Les illusions dangereuses de la Macron-économie

Les élections législatives qui auront lieu le mois prochain en France représentent le premier test de résistance pour «La République en marche!» dans le sillage d’Emmanuel Macron. Ses candidats ont promis de respecter et de mettre en œuvre le contrat avec la Nation rédigé par le nouveau Président français, qui prétend se situer au centre du spectre politique par un soi-disant programme social-libéral pour le prochain quinquennat.

Or, le volet économique de ce programme est, en réalité, d’ordre néolibéral, c’est-à-dire qu’il est situé à droite et loin du social-libéralisme dont il a été habillé pour des raisons de simple propagande électorale. Sous le voile d’une modernité apparente, se cache en fait une vision pré-keynésienne de l’économie, qui ignore tant l’importance du rôle de l’État pour le fonctionnement ordonné du système économique que le chômage involontaire dû à une offre excédentaire sur le marché des produits à cause des énormes inégalités de revenu et de richesse qui ne peuvent aucunement être expliquées par les critères de la méritocratie.

Le noyau dur de la politique économique envisagée par Macron est en effet représenté par la «flexisécurité», entendez un amalgame (trompe-l’œil) de flexibilité sur le marché du travail et de sécurité sociale pour les personnes au chômage qui s’engagent à trouver une place de travail quelconque dans le système économique. Cette stratégie pour pousser les chômeurs à rentrer sur le marché du travail est vouée à l’échec, étant donné qu’elle est induite par une conception erronée du chômage, désormais partagée par la majorité des enseignants-chercheurs en «sciences économiques» en France et dans le reste du monde.

Selon cette conception, il y aurait, d’un côté, des travailleurs courageux qui acceptent de très bas salaires afin de ne pas être au chômage et, de l’autre, des «fainéants» qui de loin préfèrent ne pas travailler pour de tels salaires. Cette vision justifie de ce fait l’utilisation d’incitations négatives pour induire les «fainéants» à faire en sorte de retrouver du travail, sachant que ce faisant ils pourront recevoir des indemnités de chômage s’ils démontrent avoir tout fait pour décrocher une place de travail sans néanmoins y réussir finalement.

L’illusion suscitée par cette vision erronée est évidente, lorsqu’on considère l’origine involontaire du chômage. Si la demande sur le marché des produits est insuffisante pour acheter toute la production courante, les entreprises n’auront aucun intérêt à augmenter le niveau d’emploi et beaucoup d’entre elles décideront de réduire les salaires ou la force de travail, essayant par là d’augmenter leurs (taux de) profits. Cette tentative sera à l’origine d’un cercle vicieux qui aggravera de plus en plus la situation dans l’ensemble du système économique, donnant un nouvel élan aux partisans du patriotisme populiste, qui pourront alors facilement l’emporter à la prochaine élection présidentielle en France.

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.

12 réponses à “Les illusions dangereuses de la Macron-économie

  1. Qui plus est, même avec les meilleures intentions du monde, la vitesse à laquelle l’emploi pourra reprendre en France, provoquant la tant attendue diminution du chômage, sera assez modeste. Le peuple, les électeurs et les “corps intermédiaires” risquent donc d’être déçus et de laisser éclater leur impatience, voir leur déception et insatisfaction. Dès la rentrée, au plus tard à la fin de l’année !

    Voir mon article sur le sujet :

    https://francoisglemet.wordpress.com/2017/05/09/berceront-ils-ou-blesseront-ils-son-coeur-dune-langueur-monotone/

  2. Monsieur Rossi a entièrement raison, je ne vois pas de futur rose pour la France et obligatoirement le populisme s’en verra renforcé. La majeur partie des politiciens arrivent à être élus grâce à leur promesses mensongères, en France comme ailleurs, en Suisse par exemple.

    1. Pour avoir vécu le chômage coté Suisse et côtoyé des demandeurs d’emploi coté français a Genève, je peux affirmer que la dynamique de retour a l’emploi ne pourra que bénéficier de primes “négatives” a rester inscrit a Pole Emploi. Ce ne sera pas la panacée mais il y a certainement des gains de ce coté.
      Comme toutes situations multifactorielles, chaque mesure doit trouver sa place et apporter son efficacité.
      Le plus important retrouver une culture ou le travail est perçu comme enrichissant, pouvant nécessiter un investissement personnel, que beaucoup d’employeurs (pas tous évidement, malheureusement) reconnaîtront. Et pour les employeurs de comprendre qu’une économie de salariés sous payés n’est pas soutenable! Avec le choc Macron, une nouvelle chance est offerte. Essayons de la soutenir, de la saisir!

  3. Je reste abasourdi par tant d’affirmations péremptoires sur la prochaine catastrophe à venir avec des arguments dogmatiques venant pourtant d’un “scientifique”. Déjà, les “ca ne marchera jamais” ont toujours tendance à agacer. Mais comment juger un programme politique en n’en présentatnt que la moitié ? La problématique des chômeurs, ou des travailleurs en général, est une part, l’autre étant les entreprises. Et c’est là où le vrai changement doit être fait. C’est cette partie qui doit être dynamisée pour créer de l’emploi. Et c’est là où le programme de EM prend tout son sens et sa cohérence que votre commentaire cherche à cacher.
    Maintenant, quand à votre conclusion, c’est justement ces commentaires destructifs comme le votre qui font le lit des extrêmes : destructifs d’espoir pour le peuple en leur disant ça marchera jamais avant même d’avoir commencé le moindre changement, pour essayer le plomber le projet avant même son commencement.
    Tout ca pour pouvoir dire plus tard : je vous l’avais bien dit. Ou oublier ces mauvaises augures si les choses avancent dans le bon sens… J’espère qu’on vous le rappellera à ce moment là.

    1. Cela ne marchera pas, tout simplement parce que cette politique (celle que propose E. Macron) est déjà en place depuis longtemps (notamment depuis Sarkozy et Hollande que Macron prolonge et accentue) et qu’elle n’a pas fonctionné : le chômage n’a pas diminué, l’économie française se traîne, les déficits ne peuvent être comblés. Le vrai changement n’est pas à l’ordre du jour : réorienter l’économie française sous l’impulsion des pouvoirs publics vers une économie verte fondée sur la recherche et l’innovation et une main d’oeuvre qualifiée et correctement protégée. Au lieu de cela, on ne pense qu’à baisser le coût du travail et favoriser les activités médiocres à faible valeur ajoutée, celles qui n’ont pas d’avenir pour un pays comme la France.

  4. c’est toujours pareil par paresse intellectuelle on préfère accorder du crédit au nouveau venu qui est jeune moderne et bla bla, mais il faut ouvrir les yeux, ce président a tout de même annoncé avant son élection qu’il gouvernerait par ordonnances pour “réformer” le code du travail, se passant des parlementaires, on a déjà donné de ce point de vue, et proposer que les accords se feront par entreprise ce n’est pas du dialogue social. On sait bien tous que le salarié est dans un rapport de domination par rapport à son employeur ou alors il faut être naïf. Supprimer 120000 emplois publics et 50milliards dans les comptes publics c’est quoi? et la loi Macron que comportait-elle ? c’est lui qui a vendu une part d’Alstom à GE etc…. on a des raisons de penser que ce sera une catastrophe économique sociale quant à l’écologie il semble ignorer que le climat s’emballe….bon un peu de clairvoyance!

  5. Pour ma part, je ne suis pas du tout abasourdi par le commentaire de Sam. Il est le triste reflet de l’inculture ambiante en Macroéconomie (alternative). Il ignore donc, comme tant d’autres, que la Macroéconomie (scientifique) n’est avec la Macron-économie (pré-scientifique) !

    Monsieur Rossi ne cherche rien à cacher dans son article. Un article ne peut pas tout simplement pas tout exprimer.
    “C’est au niveau des entreprises où le vrai changement doit être fait. C’est cette partie qui doit être dynamisée pour créer de l’emploi. Et c’est là où le programme de EM prend tout son sens et sa cohérence.”

    Pourriez-vous nous expliquer la cohérence scientifique d’un programme qui donne d’une main (50 milliards pour la formation professionnelle) ce qu’il reprend de l’autre encore plus fortement (comme le mentionne PRF 120000 revenus publics et 50 milliards dans les comptes publics). La logique du circuit économique est impitoyable : les carnets de commandes des entreprises ne se rempliront pas de la sorte et aucune entreprise ne créera des emplois si ses perspectives restent sombres.

    Et ce n’est pas “justement ces commentaires destructifs … qui font le lit des extrêmes : destructifs d’espoir pour le peuple en leur disant ça marchera jamais avant même d’avoir commencé le moindre changement, pour essayer le plomber le projet avant même son commencement.”

    Car apprenez, cher SAM, que la science économique (la vraie) n’a cure du moral (de la psychologie) des gens…

    Pour conclure, rappelons que l’analyse de Sergio Rossi (fondée sur la même critique de la théorie pré-keynésienne qui gouverne la France) avait prédit la non réélection de monsieur François Hollande (voir blog l’Hebdo 2014-2015). A ma connaissance, elle ne s’est pas trompée.

    1. Voyage dans l’espace temps

      En revenant du futur (2023 et 2019) l’on peut désormais affirmer que le modèle économique néolibéral, social et sociétal français – malgré la servitude monétaire de la zone “Françafrique” – sera devenu un pays tiers-mondiste. Et la Macron-économie ne changera rien au fait que la France est le seul pays au monde qui se paie encore le luxe de gérer la monnaie de ses ex-colonies, et ce plus d’un demi-siècle après leur indépendance.

      “Cette servitude monétaire – et par delà économique – n’est-elle pas confirmée même au sein du FMI où c’est le représentant de la France – et non de ces pays africains – qui élabore le rapport annuel dédié à la zone franc?” (…)

      https://michelsanti.fr/franc-cfa/franc-cfa-cle-de-voute-de-la-francafrique-2

  6. Voyage dans l’espace temps

    Revenant du futur (en 2023 ) l’on peut désormais affirmer que le modèle économique néolibéral, social et sociétal français – en 2023 – a plongé le système où les médecins détruisent la santé, les avocats détruisent la justice, les universités détruisent le pluralisme du savoir, l’État de droit détruit la liberté, la presse détruit l’information, la religion détruit la morale, et les banques et les multinationales détruisent l’économie. Et alors même que la crise énergétique fut accélérée par un choc géopolitique en 2022, que les “profiteurs de guerre” se nourrissent sur la Bête grâce à la spéculation outrancière, le système néolibéral en place, avec la Macronie, freine des quatre fers pour taxer les “profits de guerre” tout en privilégiant le creusement de la dette afin de jouer à l'”helicopter money”, mais à coup de chèques!

    Ceci n’est pas sans compter le modèle néolibéral anglo-saxon, largement copié à présent en Europe, où le concept des rachats d’actions propres par les grandes entreprises cotées est devenu monnaie courante, comme autant de “profits sans prospérité”. En effet, si les entreprises européennes ont quasi doublé les montants consacrés à l’acquisition de leurs propres titres l’an dernier, en France aussi, les sociétés du SBF 120 ont signé une année exceptionnelle avec plus de 27 milliards d’euros de rachats d’actions. Faut-il encore rappeler que ce mécanisme fausse légalement la cotation de l’entreprise en bourse?

    En plus d’avoir déjà consacré des billets à ce sujet sur un autre blog d’expert, en 2014, j’ai également partagé sur le blog du Professeur Sergio Rossi, en 2018, cette analyse:

    (…) grâce à l’alibi du « ruissellement », n’assiste-t-on pas depuis plusieurs années à un mécanisme de profits sans prospérité qui annihile en grande partie la théorie qui porte son nom? Pour prendre une mesure du leurre, il n’est pas inintéressant de savoir que « pas moins de 3’500 milliards de dollars ont été dépensés depuis 2010 par les entreprises US pour racheter en bourse leurs actions. En y rajoutant 2’000 milliards consentis à leurs actionnaires en guise de dividendes, ces 5’500 milliards de dollars sortis par les sociétés cotées américaines dépassent l’ensemble des programme de baisses de taux quantitatives de la Fed ». L’étude de Harvard (Profits Without Prosperity) datant de septembre 2014 et dirigée par le professeur et économiste, William Lazonick est tout aussi révélatrice de ce profond malaise. A titre d’exemple, « les sociétés cotées à l’indice S&P 500 ont, entre 2003 et 2012, utilisé 54% de leurs bénéfices pour racheter leurs actions, et 37% de leurs bénéfices en dividendes au profit de leurs actionnaires ». Là aussi, nous sommes bien loin des investissements consacrés à la Recherche et au Développement (…)

    https://hbr.org/2014/09/profits-without-prosperity

    Est-ce à dire – avec le creusement grandissant des inégalités en 2023 – que les emplois les mieux rémunérés et les plus prestigieux sont-ils occupés par des individus dotés d’une grande intelligence, voir d’une intelligence extraordinaire pour justifier dès lors une telle dichotomie entre les revenus les plus bas de l’entreprise et ceux du top management? La médiocratie a-t-elle à ce point suppléer la méritocratie; l’on est amené à le croire en lisant cette étude provenant du futur (2023).

    https://academic.oup.com/esr/advance-article/doi/10.1093/esr/jcac076/7008955?login=false

    La Macron-économie, mythe ou réalité.

  7. Voyage dans l’espace temps

    Revenant du futur (2023 – 2016) où la Macronomie est désormais vouée à l’échec au prisme du néolibéralisme – et que la scène du crime fût analysée sous différents angles – ce qui m’a d’ailleurs valu une volée de bois de vert par “deux philosophes en herbe” lors de ma pérégrination – tantôt en France, aux États-Unis, puis en Suisse, je suis à présent pleinement satisfait du constat d’un de ces derniers, lequel nous fait savoir en ses termes:

    *****

    CORTO
    16 février 2023 à 12 h 31 min
    Cher Francis, quand les élites sentent leur fin arriver, ils implémentent des systèmes totalitaires !

    ****
    Finalement, rien de nouveau sous le soleil.

    https://www.lesoir.be/art/1137303/article/debats/cartes-blanches/2016-03-01/neoliberalisme-est-un-fascisme

Les commentaires sont clos.