Non au 2e tunnel au Gothard

À la fin du mois prochain le peuple suisse devra voter, entre autres, au sujet de la réfection du tunnel routier du Gothard, qui implique par voie de conséquence la construction d’un deuxième tube sous la montagne qui sépare physiquement (et psychologiquement) le Tessin du reste de la Suisse.

Les arguments des milieux favorables à cette construction ne tiennent pas la route – ce qui est d’autant plus grave qu’il s’agit d’une route qui est importante pour la cohésion nationale. Il suffit de passer en revue ces arguments pour s’en convaincre:

1)   «Le tunnel routier du Gothard est l’élément clé de l’axe Nord–Sud à travers les Alpes»: en fait, il existe également une liaison ferroviaire depuis la fin du XIXe siècle, qui de surcroît sera considérablement renforcée par l’ouverture du tunnel de base du Gothard à la fin de cette année. Compte tenu de l’enneigement des voies d’accès au tunnel routier du Gothard durant l’hiver et des problèmes que cela comporte, la liaison Nord–Sud est mieux assurée par les chemins de fer, tant pour la population que pour les agents économiques.

2)   «La sécurité sera accrue grâce à deux tunnels unidirectionnels»: en fait, le progrès technique dans le domaine automobile va permettre, bien avant la réalisation d’un deuxième tunnel routier au Gothard et à bien moindres frais, de réduire le nombre de collisions frontales et latérales grâce aux systèmes d’aide à la conduite des véhicules (qui vont bientôt devenir le standard sur l’ensemble du parc automobile). Les poids lourds ont l’avantage d’utiliser les chemins de fer pour ne pas péjorer davantage les conditions de travail de leurs chauffeurs, qui sont déjà lamentables compte tenu aussi des risques que cela pose pour la sécurité de l’ensemble des parties prenantes.

3)   «La construction d’un deuxième tunnel routier au Gothard est moins chère finalement que toute autre alternative»: en fait, la prudence à cet égard doit être de mise car personne ne peut savoir, en l’état, si le coût total d’un projet quelconque sera au final plus grand ou plus petit que son devis, a fortiori lorsque la durée de réalisation est très longue et le projet très éloigné dans le temps. Une chose est sûre à cet égard: construire un deuxième tunnel qui n’est pas nécessaire à la population et à l’économie suisses en l’état et en perspective des prochaines décennies est un énorme gaspillage de ressources, que le peuple doit refuser considérant aussi les quelque 24 milliards de francs suisses déjà investis dans les nouvelles lignes ferroviaires à travers les Alpes.

En fait, les 3 milliards de francs suisses envisagés pour la construction du deuxième tunnel routier au Gothard sont beaucoup mieux investis à coup sûr dans les agglomérations qui souffrent tous les jours, et durant bien des heures, de bouchons qui alourdissent également les coûts de production en Suisse. Personne ne peut croire que l’investissement de ces 3 milliards pour creuser un deuxième tunnel sous le Gothard ne va pas empêcher de réduire visiblement les embouteillages dans le trafic qui traverse les agglomérations et les villes en Romandie et ailleurs: la Confédération joue à guichets fermés et son enveloppe budgétaire est limitée (en termes à la fois politiques et économiques).

Quant à l’argument consistant à rassurer le peuple en ce qui concerne la protection des Alpes inscrite dans la Constitution suisse, il faut être naïf pour croire que le Conseil fédéral n’aura pas à se plier à la puissance économique de l’Union européenne, face aux menaces que celle-ci pourra facilement brandir pour amener celui-là à exploiter l’ensemble des voies de circulation dans les deux tunnels routiers au Gothard.

La logique économique, tout comme la raison d’État, plaident en faveur d’un refus populaire du deuxième tunnel routier au Gothard. En décider autrement affaiblirait les conditions-cadres dont bénéficient les activités économiques dans l’ensemble de la Suisse, au détriment aussi bien de sa population que de la cohésion nationale.

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.