Par exemple il ne faut pas oublier que la politique de la gauche consiste à entretenir par l’aide sociale une masse de parasites immigrés, qui constituent un électorat captif (pour la gauche qui a voulu ce système) dans la mesure où on favorise les naturalisations et surtout le vote des étrangers au niveau communal et même cantonal. Ceci a un coût dramatique pour les autres contribuables et les finances publiques. Voici un exemple gravissime de dysfonctionnement qu’une réforme fiscale devrait rectifier.

    J’espère que vous en êtes conscients et le prenez en compte. L’existence de cette politique parasitaire de la gauche qui se maintient comme dans le bas empire Romain par des distributions gratuites de blé à la plèbe (en plus du pain et des jeux) contribue à maintenir un haut niveau de prélèvements fiscaux. Il serait souhaitable de le réduire pour rendre toute l’économie plus performante au profit de la population indigène du pays. Le malheur c’est que ce sera très difficile de réformer ce système car précisément il a pour conséquence de reconduire des gouvernements et des parlements de gauche, qui ont intérêt à poursuive cette politique scandaleuse. Ces mêmes gouvernements, comme typiquement le nouveau gouvernement vaudois composé de six personnes issues de la “diversité” sur sept ! sont d’ailleurs enclins en même temps à maintenir un système de forfaits fiscaux et de cadeaux fiscaux aux multinationales, car ceci leur procure un revenu fiscal additionnel, provenant de personnes morales ou physiques très riches et très peu nombreuses, qui ne mettent donc pas en péril la majorité électorale artificiellement fabriquée au moyen de l’immigration de masse et de l’aide sociale. Cela permet donc de rendre un peu moins insupportable la ponction fiscale infligée aux indigènes pour entretenir le règne de ce pouvoir de gauche au moyen d’un électorat captif d’étrangers dépendants de l’aide sociale.

    Ce système est extrêmement vicieux et j’espère vous avoir un peu ouvert les yeux sur son absence de rationalité économique, couplé à une grande astuce politique et une parfaite absence de scrupules. Vous aurai-je convaincu alors que vous semblez avoir le coeur plutot à gauche? J’en doute, mais au moins j’aurai essayé.

    1. Bonjour « un cercle vertueux »,

      Au delà des seuls clivages et préjugés, n’est-il pas intéressant, en plaçant « l’enfer fiscal français » dans la ligne de mire, d’élargir le spectre vers son « paradoxe » (comme le mentionna le New York Times en 2012) à l’heure où ce pays fut frappé de plein fouet par la rigueur budgétaire ? En effet, cet « enfer fiscal » a tout de même permis à l’économie française d’attirer quelque 43 milliards d’euros sur les neuf premiers mois de l’année 2012. En 2011, ce ne sont pas moins de 171 compagnies ou usines qui ont opté pour une domiciliation fiscale en France, préférée de très loin à l’Allemagne et à la Grande Bretagne. N’est-ce pas ce même pays, en pleine rigueur fiscale, qui a pris des mesures emblématiques comme les allègements de 20 milliards d’euros de charges, ou encore le « Crédit Impôt Recherche » donnant droit à un remboursement de 45% des dépenses de l’entreprise sur le poste de la recherche et du développement ? Vous voyez bien qu’en changeant un temps soit peu son fusil d’épaule et en prenant de la hauteur face aux divers outils de la pensée dominante, la focale nous renvoie une autre image.

      Le fait de « déshabiller Pierre pour habiller Paul » peut offrir une vision « d’enfer » pour l’un et de « paradis » pour l’autre. Cette déviance du capitalisme s’inscrit pourtant dans la ligne de la théorie dogmatique du « trickle down » qui, à l’instar d’Épinal, illustre « des cours d’eau qui ne s’accumulent pas au sommet d’une montagne mais ruissellent vers la base » ; or, quitte à me répéter, les partisans du « trickle down » n’ont-ils pas été déjà désavoués par les résultats issus du groupe de travail du FMI en 2015 ou encore ceux prévalant en 2014 et produits par l’OCDE ? Toujours sur la question de « l’alibi du ruissellement », nous retrouvons bien, à présent et de ce côté de l’Atlantique, quelques stratagèmes hérités et mis en évidence par les travaux de William Lazonick – économiste de l’université du Massachusett – intitulés « Profits Without Prosperity ». En qualité de professionnel et d’orientation keynésienne (sect. Economie & Finance), je soutiens également le concept que « baisser les impôts pour les entreprises nuit à l’économie » parce qu’il vise notamment la mauvaise cible au travers d’un pilotage idéologique dominant et, en ce sens, attaque de front l’Intérêt général. C’est pourtant avec ce même genre de comportement privilégiant une caste que le rôle de l’État se délite au profit de la loi du marché.

      De la même manière, « le hochet » d’Arthur Laffer a souvent créé une véritable dichotomie de la dîme entre Capital et Travail et/ou entre personnes morales et personnes physiques, pourtant, qui peut raisonnablement aujourd’hui encore ignorer que la seule circulation du capital suffit à le faire fructifier à contrario du travail qui, lui, tend à disparaître ? La vélocité de ce phénomène amène donc l’État à revoir la copie de ses propres contraintes en reportant la prime de risque sur ses administrés – la baisse des dépenses du filet social en étant une parfaite illustration – ou en abandonnant les PME à leur sort. Dans le débat théorique dominant, non seulement la « Supply-side economics » a justifié la réduction des dépenses publiques (neutralisant par effet de manche une relance via le levier budgétaire) mais la courbe de Laffer a induit au sein de la même pensée dominante une allergie fiscale comme Say et Smith l’ont fait avant lui. Et si la « théorie » de Laffer est néanmoins recevable dans le cadre de l’hypothèse ceteris paribus, les études empiriques tentant de vérifier cette relation aboutissent à des résultats plus que controversés. Se pose alors la question : Dans leurs prérogatives, les États font-ils face à une crise des recettes ou des dépenses ?

      Pour ce qui a trait plus précisément à l’Helvétie, comment – par honnêteté intellectuelle – peut-on prétendre qu’il n’y a pas une fâcheuse régression sociale dans ce pays?

      Dépenses sociales publiques en pourcentage du PIB, en 1960, 1990 et 2016.
      http://www.oecd.org/fr/els/soc/OCDE2016-Le-Point-sur-les-depenses-sociales.pdf

      Dépenses sociales publiques en pourcentage du PIB, en 1960, 1990 et 2018.
      http://www.oecd.org/fr/social/soc/OCDE2019-Le-point-sur-les-depenses-sociales.pdf

      En matière d’allocation des deniers publics pour les dépenses sociales, comment prétendre qu’il n’y a pas une fâcheuse régression en Helvétie ?
      http://www.oecd.org/fr/social/soc/OCDE2019-Le-point-sur-les-depenses-sociales.pdf

      1. Cher Raymond, je vous remercie pour votre remarquable contribution, très érudite.

        Vous êtes capable de citer une quantité de travaux scientifiques, rapports de l’OCDE et d’autres organisme officiels très savants, qui se piquent de faire des études comparatives, des statistiques etc. En outre vous maniez avec aisance un jargon franglais sur le “trickle down” etc., ce qui me rend très admiratif. Les expressions comme “hochet d’Arthur Laffer” m’impressionent beaucoup également car je n’en avais jamais entendu parler. De fait je ne sais pas ce que ça veut dire mais je vais me renseigner.

        Je n’ai pas votre culture. Je suis un simple entrepreneur qui a une expérience empirique des affaires.

        Je ne nie pas qu’il y ait eu d’excellentes décisions prises par le gouvernement français et qui ont attiré des investissements. At my grassroots level (vous voyez je peux aussi employer des belles expressions anglaises) j’ai constaté une autre réalité.

        Ce genre de mesures qui attirent des investisseurs en France s’adressent généralement à des grands groupes internationaux devant lesquels les autorités déroulent le tapis rouge et auxquels ils consentent des avantages, notamment fiscaux, exorbitants. Mais pendant ce temps-là les PME et les petits entrepreneurs peuvent crever la bouche ouverte, écrasés par les impôts, le code du travail, les charges sociales et la bureaucratie mesquine totalement anti business.

        En France, si vous avez une petite entreprise, vous êtes quasiment obligé de déposer le bilan pour pouvoir licencier du personnel. Résultat: vous n’embauchez jamais personne. Mais les grandes entreprises du CAC 40 peuvent faire tout ce qu’elles veulent.

        Il y a là un mal très profond.

        Je reconnais le dynamisme et l’agressivité des grands groupes français à l’international. Pour cela ils sont très forts, n’hésitant pas à surpayer des acquisitions, payer des dessous de tables et se comporter comme des requins sachant qu’ils pourront toujours compter sur l’appui du gouvernement français. Mais les entrepreneurs de base sont plombés par la politique du pays. ll faut être fou pour créer une petite ou moyenne entreprise en France.

        Ce que je vous dis là, je ne le tire pas de rapports académiques mais d’une expérience vécue. La France est un enfer, fiscal, économique et administratif qui assassine chaque année des milliers de PME. Désolé, mais vous ne me ferez pas changer d’avis là-dessus. J’ai le plus grand mépris pour la politique économique de la France.

        Comment expliquez-vous qu’il y a 300’000 frontaliers français qui franchissent la frontière suisse tous les jours pour venir travailler en Suisse, et aucun en sens inverse? Je me réjouis de lire votre réponse à cette question.

        J’ai travaillé dans l’horlogerie dans l’arc jurassien. Comment se fait-il qu’il n’y ait plus d’industrie hologère de l’autre côté du Jura, alors que ce secteur industriel était florissant dans les années 1960 et 70? Pourquoi l’entreprise Lip est-elle morte?

        Tout cela, voyez-vous, c’est le mal français.

        Il ne faut pas oublier non plus la manière scandaleuse dont Macron (comme ministre et aujourd’hui comme président) n’a pas hésité à couler lui-même un fleuron national comme Alcatel Alsthom en le bradant littéralement à ses concurrents.

        Pour moi ce sont des actes de haute trahison qui normalement devraient être justiciables de la Haute Cour.

        Comparez à cela la réussite d’un Peter Spuhler à la tête de son entreprise Stadler Rail à Bussnang, une société qu’il a reprise il y a 30 ans, quand il s’agissait d’un petit bureau de 18 personnes. Aujourd’hui elle a un chiffre d’affaires de 2.2 milliards de francs suisses et emploie 8’000 personnes. L’entreprise a été mise en bourse la semaine dernière avec une capitalisation de 4.5 milliards.

        Donc si Stadler Rail a pu connaître ce succès brillant en 30 ans, partant de rien ou presque, il ne faut pas venir me dire qu’Alcatel Alsthom n’aurait pas pu poursuivre dans la voie du succès que cette entreprise connaissait du temps où elle s’appelait encore Compagnie Générale d’Electricité et qu’elle était dirigée par Pierre Suard.

        J’ai connu Pierre Suard. Cela c’était un patron. Mais les patrons de ce genre, la France n’en veut plus, car ils auraient des vues contraires à l’esprit macroniste de soumission à l’Union Européenne et à l’Amérique.

        Le malheur de la France c’est qu’elle fait partie de l’Union Européenne. C’est ce qui la plombe. L’UE tue les entreprises, tue le business. Dans l’UE plus de politique industrielle, plus de possibilité pour l’Etat d’acheter des véhicules Peugeot ou Renault. On brade tout. On asphyxie les petites entreprises. C’est un désastre.

        lnterrogez-vous sur la raison du désastre Alcatel Alsthom – une entreprise qui était un leader mondial – et le succès fulgurant de Stadler Rail pendant le même temps. Et demandez-vous si cela ne nous dit pas quelque chose sur l’ineptie de la politique économique française, comparée à la méthode suisse empirique et pragmatique, qui laisse les entrepreneurs travailler.

  2. Dans ce grand débat de la fiscalité, je n’ai pas encore pris parti. Malgré toutes les théories de bon sens qui vont dans un sens ou dans l’autre, il me reste toujours quelque chose à l’esprit:
    Pourquoi est-il si facile de baisser l’impôt sur le bénéfice à 15% alors que les privés, la classe moyenne, sont si lourdement taxés ? Ne devrait-on pas commencer par là ?
    Attirer les sociétés étrangères je comprends, mais on doit tout d’abord attirer leurs dirigeants. Beaucoup sont très contents de se délocaliser à Singapour, mais croyez-moi, ce n’est pas à cause de l’impôt sur les sociétés, mais plutôt pour un taux d’imposition sur les particuliers de moins de 15%, sans compter l’absence d’un impôt sur la fortune.

  3. @ Bonjour cher U.C.V,

    Votre expérience de l’économie réelle ne fait que corroborer – en d’autres termes – l’état du patient français tel que je l’ai décrit. « La théorie du ruissellement à l’ère du capitalisme de prédation n’est plus qu’un leurre », comme la théorie de Laffer qui – sous prétexte du « trop d’impôt tue l’impôt » – n’a fait qu’accélérer le fait qu’il faille « déshabiller Pierre pour habiller Paul » afin de tenir ou renouer avec la croissance économique. Les travaux de William Lazonick – économiste de l’université du Massachusett – ont par ailleurs démontrés les effets pervers des concessions fiscales accordées aux entreprises cotées et qui ont, au final, généré des « profits » pour l’actionnariat et le top management (les tenants du Capital) sans véritable « prospérité » pour l’économie réelle. Or, si le développement du capitalisme dans sa phase industrielle (Fordien) reposait sur l’expansion de la production : « le capital (l’argent qui est réinvesti) devait être alloué en partie à des investissements productifs, c’est-à-dire qui permettent d’augmenter la capacité de production (par exemple, l’achat de machines plus performantes ou la construction de nouvelles usines avec des créations d’emplois) », le capitalisme dans sa phase de transformation, dite de « financiarisation de l’économie », demeure un processus qui touche au mode de régulation de l’économie (quelles sont les institutions qui structurent les rapports économiques ?) et à la logique d’accumulation (comment le capital se reproduit-il ?). En conséquence, par le truchement des marchés financiers libéralisés à outrance et sans complexe depuis les années 1980, le capital n’a plus à passer par le détour de la production pour fructifier car sa simple circulation engendre une création de capital neuf pour une caste de nantis (n’est-ce pas le financier Warren Buffett qui, dans une interview de CNN en juin 2005, s’exprima en ces mots ? There’s class warfare, all right, but it’s my class, the rich class, that’s making war, and we’re winning (Il y a une lutte des classes, évidemment, mais c’est ma classe, la classe des riches qui mène la lutte. Et nous sommes en train de gagner).

    Vous avez parlé des années 1960/70 et la disruption du tissu industriel français à juste titre, vous voyez bien. Revenons dans les années 1970/80, si vous le voulez bien, car c’est à cette période que s’est amorcé le mouvement de libéralisation des taux d’intérêt. Les États sont passés d’un mode de financement de leurs déficits par la planche à billets (l’émission de monnaie) à un financement sur les marchés financiers (par l’émission d’obligations), d’ailleurs, « la France ne devait-elle pas franchir en 1973 une étape historique sur le chemin de la libéralisation financière internationale en s’interdisant de recourir à la planche à billets de sa banque centrale ? C’est à cette aune qu’il faut interpréter les nouveaux statuts de la Banque de France, adoptés le 3 janvier 1973 – et particulièrement leur article 25 – indiquant que «le Trésor public ne peut être présentateur de ses propres effets à l’escompte de la Banque de France ».

    https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/france-berceau-du-neoliberalisme-539364.html

    Dès lors, vous saisissez mieux que les taux d’intérêt en vigueur pour une économie sont déterminés par l’offre et la demande de titres obligataires. Comme le taux de change correspond au prix d’une devise et le taux d’intérêt est le prix qu’il en coûte pour emprunter, on peut dire que dans ce système ultra-libéralisé, le prix des actifs financiers devient instable et est alors soumis à la spéculation. Vous l’avez très bien compris par votre expérience personnelle, l’investissement à court terme devient la norme et l’économie n’a plus rien de réel puisque pour croître, avec la financiarisation de nos économies, la finance doit créer davantage de monnaie (en octroyant des prêts) et transformer de nouveaux flux d’argent en actifs financiers (par exemple en transformant des dettes en titres revendables sur les marchés). Ce faisant, étudier, travailler, consommer, épargner, prendre sa retraite, diriger une entreprise, etc. sont autant de réalités qui tendent à être financiarisées. Loin d’être deux sphères déconnectées, les flux d’argent associés à cette « économie » (la production, le rapport salarial, la consommation et l’épargne) tendent à être captés par la finance. Les entreprises se financent par le biais des marchés financiers (plutôt que par l’intermédiaire des banques commerciales). De plus, le développement des firmes cotées en bourse est orienté par l’exigence de faire augmenter la valeur actionnariale de l’entreprise. De leur côté, les travailleurs sont appelés à devenir des investisseurs : tandis que les caisses de retraite sont soumises aux fluctuations de leur portefeuille d’actifs, on encourage les travailleurs à avoir recours à des régimes d’épargne-retraite individualisés pour compenser l’insuffisance des fonds de pension de l’employeur et des régimes publics. La stagnation des salaires est compensée par le recours au crédit à la consommation, qui devient un pilier de la croissance économique. L’augmentation des frais de scolarité, présentée comme une condition essentielle du maintien de la qualité de l’enseignement supérieur, a fait exploser l’endettement étudiant, notamment aux États-Unis, où le volume des prêts dépasse celui des encours sur carte de crédit.

    Question d’Alcatel Alsthom, qu’elle est la sphère qui a fait « un bon deal » avec l’opération « leveraged buy-out » ? On en revient au phénomène de « financiarisation » couplé au phénomène de la théorie du « Public Choice ». Une bombe à retardement.

    Vous parlez ensuite de la Suisse – comme « un îlot de prospérité » – avec une souveraineté monétaire qui n’agit pas comme le fait l’euro, c’est-à-dire comme un étalon. Vous n’ignorez sans doute pas que la zone euro n’est pas une zone monétaire optimale (ZMO) au sens de la théorie de Robert Mundell, pourtant elle s’est bien dotée d’une monnaie unique qui ne permet pas des ajustements économiques par le truchement des taux de change avec les partenaires de l’euro-zone, par exemple. Or, dans nos sociétés mercantiles, si un pays ne peut pas déflater par la monnaie (guerre des monnaies), ne le fait-il pas au travers de la déflation salariale compétitive comme l’a fait l’Allemagne par ses mesures Hartz ? Après avoir dépouillé ses « partenaires économiques » de la zone euro, quel est maintenant la véritable situation économique et domestique du mirage Allemand ?

    https://michelsanti.fr/allemagne/la-face-cachee-de-lallemagne

    Que fait la Suisse au travers de sa main d’oeuvre venant de la zone euro ? Que fait la Suisse au travers de sa politique monétaire conduite par sa banque centrale (BNS) ? Comme d’autres pays l’ont fait avant elle ; elle spécule sur son avenir économique et hypothèque l’Intérêt général dans une optique qui ne sera pas tenable à moyen/long terme. Oui, la Suisse mise sur l’avantage de ses dix années de retard mais va en payer chèrement le prix. Ce pari vaut-il la chandelle ? A vous de voir.

    https://blogs.letemps.ch/sergio-rossi/2019/01/21/la-suisse-a-dix-annees-de-retard/

    Bien à vous.

  4. Cher Raymond,

    Vous dites des choses intéressantes et vous semblez être un brillant économiste intellectuel. Il y a surement quelque chose à tirer de vos analyses. J’aimerais bien poursuivre la réflexion avec vous. Si vous m’indiquez une adresse mail, je prendrai contact.

    Je n’idéalise pas la politique économique suisse. Sa principale qualité est probablement qu’il n’existe pas du tout de politique économique, mais qu’on laisse faire les entreprises. Ceci étant dit, j’ai l’impression aussi que la Banque Nationale Suisse fait exactement la même politique inepte que l’establishment macroniste. Il semble que les personnes qui accèdent à de hautes fonctions dans ce genre d’institution sont irrésistiblement amenés à s’aligner sur les aberrations à la mode, qui ont cours dans ces milieux dirigeants. Il me semble que monsieur Blocher avait tenté un joli coup médiatique pour se débarrasser du sieur Hildebrand (président de la BNS) qui était un représentant dangereux de cette tendance mondialiste. C’était bien joué, mais d’après ce que j’entends dire, ça n’a servi à rien car la nouvelle direction fait à peu près la même chose qu’Hildebrand.

    Mon point de vue est très différent du vôtre car je me base essentiellement sur des observations pratiques et non sur des études théoriques, que je ne connais pas. Je pense par exemple que c’est une calamité que la Suisse fasse partie du FMI. Car cela induit un alignement sur ces politiques uniformes qui selon moi sont très préjudiciables à tout le monde. Mais à mes yeux l’adhésion de la Suisse au FMI n’est pas due à une réflexion d’économistes. Elle est due à une circonstance fortuite que je vais vous raconter. Je ne sais pas si vous êtes suisse ni si vous savez qui est la famille Schmidheiny. C’est peu connu du grand public mais la famille d’industriels Schmiedheiny (rois du ciment: Holcim ex Holderbank, Éternit, mais aussi ABB. Ex Brown Boveri, Landis & Gyr vendue depuis, Crédit Suisse, UBS) a été pendant très longtemps une sorte de famille royale sans couronne de la Suisse, en ce sens que son influence sur le gouvernement était très directe, reflétant une position hégémonique dans l’industrie suisse et un quasi contrôle du parti radical. Elle symbolisait ce qu’on appelait le “radicalisme des affaires”, c’est-à-dire un conglomérat d’intérêts liés au parti radical et qui dominait en Suisse depuis des générations. A mon avis on aurait carrément pu dire, sans exagérer ou à peine, que le parti radical était une succursale du groupe Schmidheiny. Les Schmidheiny ont toujours eu des fondés de pouvoir qui leur servaient à faire passer leurs ordres en haut lieu. L’un d’entre eux fut l’ex conseiller fédéral Hans Rudolf Merz, qui fut toute sa vie un homme des Schmidheiny. Un autre était Fritz Leutwyler, ex président de la BNS. C’est monsieur Leutwyler, en bon serviteur des Schmidheiny, qui a fait des pieds et des mains pour que la Suisse adhère au FMI, moyennant quoi le Conseil fédéral a été contraint de lui obéir. Et pourquoi cela? Tout simplement parce que quand on est des rois du ciment comme les Schmidheiny, on veut pouvoir participer à certains appels d’offres internationaux qui se font sous l’égide du FMI, de la Banque Mondiale et autres institutions nuisibles. Donc voilà comment les choses se sont passées. C’est ça la vraie raison pour laquelle on a bradé une parcelle de la souveraineté du pays en faveur du FMI.

    (Aujourd’hui, comme vous le savez, Holcim a fusionné avec les ciments Lafarge, donnant le plus grand groupe cimentier mondial. Donc la famille Schmidheiny évolue désormais dans un contexte “global” déconnecté de la Suisse. Elle n’aura plus la même influence politique qu’avant, n’ayant plus le controle exclusif d’une des principales entreprises suisses, tout en restant une des familles les plus riches du monde.)

    De même s’agissant de l’abandon du “circuit du trésor” par le gouvernement français, auquel vous faites allusion, une décision fatale qui contribue à l’endettement exorbitant de ce pays, on trouvera toutes sortes de raisonnements économiques pour justifier cette décision contraire à l’intérêt national de la France, mais on ne saurait nier le fait que monsieur Georges Pompidou était un fondé de pouvoir des Rothschild, tout comme Fritz Leutwyler l’était des Schmidheiny, et celà n’a pas été pour rien dans cette décision funeste. Je dis cela avec prudence car il y a beaucoup d’agitation à ce sujet, charriant au passage des sous-entendus antisémites, ce qui n’est pas mon propos. Mais il n’empêche que cette circonstance a joué un rôle. C’est certain. De même que la politique de Macron consistant à exonérer d’impôt sur la fortune les placements boursiers mais à le maintenir sur les avoirs fonciers, porte aussi la marque d’un certain establishment financier, le même que celui auquel Pompidou à ete obligé de sacrifier dans sa fameuse loi de 1973 (avec Giscard comme ministre des finances).

    S’agissant des incohérences de politique fiscale soulignées par le prof. Sergio Rossi, ils sont dus d’une part à une certaine ambiance néo-libérale dans laquelle baignent les élites de tous les pays européens. Mais c’est aussi dû tout simplement au poids des grands groupes multinationaux qui s’installent en Suisse et auxquels on ne peut rien refuser. Il y a aussi la pression insupportable de l’Union Européenne sur la Suisse et le fait que nos dirigeants se prosternent devant elle car ils espèrent faire un jour carrière à Bruxelles. Mais qu’est-ce que l’Union Européenne? Rien d’autre que l’émanation des multinationales. De fait, l’Union Européenne telle qu’elle est devenue est une construction visant à détruire la souveraineté des Etats pour la remplacer par celle des multinationales. Le plus cette monstruosité s’écroulera, le mieux cela vaudra.

    1. Qui peut m’expliquer en 3 mots comment ça marche à Dubai sans que quiconque ne paye d’impôts. Pas de feuille d’impôts à remplir pour les SARL ni pour les expats. Est-ce parce que le Ruler passe souvent dire bonjour à ses fonctionnaires dans leurs bureaux?

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