L’AVS doit être mise à la retraite

La réforme des deux premiers piliers de la sécurité sociale en Suisse refusée par le peuple lors du vote du 24 septembre dernier n’était qu’un maquillage cosmétique afin de masquer la réalité des faits, que les politiciens cherchent à cacher pour éviter de devoir faire face aux changements structurels qui sont toutefois de plus en plus évidents sur le plan économique et au niveau démographique suite à la quatrième révolution industrielle et au vieillissement de la population.

Il ne sera en fait pas possible de résoudre les problèmes structurels de la sécurité sociale en Suisse par le rallongement de l’âge minimum de la retraite des femmes (et des hommes) et par la baisse du taux de conversion des avoirs du deuxième pilier. Dans le meilleur des cas, ces problèmes auraient été uniquement repoussés d’une dizaine d’années par la réforme refusée lors du vote populaire du 24 septembre.

Si l’on veut affronter sérieusement ces problèmes, afin de les résoudre à long terme, il faut repenser la sécurité sociale dans son ensemble, à la lumière des changements structurels au niveau économique et sur le plan démographique. Dans ce cas, le premier pilier doit être remplacé par un revenu de base inconditionnel, approfondissant l’analyse et le débat qui ont précédés la votation populaire du 5 juin 2016 à ce sujet. Ce pilier n’est plus soutenable car il est basé sur un système économique et une pyramide démographique qui existaient dans la deuxième moitié du XXème siècle mais qui ont été transformés profondément durant les quinze dernières années (et qui vont l’être davantage dans un avenir proche). Il suffit de penser à la raréfaction du travail – remplacé par des «machines intelligentes» – et à la réduction qui en découle du pouvoir d’achat de beaucoup de ménages de la classe moyenne ainsi que du nombre moyen d’enfants par ménage, au vu de la précarisation de l’emploi et du niveau insuffisant des salaires de nombreux jeunes couples.

Pour le deuxième pilier, à savoir, les caisses de pension, il s’agit de comprendre qu’au lieu de prélever des rentes sur les marchés financiers afin d’en verser une partie à leurs assurés, les caisses de pension doivent investir les avoirs de ceux-ci dans l’économie «réelle» pour le financement des «start-up» innovantes qui ne trouvent pas les financements nécessaires au sein du système bancaire.

Il ne sera pas possible de renforcer les deux piliers de la sécurité sociale en Suisse à travers l’immigration de travailleurs étrangers ou par des incitations fiscales visant l’augmentation du nombre moyen d’enfants par ménage. Ces deux remèdes ne peuvent fonctionner qu’à court terme et de surcroît soulèvent des problèmes d’ordre politique ou économique. Il faut penser aux prochaines générations et considérer que le bien-être individuel est tributaire du bien-être collectif.

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.

10 réponses à “L’AVS doit être mise à la retraite

  1. Une question qui mérite d’être soulevée est le coût des médicaments: Il semble bien que ce prix en Suisse est le double, voire le triple, à qualité égale, de ce qui se paie à l’étranger. Cette question ne relève pas directement de l’AVS, mais le coût des médicaments pèse lourdement sur le budjet des retraités.

    1. Car c’est une “rente à hyper-riches”… Nos politiciens soutiennent par des brevets exagérés des monopoles de l’économie de plus en plus discutables. Ceci financé par une taxe (la LAMAL) même pas proportionnelle à la capacité financière.

  2. Excellent billet ! Que l’on vous entende, M. Rossi. Sans quoi le monde de demain sera moins bon que celui d’aujourd’hui.

  3. Votre article me laisse très perplexe.

    Jusqu’ici j’ai beaucoup apprécié vos chroniques, très anticonformistes par rapport à la doxa dominante des économistes mondialistes post modernes. Votre compréhension pour l’idée de monnaie pleine, par exemple, est digne d’éloges. J’avais même pensé que c’est très étonnant que vous soyez professeur à Fribourg, une université qui n’a plus de catholique que le nom et qui suit servilement les évolutions de l’idéologie antinationale, européiste et n’importe quoi-iste dont nous mourrons (exemple quand l’université de Fribourg s’est déshonorée en accordant un doctorat honoris causa à Judith Butler!) A mes yeux d’ancien étudiant de cette Alma Mater l’Université de Fribourg fait honte à la Suisse depuis quelques années, et Georges Python, son fondateur, doit se retourner dans sa tome.

    Mais cet article me cause une impression mitigée. Déjà j’ai détesté cette évocation de l’humanité augmentée “transhumaniste” dans la photo. En plus je n’ai pas apprécié non plus votre plaidoyer pour le revenu universel. Il me semble que cette idée est sortie des cervelles de gens qui voient comme inéluctable un monde de cauchemar du big data, de la robotisation, précarisation et uberisation générale, sans frontières, sans plein emploi, sans rien de ce qui rend la vie vivable. Or, c’est inéluctable pour eux, parce que c’est le projet de société qu’ils veulent, mais nous avons le droit de refuser leur projet et d’en choisir un autre.

    Je ne suis donc pas convaincu par votre réflexion, qui m’est très désagréable.

    Une chose m’a plu toutefois: vous avez mis en garde contre la tentation de recourir à l’immigration pour combler les trous de la démographie, et vous avez dit que c’était une fausse solution qui ne ferait que créer d’autres problèmes très graves. Tout à fait d’accord avec ça.

    Mais vraiment je ne comprends pas pourquoi vous excluez que l’on puisse, dans un pays comme la Suisse, rejeter une solution de type marxiste altermondialiste comme celle du revenu universel, et maintenir une économie de plein emploi par la qualité de nos produits, et la force d’une économie exportatrice performante, innovante, tout en veillant à éviter l’immigration massive et à maintenir une démographie autochtone suffisante pour remplacer les générations. Ainsi un système comme celui de l’AVS, avec son deuxième pilier, pourrait être maintenu.

    J’espère que vous répondrez à mon questionnement. Peut-être dans un autre article.

    Merci…

    1. Personnellement je me demande en quoi le projet “prendre sa retraite” devrait être le seul à profiter du RBI (l’AVS est un RBI réservé à une catégorie de la population). Pourquoi les projets “donner naissance”, le projet “faire des études”, le projet “reconversion professionnelle et affiner notre profil”, “faire son service militaire”, “être un enfant”, “être malade ou dans une incapacité temporaire ou définitive de travailler” n’auraient pas le droit d’être financés par un RBI? C’est des projets tout aussi valables que d’autres!!

      Surtout quand un retraité n’a pas financé l’entier de son 1er pilier!

  4. Si l’AVS n’est pas finançable, comment un revenu de base inconditionnel pourrait l’être ?

  5. Georges Python s’est retourné dans sa tombe, bien évidemment, et pas dans sa “tome”, quand Judith Butler a reçu son doctorat honoris causa des mains du père dominicain (!) Guido Vergauwen.

    Je voudrais revenir une fois encore sur cette question, qui me tient à cœur, en vous demandant pourquoi vous semblez juger inéluctable le vieillissement de la population européenne, ainsi que la précarisation croissante. Cette sorte de fatalisme est révoltante. Il s’agit de politiques qui ont été voulues par les dirigeants, et nous pouvons en choisir d’autres. Encore faudrait-il pour cela, naturellement, avoir des autorités conscientes de notre héritage civilisationnel et déterminées à s’arracher à la décadence. Ceci, en effet, paraît difficile à imaginer. Mais pas impossible. On a déjà vu quelquefois dans l’histoire des redressements spectaculaires et inattendus.

    D’autre part votre suggestion que les caisses de pension devraient investir dans des start up innovantes me paraît très intéressante. C’est une chose dont nous serions peut-être capables en Suisse étant donné les compétences existantes chez nous. Et cela, justement, pourrait nous aider à maintenir une société fortement créatrice d’emplois et donc éviter cet écueil collectiviste insupportable du revenu universel, voulu par les marxistes ultralibéraux post modernes et contraire à notre ethos national. Malgré tout c’est à considérer avec prudence car le risque de l’innovation ne peut être supporté que par des entrepreneurs, qui par définition risquent tout, jusqu’à leur maison, la sécurité de leurs familles etc., et peuvent, soit se ruiner définitivement, soit devenir milliardaires. Les qualités qui font les entrepreneurs n’existent pas, par définition, chez les gérants de fonds, sinon ils seraient entrepreneurs eux-mêmes et non gérants de fonds. D’autre part, investir l’épargne du deuxième pilier dans des fonds à risque n’est pas politiquement défendable. Car il serait inévitable que de temps en temps un de ces fonds fasse fiasco. Et alors, que faire face au scandale énorme? La colère populaire serait dévastatrice. Vous vous rendez compte? Ils ont spéculé dans des start up avec l’argent du deuxième pilier! Des têtes! des têtes!

    Personnellement je pense que l’on pourrait envisager ce genre de choses, mais seulement pour le troisième pilier, c’est-à-dire une épargne excédentaire dont les gens n’ont pas vraiment besoin, ou, disons, qu’ils peuvent se permettre éventuellement de perdre. Le risque de l’investissement dans des aventures comme des start ups est tellement élevé que selon les lois existantes sur la protection de l’épargne, dans la plupart des pays, les institutions financières ne peuvent vendre des parts de fonds de placement en capital risque, qu’à des “qualified investors” acceptant de signer une déclaration selon laquelle leur situation patrimoniale est telle qu’ils peuvent se permettre de perdre en totalité les sommes investis dans ces placements à risque. Et c’est normal. On ne saurait s’écarter de cette règle prudentielle s’agissant de l’épargne forcée du deuxième pilier.

    En conclusion de ces diverses réflexions, permettez-moi de vous exposer ma vision personnelle.

    Ce qui me paraît plus ou moins inéluctable c’est la baisse graduelle du niveau des rentes. Cela produira une grande frustration dans le public, qui se sentira complètement floué par les promesses non tenues du welfare state d’après guerre. Cela aura sans doute, au niveau politique, pour conséquence l’effondrement dramatique des partis sociaux-démocrates et du mainstream libéral social, comme on le voit déjà dans les résultats électoraux, notamment en France et en Allemagne. En Suisse cela sera un peu plus lent, comme toujours, mais rassurons-nous, le PS va aussi s’effondrer petit à petit.

    A part des concepts d’inspiration marxiste (marxisme soft comme le revenu universel, ou marxisme violent, qui pourrait être une demande de politiques néo collectivistes portées par l’extrême gauche) la seule parade à cette évolution sera un changement de conception de la vie, et le retour à des valeurs conservatrices comme l’entraide et l’épargne. Il va falloir encourager les gens à créer des associations d’entraide et à épargner pour leurs vieux jours. De toute façon, il ne sera même pas nécessaire de les y encourager, ils vont s’y mettre d’eux-mêmes car, à mon avis, les gens commencent déjà à prendre en compte que les promesses qu’on leur a faites pour leurs retraites ne seront pas tenues. Déjà en France, le merveilleux gouvernement Macron, tant aimé des médias et des bobos, est en train de plumer les pauvres retraités en leur rabotant leurs maigres rentes.

    Donc personnellement je pense que l’avenir sera d’encourager cette évolution conservatrice, en défiscalisant totalement l’épargne et en favorisant, par des avantages fiscaux, les associations d’entraide de toutes sortes qui se chargeront de la prévoyance pour leurs membres sur une base volontaire.

    L’AVS ne doit pas être mise à la retraite. Il faudra la maintenir comme un filet obligatoire minimum, tout en sachant que sa part dans les revenus des vieux diminuera.

  6. Il serait déjà bon de commencer par ne plus verser d’AVS aux personnes ayant droit et encore actives professionnellement.

    Quand à la démographie, l’idée des start-up est bonne, mais encore faut-il ne pas laisser échapper nos têtes pensantes à l’étranger pour des contrées plus intéressantes.

    Et n’oublions pas qu’un jour tout le monde arrivera à l’AVS, pour les plus chanceux du moins, et finalement que se sont eux, nous, qui auront contribué à faire tourner l’économie de ce beau pays qui est le notre.

    Le prix des médicaments en Suisse est juste scandaleux… Quatre fois moins cher dans l’hexagone… Bon ceci dit ça ne les empêche d’avoir un trou sans fond à la Secu….

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