La redoutable Angela Merkel

L’exode biblique des migrants vers l’Europe a consacré le leadership du Chancelier allemand au sommet de l’Union européenne: le «plan Juncker» pour la relocalisation des réfugiés, présenté le 9 septembre 2015, n’aurait jamais existé sans l’ouverture des frontières allemandes aux milliers de personnes fuyant les affres syriennes et d’autres pays de la région.

Angela Merkel s’est-elle émue face à la tragédie humanitaire en Syrie et dans les pays environnants ou a-t-elle pris une décision rationnelle en calculant les coûts et les bénéfices (en termes aussi bien politiques qu’économiques) des flux migratoires vers l’Allemagne? La presse et les analystes de tout bord ont (trop) vite penché en faveur du côté qui fait ressortir la générosité du Chancelier allemand, face aux urgences et aux drames personnels des migrants vers l’Europe. Or, le deuxième terme de l’alternative mérite d’être approfondi, au vu notamment aussi bien du vieillissement démographique que du modèle de croissance de l’économie allemande, tournée vers les exportations et la compétitivité-prix au détriment de la demande intérieure.

Le calcul coûts–bénéfices de Madame Merkel peut être fait sur le dos d’une enveloppe: les coûts engendrés par les migrants en Allemagne, qui se résument essentiellement à leur offrir le minimum vital pendant quelques mois, représentent un investissement en «capital humain» à moyen-long terme, dans la mesure où la plupart de ces migrants sont jeunes, formés et en bonne santé, c’est-à-dire qu’ils vont pouvoir faire rapidement leur entrée sur le marché du travail allemand, produisant à moindres coûts ce dont l’économie allemande et ses débouchés dans le reste du monde ont besoin, tirant vers le bas le niveau des salaires en Allemagne (sauf les salaires extravagants au sommet de la pyramide).

Angela Merkel n’est pas économiste et sa langue maternelle n’est pas l’anglais, mais elle a bien compris le slogan «It’s the economy, stupid».

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.