Règles ou discrétion en politique monétaire?

La théorie économique dominante prétend qu’en politique monétaire il faut suivre des règles au lieu de permettre aux banques centrales des interventions discrétionnaires, c’est-à-dire qui sont décidées au vu des grandeurs macroéconomiques et de leur évolution attendue. Le mobile d’une règle de politique monétaire serait celui d’éviter de surprendre les acteurs sur les marchés par des décisions de politique monétaire auxquelles ces acteurs ne s’attendent pas et qui par conséquent augmentent leur incertitude, nuisible à la stabilité et à la croissance économique. De là, selon cette théorie, il s’en suit que toute banque centrale doit se limiter à assurer la stabilité du niveau des prix, sans vouloir influencer l’évolution de la conjoncture économique ou d’autres variables comme le niveau d’emploi.

Or, il suffirait d’assister à une séance du Comité de politique monétaire de la banque centrale américaine (Fed), comme celle qui a eu lieu la semaine passée, ou du Directoire de la Banque nationale suisse (qui s’est réuni la semaine auparavant), pour comprendre que la réalité est fort différente de ce que prétend la théorie dominante. En fait, les choix de politique monétaire – a fortiori depuis que la crise financière globale a éclaté en 2008 – sont empreints de pragmatisme et reflètent, à juste titre, une approche discrétionnaire à l’extrême complexité du système économique contemporain et de son évolution à court, moyen et long termes.

Dans son intervention lors d’un colloque organisé l’année passée par la Banque centrale européenne au Portugal, Lawrence Summers n’a pas caché que les autorités monétaires peuvent influencer l’économie «réelle» (entendez la croissance et le niveau d’emploi) pour bien des décennies à travers l’utilisation des instruments dont elles disposent – surtout en périodes de crise ou de stagnation séculaire comme celle que de nos jours traversent de nombreux pays «avancés» sur le plan économique.

Comme l’avait bien remarqué Summers, l’indépendance des banques centrales, notamment celle de la Banque centrale européenne, est un obstacle pour atteindre les objectifs de politique économique des pays lourdement affectés par la crise. Cette indépendance est telle qu’il n’y a plus aucune coordination entre la politique monétaire et la politique budgétaire. Il en résulte alors une perte d’efficience de ces politiques, au détriment de l’activité économique et, dès lors, du niveau d’emploi.

L’évolution économique au plan national comme au niveau global est inconnaissable (comme disait déjà Keynes). Il n’est donc pas possible de faire appel à une règle de politique monétaire interactive, à travers laquelle les monétaristes pensent réussir à déterminer le taux d’intérêt «optimal» pour l’ensemble de l’économie.

Il faut bien se rendre à l’évidence que la politique monétaire est un art plutôt qu’une science.

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.

2 réponses à “Règles ou discrétion en politique monétaire?

  1. A mon humble avis, il faut garder le caractère scientifique de la monnaie. En effet, le recours aux règles diminue le champ d’incertitude des agents économiques et favorise l’ancrage des anticipations. Certes il ne faut occulter le rôle des politiques monétaires activistes dans le processus de reprise, amorcée depuis 2017, mais les règles peuvent contribuer à la transparence, qui est un pilier central de la crédibilité des banques centrales.
    A cet effet, l’adoption de règles d’objectif pourrait être une solution médiane.
    C’est pas vidé ce débat !

  2. Il faut garder à l’esprit que la règle ou la politique discrétionnaire ont chacune leur force. L’optimalité voudrait peut-être que l’outil soit mixte. Depuis 2019, avec les chocs de la pandémie puis du conflit russo-ukrainien la règle ne permet pas aux banques centrales de jouer leur pleine partition dans le redressement économique des pays. Par contre, en période de stabilité, la règle est appropriée pour permettre aux banques centrales d’accompagner de manière optimale les différents secteurs de l’économie. La difficulté serait alors comment manier ces deux outils en fonction des besoins et des périodes? C’est juste une contribution.

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