La banque centrale doit être ouverte au public

Le résultat du vote populaire de hier sur l’initiative «Monnaie pleine» doit être interprété comme une invitation à repenser le système monétaire national. Il est nécessaire de mettre en œuvre une réforme structurelle afin que les banques ne puissent plus abuser du levier du crédit, étant donné que cet abus est un facteur de crise systémique au niveau financier.

Comme cela a été récemment suggéré par un article paru dans The Economist, pour garantir la stabilité du système financier dans son ensemble il serait possible de permettre à n’importe quel agent économique d’avoir un compte courant auprès de sa propre banque centrale. De cette manière, l’autorité monétaire pourrait mieux atteindre ses objectifs, en particulier lorsque les instruments traditionnels de politique monétaire sont inefficaces – comme cela a été observé durant les dernières années suite à la crise financière globale, lorsque tant les mesures d’assouplissement monétaire que les taux d’intérêt négatifs se sont avérés inefficaces.

En réalité, les mesures d’assouplissement monétaire mises en œuvre par les banques centrales sont inefficaces car leurs contreparties dans l’achat de titres financiers sont les banques qui, dans une situation de crise, sont encore plus réticentes à augmenter les lignes de crédit aux entreprises et aux particuliers pour relancer l’activité économique. Comme nous l’avons observé durant les dix dernières années, en fait, les banques ont exploité les mesures d’assouplissement monétaire pour augmenter le volume et le pourcentage de leurs activités sur les marchés financiers au lieu de contribuer au mécanisme de transmission de la politique monétaire jusqu’aux consommateurs et aux entreprises de l’économie «réelle».

Les taux d’intérêt négatifs sont tout aussi inutiles, voire contreproductifs, à cet égard. Les banques qui doivent payer des intérêts sur la liquidité qu’elles ont déposée auprès de leur banque centrale, en réalité, augmentent les frais que leurs déposants doivent payer, au lieu de réduire de manière proportionnelle les taux d’intérêt sur les crédits qu’elles octroient aux débiteurs hypothécaires ou aux petites et moyennes entreprises.

À leur place, la banque centrale doit permettre à tout le monde – comme The Economist vient de le suggérer – d’ouvrir un compte courant auprès d’elle, lui transférant dès lors l’épargne déposée à vue auprès des banques secondaires. Ce faisant, l’autorité monétaire pourra agir de manière bien plus efficace tant par la politique des taux d’intérêt que par les mesures d’assouplissement monétaire: dans les deux cas, l’effet de ces interventions de la banque centrale se déploiera directement sur les consommateurs et les entreprises qui ont des comptes courants auprès d’elle. Toute augmentation de la liquidité sur ces comptes pourra dès lors représenter une incitation à dépenser dans l’économie réelle, plutôt que sur les marchés financiers, l’argent que la banque centrale a injecté dans le circuit monétaire.

Cette réforme induirait les banques à mieux travailler pour attirer l’épargne qui autrement serait déposée auprès de la banque centrale. Il y aurait ainsi un système bancaire plus solide et orienté au bien commun.

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.

4 réponses à “La banque centrale doit être ouverte au public

  1. C’est une excellente idée. Malheureusement le résultat décevant de l’initiative “monnaie pleine” ne met pas de pression sur les autorités pour changer leurs habitudes. Mais ce que vous suggérez est certainement une excellente idée.

  2. Le néolibéralisme a non seulement transfiguré nos modèles économiques, corrompu le secteur financier, donné raison à la théorie du Public Choice, gangrené les « sciences économiques », mais aussi dévoyé la monnaie au travers des politiques monétaires. Tout comme la pensée dominante stérilise de facto toutes initiatives visant à réenchanter nos économies modernes.

    Pour y voir un peu plus clair, j’aborde cette fois le sujet en empruntant des extraits de cette chronique datée de janvier 2013 et publiée par le macroéconomiste franco-suisse Michel Santi (ex-conseiller de banques centrales de pays émergents, ex-trader et ex-responsable de salle de marché, membre du World Economic Forum, de l’IFRI et de l’ONG « Finance Watch »).

    « C’est précisément ce niveau des taux d’intérêt à leur plus bas historique qui, contre toute attente, freine de manière décisive tout investissement sur le moyen et sur le long terme de la part des entreprises.

    En tentant de sauver le système à travers le levier des injections de liquidité et des baisses de taux quantitatives, les banques centrales ont en réalité contribué bien involontairement à enfler une nouvelle bulle spéculative. De fait, ces taux d’intérêt réels infimes, voire négatifs dans certains pays, censés favoriser l’investissement et dynamiser les économies ont créé un monstre ! Tandis que le marché des actions offrait traditionnellement rentabilité et croissance sur le long terme aux investisseurs, et que le marché obligataire permettait, lui, de dégager du revenu. Les baisses de taux quantitatives ont en effet bousculé cette donne car les liquidités globales se sont dès lors progressivement agglutinées vers les marchés boursiers internationaux qui disposaient d’un atout de taille en ces temps de taux déprimés : les dividendes.

    Comme les investisseurs en mal de rentabilité se sont rendus compte que la distribution de dividendes sur les portefeuilles actions répondait très honorablement à leur quête de rendement. Ils ont donc détourné le marché boursier de sa vocation originelle de financement des entreprises pour en faire une machine à produire du rendement par dividendes interposés. Phénomène sans précédent depuis 50 ans, le marché des actions est ainsi devenu un marché obligataire alternatif. Cette mue des bourses mondiales en tiroir caisse pour investisseurs, friands de revenus réguliers et substantiels, est à l’évidence lourde de conséquences pour le monde de l’entreprise, pour les travailleurs, et bien-sûr pour les banques centrales comme pour les dirigeants politico-économiques. Alors que la vocation première des bourses était de mettre les pourvoyeurs de capitaux en relation avec les sociétés ayant besoin de leurs liquidités. Alors que les investisseurs sont supposés percevoir une participation au développement de l’entreprise en contrepartie du risque assumé en mettant leurs capitaux à sa disposition. Le contexte des taux très bas (voire négatifs) stérilise de facto toute la palette des investissements. Et la dépendance accrue des entreprises à ces détenteurs de liquidités – préoccupés d’obtenir du rendement sur le court terme – opère une redistribution en profondeur des ressources. Tout en contraignant les sociétés à modifier leur stratégie voire leur façon de diriger et de gérer leur outil de travail. De même pour les banques centrales qui constatent que leur politique, souvent agressive, de taux d’intérêt proches de zéro (voire négatifs) – loin de forcer la main des entreprises pour placer sur le long terme – conduit celles-ci à opter au contraire pour des instruments privilégiant la liquidité à court, voire à très court terme. Comme la distribution de dividendes ou le rachat d’une partie de leurs propres actions (…)

    Comme toujours, le monde de l’argent a donc trouvé la parade pour surmonter – ou contourner – l’écueil des taux nuls et des injections de liquidité en parvenant à trouver une nouvelle « vache à lait ». Son appât du gain a en effet gonflé une nouvelle bulle et a, accessoirement, faussé et dévoyé toute la théorie économique qui veut que des taux d’intérêt à de tels niveaux et qu’une création monétaire dynamique doivent logiquement profiter aux acteurs économiques. Au lieu de cela, les mécanismes de transmission monétaire ont été déroutés pour transformer les marchés boursiers en bandits manchots crachant systématiquement de la monnaie. En outre, la notion de gestion du risque – censée privilégier les marchés obligataires sécuritaires aux bourses nettement plus spéculatives – s’est estompée. Inversement, l’escalade de la prime de risque – c’est-à-dire la rémunération offerte au détenteur d’action en contrepartie du risque assumé – atteint de tels niveaux que les détenteurs de cash (les fonds de pension, les gros investisseurs, les fonds souverains, etc…) ne jurent plus que par des marchés boursiers ayant comme avantage considérable de payer des dividendes, alors que la conjoncture économique est pour le moins déprimée.

    Le contexte des taux d’intérêt proches du zéro absolu (voire négatifs) n’a ainsi fait qu’exacerber cette quête effrénée aux profits de l’investissement globalisé avec, une fois de plus, des conséquences calamiteuses pour l’économie réelle. Les entrepreneurs préfèrent en effet consacrer leurs cash-flows à distribuer des dividendes en lieu et place d’opérer à des placements sur le moyen et sur le long terme dans l’intérêt de leur société et de ses salariés. Les banques centrales savaient-elles que leur politique monétaire hyper laxiste ne ferait qu’accentuer cette guerre que se livrent travail et capital ? (…)

    L’influence prépondérante de l’actionnariat sur les stratégies des sociétés cotées dénature donc le métier d’entrepreneur. Pour avoir cédé aux sirènes – parfois aux avertissements – des détenteurs de liquidité ayant pris leur titre en otage, le chef d’entreprise et son directeur financier sont progressivement devenus des pourvoyeurs de revenus réguliers, au détriment de l’investissement et bien-sûr de l’emploi. Le marché des capitaux lui-même n’est plus qu’un gigantesque « hedge fund » qui exploite opportunément les bourses et qui s’en détournera dès que la bulle sera sur le point d’imploser. Que les responsables politiques, économiques et monétaires daignent enfin s’intéresser de près au théâtre boursier et à ses coulisses, si leur souci est bien de rétablir la croissance économique et de résorber le chômage. Car les grands patrons d’entreprises dont le titre est coté ont désormais achevé leur mue en grands argentiers, et jouent à fond le jeu de la financiarisation. C’est pourquoi il n’est plus possible de miser aujourd’hui sur eux, ni sur leurs entreprises, et encore moins sur le marché boursier pour relancer nos économies. Devenue distributrice de capitaux, l’entreprise participe aujourd’hui pleinement de la mort, lente mais inéluctable, du culte des bourses ».

    Si le résultat du vote populaire de hier sur l’initiative « Monnaie pleine » doit être interprété comme une invitation à « repenser le système monétaire national » – ce en quoi j’abonde cher professeur Rossi – les tenants de la pensée dominante, eux, n’en ont que faire puisqu’ils ont en mains la pierre philosophale.

  3. La flat-taxe de 30 % de Macron s’avérerait donc inutile et serait seulement une cerise sur le gâteau pour les riches. Très instructif ce long argumentaire de Raymond, comme d’habtude !

    1. Bonne déduction Theodorum 😉

      Par ailleurs, qu’espérer d’un président-banquier ? N’est-ce pas la France de 1973 – présidée par un ancien banquier, Georges Pompidou – « qui franchit une étape historique sur le chemin de la libéralisation financière internationale en s’interdisant de recourir à la planche à billets de sa banque centrale. N’est-ce pas à cette aune qu’il faille interpréter les nouveaux statuts de la Banque de France, adoptés le 3 janvier 1973 – et particulièrement leur article 25 – indiquant que le Trésor public ne peut être présentateur de ses propres effets à l’escompte de la Banque de France, mettant ainsi définitivement les Etats à la merci du système bancaire, puisque leur Trésorerie n’était de facto plus en droit d’emprunter auprès de sa banque centrale ? Un tournant crucial dans la gestion des finances publiques des nations occidentales (et même mondiales!) qui emboîtèrent dès lors le pas à la France. Peu importe, après tout, si la dette publique française, de 20% du PIB en 1970, devait dès lors connaître une descente aux enfers ininterrompue. Pour autant, cet épisode ne fut guère que le tout premier jalon d’une emprise monétariste coulée dans les institutions dès 1976 par Raymond Barre, «meilleur économiste de France», –Premier Ministre de VGE – qui devait présider aux destinées du premier gouvernement authentiquement néolibéral d’Europe. Bien avant l’arrivée au pouvoir de Thatcher en 1979 en Grande Bretagne et de Reagan en 1981 aux Etats-Unis ».

      Bien à vous

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