Lors d’une interview parue récemment, Luigi Pasinetti (professeur émérite d’analyse économique à l’Université catholique de Milan) a expliqué clairement les problèmes fondamentaux de la pensée économique dominante. La soi-disant “science économique” est, en réalité, un amalgame parascientifique, duquel les approches alternatives à la pensée dominante ont été exclues de manière subreptice, afin d’empêcher une vision différente de celle du libre marché en tant que solution à n’importe quel problème d’ordre socio-économique.
Dans son interview, Pasinetti a bien expliqué la fragilité de la “science économique” de nos jours et a aussi mis en lumière l’ignorance des économistes de la pensée dominante qui ont exclu toute forme de pluralisme, ouverture et confrontation sur le plan scientifique avec toute école de pensée alternative à celle dominante sur le plan académique et politique. Cette situation est clairement visible, en Italie comme ailleurs dans le monde académique, lorsqu’on considère les critères pour la sélection et l’évaluation des candidat-e-s aux postes de professeurs universitaires en économie. Ces critères sont basés seulement sur la pensée dominante, même si celle-ci est de plus en plus critiquée d’un point de vue conceptuel, méthodologique, théorique et empirique, surtout durant les dix dernières années, entendez après l’éclatement de la crise financière globale induite par la pensée dominante en économie.
Dans les facultés d’économie, en effet, et désormais aussi auprès des institutions qui financent les projets de recherche en “science économique”, on remarque la tendance à évaluer les dossiers de candidature sur la base des revues scientifiques dans lesquelles les candidat-e-s ont publié les résultats de leurs propres recherches – au lieu de lire leurs publications pour sélectionner et évaluer les meilleur-e-s candidat-e-s. Il existe en réalité des classements de revues scientifiques qui sont utilisés comme critère principal (voire unique) pour ce processus de sélection. Or, le problème à cet égard est lié au fait que ces classements discriminent lourdement les revues qui acceptent de publier des travaux de recherche s’inscrivant dans des paradigmes différents de la pensée dominante.
Cela induit la très large majorité des économistes sur le plan académique, surtout celles et ceux qui visent à être promus au rang de professeur, à éviter les paradigmes alternatifs à la pensée dominante afin de ne pas porter atteinte à leur propre carrière académique.
En l’état, la situation sur ce plan s’est tellement dégradée que les jeunes professeurs ignorent les approches alternatives à la pensée dominante et, de ce fait, répètent dans leurs propres cours ce qui leur avait été inculqué par leurs prédécesseurs sans aucune connaissance pluraliste en histoire de la pensée économique.
Dans la mesure où cette situation hégémonique va persister, la “science économique” restera dans une crise profonde et, avec elle, l’économie mondiale ne pourra pas contribuer au bien commun. Comme l’avait déjà fait remarquer J.M. Keynes, les idées des économistes (soient-elles justes ou fausses) façonnent le monde entier.
Les économistes « mainstream » ont pris le contrôle des esprits !
Comme le macroéconomiste et professeur Nicolas Gregory Mankiw l’avait aussi diagnostiqué, sans surprise, « la théorie économique contemporaine est devenue un terrain d’affrontement entre des conceptions tellement abstraites et décalées de la réalité qu’elles n’ont plus d’influence sur le contenu des politiques économiques contemporaines ». Et, même si les électrochocs de la crise qui succéda aux événements financiers de 2006/2007 remirent en cause toutes les certitudes de la pensée théorique dominante, l’autisme référentiel reste pourtant de mise sur l’autel de la schizophrénie généralisée ; de quoi annihiler le principe même du plaisir de la Découverte résumé ainsi par le brillant scientifique français Henri Poincaré (1854-1929) pour qui : « la pensée n’est qu’un éclair au milieu d’une longue nuit, mais c’est cet éclair qui est tout ». Dans sa conception du plaisir de la Découverte où chaque nuit succède à une autre, aussi longue fut-elle, Henri Poincaré pose le doigt sur le renouvellement de la pensée, un pluralisme, une évolution et non une distorsion cognitive où « les erreurs systématiques maintiennent chez les sujets leurs croyances de base en dépit de la présence d’éléments concrets contradictoires », ce que les travaux du professeur et psychiatre américain, Aaron Temkin Beck, révélèrent.
En ce sens, l’économiste australien, Steve Keen, dans son ouvrage « L’imposture économique », ne postule – il pas que « les économistes sont si engagés en faveur de leur méthodologie de prédilection qu’ils ignorent ou banalisent les points où leur analyse dévoile ses plus grandes faiblesses et, pour que l’économie mérite vraiment la noble appellation de “science sociale” – réf. aux sciences molles – ces échecs devraient la conduire à abandonner cette méthodologie et à en rechercher une autre, plus solide. ». Cet économiste et directeur du département Économie, Histoire et Politique de l’université de Kingston à Londres, au fil de son ouvrage, ne déplore-t-il pas que la formation des économistes les empêche presque totalement de déceler les erreurs qui parsèment la théorie « mainstream » leur étant inculquée; puis que le système même fasse triompher cette pédagogie qu’il nomme de « paresseuse » ?
L’obscurantisme a évincé « les Lumières » et la « science économique » est devenue misère .
Les économistes hétérodoxes ne devraient-ils pas spontanément communiquer d’avantage avec le peuple ? De 2007 à 2010 des échanges relatifs à la monnaie se sont déroulés sur le site internet de Paul Jorion. Ces échanges ont fait l’objet d’une compilation téléchargeable de plus de 8000 pages sur le site internet de Etienne Chouard. Je ne vois pas qu’un économiste de l’école de Bernard Schmitt soit intervenu. Pourquoi ? Cela n’aurait-il pas permis de mettre des personnes sur votre voie et que l’ensemble de ces personnes donnent force à cette voie.
La monnaie est une construction de l’homme. Comment analyser le phénomène monétaire sans tenir compte des interventions humaines et ainsi obtenir des lois universelles ? Une réponse magistrale est donnée par les économistes de l’école de Bernard Schmitt. Il s’agit d’utiliser l’analyse rationnelle et d’écarter les méthodes descriptives ou partisanes ou hypothético-déductives expérimentales.
Voyez notamment :
1) Bernard Schmitt, Inflation, chômage et malformations du capital, Castella 1984.
Lien : http://www.quantum-macroeconomics.info/Web_Site_Quantum/wp-content/uploads/2014/11/Schmitt-B.-1984a-Inflation-chomage-et-malformations-du-capital-Albeuve-and-Paris-Castella-and-Economica.pdf
2) Curzio de Gottardi
2.1) Formation et dépense des revenus : analyse et comptabilité, UNI Fribourg 1997, p. 1 à 2.
Lien : http://www.degottardi.ch/WP1.pdf
2.2) Offre et demande : équilibre ou identité ?, Thèse Fribourg 2000, p. 2 à 9.
Lien : http://www.degottardi.ch/tesidef.PDF
3) Elie Sadigh, Méthodologies économiques et éthique scientifique, L’Harmattan 2006, p. 9 et suivantes.
Lien : http://liseuse.harmattan.fr/2-296-00532-2
4) Simon Virely, La science économique : normes ou lois ?
Lien : https://revuesshs.u-bourgogne.fr/lisit491/document.php?id=1055
Merci, c’est un très bon article