Une année après le choc monétaire

Une année entière vient de s’écouler depuis l’annonce faite par la Banque nationale suisse (BNS) d’abandonner le seuil minimum de change (1,20 franc pour un euro) qu’elle avait introduit le 6 septembre 2011 comme pilier principal de sa stratégie de politique monétaire visant la stabilité des prix à la consommation en Suisse. Dans cette stratégie – qui visiblement n’a pas empêché la déflation – le seuil de change a été remplacé par une taxe sur une partie des avoirs que les banques ont déposés dans leurs comptes de virement auprès de la BNS. Le taux d’intérêt négatif imposé par celle-ci vise à réduire la survalorisation du franc suisse et de là soutenir les exportations des biens et services helvétiques (y compris les activités liées au tourisme en Suisse). Douze mois après ce changement de stratégie, force est de reconnaître son caractère inefficace, voire nuisible pour l’ensemble de l’économie helvétique.

Bien entendu, en l’absence de la taxe sur les comptes de virement des banques ainsi que des interventions répétées de la BNS sur le marché des changes, la situation pour bien des acteurs et des pans entiers de l’économie suisse serait encore pire que celle sous nos yeux à l’heure actuelle. Néanmoins, la question à se poser est une autre, à savoir si la politique monétaire et la politique économique menées actuellement en Suisse contribuent véritablement au bien commun. La réponse ne peut qu’être négative, lorsqu’on considère l’évolution des principales variables macroéconomiques affectant le bien-être de la population suisse depuis l’éclatement de la crise financière globale en 2008.

Si, malgré cela, l’orientation de la politique monétaire suisse ne change pas, c’est parce que son impact sur l’économie nationale ne comporte pas uniquement des désavantages pour une partie considérable de la population, mais aussi des bénéfices pour un petit cercle d’acteurs au plan économique dont le nombre est inversement proportionnel à l’importance rattachée à leurs propres intérêts par les autorités en charge des choix de politique économique au plan helvétique.

Tout d’abord, contrairement à l’opinion dominante, les bénéfices des banques suisses ne sont pas réduits par le prélèvement par la BNS d’une taxe sur leurs comptes de virement, au vu du fait que les dites banques, en général, transfèrent les coûts de la politique monétaire actuelle à d’autres parties prenantes, à savoir:

–      les déposants, qui ne gagnent pratiquement plus aucun intérêt sur leurs avoirs dont les frais de gestion ont d’ailleurs augmenté;

–      les débiteurs hypothécaires, qui doivent payer des taux d’intérêt plus élevés que les conditions monétaires leur permettraient de faire;

–      les collaborateurs des banques dont la rémunération est fortement réduite, lorsqu’ils ne sont pas licenciés suite à la «restructuration» des activités bancaires.

La stratégie actuelle de politique monétaire de la BNS comporte aussi des bénéfices de court terme pour les propriétaires des entreprises car elle entraîne une pression à la baisse sur la rétribution de leurs propres collaborateurs. Si l’on continue à péjorer les conditions de travail, il ne faudra alors pas s’étonner de la chute du pouvoir d’achat des ménages résidant en Suisse, de la diminution continue des recettes fiscales des collectivités publiques, ni de l’augmentation du nombre d’entreprises en Suisse qui partent en faillite ou délocalisent à l’étranger une partie ou la totalité de leurs activités. Quand ce scénario s’avérera, la crise frappera également les banques, parce que leurs activités ne peuvent être aucunement profitables dans une économie délabrée. Il sera alors trop tard pour renverser cette tendance dont l’origine se trouve au sein de la BNS avec la complaisance des autorités fédérales et des milieux d’affaires obnubilés par une vision court-termiste centrée sur l’avidité et le manque de hauteur.

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.