Baisser les impôts pour les entreprises nuit à l’économie

Dans bien des cantons latins, le gouvernement veut réduire la charge fiscale des entreprises, parce que cela est censé induire celles-ci à investir davantage dans leurs activités de production, de telle manière à créer des places de travail pour la population résidente. En fin de compte, le secteur public obtiendrait davantage de recettes fiscales et pourrait ainsi compenser les recettes fiscales qu’il n’a pas obtenues suite à la baisse des barèmes d’impôts sur le bénéfice des entreprises.

Cette vision idéologique ne sera pas confirmée par la réalité des faits. Les entreprises qui paieront moins d’impôts auront davantage d’argent pour verser des dividendes à leurs actionnaires et pour faire des placements financiers. Dans ces deux cas de figure, il n’y aura aucune retombée positive pour l’économie cantonale dans son ensemble. Les actionnaires sont très souvent des personnes nanties, qui n’augmentent pas leurs dépenses dans l’économie cantonale lorsqu’ils gagnent davantage. Cet argent est placé sur les marchés financiers, faisant augmenter le prix des titres sans aucun fondement dans les activités de production des entreprises sous-jacentes.

Aussi, les bénéfices des entreprises qui sont placés sur les marchés financiers n’induiront-ils aucun effet positif dans l’économie cantonale, vu le caractère autoréférentiel de la finance de marché, qui est globalisée et détachée de l’économie réelle. Les entreprises évitent d’augmenter leur capacité de production, lorsqu’elles observent (à l’instar de ces dernières années) qu’elles ont de la peine à écouler toute leur production courante. Les «managers» préfèrent placer les profits sur les marchés financiers, augmentant ainsi les bénéfices des entreprises au lieu de le faire grâce à des investissements dans le processus de production.

Somme toute, la baisse des barèmes d’impôt sur le bénéfice des entreprises nuit à l’ensemble de l’économie, parce qu’elle amène l’État à réduire les dépenses publiques dont bénéficient tant les ménages que les entreprises, suite à la diminution des recettes fiscales que ladite baisse entraîne à long terme.

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.

8 réponses à “Baisser les impôts pour les entreprises nuit à l’économie

  1. Je croyais que la baisse des impôts prévue résultait d’une pression pour rester compétitif au niveau international et préserver la manne fiscale provenant des multi’s ayant siège chez nous suite à la nécessité d’abandonner les statuts spéciaux. Dans ce cas, que peut vraiment décider un canton seul?

  2. ll y a une façon très simple de garantir le résultat positif de la baisse d’impôt. La loi doit simplement dire que les bénéfices réinvestis dans l’entreprises sont exemptés d’impôts. C’est tout.

    Je ne comprends pas pourquoi vous ne parlez pas de ça. Vos articles sont intéressants, mais vous avez parfois une optique idéologique vous-même, et anti-business.

  3. Il est difficile de faire plus faux que les affirmations globalisante du bon professeurs Ninbus.
    Voici et entre autres : Primo, en Suisse, plus de 93% des entreprises sont des PME, artisans ou petits commerces et n’ont que faire du “caractère autoréférentiel de la finance de marché”.
    Secundo, concernant les autres entreprises “d’une certaine taille” et agissant dans des secteurs de l’économie de marché globaux, les taxes et impôts sont une composante du prix de revient de leurs produits et au final c’est le consommateur qui en supporte le poids. Donc, ce n’est qu’un report des charges fiscales ou, en cas d’exportation, une pénalité sur le marché international.

  4. Bon, dans un monde “globalisé”, il n’est pas simple pour la petite Suisse de régater.
    Certains aimeraient que la Suisse donne l’exemple, bon, c’est noble!

    Les suisses accepteraient-ils de baisser leur salaire de 30% pour vivre selon une nouvelle gouvernance ethico-climato-généreuse?

    1. P.S. Regardez “c’est à vous du 12 sur FRTV 5” et vous verrez comment un plateau de journalistes français essaient de cracher, et sur l’Europe et sur leur Président…!

  5. si baisser les impôts des pme nuit à l’état, alors il faut les augmenter pour le bien de l’état. Que dites-vous face à cette évidence M. Rossi?

  6. La promotion de l’emploi, la recherche & développement ne sont désormais – et de loin – plus la priorité des entreprises cotées en bourse qui rachètent frénétiquement leurs propres actions afin d’en faire encore et toujours monter les cours pour faire gagner les actionnaires ; un phénomène malheureusement emblématique et totalement décomplexé à travers le monde depuis la crise financière et économique de 2007/2008. Ce constat, Michel Santi, macroéconomiste, ex-conseiller de banques centrales et expert es des marchés financiers le dénonce aussi comme de nombreux confrères. « Les sociétés cotées US ont dépensé 60% de leurs profits entre 2015 et 2017 à ce petit jeu des buybacks . L’employé de McDonald’s aurait eu droit à une augmentation annuelle de salaire de 4.000 $ si son entreprise n’avait utilisé 21 milliards entre 2015 et 2017 pour racheter ses propres actions en bourse. Ceux de Starbucks 7.000 dollars de plus, et ceux de Home Depot 18.000 dollars de plus, selon une analyse menée par la National Employment Law Project aux USA. C’est simple : les sociétés cotées US ont dépensé 60% de leurs profits entre 2015 et 2017 à ce petit jeu des buybacks pendant que les salaires de leurs responsables suprêmes étaient 127 fois plus élevés que leur salaire médian ». Paul Krugman, lui-même, cet économiste américain (prix Nobel d’économie en 2008) n’a-t-il pas aussi dénoncé – en 2018 – l’effet de manche des républiquains qui affirmaient en 2017 que « la baisse du taux d’imposition des sociétés encouragerait les entreprises à investir davantage dans de nouvelles usines et de nouveaux équipements, ce qui créerait des emplois et stimulerait l’économie » ? C’est aussi au sein de sa chronique – qu’il tient régulièrement auprès du New York Times – qu’il a encore récemment démontré son septicisme envers la nouvelle loi fiscale US jugeant que les premiers résultats sur l’économie réelle sont « pires que les plus pessimistes attendus ». En avril 2018, le fleuron de Wall Street, Goldman Sachs, lui-même (et sous l’angle de l’analyse financière) a aussi exprimé son désaccord – et pour causes – à propos des sociétés qui se concentraient sur le retour de vastes quantités de liquidités avec leurs programmes de rachats d’actions propres, grâce notamment au levier fiscal, au lieu d’investir dans l’économie réelle.

    Cette déviance du capitalisme s’inscrit pourtant dans la ligne de la théorie dogmatique du « trickle down » qui, à l’instar d’Épinal, illustre « des cours d’eau qui ne s’accumulent pas au sommet d’une montagne mais ruissellent vers la base » ; ors, quitte à me répéter, les partisans du « trickle down » n’ont-ils pas été déjà désavoués par les résultats issus du groupe de travail du FMI en 2015 ou encore ceux prévalant en 2014 et produits par l’OCDE ? Toujours sur la question de « l’alibi du ruissellement », nous retrouvons bien, à présent et de ce côté de l’atlantique, quelques stratagèmes hérités et mis en évidence par les travaux de William Lazonick – économiste de l’université du Massachusett – intitulés « Profits Without Prosperity ». Faut-il pour autant poursuivre sur la voie de l’obscurantisme après le virage à 180° qu’ont connu nos économies moderne lors de la plus grande crise financière et économique que le monde ait connu depuis 1929 ?

    En qualité de professionnel (sect. Economie & Finance), je soutiens également que le concept de « Baisser les impôts pour les entreprises nuit à l’économie » parce qu’il vise notamment la mauvaise cible au travers d’un pilotage idéologique dominant et, en ce sens, attaque de front l’Intérêt général. Il aurait été plus intellectuellement approprié pour ses artisans de crier haut et fort: « Mort au Libéralisme, vive le Néo-libéralisme » !

  7. Le commentaire de Raymond me paraît très juste. Les dirigeants de PME qui cherchent à consolider leur entreprise paient les impôts sur le bénéfice sans réchigner. Quand c’est possible, ils apprécient de pouvoir reporter un bénéfice plus important une bonne année, pour le moyenner sur une période de 3 ans. C’est d’ailleurs aussi une bonne solution pour l’Etat, qui voit ses recettes mieux lissées. En revanche pour les entreprises qui sont gérées sur la base de l’optimisation des profits, c’est un leurre de penser qu’ils vont investir pour offrir plus d’emploi. Les responsables de cette optimisation travaillent à court terme uniquement et pour la satisfaction à court terme des privés qui détiennnt des actions. “Baisser les impôts pour les entreprises nuit à l’économie” comme le dit S. Rossi, il faut le répéter à nos dirigeants politiques.

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