Y a-t-il un lien entre le secret bancaire et le taux de change?

Récemment, les grandeurs observées sur les marchés financiers ont fait enregistrer des records positifs en flux continu, qui devraient avoir interrogé bien des analystes de ces marchés, au vu des très maigres résultats de ce que l’on appelle l’économie «réelle» des deux côtés de l’Océan Atlantique et notamment au sein du Vieux continent.

Au-delà de l’augmentation de la prise de risque des acteurs à travers le marché des actions ainsi que par rapport à l’achat d’obligations des émetteurs publics, le dernier phénomène en date concerne le marché des devises des pays occidentaux: malgré les nombreuses incertitudes sur la solidité de la reprise économique aux États-Unis et l’aggravation de la récession dans l’Euroland, les taux de change du franc suisse affichent depuis quelques semaines une tendance à la baisse par rapport aussi bien à l’euro qu’au dollar états-unien.

Ce contraste entre, d’une part, les grandeurs «fondamentales» dont l’évolution comparée entre deux systèmes économiques est censée expliquer et diriger les tendances notées sur le marché des devises et, d’autre part, l’évolution récente des taux de change sur ce marché, en ce qui concerne notamment le franc suisse, peut s’expliquer par deux facteurs majeurs. D’un côté, l’énorme émission de monnaie par les principales autorités monétaires au plan mondial affecte directement ou indirectement les rapports que différentes monnaies affichent sur le marché des devises. D’un autre côté, les mouvements de capitaux privés exercent un impact, à court terme, sur les taux de change.

Plutôt que de dépenser des centaines de milliards de francs suisses – créées ex-nihilo par la Banque nationale – afin de juguler l’appréciation du taux de change qui a excité beaucoup d’esprits en Suisse pour des raisons disparates, il aurait été mieux pour l’économie suisse dans son ensemble d’aller de l’avant avec l’abolition du secret bancaire national: la Confédération aurait ainsi pu éviter que la Banque nationale achète des volumes énormes d’actifs libellés en monnaies étrangères dont les risques de perte continuent de peser sur l’ensemble des contribuables, d’une manière ou d’une autre. La Suisse aurait alors été dans une bien meilleure posture pour négocier l’échange automatique d’informations, qui en l’occurrence risque d’aggraver la situation à court terme pour la place financière nationale, au lieu d’avoir été un facteur de dévaluation «spontanée» du taux de change du franc suisse.

Celles et ceux, encore très peu nombreux malheureusement, qui ont une vision systémique du fonctionnement de nos économies n’auront aucune difficulté à saisir les enjeux de ces phénomènes. Il faut encore espérer, néanmoins, que leur voix puisse être entendue au lieu d’être étouffée par la cacophonie des soi-disant experts de questions d’ordre monétaire et financier dont le monde est parsemé depuis l’éclatement de la crise financière globale à l’automne 2008.

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.