La marchandisation du service public postal

Les discussions que La Poste suisse a entamées ce mois-ci avec les autorités publiques cantonales afin de décider le nombre précis ainsi que la localisation des offices qu’elle va supprimer d’ici à 2020 – dans le cadre du projet de restructuration annoncé à la fin du mois passé – ne peuvent pas cacher le fait que le «géant jaune» est un nain sur le plan éthique.

Il est vrai que le progrès technique va graduellement réduire le nombre d’envois qui nécessitent d’un guichet postal pour être délivrés. Il ne fait pas de doute non plus que le trafic des paiements se passera de plus en plus des bureaux postaux, au vu de l’augmentation progressive du nombre d’utilisateurs des moyens de paiement électroniques, que les banques tâchent d’intégrer dans leurs modèles d’affaires afin de ne pas perdre leur propre clientèle. Néanmoins, pour le bien commun il faut reconnaître que le service public postal se doit d’être assuré de manière uniforme à travers l’ensemble du territoire, car il en va de la cohésion nationale qui a fait le bonheur de la Confédération suisse.

La finalité d’un service public, en fait, n’est pas celle de réaliser des profits mais de contribuer au bien commun, quitte à enregistrer des pertes qui doivent être financées par les recettes fiscales de l’État – entendez l’ensemble de la société qui bénéficie d’un tel service.

Au lieu de fermer un nombre important de ses filiales, les dirigeants de La Poste devraient alors réfléchir sur l’offre dans les bureaux postaux situés dans les centres urbains, où, depuis bien des années, elle vise à enfler ses profits par la vente de toute sorte de biens de consommation (à l’instar des téléphones portables et des cartes de vœux), qui mettent de nombreux petits commerces sous pression par une concurrence qui ne sert aucunement le bien commun – au-delà du fait que la vente de ces biens n’a rien à voir avec le service public que La Poste doit offrir.

Si les dirigeants de La Poste veulent assurer la profitabilité de celle-ci, même après la restructuration envisagée, ils doivent comprendre que cela est tributaire de la qualité du service public postal à travers tout le territoire national et notamment dans ses régions périphériques. Cela a aussi une dimension interne à La Poste car il faut que celle-ci devienne à nouveau un employeur apprécié par ses (potentiels) collaborateurs: il s’agit donc d’abandonner le système de «management» actuel qui vise à standardiser le travail aux guichets par la comptabilisation du temps nécessaire pour effectuer les opérations avec la clientèle. Il est, en fait, impensable de prétendre qu’une même opération, comme l’envoi d’une lettre recommandée, comporte toujours et partout le même nombre de minutes pour être effectuée. Ce système met inutilement sous pression le personnel, qui doit en plus perdre du temps pour justifier les cas où il a fallu davantage de minutes que celles prévues pour mener à bien un envoi postal ou toute autre opération aux guichets.

Cette marchandisation du service public postal nuit à l’ensemble de la société et doit être abandonnée à jamais, pour contribuer de nouveau au bien commun qui ne peut pas être réalisé avec les règles du «libre marché».

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.